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La Fondation d’Iranologie de Téhéran a l’intention de publier une série de livres ayant pour thème le Golfe Persique. Le livre intitulé Description du Golfe Persique par des Cartes Historiques, paru en hiver 1386 (2008), est le premier de cette série.
Des géographes iraniens renommés (Mohamad-Hassan Gandji, Mohamad-Bâgher Vossoughi, Djavâd Safavi-Néjâd, Fâtemeh Faridi-Madjid, Amir-Houchang Anvâri) ont contribué à la création de ce livre. Ils ont sélectionné 160 cartes géographiques parmi environ 400 cartes existant actuellement dans quelques unes des bibliothèques de l’Iran, dont la Bibliothèque Centrale de l’Université de Téhéran, la Bibliothèque et le Centre de Documentation de l’Assemblée Nationale, le Palais-Musée du Golestân, et la Bibliothèque Malek. Ces géographes précisent que le golfe situé au sud de l’Iran était constamment nommé, sur toutes les 400 cartes observées, "Mer de Perse" [1], "Sinus Persicus", "Golfe Persique" ou "Persian Gulf", quelle que soit la langue utilisée sur la carte (persan, arabe, latin, français, anglais). La sélection des 160 cartes historiques publiées dans le livre a été basée sur la qualité esthétique et la lisibilité de la carte. Quelques unes d’entre elles ont été extraites de livres manuscrits.
Les cartes de ce livre sont regroupées sous deux rubriques : celles créées par les géographes musulmans au cours du Moyen Age (entre le IIIe et le VIIIe siècle de l’Hégire, c’est-à-dire entre le IXe et le XVe siècle après Jésus-Christ), et celles créées par les géographes européens entre le XVe et le XXe siècle. Le lecteur a ainsi une idée de la représentation des régions de la Terre et du "monde habité" qu’avaient les géographes musulmans et les géographes européens il y a quelques siècles. Les auteurs du livre nous fournissent une brève explication à ce sujet, ainsi qu’une biographie sommaire de chacun des géographes qui ont créé ces cartes.
Dans l’introduction de cette partie, les auteurs précisent que la géographie en tant que science et la cartographie se sont développées chez les musulmans à la suite de la conquête des pays qui avaient une civilisation ancienne et des connaissances scientifiques ; des pays tels que la Perse et l’Inde. La traduction en arabe des œuvres de Ptolémée et les conceptions de la Perse Antique à propos de la Terre eurent une grande influence sur le développement de la science de la géographie dans le monde musulman au cours du Moyen Age.
Dans ce livre, il existe 40 cartes géographiques dessinées par des savants musulmans ; les auteurs du livre les classifient selon les Ecoles suivantes :
1- L’Ecole iranienne des "sept pays"
Au cours de l’Antiquité, la Perse s’étendait de l’Afrique jusqu’en Inde. Les Perses divisaient cette région en sept pays. Le pays placé au centre était nommé "Iran-Shahr", les six autres pays étaient placés tout autour. Cette conception de la Terre habitée figure dans les textes anciens, tel que l’Avestâ (le livre sacré des zoroastriens) et les textes sacrés des brahmanes de l’Inde, ainsi que dans des livres tels que Shâhnâmeh de Ferdowsi [2], L’Histoire des peuples et des rois de Tabari [3], ainsi que les livres de grands savants tels que Birouni [4].
2-L’Ecole grecque des "sept régions"
Selon cette conception des Grecs de l’Antiquité, le Monde était divisé en quatre parties. Son quart nord-est regroupait les terres et était la partie habitée. Les Grecs divisaient ce quart habité en sept régions et choisissaient une ville dans chaque région en tant que centre de celle-ci. On retrouve cette conception dans les écrits de Ptolémée.
3-L’Ecole de Balkhi
Abouzeyd Balkhi [5], qui connaissait les deux Ecoles iranienne et grecque, créa une méthode nouvelle pour élaborer les cartes géographiques : ses cartes du monde sont en forme de cercle et les mers sont placées tout autour des terres. Des géographes de renom (Estakhri [6] par exemple) ont dessiné leurs cartes selon cette Ecole.
4-L’Ecole de Nadjib Bacrâne
Bacrâne [7] fut le premier géographe du Moyen Age qui utilisa un quadrillage ainsi que la latitude et la longitude pour ses cartes. Les noms des pays, des îles, des mers, des montagnes, des routes, ainsi que les frontières des pays figurent également sur les cartes de Bacrâne. Bacrâne fut le pionnier de la cartographie utilisant un quadrillage et les coordonnées géographiques. La première carte européenne de ce type ne fut créée qu’en 1427, soit plus de 200 ans après les cartes de Bacrâne.
5-L’Ecole de la Mecque Centrale
Certains géographes musulmans dessinèrent des cartes avec la Mecque comme centre du monde.
1-"Geographia" de Ptolémée
Ptolémée, savant grec du IIe siècle après J.-C., est considéré comme le fondateur de la géographie. Son livre intitulé Geographia était en huit volumes. Ce livre regroupait des données sur plus de 8000 lieux connus à l’époque de Ptolémée. Un exemplaire de ce livre (exemplaire en langue grecque) qui était gardé à Byzance au Moyen Age, fut transporté jusqu’aux grands ports italiens en 1400 ; sa traduction en italien fut publiée en 1475 à Venise et en 1477 à Bologne. La publication des cartes géographiques selon l’Ecole de Ptolémée prit dès lors une ampleur grandissante en Europe. Le Golfe Persique est nommé "Sinus Persicus" sur toutes ces cartes.
2- Les cartes géographiques du XVe au XXe siècle
Les auteurs du livre Description du Golfe Persique par les Cartes Historiques donnent des explications détaillées à propos des cartes produites en Europe à partir du XVe siècle, d’abord par les Italiens, puis par les Néerlandais, les Allemands, les Français et les Anglais. Quelques cartes dessinées par des cartographes américains et ottomans figurent également dans ce livre.
Il est intéressant de noter que les îles Petite Tomb, Grande Tomb et Abou Moussâ font partie du territoire iranien sur ces cartes européennes et américaines.
Les cartes publiées dans ce livre ne vont pas au-delà de 1910, car les experts en cartographie considèrent cette date comme la fin de l’époque où les cartes géographiques historiques étaient imprimées.
Le livre Description du Golfe Persique par des Cartes Historiques est un document qui nous montre, preuve à l’appui, que le golfe situé au sud de l’Iran s’appelle Golfe Persique depuis des millénaires [8]. La question que l’on doit se poser dès lors est la suivante : pourquoi certains pays tentent, depuis quelques années, de nommer autrement le Golfe Persique ?
[1] Ce qui était dénommé "Mer de Perse" par les géographes musulmans avait une étendue plus vaste que le Golfe Persique. La "Mer de Perse" regroupait le Golfe Persique, la Mer Rouge, la Mer d’Oman et une partie de l’Océan Indien.
[2] Poète iranien (932-1020 après J.C.) dont le livre intitulé Shâhnâmeh (traduit en français sous le titre "Livre des Rois") retrace l’Histoire et les légendes de la Perse Antique. Le Shâhnâmeh est un poème épique de 60 000 dystiques.
[3] Savant et historien iranien (226-310 de l’Hégire ; 847-931 après J.-C.) qui a écrit des livres se rapportant à la plupart des sciences de son époque.
[4] Mathématicien et philosophe iranien (362-440 de l’Hégire ; 983-1061 après J.-C.). Birouni (ou Birûni) est l’un des plus grands savants de la civilisation musulmane, et l’un des plus grands géographes. Il écrivit plusieurs livres importants, dont Al-Tafhim qui est un traité d’astronomie et de géographie.
[5] Philosophe et savant iranien du début du IVe siècle de l’Hégire (Xe siècle après J.-C.). Il écrivit plusieurs livres sur les sciences de son époque, dont un traité de géographie.
[6] Savant iranien du début du IVe siècle de l’Hégire (Xe siècle après J.-C.). Il fit de nombreux voyages dans les contrées musulmanes, de l’Inde jusqu’en Afrique du Nord, et écrivit deux livres à ce sujet. Son ouvrage le plus important est Al-Massâlek va Al-Mamâlek (qui signifie "routes et pays").
[7] Savant iranien du début du VIIe siècle de l’Hégire (XIIIe siècle après J.-C.) auteur d’un livre de géographie écrit en persan intitulé Djahân-nâmeh.
[8] Les auteurs du livre précisent que le nom "Golfe Persique" figure dans des documents écrits datant du IVe siècle avant J.-C., par exemple dans le récit de Néarque (navigateur Crétois qui fut chargé par Alexandre de ramener la flotte de ce dernier des bouches de l’Indus jusqu’au fond du Golfe Persique).