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Rudaki, grand poète iranien et père de la littérature persane, naquit vers 865 ap. J.C. à Banoj, un petit village près de Samarkand. D’une intelligence exceptionnelle, il apprit le Coran par cœur à l’âge de 8 ans. Doté de multiples talents, il fut également excellent chanteur et musicien, ce qui le conduisit finalement à Boukhara, métropole culturelle et politique de l’époque. Il fut ensuite appelé à la cour du roi samanide Nasr Ebn Ahmad. Promu rapidement poète officiel de la cour, et comblé d’honneurs et de richesses, il devient très tôt l’objet de la convoitise et de la jalousie des courtisans. Pourtant l’abondance et la qualité de ses œuvres, et surtout la faveur du vizir Abol-Fazl Balami, tant qu’il fut à la direction des affaires, ont pu maintenir intact le prestige dont il bénéficiait.
Après la destitution de ce dernier, Rudaki perd son crédit et, tombé en disgrâce, regagne son village natal pour y terminer ses jours pauvrement et atteint de cécité. Ses derniers poèmes nourris d’amertume et de nostalgie évoquent cette période de sa vie.
Très éclectique, Rudaki pratique presque tous les genres : panégyrique, élégie funèbre, lyrisme amoureux, le tout dans un style simple et coulant, caractéristique majeur de l’école de Khorasan. Outre les formes conventionnelles, on lui attribue l’invention du robaï, mètre poétique persan proche du quatrain occidental. Il a aussi mis en vers Kalila et Dimna, le célèbre recueil de fables orientales, malheureusement disparu, comme d’ailleurs la plus grande partie de son œuvre, estimée au bas mot à quelques cents mille vers.
Ses poèmes les plus connus furent composés à l’occasion d’un long voyage de l’Emir à Hérat, ville dont la beauté des paysages captiva durablement le monarque. L’anecdote raconte que les courtisans lassés, éloignés de leurs familles, ont sollicité l’aide du poète pour convaincre l’Emir de rentrer à Boukhara. C’est ainsi qu’il composa sa célèbre ode Parfum du ruisselet de Mouliane qui enthousiasma le roi à tel point qu’il prit aussitôt le chemin du retour.
Compte non tenu des poèmes de circonstances et des commandes de la cour, Rudaki composa bon nombre de vers inspirés par la morale religieuse ou la sagesse persane. Il cultive essentiellement à travers ses poèmes, une philosophie de sérénité et de constance qui conseille de prendre la vie comme elle vient et de profiter de l’instant.
بوی جوی مولیان آید همی * یاد یار مهربان آید همی
Le ruisselet de Mouliane épand son odeur
des souvenirs aimables n’est-il pas le porteur
ریگ آموی و درشتی راه او * زیر پایم پرنیان آید همی
Le chemin d’Amu, montueux et pierreux
étalé sous mes pieds, si soyeux de douceur
آب جیحون از نشاط روی دوست * خِنگ ما را تا میان آید همی
Les vagues de Jeyhoune, charmées devant l’Ami
etreignent nos montures, joyeux torrents de pleurs
ای بخارا شاد باش و دیر زی * میر زی تو شادمان آید همی
ش Bokhara ! Réjouis-toi et demeure éternel
le roi revient vers toi, épanoui de bonheur
میر ماه است و بخارا آسمان * ماه سوی آسمان اید همی
Le roi est lune et Bokhara son ciel
l’éclipse s’évanouit, qui masquait la lueur
میر سرو است و بخارا آسمان * سرو سوی بوستان آید همی
Le monarque est cyprès, Bokhara son jardin
l’arbre-roi qui regagne de ce pas sa demeure
آفرین و مدح سود آید همی * گر به گنج اندر زیان آید همی
Si les trésors mondains menacent de ternir
Les miens grandissent et ceux des laudateurs
زمانه پندی آزاده وار داد مرا * زمانه را چو نکو بنگری همه پند است
La vie me donna une généreuse leçon
elle le fait nuit et jour de la meilleure façon
به روز نک کسان گفت تا تو غم مخوری * بسا کسا که به روز تو آرزومند است
Ne soupire pas dit-elle après la joie des autres
que de gens qui envient ta fortune à raison
زمانه گفت مرا خشم خویش در آن گاه * که را زبن نه به بند است، پای در بند است
Qui ne tient enchaînées sa langue et sa colère
traînera ses chaînes dans une noire prison