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Petit souvenir.
Je me souviens de ce Jour comme si c’était hier. Tout se passe à Kaboul. C’était un vendredi matin, nous devions nous préparer pour aller à un mariage. Mon père et mes grands frères étaient hors de Kaboul. Nous étions à la maison, ma grande soeur, mon petit frère, ma maman et moi.
Maman repassait nos habits, et nous - moi avec ma soeur et mon petit frère - on jouait à ses côtés. C’était une très belle journée qui venait de commencer, les rues pleines de monde, la musique chez les voisins, les cris et les rires des enfants... Mais très vite cette belle journée est devenue un cauchemar pour nous tous.
Soudain, de loin, on entendit un bruit comme si c’était une balle tirée en l’air. A peine deux minutes étaient passées et ce bruit s’approchait. On ne voyait plus personne dehors, on n’entendait plus personne à part les terribles bruits des armes.
A la maison, on criait tous et maman ne savait pas quoi faire ni où aller. Elle nous disait : « Cachez-vous loin des vitres ! ». Je me souviens, j’essayais de me cacher dans un coin de la maison pour ne plus entendre ces bruits affreux qui me faisaient terriblement peur et je pleurais. A ce moment-là, tout ce que je ressentais, c’était l’angoisse. Le ciel bleu était devenu rouge et noir.
Maman nous a emmenés dans notre salle de bain qui se trouvait au centre de la maison. Elle pensait que cette pièce était plus sûre. Alors, dans cette salle de bain humide, elle nous a apporté son matelas pour qu’on puisse s’asseoir dessus. A présent nous étions tous regroupés dans cette petite pièce. Soudain on entendit un bruit mais énorme cette fois-ci. On aurait pu penser que c’était un tremblement de terre. Toutes les vitres de notre maison hantée ont été cassées en petits morceaux. Encore plus terrifiant, ce bruit venait tout juste de notre propre jardin, ce terrible monstre était une roquette qui avait détruit notre jardin, et la maison de nos voisins. Après la destruction de notre jardin, plusieurs roquettes sont tombées dans notre voisinage. Une femme criait et demandait de l’aide : « Aidez-moi ! Je vous en supplie ! Mon mari et mes enfants sont gravement touchés ! ». Personne ne pouvait aider cette pauvre femme (parfois je me demande ce qu’elle est devenue...). A chaque bruit qui passait au dessus de nos têtes, Dieu sait ce que l’on ressentait, on imaginait notre mort à chaque seconde qui passait… Nous avons passé dans cette petite cellule qui nous étouffait tout l’après-midi mais que faire d’autre ? La nuit tombait - enfin la nuit était déjà tombée le matin même -, mon petit frère et moi, nous avions faim, mais personne n’avait le courage d’aller chercher quelque chose à manger car les bombardements étaient intenses. Maman pleurait et lisait le Coran, ma soeur essayait de nous rassurer, mon petit frère et moi… Les bombardements durèrent longtemps et finalement il y eut tout à coup un silence... un silence de mort. A ce moment précis, une voiture passa dans la rue et on entendit la voix d’un homme qui disait : « Quittez vos maisons, quittez Kaboul sinon vous risquerez vos vies, vos femmes et vos filles seront violées par les troupes qui viendront ce soir pour fouiller la ville et surtout vos maisons ! » Ma mère pleurait et ne savait pas quoi faire, elle demandait de l’aide à Dieu. Nous avons été obligés de rester dans la peur et l’angoisse, chez nous, jusqu’à la tombée du jour.
C’est vers 4 ou 5 heures du matin que maman nous a annoncé que nous devions quitter la maison et laisser notre vie dernière nous. Nous sommes sortis de notre maison les mains vides et on a pris la route à pied ! Sur le chemin, on voyait des millions de personnes comme nous, sans abri, qui marchaient sans vraiment savoir où aller. Sur les trottoirs, on voyait plein de cadavres, du sang, les gens retrouvaient leurs proches, soit par terre, c’est-à-dire morts, soit vivants, en les croisant sur leur chemin. Mais dans ces deux cas, leurs larmes coulaient. Ma mère m’a fermé les yeux car je regardais des hommes charcutés et elle m’a dit d’une voix innocente : « Ma chérie, ferme les yeux, ne regarde pas ! ».
Plus loin, après avoir marché droit devant nous des heures et des heures, accompagnés des autres habitants de Kaboul, on a aperçu mon père qui nous cherchait comme un fou et les autorités de la ville ne le laissaient pas entrer dans Kaboul même. Il a crié de joie en nous voyant vivants ! On pleurait tous dans les bras des uns et des autres.
Quelques jours plus tard, nous n’avons pas seulement quitté Kaboul mais l’Afghanistan....
J’étais très jeune mais ce souvenir m’a beaucoup marquée.