N° 2, janvier 2006

Au Journal de Téhéran

La littérature persane d’aujourd’hui


Henri Masse



3 janvier 1936
12 Dey 1314

Dans la première moitié du dix- neuvième siècle, la littérature persane resta fidèle à ses règles traditionnelles, tant en poésie qu’en prose. Mais, à partir de 1850, les ouvrages d’enseignement composés avec la collaboration d’étrangers qui professaient à l’Université de Téhéran, les traductions de livres européens (surtout français- entre autres, Molière et Jules Verne) exercèrent une indiscutable influence sur l’évolution du vocabulaire et de la syntaxe. Enfin l’évolution de 1906, par l’impulsion vigoureuse qu’elle imprimait au journalisme, donna le coup de grâce aux anciens procédés de composition et de style.

De cette transformation, les plus notables artisans furent Mirza Djafar et Malkam Khan, par leurs pièces de théâtre. Malkam Khan fut également l’initiateur pour le journalisme : en 1890, dans son Qanoun (" La loi "), il entamait une violente campagne contre le régime Qadjar. En 1907, il eût un digne successeur en Dehroda qui donna des modèles de polémique et de satire dans une série d’étincelantes chroniques, sous le titre commun de "Charivari". Vers la même époque, Zaïn-ol-Abedine critiquait âprement le régime politique et l’état social dans ses humoristiques " Voyages d’Ibrahim Bey". Ces écrivains (aux noms desquels les dimensions de cette étude contraignent à se borner) introduisirent définitivement le naturel et la simplicité dans la prose persane.

Depuis 1905, la presse ne cessa de se développer. Des revues à caractère littéraire, publiées dans les grandes villes, la plus remarquable est aujourd’hui le "Soleil " (Mehr) de Téhéran qui a succédé à "l’Orient" (Charq) ; le Soleil soutient la comparaison avec les meilleures revues européennes et recrute ses collaborateurs à la fois parmi les gens de lettres et les érudits. La revue "Offrande " (Armaghan), plus ancienne, s’est montrée particulièrement hospitalière aux poètes. Quelques revues plus ou moins durables furent fondées par les féministes.

Ce mouvement de traduction, commencé au milieu du dix-neuvième siècle, fournirait une longue liste, même en se bornant aux ouvrages traduits du français.

Le Docteur Ghaani s’attache, à l’œuvre d’Anatole France dont il a traduit Thaïs et La révolte des anges. D’autres ouvrages ont trouvé leurs interprètes : par exemple Paul et Virginie (Tabatabaï), les Nouvelles asiatiques de Gobineau et le Coupable de Coppée (Meykadeh), la Cité antique (Falsafi), des relations de voyage (Hédayat). Divers poèmes français furent également transposés en vers persans (notamment par Dowlatabadi, Falsafi, Yasami).

Depuis des années, Dehroda travail-le à un vocabulaire qui s’annonce comme le " Littré " de la langue persane (d’après les dossiers qu’il m’a permis d’examiner) ; Dehroda, le brillant journaliste d’antan, se cantonne de plus en plus dans la philologie : c’est ainsi qu’il a publié naguère son recueil de proverbes et sentences de l’Iran - un des plus abondants recueils qu’on ait jamais composé en ce genre.

Parmi ces travaux de longue haleine se distinguent les catalogues de manuscrits : en effet, les Persans ont commencé le patient inventaire de leurs bibliothèques. Autre initiative entièrement louable : les éditions d’anciens textes particulièrement celles des poètes, trop souvent défigurés par les copistes. Il importe de remarquer que ces érudits persans travaillent conformément aux règles de la critique européenne. L’un d’eux, Mohammad Ghazvini, s’est acquis depuis longtemps la gratitude des chercheurs par ses excellentes éditions de textes et par ses nombreux articles sur divers sujets d’histoire et de littérature. D’autres s’appliquent à l’étude de la littérature persane.

Les recherches relatives au folklore ont été inaugurées par Sadegh Hédayat, descendant de l’illustre Reza Ghouli Khan (comme son frère Mahmoud, le traducteur) : son recueil est une de mes sources pour l’ouvrage que je publierai prochainement sur les cérémonies et coutumes iraniennes.

Sadegh Hédayat est d’autre part l’un des plus jeunes et des plus habiles auteurs de nouvelles. Dans ce genre littéraire où se décèle l’influence de Balzac, Maupassant, E. Poë et autres, l’un des modèles persans est le recueil de Djamalzadé (" Il était une fois "), pour le fond et pour la nouveauté du style. La place manque pour énumérer les auteurs de nouvelles et pour en donner quelques citations typiques.

En outre, le roman jouit d’une incontestable vogue, notamment depuis une quinzaine d’années : il s’agit surtout de romans historiques, résultant d’influences européennes (par exemple les traductions d’A. Dumas, de certains ouvrages français sur l’histoire de l’Iran- sans oublier les romans arabes de G. Zaïdan) Dans le Journal Asiatique (1933), M. Nikitine a publié sur les romans historiques de langue persane une excellente étude qui dispense d’insister ici : leurs sujets sont surtout empruntés à l’antiquité perse et les tendances de leurs auteurs sont franchement nationalistes. Ces romans, parfois très étendus, sont le plus souvent écrits en style simple, même familier quand l’auteur fait parler ses personnages. Hedjazi, dans un roman (Ziba) d’allure autobiographique, a écrit l’histoire d’un homme socialement déchu.

De même que le roman, certaines pièces de théâtre empruntent leurs sujets à l’histoire de l’Iran. Mais la plupart d’entre elles sont des comédies de mœurs. L’évolution du théâtre persan réclamerait une étude particulière depuis les comédies de Mirza Djafar et de Malkam Khan (récemment traduites par l’orientaliste belge Bricteux) jusqu’aux plus récentes, critiquant par exemple avec humour les anciens usages familiaux ou bien avec passion les règles du mariage (qui a subi naguère d’importantes et judicieuses réformes).

Il est presque banal de rappeler que l’Iran fut de tout temps un pays de poésie. C’est dire que ce genre littéraire réclamerait le plus grand nombre de noms et de citations. Mohammad Ishaque (de Calcutta) publie en ce moment une anthologie des poètes contemporains qui comprendra plusieurs volumes ; il y propose la classification suivante (pour laquelle il faut se restreindre à nommer quelques auteurs, sans tenir compte de trois ou quatre grands poètes morts au cours de ces dernières années) : d’abord les poètes fidèles à la tradition, traitant en style purement classique les thèmes généraux de la poésie, ensuite les poètes qui abordent à l’aide d’une nouvelle technique poétique (influencée surtout par la poésie française) les sujets d’actualité (par exempte Afchar, Bahar - l’un des plus remarquables-, Mme Parvine, Yasami) ; enfin les poètes totalement affranchis des règles traditionnelles (par exemple Farhang). On regrette de ne pouvoir donner aucun échantillon de ces poèmes.

De ce tableau si sommaire et déparé par tant d’omissions forcées, se dégage l’impression d’une intense activité littéraire, servie par la bonne volonté des éditeurs - il est juste de l’ajouter. D’où le rayonnement de la langue et des lettres persanes à l’extérieur : en effet, d’éminents écrivains les représentent d’Istanbul aux Indes. Dernièrement, j’ai pu constater que cette langue était familière non seulement aux lettrés hindous et turcs, mais encore aux lettrés égyptiens et irakiens, à l’occasion du millénaire de Ferdowsi qui réunit à Téhéran les délégués des principales nations, pour rendre un hommage solennel à la mémoire du génial poète.


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1 Message

  • La littérature persane d’aujourd’hui 21 février 2011 16:38, par akbari

    bonjour
    merci pour votre site internet.
    je veux presenter un article comparé sur la littérature francaise et persane ,
    mais c’est difficil pour moi choisir un sujet interresant.
    est-ce que vous pouvez quelques sujet pour la litterature comparé ?
    merci d’avance.

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