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Norouz est sans doute la fête religieuse et nationale la plus importante et peut-être la plus ancienne de l’Iran. Bien qu’elle ne soit pas citée dans l’Avesta, livre sacré des Zoroastriens, cette fête a été mentionnée comme fête religieuse dans plusieurs textes datant de la Perse d’avant l’Islam.
Nog routch, forme originelle de Norouz, appartient à l’ancienne langue Pahlavi de l’Iran, langue officielle de l’époque des Sassanides. La première syllabe a été transformée, dans le persan d’aujourd’hui, en "now" (qui signifie nouveau) et dans la deuxième, "tch" s’est transformé en "z" : "Rouz" (qui veut dire jour).
Dans la plupart des textes anciens persans et arabes, Djamshid, l’empereur pishdadien de la Perse est cité comme le fondateur de cette fête.
Djamshid ou Djam est l’une des personnalités les plus célèbres de l’histoire de la Perse antique, dont l’origine remonte à l’époque indo-européenne, puisqu’il a été cité sous le nom de Yam dans les Védas, textes sacrés de l’Inde.
Ainsi est racontée la naissance de Norouz dans les textes persans et les œuvres des historiens musulmans : Norouz a été fondé par Djamshid, le jour où il prit possession de la terre. On dit aussi qu’il fabriqua une carriole avec laquelle il monta au ciel, ce qui étonna et rendit joyeux les gens, qui par la suite, célébrèrent cet événement.
Parallèlement à ces histoires fondées sur des croyances populaires, Abureyhan Biruni pense que ce nom est choisi parce qu’il représente le "front de la nouvelle année" puisque Norouz célèbre l’équinoxe du printemps et le commencement de la nouvelle année. Dans les textes de Zoroastre, prophète de la Perse antique vivant entre 1000 et 1200 ans avant Jésus-Christ, Norouz est cité comme la fête printanière de tous les peuples iraniens, depuis toujours célébré. Zoroastre a doté cette fête d’une dimension religieuse et sa célébration est devenue un devoir pour ses fidèles.
A notre époque, cette fête est la seule de l’ensemble des festivités de la Perse antique qui soit toujours célébrée chez tous les peuples iraniens en tant que fête officielle. En Afghanistan et au Tadjikistan, pays de culture et de langue iraniennes, Norouz est une fête nationale et officielle, elle est également considérée comme telle en République d’Azerbaïdjan.
Les images taillées sur les murs de Persépolis représentent les émissaires des divers peuples vivant sous le pouvoir des Achéménides en train d’offrir des présents au roi. Ces images témoignent de la majesté de la célébration de Norouz à l’époque de cette dynastie.
Après la chute de l’empire des Achéménides et l’instauration du pouvoir grec par Alexandre, la Perse connu différents stades d’évolutions culturelles. Il est difficile, étant donné le nombre réduit de textes et de témoignages datant de cette époque, de porter une opinion sur la culture et surtout sur la manière ancienne de célébrer Norouz. Il en est de même en ce qui concerne les cinq cents années de l’empire des Arsacides. Néanmoins, certains faits et indices témoignent de la célébration plus ou moins constante de cette fête, impératif religieux chez les zoroastriens dont la religion était la religion officielle de la dynastie des Arsacides. De plus, sous l’empire des Sassanides, Norouz était fêté à grands renforts de rites et de cérémonies grandioses témoignant d’une longue tradition en la matière.
Les écrivains de l’époque islamique qui ont beaucoup cité la dynastie des Sassanides dans leurs textes, décrivent la splendeur avec laquelle cette fête était organisée à la cour et par le peuple. D’après ces textes, les rois cherchaient à rendre le peuple joyeux et les gens chômaient ce jour-là et en profitaient pour se reposer et se divertir. En ce jour, les rois recevaient les tributs et procédaient aux nominations et aux destitutions. Frapper la monnaie, nettoyer les temples de feu, sacrifier, planter des arbres, faire des constructions…faisaient partie des activités auxquelles on s’adonnait en ce jour.
Certains rois comme Ardeshir Babakan, Bahram-eh-Gour et Anoushiravan offraient leurs habits au peuple et recevaient des présents en échange.
Le roi fixait un jour précis pour recevoir le peuple et personne n’avait le droit d’empêcher les gens d’entrer au palais. On annonçait l’audience publique quelques jours à l’avance pour laisser aux gens le temps de prendre leurs dispositions. Toutes plaintes et requêtes pouvaient y être présentées, même contre le roi lui-même. Les plaintes contre ce dernier étaient examinées par les grands de la cour et de la religion. Les différents entre les gens étaient résolus sur place. L’une des fonctions sociales des fêtes, surtout celle de Norouz, fut et reste la réconciliation de tout un chacun.
Faire pousser des grains de céréales, préparer diverses sucreries et mets, composer et jouer de la musique, chanter des mélodies joyeuses, jouer des pièces de théâtre et s’adonner à différents loisirs, faisaient aussi partie du rituel de ces festivités.
A l’époque des Sassanides, il était coutumier d’allumer du feu le soir du nouvel an, d’une part en signe de respect pour cet élément sacré et d’autre part, en raison de la croyance des Perses selon laquelle les âmes des défunts rejoignaient leur famille pour passer Norouz avec eux. Ainsi le feu leur indiquait le chemin de la maison.
L’eau aussi occupe une place importante dans ces rituels en tant qu’élément sacré et source de vie. Au matin de Norouz, les gens s’aspergeaient mutuellement d’eau et devaient se laver avec de l’eau pendant la journée. Cette tradition est certainement liée à Khordad, dieu gardien de l’eau et de la végétation, à qui l’on a dédié le sixième jour de chaque mois.
Les gens continuèrent à célébrer Norouz après la venue de l’Islam. Bien qu’il reste peu d’informations quant aux modalités de ces célébrations, certains récits plus tardifs relatent sur le sujet le point de vue du Prophète de l’Islam et des Imams.
Dans un récit dont il attribue l’origine à son ancêtre Ebn Abbas, Abdolsamad Ben Ali raconte qu’à Norouz, on apporta au prophète du halva dans une coupe argentée. Il s’enquit de la raison et lorsqu’on lui répondit que c’était le présent de la fête de Norouz, il déclara : "En ce jour, Dieu fit mourir les gens qui avaient quitté leurs terres de peur de la mort et ensuite il les fit revivre et ordonna aux nuages de pleuvoir sur eux, c’est ainsi qu’il est coutume de s’asperger d’eau ce jour-là." Ce même récit ajoute que le prophète prit ensuite du halva et dit à son entourage :"Pourvu que tous les jours soient le jour de Norouz pour nous."
Ce récit et encore beaucoup d’autres témoignent de l’importance de Norouz chez les Iraniens musulmans.
Les sources historiques rapportent qu’au début de la dynastie des Abbassides, Norouz était une fête officielle et nationale, et ses rituels étaient respectés. Motevakel Abassi -l’un des rois de cette époque- faisait frapper, à chaque Norouz et spécialement pour la fête, cinq millions de Dirhams en pièces multicolores, qu’il ordonnait de jeter sur les gens, pour faire comme les rois de la Perse antique.
Ces mêmes sources relatent que les gens embellissaient leur maison et s’assemblaient dans les rues en mettant des habits neufs et précieux pour allumer du feu, manger des plats et des gâteaux et s’amuser pendant les six jours que durait la fête.
Toutefois, certains des émirs abbassides essayèrent, en vain, de réduire les festivités de Norouz et d’en effacer certains rites. Lorsque les dynasties perses montèrent au pouvoir et s’efforcèrent à faire renaître la culture perse et les coutumes nationales, Norouz fut célébré avec une telle splendeur que même la terrible attaque des Moghols ne put lui porter atteinte. Selon les poèmes datant de cette époque, les gens firent de Norouz un symbole de la grandeur et de la magnificence de la Perse et défendirent avec son aide leur indépendance.
Les voyageurs européens à l’époque des Séfévides rapportent dans leur récit de voyage des détails de la splendeur avec laquelle cette fête était célébrée.
L’attention portée par les savants chiites dans leurs textes aux récits concernant Norouz témoigne de l’ampleur religieuse qu’avait prise cette fête, en plus de son importance nationale.
Norouz est la seule fête issue de l’antique Perse qui reste actuellement célébrée de façon officielle dans tout le pays, moyennant quelques retouches. Dans la célébration de cette fête, d’anciennes coutumes ont été conservées : faire pousser des grains de céréales ; nettoyer de fond en comble la maison ; acheter des vêtements neufs ; sauter par-dessus le feu (tchahar-shanbeh-souri) pour se prémunir contre les maladies ; rassembler le haft-sin, c’est-à-dire sept choses dont les noms commencent par "s", et qui symbolisent la vie, la santé et la prospérité : sekkeh (pièce d’or) , serkeh (vinaigre), sabzeh (verdure), samanou (sorte de halva), sib (pomme), sir (ail), sonbol (jacinthe), somagh (sumac) auxquels on ajoute un coran, un miroir, des fleurs, un récipient d’eau et un bocal de poissons ; offrir et recevoir des présents ; rendre des visites et en recevoir ; manger des sucreries, des fruits et des gâteaux et finalement aller au "sizda-be-dar", dans la nature, et pique-niquer le treizième jour du nouvel an pour éloigner le mauvais sort attaché au nombre treize.
C’est avec ces préparatifs que les Iraniens accueillent l’arrivée du nouvel an. Le dernier jeudi de l’an, ils vont au cimetière et offrent à manger à ceux qui prient pour leur mort. Après le tchahar-shanbeh-souri, tout est prêt pour Norouz. Au moment du nouvel an, toute la famille se rassemble, quelle que soit l’heure, autour du haft-sin.
A l’annonce du nouvel an (jadis marquée par un coup de canon et aujourd’hui par la voix des médias) commencent les embrassades familiales et les offrandes de cadeaux. On rend visite aux proches et aux amis en vue de leur souhaiter les meilleurs vœux pour l’année qui débute. On renoue des liens avec les "perdus de vue", on tente d’effacer les malentendus, etc…
Dans la tradition iranienne, il est dit que la création des six éléments principaux de l’existence -le ciel, l’eau, la terre, la végétation, les animaux et l’homme- a préparé un champ de bataille pour Ormuzd, le Bien dans la religion de Zoroastre, et son adversaire Ahriman, le Mal. La préservation de ces éléments est le devoir de la sixième création c’est-à-dire l’homme. Cette pensée trouvait son expression dans les fêtes consacrées, à des dates propices, à chacun de ces éléments. Ces fêtes étaient également organisées en signe de reconnaissance et de remerciement adressés à qui de droit, pour la création de ces éléments, et pour en favoriser la préservation.
Les Zoroastriens célébraient toujours ces fêtes auxquelles participaient riches et pauvres sur un pied d’égalité.
Il était question de sept fêtes religieuses, puisque la septième création, c’est-à-dire le feu, avait également trouvé sa place dans le cortège des rituels. Zoroastre a choisi de célébrer le feu à l’équinoxe du printemps, lorsque l’année se renouvelle, c’est-à-dire à Norouz. Parmi ces anciennes fêtes, seule Norouz, nous l’avons évoqué, a été préservé jusqu’à nos jours.
Chez les Iraniens, Norouz symbolise la fin de la saison d’Ahriman, l’hiver, et annonce l’arrivée de la saison d’Ormuzd, l’été, qui offre au monde une vie nouvelle, un souffle nouveau.
Cette fête a également permis aux Iraniens de conserver leur spécificité culturelle en conservant, malgré vents et marées, un lien étroit avec leur passé et leur identité.
Bibliographie :
Bahrami Askar,Les Fêtes iraniennes, Ed. Bureau des recherches culturelles, Téhéran,2005