N° 37, décembre 2008

La peinture iranienne et le modernisme (I)


Shohreh Golazâd
Traduit par

Babak Ershadi

Voir en ligne : Deuxième partie


Introduction

Les premiers contacts avec le monde occidental

La Perse antique fut la première puissance asiatique à établir des contacts avec le berceau de la civilisation occidentale, la Grèce. Après la conquête de la Perse par l’armée d’Alexandre, la culture perse a subi l’influence de la civilisation grecque pendant deux siècles ; néanmoins les dynasties arsacide et sassanide ont assuré la renaissance de la culture perse, de sorte que la culture et l’art persans sont devenus de nouveau une source d’inspiration du monde occidental, avant et après l’islamisation de la Perse.

Cependant, du Moyen Age au début du XVe siècle (dynastie des Aq qoyunlu), le monde iranien et le monde occidental se connaissent relativement peu et l’image qu’ils ont l’un de l’autre est souvent mêlée d’exagérations et d’anecdotes fabuleuses, dues à un manque de connaissance évident. Avant la Renaissance, l’Eurasie était plutôt dominée par la suprématie économique, culturelle et même politique du continent asiatique par rapport à l’Europe, la Renaissance européenne ayant ses racines dans le développement des contacts avec le continent où sont nées les plus anciennes civilisations du monde.

Le processus de contact entre la Perse et l’Occident s’est accéléré à partir du XVIe siècle, sous la dynastie des Safavides, notamment à l’époque du plus grand empereur de cette dynastie, Shâh Abbâs Ier. Sa capitale, Ispahan, est devenue le foyer des relations politiques, économiques et commerciales avec les grandes puissances européennes de l’époque. Avec ses ponts magnifiques, ses chefs-d’œuvre architecturaux, ses somptueuses mosquées et ses beaux palais, l’Ispahan des Safavides fut un centre culturel et économique important pendant trois siècles, réunissant en son sein les commerçants, voyageurs et artistes venant d’Europe, ainsi que les ambassadeurs des cours européennes et les missionnaires chrétiens. Dans ce contexte, le terrain était de nouveau propice à ce que l’art iranien soit influencé par l’art moderne occidental.

Les débuts des tendances naturalistes dans l’histoire de l’art pictural iranien

Le médecin Mirzâ Abolfazl Kâshâni rend visite à son patient, Sani-ol-Molk, aquarelle,1859, Palais du Golestân

Sous les Safavides, de nombreux facteurs contribuèrent à l’apparition de tendances naturalistes dans la peinture iranienne : développement des contacts avec les Européens, importation d’œuvres et de marchandises occidentales, etc. Les produits fabriqués en Europe firent progressivement leur apparition sur les marchés d’Ispahan et de certaines grandes villes iraniennes. Les peintres étaient séduits par l’art pictural occidental qui éveillait en eux le désir de représenter une image naturaliste du monde, notamment en y introduisant les règles de la perspective, c’est-à-dire les techniques quasi-scientifiques visant à représenter les objets sur une surface plane, de telle sorte que leur représentation coïncide avec la perception visuelle que l’on peut en avoir, compte tenu de leur position dans l’espace par rapport à l’œil de l’observateur. De ce point de vue, les tableaux de Rezâ Abbâssi peuvent constituer une sorte de transition entre l’art pictural traditionnel et l’apparition, pour la première fois, d’une certaine occidentalisation du regard des artistes iraniens. Pendant les siècles suivants, sous les dynasties zand et qâdjâre, ce courant naturaliste se développa sous une forme particulière : l’idéalisation de la nature ainsi que la sublimation et l’exaltation du beau. Par conséquent, pendant cette période, les portraitistes ont souvent reproduit les visages qui se ressemblaient étrangement, de sorte que les visages masculins et féminins étaient semblables, à peu de chose près : la barbe et la moustache pour les hommes !

La transcription, 1227 de l’Hégire, Mahmoud Khân Malek-o-Shoarâ

Ce genre pictural a longtemps plu aux aristocrates et à la haute bourgeoisie urbaine. A partir du XIXe siècle, avec l’apparition des premiers ateliers d’imprimerie à Tabriz et à Téhéran, un public plus important découvrit progressivement les gravures et les images occidentales. Pendant cette même période, les artistes s’efforcèrent de donner un aspect plus populaire à leur art pour s’éloigner de la tradition du portrait des gens de la cour, afin de s’intéresser à une nouvelle vision sur les formes et les thèmes. Mahmoud Khân Malek-o-Shoarâ et Abol-Hassan Khân Ghaffâri (alias Sani-ol-Molk) furent les principaux représentants de ce nouveau mouvement pictural.

Poète et calligraphe, Mahmoud Khân Malek-o-Shoarâ a ouvert de nouveaux horizons dans le domaine de la peinture iranienne au cours de la première moitié du XIXe siècle. Lui qui n’avait jamais voyagé en Europe, il sut créer intelligemment le premier "collage" de l’histoire de la peinture moderne iranienne, en collant des timbres-poste iraniens et étrangers sur une toile. Dans son tableau La transcription (استنساخ), signé en 1227 de l’Hégire, l’artiste introduit une approche créative des trois principales questions de la peinture : la forme, la couleur et l’espace.

L’oncle Sâdiq Shirâzi (Amû Sâdegh Shirâzi), Kamâl-ol-Molk, aquarelle, 1308 de l’Hégire,Palais du Golestân

Dans certaines aquarelles de Mahmoud Khân, les petits pointillages évoluent pour devenir des petites surfaces ou des taches de couleur, à la manière de Paul Signac ou de Georges Seurat. En outre, Mahmoud Khân prend ses libertés dans le choix des couleurs et l’usage du pinceau pour s’approcher instinctivement des méthodes de Pissarro et de Van Gogh. A noter qu’à cette époque-là, l’art de Van Gogh n’est pas encore apprécié en Occident, et que Mahmoud Khân n’a certainement pas eu l’occasion de connaître les techniques du peintre néerlandais.

Contrairement à Mahmoud Khân qui ne s’est jamais rendu en Europe, Abol-Hassan Khân Ghaffâri, alias Sani-ol-Molk, a voyagé en Italie. Lors de son retour en Iran, il s’oppose à la vision traditionnelle des portraitistes de son époque, qui représentent sur la toile des visages idéalisés et sublimés. Sous l’influence de l’école portraitiste européenne, Sani-ol-Molk s’est s’efforçé de représenter les expressions extérieures du visage.

Mahmoud Khân et Sani-ol-Molk ont essayé, chacun à sa manière, de créer des liens entre l’espace pictural contemporain et le passé traditionnel de la peinture iranienne. Les "innovations" introduites par les deux artistes ont sûrement sensibilisé les artistes iraniens au modernisme, mais pour l’accélération du processus d’occidentalisation de l’art pictural en Iran, il fallut attendre l’apparition de Kamâl-ol-Molk.

Son influence fut si grande que pendant longtemps, les techniques de la peinture traditionnelle iranienne tombèrent en désuétude. Les contemporains de Kamâl-ol-Molk et ses adeptes adoptèrent ainsi les techniques de la peinture classique occidentale et une vision artistique photographique afin de représenter les objets et espaces selon un réalisme pur. L’influence des travaux de Kamâl-ol-Molk se prolongea près de deux décennies après sa mort en 1940.

Dokhtar-e lor (Jeune fille lor), Djalil Ziâpour, 1361 de l’Hégire

Fondée par le Français André Godard, la faculté des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran a contribué à ouvrir de nouveaux horizons aux jeunes peintres iraniens. Pendant longtemps, la Faculté des Beaux-Arts demeura dominée par les disciples de Kamâl-ol-Molk, tous partisans du naturalisme pictural et de la peinture académique officielle. Les professeurs français qui enseignaient à la Faculté des Beaux-arts réussirent pourtant à former une nouvelle génération de peintres qui découvrirent d’autres écoles de la peinture occidentale, notamment l’impressionnisme. Parmi les diplômés de cette faculté, certains poursuivirent leurs études artistiques en Europe et aux Etats-Unis. Dès leur retour en Iran, ces jeunes artistes contribuèrent à la remise en cause des valeurs et traditions établies par le maître ancien. Une querelle se fit alors jour entre les partisans des Anciens et des Modernes. Tandis que les élèves et les disciples de Kamâl-ol-Molk procédèrent à une véritable "guerre de tranchée" pour défendre les enseignements de Kamâl-ol-Molk, lui-même inspiré des valeurs classiques des anciens maîtres classiques de l’Europe, les jeunes artistes modernes lancèrent avec ferveur une "guerre de mouvement" pour gagner du terrain et dominer l’art pictural du pays, afin de "compenser leur retard" par rapport à l’art moderne occidental. Ce processus de modernisation et le sentiment d’arriération économique et socioculturelle par rapport au monde occidental, furent renforcés à la suite des évolutions survenues après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce contexte, le pouvoir politique soutint, pour sa part, la modernisation du pays, en privilégiant, sur les plans culturels et idéologiques, le nationalisme et la mise en valeur de l’héritage de la Perse antique. En outre, la vie sociopolitique de l’Iran fut très fortement influencée par le mouvement de traduction d’œuvres occidentales notamment à partir des années 1920. Un grand nombre d’ouvrages occidentaux fut traduit en persan et lu par la majorité des intellectuels iraniens désireux de découvrir les produits intellectuels et socioculturels de l’Occident. Sur le plan artistique, un nouveau regard esthétique se développa, notamment à Téhéran, dans les milieux intellectuels et artistiques, tandis que la presse de la capitale iranienne familiarisait les jeunes lecteurs avec les dernières évolutions de l’art occidental, dans les années de l’après-guerre.

Un tableau de Mahdi Vishkâï

La première exposition des Beaux-Arts, organisée en 1946 à Téhéran, fut un signe avant-coureur de l’émergence de ce nouvel esprit artistique. Cette exposition réunit des tableaux de jeunes artistes modernes comme Mahdi Vishkâï, Hossein Kâzemi, Djavâd Hamidi et Djalil Ziâpour. Le travail de ces artistes annonça un emploi nouveau et hardi de l’expression picturale, par rapport aux œuvres de Kamâl-ol-Molk et de ses partisans. Cependant, ces jeunes artistes semblèrent tout à fait "Anciens" lorsque l’on compare leurs tableaux avec ceux de leurs contemporains européens et nord-américains. En réaction à cette contradiction, dans un texte consacré au vernissage de l’exposition des Beaux Arts de 1946, le critique d’art Rezâ Djordjâni écrit dans le magazine Sokhân : "Au nom du modernisme, la peinture iranienne tend à reprendre un chemin battu par les Européens, il y a plus de 150 ans".

Au fur et à mesure, les journaux et les magazines publiés à Téhéran se mirent à consacrer quelques pages aux arts plastiques. Le magazine Sokhân joua un rôle important et contribua à familiariser le public intéressé avec les évolutions de l’art plastique en Iran. Dans ces pages, le lecteur retrouva des textes consacrés à la vie et à l’œuvre de grands artistes occidentaux, ainsi que les nouvelles des derniers événements artistiques du pays. Cependant, les textes critiques restèrent sommaires et rudimentaires, faute de connaissance technique et spécialisée dans le domaine de la critique d’art. Mohammad Saïdi, Parviz Marzbân et surtout Ehsân Yârshâter furent les meilleurs critiques d’art de l’époque, qui s’efforçaient de faire connaître la peinture occidentale, notamment les peintres impressionnistes de l’Europe, aux jeunes amateurs d’art en Iran.

Sans titre, sujet : Représentation de l’homme, tableau expressionniste, acrylique sur toile, par Mohammad-Ali Taraghi-Djâh

En dehors de quelques cercles fermés, le climat culturel et social de l’Iran ne fut guère favorable au développement intense de l’art moderne à l’occidentale, pendant cette période. En effet, il existait un grand écart entre les nouvelles théories esthétiques inspirées de la culture occidentale et les réalités de la vie sociale iranienne. Pendant les années 1940-1950, la présentation de l’art moderne occidental se développa de façon plus organisée, notamment dans la presse. A la même époque, les partisans du modernisme s’exprimèrent avec plus d’audace et de façon plus directe pour défendre la peinture moderne. Les idées qu’ils exprimaient pour défendre l’art moderne étaient de plus en plus ferventes et enthousiastes, mais pas assez convaincantes, en raison de leur insistance sur la nécessité d’une rupture générale avec l’ensemble des héritages artistiques et culturels du passé. Dans un article intitulé "L’art nouveau, la peinture nouvelle", Parviz Marzbân considère l’art moderne comme l’expression exacte de la vie matérielle et spirituelle de l’homme contemporain. Sur un ton assez virulent et acerbe qui cherche manifestement à blesser, il écrit : "Craintifs et trop méfiants, ils [partisans de la peinture traditionnelle] se taisent et se retirent devant un adversaire trop fort pour eux. Mais ceux qui sont plus courageux et plus audacieux n’hésitent pas un instant à se jeter dans cet immense océan. Il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’ils reviendront les mains pleines de perles nouvelles."

L’œuvre critique de Djalil Ziâpour (1910-1999) contribua à intensifier la querelle entre les Anciens et les Modernes. Ziâpour avait connu le mouvement cubiste en France où il avait rencontré des peintres modernes, notamment André Luth. Djalil Ziâpour fonda en 1949 un magazine dont le titre était à la fois révélateur et provocateur : Le Coq de combat. Le magazine était presque entièrement consacré à la polémique vive et agressive autour de la peinture moderne. Ses textes et ses discours aboutirent à la formation d’un cercle de disciples autour de Ziâpour, devenu chef d’un mouvement nouveau mais assez bref dans la peinture iranienne.

Buste d’Avicenne (Ibn Sinâ) à Mashhad, par Hassan Arjang

Beaucoup de critiques d’art estiment que ce que Ziâpour préconisait avec insistance au nom du cubisme, était radicalement différent des mérites, des valeurs et de l’esprit du cubisme. Selon certains critiques, ses activités finirent par présenter le cubisme comme l’expression de la destruction et de la laideur, sous prétexte de l’éloignement moderne des conventions traditionnelles. Ziâpour et ses compagnons avaient pourtant le mérite d’ouvrir de nouveaux horizons aux jeunes artistes tout en créant un terrain favorable à la réalisation de nouvelles expériences.

La troisième biennale de peinture iranienne qui eut lieu à Téhéran en 1966 consacra l’émergence d’une nouvelle génération de peintres. Ces jeunes artistes sortaient d’un état d’inconscience et d’incertitude pour s’appuyer sur leur propre créativité d’artiste au lieu d’imiter les autres. Se fondant sur l’idée de l’individualité artistique, ils essayaient d’adapter leurs quêtes libres et personnelles à leur identité iranienne.

Dans les années 1950-1970, ce mouvement fut essentiellement caractérisé par l’esprit de découverte, le désir de nouveauté et une attention spontanée mais superficielle portée à la question de l’identité nationale. Dans les années 1970, la peinture iranienne connut une période florissante : le marché d’œuvres picturales fut relativement prospère ; le gouvernement soutenait les artistes en leur allouant des bourses d’étude pour qu’ils poursuivent leur enseignement supérieur à l’étranger. Durant cette même période, le Musée des arts contemporain fut fondé à Téhéran, tandis que les institutions officielles du pays encouragèrent et finançèrent la tenue de nombreuses expositions de peinture en Iran et à l’étranger. Cet épanouissement de l’art moderne entraîna cependant une rupture entre les artistes et le grand public, en raison de l’éloignement intellectuel et culturel qui existait entre l’esprit du modernisme et le système de valeur traditionnel de la société iranienne.

Le naturalisme et la peinture académique

Dans la peinture traditionnelle iranienne, la représentation de l’homme et de l’univers ne se soumet jamais aux règles du réel et de la nature. Dans les œuvres traditionnelles, la forme est subjective, idéaliste, stylisée et abstraite. Le peintre n’a pas de souci de "réalisme" dans la représentation des portraits et des événements. Kamâl-ol-Molk et ses contemporains ont introduit une véritable révolution dans la vision du monde dominant la peinture iranienne pendant des siècles. Kamâl-ol-Molk a notamment pris pour modèle les œuvres des grands maîtres de la Renaissance et de la période de l’art baroque, notamment Rembrandt et Le Titien. Dès son retour en Iran, après trois ans de séjour à Paris, Rome, Venise et Florence, Kamâl-ol-Molk se mit à enseigner la peinture naturaliste dans son école des beaux-arts à Téhéran. Son objectif était de remplacer la peinture traditionnelle par la représentation réaliste de la nature, à travers des techniques de la perspective, des volumes et des effets de clair-obscur. A l’époque du voyage de Kamâl-ol-Molk en Europe (1897-1900), la peinture occidentale était fondamentalement bouleversée par les mouvements impressionniste et post-impressionniste. Mais le peintre iranien, qui avait déjà cinquante ans à son arrivée à Paris, est resté indifférent à l’art contemporain de l’Europe. Dans les musées de Paris, de Rome et de Florence, il a été fasciné par l’art de la Renaissance et de la période baroque, en acquérant la conviction que la mission de l’artiste est d’imiter la nature et de la reproduire tout comme la photographie. Il a fondé ainsi de nouvelles traditions naturalistes dans la peinture iranienne, développées et sauvegardées jusqu’à aujourd’hui par ses nombreux élèves et disciples. Dans le naturalisme de Kamâl-ol-Molk et de ses partisans, l’espace stylisé et idéalisé de la peinture de l’époque qâdjâre - caractérisée par les motifs et les éléments abstraits, décoratifs et mythiques - ont disparu pour que l’artiste revienne à un réalisme extrême, celui de la représentation absolue de la nature.

Un tableau de Mahmoud Djavâdipour

Hossein Sheikh (1910-1987) fut un élève de Kamâl-ol-Molk, qui demeura fermement attaché aux principes naturalistes de son maître jusqu’à la fin de sa vie. Sheikh a poussé à l’extrême, au-delà de toute mesure, l’idée du beau absolu pour défendre l’idée que seuls les artistes de l’époque classique méritaient l’admiration et l’imitation des artistes contemporains. "Il faut interdire l’exposition des œuvres modernes dans les galeries d’art", déclara-t-il lors d’une interview en 1974. Son refus radical du modernisme le conduisit à la négation rétroactive du "contemporain" et de lui-même. "Mes œuvres sont médiocres. Plus je suis médiocre, plus je gagne de l’argent. Je ne suis pas un peintre. La vraie peinture, ce sont les tableaux de Rembrandt et de Goya", affirmait-il.

L’idée de l’imitation de la nature, tel un appareil de photo, dominait l’esprit de presque tous les élèves et disciples de Kamâl-ol-Molk.

Yahyâ Dolatshâhi, Esmâïl Ashtiâni et Mohammad-Ali Heydariân, Djaafar Petgar, Abol-Hassan Sadighi et Mohsen Moghadam ont longtemps contribué à la propagation de la peinture académique de Kamâl-ol-Molk. Certains autres élèves de l’école naturaliste du grand maître, comme Ali Asghar Petgar, Ali Moméni, Hassan Arjang et Mahmoud Oliâ, ont exprimé dans leurs œuvres une tendance impressionniste, tout en restant fidèles aux traditions naturalistes de Kamâl-ol-Molk.

Ces élèves de Kamâl-ol-Molk prirent souvent pour thème les paysages, la nature morte, les petits événements de la vie quotidienne, la vie rustique, et certains paysages de la vie urbaine tels que les maisons de thé. Ces peintres manifestaient une indifférence quasi-totale aux courants de l’art moderne et méprisaient les évolutions contemporaines.

Dans les années 1960-1970, les peintres modernes triomphèrent finalement de leurs adversaires naturalistes. Cependant, après la victoire de la révolution islamique de 1979, l’idée de l’art populaire et engagé favorisa le retour du naturalisme sur le devant de la scène de la peinture iranienne. Pendant cette période, certains artistes comme Mortezâ Katouziân et Mohammad-Ali Taraghi-Djâh créèrent des œuvres d’imitation exacte de la nature, très appréciées par le public. La technique photographique de ces peintres fut pourtant accompagnée d’un certain regard personnel sur le rapport entre la nature et l’homme.

L’impressionnisme

Le porteur et son aide, Ali-Akbar San’ati, plâtre, Musée San’ati à Téhéran

Un an après la mort de Kamâl-ol-Molk (1940), les forces armées occupèrent l’Iran. Quelques jours après l’arrivée des troupes britanniques à Téhéran, Rezâ Shâh fut obligé d’abdiquer en faveur de son fils, Mohammad-Rezâ Pahlavi. La fin de la dictature de Rezâ Shâh et l’ouverture relative de la vie sociopolitique favorisèrent de nouvelles évolutions culturelles et artistiques. Comme nous l’avons évoqué, dès son établissement en 1941, la Faculté des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran devint le théâtre de la querelle entre les partisans des Anciens et des Modernes : les professeurs français de cette faculté avaient fondé leur enseignement sur l’impressionnisme, tandis que les professeurs iraniens étaient des disciples du classicisme et de la peinture académique de Kamâl-ol-Molk. Ces derniers encourageaient leurs élèves à travailler dans les ateliers de la faculté pour copier les chefs-d’œuvre des maîtres classiques européens, tandis que les jeunes étudiants qui eurent l’occasion de connaître la liberté de l’art impressionniste, préféraient déplacer leur chevalet d’un endroit à un autre, dans la campagne et au pied des montagnes du nord de Téhéran, pour respirer à pleins poumons la liberté de l’expérience impressionniste. Ces tendances impressionnistes furent timides et prudentes pour deux raisons : tout d’abord, du fait de la domination du naturalisme pur et dur des disciples de Kamâl-ol-Molk, ensuite à cause du manque de connaissance approfondie des caractéristiques de l’impressionnisme lui-même. Les peintres iraniens durent attendre une dizaine d’années avant d’avoir le courage d’utiliser les couleurs vives et transparentes. Par ailleurs, en l’absence d’une critique d’art professionnelle, les amateurs d’art n’apprécièrent guère ces œuvres de forme impressionniste. Les textes publiés dans la presse, en guise de critique artistique, découragèrent souvent les jeunes peintres et les dissuadèrent de poursuivre la voie de l’impressionnisme. En 1946, la magazine Sokhân écrivait : "Ce que l’on présente aujourd’hui comme la peinture moderne, est en réalité l’école impressionniste européenne d’il y a 70 ans." En réalité, l’auteur de cet article accusait injustement les jeunes peintres impressionnistes d’archaïsme de goût et d’inspiration, tandis que le naturalisme des adeptes de Kamâl-ol-Molk était déjà vieux de trois cents ans ! La même année, la première exposition des peintres iraniens fut organisée à l’initiative de l’Association culturelle irano-soviétique. Dans cette exposition, plusieurs tableaux de Mohsen Moghadam et de Ali-Akbar San’ati révélaient leurs inclination vers l’utilisation des techniques impressionnistes. Plus tard, ces tendances s’exprimèrent avec plus de vigueur dans les tableaux d’Ahmad Esfandiâri, Rezâ Forouzi, Mahdi Vishkâï, Mahmoud Djavâdipour et Hossein Kâzemi.

Il est curieux d’observer que les traces de ces tendances impressionnistes se révèlent également dans les tableaux "commerciaux" destinés à plaire au large public, dans les années 1980 et 1990. Pendant ces années, malgré la domination de la peinture moderne, abstraite et non figurative, de nombreux jeunes peintres manifestèrent un certain penchant pour l’impressionnisme. La vigueur des couleurs et des jeux de lumière sont peut-être des raisons qui expliquent l’accueil favorable que le public iranien réserva aux techniques impressionnistes.

La plupart des impressionnistes iraniens ont longtemps oscillé entre deux tentations contraires : le naturalisme et le classicisme d’une part et l’impressionnisme de l’autre. L’impressionnisme désigne cependant moins une école à proprement parler qu’une réaction contre la peinture académique officielle.

À suivre...


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1 Message

  • La peinture iranienne et le modernisme (I) 1er avril 2016 10:43, par Quentin Laurent

    Bonjour,
    Votre article est très bien fait et très instructif.
    En revanche je pense que Djalil Ziâpour a rencontré le peintre moderne André Lothe, plutôt qu’André Luth.
    Bien cordialement

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