|
On a coutume de présenter l’Occident comme un pôle de modernité et de progrès technologique, en l’opposant un peu hâtivement à l’Orient, dont on dit qu’il constitue l’autre pôle, celui de la candeur et du naturel. A la vérité, il est préférable d’éviter les dichotomies réductrices. Cependant, il n’en reste pas moins que cette séparation a d’une part, une vertu explicative, mais aussi et surtout, qu’elle est réellement palpable, en particulier à travers et dans le domaine des arts. L’art est le miroir dans lequel se reflète la nature, et ce sont les manifestations de cette nature que l’art oriental entend saisir selon des modalités qui lui sont propres. "Peinture de la nature dans l’art oriental" est l’intitulé d’une exposition qui vient d’ouvrir ses portes à l’Académie des Arts. Cette exposition regroupe, comme nous allons le voir, les œuvres de peintres essentiellement orientaux, et en particulier iraniens.
La première section de l’exposition présente au public certaines des réalisations de la nouvelle génération des peintres issus des quatre horizons de l’Iran, ceux dont les œuvres ont été retenues pour figurer dans le catalogue de l’exposition. Selon Sohrab Hadi, l’un des responsables de la manifestation (lui-même participant) l’objectif à été d’associer dans un seul et même programme, les jeunes créateurs et les artistes plus expérimentés " (…) en vue de favoriser, en quelque sorte, l’épanouissement de la créativité des nouveaux venus. Ce type d’association peut s’avérer particulièrement dynamisant pour la nouvelle vague, car elle permet aux jeunes de confronter sur une grande échelle et dans un cadre adéquat, leurs travaux à ceux des anciens. Il s’établit de la sorte un lien entre les générations : un lien généalogique. "
La seconde partie de l’exposition est cette fois strictement consacrée aux peintres expérimentés. On peut y admirer entre autres des toiles de Djavad Hamidi, d’Abolghassem Saïdi, Iran Darroudi et de Sohrab Sépehri. Ces derniers constituent la première génération des contemporains (des modernes) qui créèrent une rupture avec le classicisme de Kamal-ol-molk et de ses disciples. La peinture persane classique débute en effet avec le maître Kamal-ol-molk, et se poursuit avec des peintres illustres tels que Djavad Hamidi et Ali Mohamad Héydarian qui s’inscrivent en partie dans le sillage de leur illustre prédécesseur, mais n’hésitent pas à expérimenter de nouvelles nuances picturales. Certains artistes, Réza Shahâbi par exemple, semblent figurer une transition entre les peintres résolument classiques et la nouvelle génération. D’autres comme Abolghassem Saïdi jettent un regard neuf sur la nature en laissant de côté le naturalisme classique " Au sein de notre monde chaotique, une mélodie colorée et attractive s’élève parmi les branchages, les feuilles et les fleurs". Dans cette section de l’exposition, les travaux de Sohrab Sépehri occupent une place à part. A travers ses créations, Sépehri est l’un des artistes qui a le plus efficacement œuvré dans le sens d’une conciliation des cultures orientales et occidentales. Ses travaux furent en effet ouverts aux influences diverses : le haîku japonais à agit sur la facture de ses poèmes, les représentations de la femme en Extrême-Orient ont influencé son pinceau qui par ailleurs, n’est pas resté insensible à la peinture occidentale (en particulier l’art abstrait de l’école de Paris) qu’il est parvenu à lier, moyennant un effort d’adaptation, à la mystique de Rûmi.
La section suivante de l’exposition est consacrée à une autre génération de maîtres, celle qui suit immédiatement la précédente et dont les représentants, pour la plupart éminents, restent en activité. Dans cette catégorie sont exposées entre autres des toiles de Parviz Kalantari, Kazem Tchalipa, Iradj Eskandari, Gholamhossein Nâmi, Mehdi Hosseini, Habibollah Sadéghi, Zahra Rahnavard, Mir Hossein Moussavi, Sohrab Hadi, et Nasser Palanghi. On peut dire des tableaux offerts aux regards, qu’ils sont étonnement variés. Parviz Kalantari intègre dans sa toile une texture naturelle de paille et de terre ; Zahra Rahnavard crée des compositions de verre à partir de fragments colorés, sur fond de verre transparent.
Dans la section consacrée au " rêve vert ", le visiteur peut admirer une réalisation " vivante " de Homayoun Salimi. Il s’agit d’un ensemble de dénivelés, d’amoncellements de pierres sur lesquels ont été posés des arbustes, dans des bocaux pleins d’eau. Conceptuelle, cette partie de l’exposition n’est pas sans rappeler l’atmosphère des compositions picturales japonaises.
La section " Groupe +30 " propose aux visiteurs de voyager virtuellement, via l’informatique, à l’intérieur d’une véritable cybernature. Des images (parfois dynamiques) sont successivement projetées sur grand écran, dans une salle obscure, et c’est le visiteur qui est chargé de les faire défiler selon sa fantaisie.
En ce qui concerne le thème et l’intitulé de l’exposition " La nature dans l’Art d’Orient ", nous avons pu interroger Zahra Rahnavard, artiste participante : " Il s’agit évidemment d’évoquer, vous l’aurez deviné, le regard que porte l’Orient sur la nature. Ce regard est en quête d’un mystère, d’un secret. Mais c’est aussi ce regard qui confère à la nature une dimension mystérieuse dont la peinture, mais également la philosophie et la mystique orientale, tentent de rendre compte. En vérité, le regard oriental est plutôt intuitif que rationnel. L’intuition lui permet d’appréhender dans un seul et même mouvement, la nature et son versant secret. Evidemment, pour parvenir à ses fins, l’artiste doit souvent déformer, simplifier ou exagérer l’objet de son regard ". Zahra Rahnavard précise que ce type de regard n’est pas proprement oriental (au sens géographique du terme) : " Ce regard peut également se manifester au cœur de la modernité occidentale, et pas seulement en Asie ou en Afrique. " Rahnavard cite alors l’exemple de Matisse qui s’est largement inspiré de la miniature persane. Elle cite également Gauguin, très influencé, de son côté, par l’art tahitien ; Van Gogh inspiré par les estampes japonaises ; Picasso enfin, pour qui l’art africain avait une importance capitale. Rahnavard insiste, à travers ces exemples, sur l’impact des artistes orientaux sur l’art au sens large.
Pour ce qui est de la position des artistes iraniens sur la scène mondiale, Rahnavard estime que " L’art iranien est en constant progrès, et il n’a rien à envier aux autres cultures". Selon cette artiste " (…) il est cependant important de mieux faire connaître l’art iranien à travers le monde. Les artistes iraniens manquent de tribunes. Ils ne parviennent pas à se faire connaître et à faire connaître leurs œuvres à grande échelle."
*Rouiin Pakbaz, La peinture iranienne, de l’antiquité jusqu’à nos jours, Editions Zarrine va Simine, 2000, p.209.