N° 34, september 2008

La symbolique des arbres chez les Iraniens


Fatemeh Kohandâni


De tous temps, arbres et forêts ont revêtu divers symboles et significations auprès des cultures et sociétés humaines. Nombre de sociétés primitives vénéraient les arbres ou les considéraient comme des intermédiaires entre le monde des Dieux et celui des hommes. De nos jours, on observe encore des vestiges de ces croyances chez certains peuples. De nombreux bois et forêts, partout dans le monde, ont été considérés comme sacrés pour différentes raisons et d’aucuns gardent encore leur place dans la croyance populaire. La forme de l’arbre (un tronc auquel s’attachent des branches, telles des mains et des doigts), a fait de ce dernier un symbole de l’être humain pour certaines sociétés qui lui ont prêté des qualités humaines. La symbolique de l’arbre se retrouve facilement dans de nombreuses cultures : un mythe, un reflet du lien unissant l’homme à Dieu, un esprit sacré, l’axe du monde… .

Platane âgé de 1400 ans, village de Targhroud, Ispahan
photo : Hossein Jafarkhah

L’arbre et la forêt occupent également une place et une signification symbolique particulière dans la culture des différentes tribus iraniennes. La symbolique que les arbres et les forêts ont trouvé au cours des siècles dans les langues et les cultures résulte peut être de leur grande taille ou de leur incroyable longévité qui a enflammé l’imagination des sociétés primitives. Ils étaient vivants, tels les hommes et les bêtes, bien que ne se déplaçant pas. Ils paraissaient immobiles et immuables, telles les montagnes et les pierres, bien que pouvant changer et évoluer. Les forêts denses peuvent paraître mystérieuses mais même un arbre unique, poussant avec difficulté en région désertique, est un miracle pour l’assoiffé. Les premiers hommes contemplaient les arbres et les touchaient, ils en tiraient nourriture, chaleur et abris. La rareté ou l’abondance des arbres a beaucoup influencé la façon dont ils étaient perçus, ainsi que leur importance dans les légendes. Certains considéraient les arbres comme des totems, c’est-à-dire un esprit ou un animal protecteur. Parfois un arbre particulier, en relation avec une personne sainte ou un prophète, était considéré comme sacré.

Cette importance de la place de l’arbre est également visible dans les religions. Bouddha naquit et reçut l’illumination sous un figuier (l’arbre de la Boddhi). Il y a également l’arbre de la Connaissance, mentionné par la Bible comme étant l’instrument de la chute d’Eve et d’Adam, et plus tard celui de leur rédemption par le biais de la crucifixion de Jésus-Christ. L’arbre d’Abraham, à proximité de la ville d’Hébron en Palestine, qui garde vive la mémoire d’Abraham et de ses ancêtres. L’arbre Kien-Mou en Chine par lequel montent et descendent les souverains, médiateurs entre le ciel et la terre. Tout cela a donné aux arbres une place particulière dans les pratiques religieuses jusqu’à aujourd’hui. Un autre exemple bien connu est l’arbre de Noël sous lequel aujourd’hui encore s’échangent des cadeaux.

Platane âgé de 1200 ans, Nasr-Abâd, Yazd
ISNA, Mehdi Zamanzadeh

Les arbres sont estimés par les Iraniens depuis fort longtemps, en raison de la place qu’ils ont occupée dans leurs vies au cours des siècles passés. Que les Dieux aient insufflé leurs âmes dans les arbres ou que leurs esprits ne fassent qu’un avec l’arbre, ces croyances ont fortement influencé les premiers hommes, poussant ces derniers à adorer les arbres et à leur demander santé et vie éternelle. La foi en la puissance divine des arbres a eu d’autres conséquences. Jadis, l’homme croyait que les arbres avaient le pouvoir de faire pleuvoir, d’obliger le soleil à briller, d’augmenter les troupeaux, de rendre les femmes fertiles et de les aider à accoucher. Un vestige de cette croyance a perduré en Iran sous forme de petits morceaux de tissu accrochés aux branches des arbres par ceux qui demandent une grâce. Dans les légendes iraniennes, les vieux arbres sont sacrés. Zarathoustra a dit que quiconque abattrait un arbre verrait mourir un de ses proches. Dans l’Avesta, endommager un arbre est un grand péché. Amardad était l’ange gardien des plantes et les anciens croyaient que les gens bons et généreux se transformaient en arbres après leur mort pour accéder à la vie éternelle. Cette croyance perdure diversement chez de nombreux peuples.

Parmi les arbres les plus sacrés des Iraniens, on peut citer le platane. Des imamzadehs et des mosquées ont aujourd’hui remplacé en beaucoup d’endroits les temples zoroastriens et les églises qui s’élançaient voici des siècles vers le ciel aux côtés d’imposants platanes, mais ces arbres sont toujours là. Dans bon nombre de villes et villages, les gens accrochent des bouts de tissu à ces arbres et en attendent des miracles. Des miracles simples tels qu’avoir des enfants, guérir d’une maladie, voir ses affaires prospérer, avoir une bonne récolte, etc. Ces platanes accordent abondance et prospérité. Selon les recherches d’Henri Massé, l’orme et le buis sont également des arbres sacrés dans certaines régions, alors que le cyprès et l’olivier, toujours verts, sont des arbres du paradis.

Cyprès d’Abarkouh, Yazd
ariaboom.ir

On peut également citer d’autres arbres sacrés tels que le dattier, le grenadier et le figuier. Le dattier est considéré depuis des temps immémoriaux comme une source absolue de bienfaits pour l’homme, en ce que rien de cette précieuse plante ne se perd. Les traces de sa culture en Mésopotamie remontent au IVe siècle avant Jésus-Christ. L’importance du dattier dans cette région est aujourd’hui encore telle qu’il symbolise l’arbre de la vie. Sadegh Hedayat, dans son ouvrage Neyrangestân, cite d’autres arbres et autant de croyances populaires : il ne faut pas abattre un sapin ou un mûrier persan, ou plus généralement un vieil arbre, ou alors, il ne faut pas arracher les plantes des échalotes, ce qui entraînerait la mort. Parmi ces arbres symboliquement signifiants, le cyprès occupe une place très particulière. Ainsi, le cyprès du Cachemire, terme poétique récurrent de la littérature persane ressemble à son cousin le cyprès de la littérature chinoise, qui joue un rôle important dans les rituels religieux.

Il est dit dans le Livre des Rois de Ferdowsi que Zarathoustra amena de la région du Cachemire un cyprès fabuleux, d’une taille impressionnante et provenant du paradis, et qu’il le déposa devant la porte du temple zoroastrien de "Barzin Mehr". Ces cyprès, les "thuyas", sont encore considérés comme des arbres à vœux, notamment dans l’ouest du pays, en particulier dans le Kurdistan.

La foi en la nature sacrée des arbres et leur vénération a acquis une nouvelle dimension avec l’arrivée de l’Islam. Pour que cette foi ne contredise pas les coutumes islamiques, on est souvent arrivé à cette conclusion qu’une sainte personne était enterrée au pied de ces arbres. Aujourd’hui encore, pour de nombreux peuples, la destruction d’une vigne est un péché très grave. Les indigènes d’Afrique et les habitants des îles de l’océan Pacifique sont encore terrifiés à l’idée de détruire le cocotier qui les a un jour nourri. Et en Arabie Saoudite, l’acacia qui fournit de la sève est sacré. Peut être l’attention portée aujourd’hui par le monde contemporain à la préservation de notre patrimoine verdoyant que sont les forêts signifie une renaissance de la relation primitive qu’entretient l’homme avec les arbres. Quoiqu’il en soit, on constate avec joie que les bois et les arbres saints d’hier sont parfois transformés en espaces protégés.


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