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12 Fevrier 1936
22 Bahman 1314
La numismatique n’est pas, comme on est souvent tenté de le croire, l’apanage des vieux savants grognons et inutiles. Monsieur Paul Muracciole, le distingué professeur du Lycée Razi, a bien voulu exposer dans cet article, l’importance capitale et le puissant intérêt que, dans notre pays tout particulièrement, peut présenter cette science pour un esprit quelque peu curieux des choses du passé.
La science appelée Numismatique ayant pour objet l’étude et le classement méthodique des monnaies et des médailles anciennes offre à l’investigation du savant et à la curiosité du chercheur un champ vaste et riche.
La masse imposante des ouvrages qui en traitent, témoigne des efforts qui lui ont été consacrés et rend compte des travaux souvent admirables qu’elle a inspirés.
On fait remonter à Pétrarque, l’un des promoteurs du mouvement, les premières études critiques de la numismatique de l’Antiquité. C’est cependant Eckhel, ce prodigieux érudit autrichien du XVIIIème siècle que l’on considère comme en étant le véritable père. Par la suite, de nombreux savants lui ont consacré le plus clair de leur activité, tel J. de Morgan pour ne citer qu’un des derniers en date des grands spécialistes de la numismatique orientale.
L’intérêt éveillé par cette science s’explique par son importance au point de vue de l’histoire dont elle est une des sources les plus autorisées et les plus fécondes. Elle peut en effet nous renseigner sur tout ce qui touche à l’activité des peuples disparus. Elle peut nous renseigner sur leur histoire économique (la monnaie y étant intimement liée comme instrument d’échange), sur leur histoire politique (car chaque dynastie accédant au trône, chaque nouvelle forme de gouvernement, tiendra à faire acte d’autorité en battant monnaie), sur leur histoire religieuse enfin. Les premières choses représentées sont relatives au culte divin : l’épi est l’emblème de Cérès, l’aigle celui de Zeus, la chouette celui d’Athéna. Plus tard, lorsqu’apparut sur les pièces l’effigie des Dynastes, les symboles religieux y persistèrent : à quelques rares exceptions près, le revers des pièces Sassanides représentent toujours l’autel du Feu.
Par leur valeur artistique propre, mais aussi en tant que documents archéologiques, les monnaies nous renseignent également sur l’histoire de l’Art. Ainsi les monnaies d’Adrien reproduisent le temple d’Ephèse, une des sept Merveilles du Monde.
Quant à la chronologie, l’épigraphie, l’iconographie, leur importance est évidente.
Quelquefois elles sont le seul document que nous possédions sur certains rois ou certaines villes dont elles nous ont transmis le nom et qui, sans elles, seraient complètement oubliés. Qui connaîtrait autrement, par exemple, la reine Philistis de Syracuse ?
En présence même d’autres documents, elles apportent un supplément d’informations qui ne sont pas à dédaigner ; elles peuvent aider à confirmer un texte :
Thucydide raconte que Thémistocle proscrit s’étant réfugié chez le roi de Perse celui-ci, non seulement le reçut magnifiquement, mais encore, lui conféra sorte de souveraineté. Cette dernière allégation n’avait reçu aucune confirmation jusqu’au jour où l’on découvrit une monnaie de Magnésie portant le nom de Thémistocle en toutes lettres.
Mais les monnaies et les médailles ne s’adressent pas seulement au savant qui les étudie de façon systématique et approfondie : par leur beauté et leurs nombreux rapports avec la vie, par tout ce qu’elles évoquent ou suggèrent, elles s’adressent à tout le monde, c’est-à-dire à tous ceux qui ont quelque curiosité des choses du passé.
Pour celui qui n’a pas les hautes visées de l’historien, pour le collectionneur, un des côtés les plus intéressants, amusants presque, de la numismatique, est la représentation des personnages. Quoique nous sachions sur Cléopâtre et Bérénice, ces reines célèbres par leur beauté, et le rôle qu’elles ont joué dans l’histoire, les plus belles pages en disent moins qu’une pièce qui nous a conservé leur charmant profil.
Jetons un coup d’œil sur quelques drachmes arsacides et sassanides pour nous en tenir aux deux dernières grandes dynasties de l’Antiquité " perse " et à quelque chose de très possible a Téhéran. Regardons les rois parthes aux physionomies si intéressantes. Voyez la puissante figure de Mithridate le Grand ; grand par sa sagesse et ses victoires, la mine cruelle de Phraatès IV qui pressé d’hériter du pouvoir assassina son père ; l’air bonhomme d’Artaban Ill qui fut le possesseur paisible du trône pendant près de trente ans ; Artaban V : le dernier des princes parthes, roi décadent sous le règne duquel se produisit la révolte d’Artaxerxés, le fondateur de la Dynastie Sassanide (227 ap. J. C.) Au revers de ces pièces un personnage assis présente un arc, signe de puissance, l’arc parthe dont la flèche célèbre autant que redoutable, inspirait de la crainte aux fiers soldats des légions romaines.
On sent dominante au début l’influence hellénique qui avait persisté dans le pays après le passage d’Alexandre. La légende est écrite en grec ; les rois s’y proclament philhellènes. Ils avaient adopté la culture grecque dont le prestige était grand pour accroître leur autorité. Peu à peu le style des effigies se corrompt et devient barbare à l’époque décadente des derniers rois. Les caractères grecs se déforment et l’on voit apparaître à côté d’eux les caractères sémitiques.
L’avènement d’Artaxerxés marque un renouveau de l’esprit iranien ; la langue devient l’Iranien ; et l’écriture le pahlévi un dérivé de l’araméen des achéménides.
Artaxerxés met fin à la culture hellénique, remet en honneur le culte du Feu, ramène les anciens usages iraniens, et l’on voit apparaître sur le revers des médailles l’autel du Feu entre deux gardiens (le roi lui même et le prince héritier) image qui symbolise bien la protection que les rois sassanides accordaient à la religion sur laquelle ils bâtirent leur pouvoir.
Les querelles des Perses avec les Romains et les Byzantins, mettant les premiers en contact avec l’Occident, n’influent pas sur le caractère du numéraire sassanide. Les monnaies des premiers princes, celles d’Artaxerxés et de Châhpour, d’un genre bien propre, sont cependant comparables aux pièces gréco-latines par leur beauté.
L’effigie de Châhpour est plus qu’une physionomie, elle renferme la psychologie du personnage. La mise en place dénote un grand sens artistique. Ici comme pour les pièces parthes, le style ne se maintient pas et devient assez grossier à la fin, comme on peut en juger par la reproduction d’une pièce de Khosroès II, le dernier des grands rois sassanides après la mort duquel les arabes eurent tôt fait d’envahir le pays et d’y répandre la religion musulmane.
De ces rois, sans doute, n’avions nous retenu que le nom.
En nous montrant leurs traits, la monnaie les fait revivre et nous pousse à savoir qui ils étaient. C’est la puissance de l’image surtout quand l’image est pleine de vie, et la monnaie nous en fournit de nombreux exemples.
Nous n’insistons pas plus sur le bénéfice que chacun pourrait tirer de la connaissance des monnaies par ce qu’elles disent et la curiosité qu’elles éveillent.
Quoiqu’on en préjuge généralement elles ne sont nullement ennuyeuses. Pour peu qu’on se donne la peine de les regarder de près, on ne tarde pas à en acquérir le goût, et la magie qu’elles exercent alors est telle que très vite on s’y intéresse passionnément.
Paul MURACCIOLE