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22 Janvier 1936
1 Bahman 1314
La révélation de l’exposition d’art iranien à Londres en 1931, fut les bronzes du Lorestan. Leur beauté, la difficulté de les dater les rendirent célèbres dans le monde entier. Le monde des savants et des grands collectionneurs les classa parmi les chefs-d’œuvre de l’art iranien.
L’exposition d’art iranien de Leningrad (1935) nous révéla aussi un art inconnu et remarquable : l’art de Pasyryk.
En 1924, une expédition soviétique découvrit dans un tombeau de la vallée de Pasyryk, dans l’Altaï, des cadavres de chevaux ornés de masques étranges. Une panthère étalée sur le museau du cheval attaquait un griffon ailé, sculpté dans des formes solides. Une autre panthère stylisée de la même façon sautait sur un cerf très réaliste. Des aigles, des moutons de montagne, des oiseaux, des poissons, des cerfs et des griffons, stylisés et rendus par un tracé réaliste et vigoureux, ornaient le tombeau de Pasyryk. Le bois, l’os, le feutre, la fourrure étaient les matières employées. L’or revêtait les masques, les sculptures, les tissus. L’observation de grands chasseurs et d’éleveurs de troupeaux avait aiguisé l’œil des artistes : chaque mouvement de l’animal, même le plus pathétique et le plus douloureux est rendu avec une précision de maître. Un sens décoratif très sûr stylise les oreilles et les cornes des animaux. La parenté avec l’art scythe y est évidente.
Pasyryk, c’est l’art inédit et nouveau de l’exposition de Leningrad, tandis que les salles sassanides, où presque la totalité de l’argenterie sassanide est réunie, représentent l’ensemble le plus parfait.
Comment l’artiste sassanide compose une scène de chasse dans un plat rond, comment il sait unir le fantastique au réaliste en créant un chameau ailé : la gueule ouverte, d’une vérité saisissante, ne nous choque nullement presque encadrée d’ailes puissantes, déployées avec harmonie. Ce chameau ailé s’adapte aux formes de l’aiguière avec une souplesse et une grandeur monumentale.
La grande leçon de l’exposition iranienne c’est l’art de styliser avec force et imagination. Nous n’avions jamais vu, avant de connaître avec tant de détails l’art sassanide, que les plats et les aiguières sassanides sont les prototypes immortels de la céramique de Kachan, de Raghès, de Soltanabad. La parenté du lustre avec les reflets métallique de l’or et de l’argent fut si évidente que même les colons bleutés en semblaient les mêmes. Mais ce sont surtout les thèmes animaliers et floraux puissamment orchestrés qui continuent à travers les siècles les formes originales et fantastiques.
L’effort des animaux à s’adapter aux pures courbes géométriques les rend acrobates, et fait subir à leur corps des grossissements et des étirements les plus étranges. Combien nous apparaissent-ils curieux quand, dépourvus de la contrainte du cadre géométrique, ils gardent des proportions difformes, mais impressionnantes par l’originalité de la stylisation. Dans les salles de l’exposition de Leningrad, nous pouvons étudier et admirer toutes les stylisations et tous les réalismes dont l’art iranien fut le maître.
Si la forme eut, dans un laps de temps de 6.000 années, un dialogue des plus dramatiques et des plus hardis avec l’abstraction géométrique et le contour réaliste, les matières employées se prêtèrent aux interprétations les plus diverses. Le bois, l’argent, le bronze, furent sculptés surtout dans l’Iran extérieur. Ils donnent des surfaces qui nous sont familières, mais l’or, qui n’y est plus matière de bijoux, les surpasse en éclat et en force. Quand un animal d’une trentaine de centimètres y est sculpté à grands plans presque cubiques, qui soulignent son volume, alors la valeur artistique d’une surface lisse et lumineuse ajoute une note nouvelle et inconnue à nos sensations artistiques.
C’est là que nous comprenons quelles ressources nouvelles révèle l’exposition d’art iranien de Leningrad. Non seulement notre répertoire des formes s’étend, non seulement nous suivons toutes les étapes d’un réalisme simplifié au fantastique le plus abstrait, mais nous voyons des interprétations sculpturales dans des matières insoupçonnées. Si je me sens attardé parmi les valeurs plastiques, c’est parce que la sculpture iranienne est la manifestation la moins connue de l’art iranien, mais l’art du tissu si célèbre est tout aussi beau et varié à l’exposition.
Tout ce que l’Iran possède de plus précieux et fin éclate dans les tons profonds et contrastés, mais des tissus moins classiques et surtout inconnus du grand public nous attirent. Les salles des missions Koslov en Mongolie furent le point de mire de tous les collectionneurs. Une tête grecque voisinant avec un dragon blanc, c’est très extraordinaire, mais un tapis où de grands animaux luttent violemment, c’est beau et original.
L’Iran si grand et si parfait par son art créa un art mondial, car il s’y était joint l’art de l’Iran extérieur, où la Sibérie et les bords de la mer Caspienne forgeaient un art iranien identique et merveilleux ; malgré l’apport de l’art chinois, malgré les influences mésopotamiennes, l’immense voyage que nous fîmes à l’exposition de Leningrad de la Sibérie à travers le Turkestan et la mer Caspienne en Iran même, fut le triomphe de la création artistique iranienne.
C’est l’art iranien qui plia les formes et les couleurs de la nature par une stylisation puissante et imaginative dans des créations plus abstraites, donc éternelles.
Laure MORGENSTEIN