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Après avoir constaté les dommages irréparables occasionnés sur le patrimoine architectural par le séisme de juin 1991 à Manjil-Rudbâr, dans la province caspienne du Guilân, le Professeur Mahmoud Tâleghâni, sociologue [1], s’est mis en tête qu’il fallait sauver ces témoins d’un savoir-faire exceptionnel avant leur complète disparition. En un peu moins de deux siècles en effet, trois séismes ainsi que des chutes de neige très importantes ont sévi dans cette région, détruisant une partie considérable de l’habitat traditionnel guilaki.
C’est ainsi que l’idée lui est venue de transplanter dans un lieu protégé les exemples les plus remarquables de cette architecture de bois d’une très grande originalité. La tâche ne fut pas aisée. Trois années lui furent nécessaires pour persuader les autorités locales de s’associer au projet. Le concept d’écomusée qu’il avait imaginé était inconnu en Iran.
Malgré le bon accueil réservé au dossier par le gouverneur de la province, il fallut une mission effectuée à Rasht par Mahmoud Tâleghâni, accompagné de Messieurs Christian Bromberger et Christophe Bala [2] en 2000 pour relancer le projet. Une réunion, organisée au Parlement à l’initiative de Monsieur Nobakht, député de Rasht, et à laquelle participèrent Messieurs Ahmadi, Youssefpour, Tâleghâni, Beheshti et Doltanifar, aboutit en mai 2003 à l’attribution d’un budget et à la reconnaissance officielle du projet dont Mahmoud Tâleghâni fut nommé directeur.
Auparavant, en 2002, et depuis, diverses initiatives ont permis une meilleure définition et la mise en œuvre du projet : des visites, séminaires et colloques organisés à Paris, Téhéran et Rasht, la participation, dans l’équipe française, placée sous la responsabilité de Christian Bromberger, de plusieurs experts : Marc Grodwohl, directeur de l’Ecomusée d’Alsace, Jean-Pierre Wieczoreck, architecte. Cinq experts iraniens ont bénéficié de l’expérience de l’Ecomusée d’Alsace, en y effectuant un stage à l’automne 2004.
Projet national mis en œuvre sous l’égide de l’Organisation iranienne du patrimoine culturel, de l’artisanat et du tourisme (I.C.H.T.O), le Musée du patrimoine rural du Guilân est financé par l’ةtat iranien. L’Unesco, qui soutient le projet, lui a apporté une modeste participation. En outre, un protocole d’accord devrait être prochainement signé avec l’Université de Paris I-Sorbonne.
Au total, il aura fallu sept années pour mener à bien ce projet. Aujourd’hui, tous les partenaires sont convaincus du bien-fondé de l’opération et les représentants locaux sont fiers d’avoir pu contribuer à sauvegarder ce patrimoine dont ils se sentent les héritiers. L’exemple de la province du Guilân devrait faire école, le Mazandâran, qui possède un habitat traditionnel tout aussi riche et original que celui du Guilân, s’intéresse de près à cette aventure.
Sur place, la première maison acquise avec ses annexes l’a été à Rudbân, au nord de Lâhijân, dans une zone fertile du Guilân, où le patrimoine architectural est particulièrement menacé. Etudes et relevés ont été effectués en novembre 2003 et avril 2004. Le démontage a eu lieu en juillet 2004 et le remontage sur le site du musée, à Sarâvân (petite ville située au sud de Rasht, sur la route de Qazvin) a été réalisé d’avril à juillet 2005. [3]
Le musée de Sarâvân est ouvert à la visite depuis deux ans, les jeudi et vendredi de 7 heures à 19 heures. Le reste de la semaine, les équipes de spécialistes travaillent aux installations en cours. Il présente actuellement deux villages sur les neuf prévus à terme. Le deuxième village a été inauguré en mai 2008, au cours d’une fête organisée en présence d’un public nombreux. La fréquentation quotidienne est de 1800 à 2000 visiteurs.
Une dizaine d’ensembles d’habitations, démontés pièce par pièce sur leur lieu d’origine puis remontés et restaurés avec soin, sont regroupés sur une partie des 200 hectares arborés du parc de Sarâvân. Chaque habitation est placée dans un enclos, entourée du potager et des bâtiments d’exploitation qui l’accompagnaient sur son lieu d’origine : grange à riz, hangar, atelier de confection, magnanerie pour l’élevage du ver à soie, four à charbon traditionnel, étable, etc. Une signalisation très didactique décrit précisément les bâtiments : nom, usage, lieu d’origine, dates de démontage et remontage, nom des participants aux travaux de démontage et remontage, etc.
Les visiteurs découvrent la vie quotidienne et les savoir-faire aujourd’hui disparus, dans une mise en valeur ludique et vivante grâce aux animations réalisées par la population locale. Fêtes et événements sportifs sont organisés et un restaurant traditionnel sert des repas.
Comme l’expliquent les promoteurs du musée, l’architecture spécifique du Guilân est liée aux contraintes climatiques de la région : les précipitations annuelles sont d’environ 1280 mm et le taux d’hygrométrie peut aller jusqu’à 90%, les variations thermiques vont de -2° à 37°. Ces données expliquent la forte déclivité des toits à quatre pans qui assure un bon écoulement des eaux de pluie et leur avancée qui protège les façades des intempéries. Les galeries qui ceinturent la maison assurent une bonne circulation de l’air à la saison chaude et un espace de vie et de travail. En hiver, les occupants se retranchent dans les pièces fermées, dont les murs en bois remplis de torchis procurent une bonne isolation thermique. La surélévation de la maison crée un vide sanitaire protégeant de l’humidité, utilisé comme espace de stockage, de travail pour les adultes et de jeux pour les enfants. La structure des fondations, formées d’empilements de pièces de bois sur lesquels repose le plancher, constitue un dispositif antisismique efficace. L’ossature (fondations, armature des murs, charpente du toit) est en bois, les éléments à dominante minérale (le torchis notamment) n’ont qu’un rôle annexe dans la construction. L’utilisation des pièces de bois donne lieu à des assemblages très complexes, notamment pour la confection de la charpente du toit, dont les éléments sont fixés les uns aux autres par des liens tressés en paille de riz. Les bâtiments annexes sont adaptés aux tâches traditionnelles de la région : culture du riz, élevage, sériciculture, travail du bois, etc.
Le Professeur Mahmoud Tâleghâni, protégé du soleil par un large chapeau de paille, se laisse volontiers distraire par quelques visiteurs du chantier qui l’accapare, pour leur expliquer que les constructions traditionnelles étaient l’œuvre des habitants eux-mêmes, qui reproduisaient le savoir-faire de leurs ancêtres sans l’aide d’aucun plan. Les techniques d’assemblage de la structure en bois utilisaient des emboîtements ingénieux qui ne nécessitaient aucun clou.
Ces quelques mots échangés font comprendre à ces mêmes visiteurs que le "Docteur", comme ses collègues l’appellent avec respect, est en train d’accomplir là une œuvre qui est à ses yeux l’aboutissement, la réalisation concrète de toute une vie consacrée à l’étude et à l’enseignement de la sociologie. Il peut en être fier.
[1] Directeur de recherche à l’Institut d’études et de recherches sociales de l’Université de Téhéran. Co-auteur, avec Guy Burgel, Ali Goli et Massoud Kowsari de "L’Atlas d’Iran socio-économique et culturel", édité par l’IFRI (Institut français de recherche en Iran).
[2] Respectivement actuel et ancien directeur de l’IFRI (Institut français de recherche en Iran).
[3] Le bilan des phases d’étude et de démontage a fait l’objet d’une publication par l’IFRI "La maison Rafi’i, Un exemple de sauvegarde architecturale dans la plaine du Guilân", sous la direction de Mahmoud Tâleghâni, Christian Bromberger et Marc Grodwohl. Cette publication est en vente à l’IFRI à Téhéran.