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Afghanistan exerce depuis toujours une grande attraction auprès des visiteurs occidentaux. Dans les années 1970, ces voyageurs, qui avaient sans doute dans leur sac quelques beaux textes sur le sujet, comme Les Cavaliers de Joseph Kessel qui ont forgé l’image d’un Afghanistan mythique et pittoresque, sont venus visiter ce pays. Ceux qui le pouvaient sont revenus aider ce peuple qui les avait si bien accueillis.
Odile et Philippe Oberlin font partie de ces passionnés de l’Afghanistan. Quand ils ne sont pas sur le terrain auprès des Afghans, Odile exerce la pédiatrie au centre de cancérologie de Villejuif situé près de Paris [1] et Philippe, son époux, est responsable du pôle de chirurgie à l’hôpital de Villeneuve Saint-Georges, en région parisienne. Voici un aperçu de leurs activités au sein de leur association respective.
Odile a été médecin pour une ONG française (CIDR), pendant dix-huit mois dans un dispensaire afghan entre 1973 et 1974, souhaitant connaître ce pays dont lui avaient parlé plusieurs voyageurs enthousiastes. A l’été 1975, elle revint en Afghanistan pour terminer sa thèse de médecine pédiatrique. Lors de son premier séjour, elle avait été frappée de constater que, malgré une alimentation faite quasi-exclusivement de pain et de thé, la malnutrition était moins importante qu’attendue. Elle orienta donc son étude sur les traditions alimentaires spécifiques à l’Afghanistan, et sur l’analyse des qualités nutritives des farines afghanes, utilisées pour le pain.
Ces recherches l’avaient préparée aux études liées à la nutrition, qu’elle effectue depuis 2002 pour l’association Action contre la Faim (ACF). Elle applique en Afghanistan les mêmes méthodes de travail qu’elle utilise pour soigner ses malades du centre de Villejuif et mettre au point des programmes de recherches associés.
Odile effectue deux déplacements annuels d’une durée d’un mois en Afghanistan pour réaliser, avec des équipes afghanes, des enquêtes complexes de terrain, que ce soit pour l’évaluation des besoins nutritionnels ou l’évaluation des programmes d’ACF mis en place. Elle utilise au maximum, quand c’est possible, les ressources naturelles de l’environnement immédiat. Jusqu’à présent, ses différentes missions pour ACF ont porté sur les problématiques suivantes :
- Quand elle était « French doctor », Odile avait observé qu’un nombre considérable de femmes et de jeunes filles habitant dans les zones les plus reculées développait un goitre thyroïdien. Cette grave affection, qui bloque les fonctions du cerveau, est due à un manque chronique d’aliments iodés, propre aux régions montagneuses. Contrairement à l’Iran, l’utilisation du sel iodé était inexistante jusqu’à il y a quelques années ; même maintenant, le sel est consommé par une petite partie de la population. Odile conduisit, dans plusieurs villages de la province du Panjshir, une enquête qui dura un mois. Les analyses révélèrent que, même les femmes et les enfants qui n’avaient pas développé la maladie, souffraient de graves carences en iode que ne pourrait corriger que très lentement la consommation de sel iodé, même si celui-ci était disponible. Seule la distribution d’iode sous forme d’huile permettrait de corriger cette carence dans l’attente de la généralisation de la consommation de sel iodé. Le coût d’une telle distribution représentait un budget dépassant de très loin celui dont dispose une ONG telle qu’ACF. Elle a alors publié le résultat de ses recherches dans un journal international de nutrition pour alerter les organismes internationaux, seuls capables d’apporter un financement adapté à l’ampleur du phénomène.
- Lors d’une grave épidémie de scorbut (maladie liée à une carence en vitamine C) qui toucha, au printemps 2002, le Ghor, région de l’Afghanistan située dans le sud-ouest de l’Hazarajat, ACF est intervenu pour distribuer de la vitamine C, réalisant dans le même temps des séances d’éducation de la population sur les moyens de prévention de cette maladie : conservation pour l’hiver de légumes riches en vitamine C comme les oignons ou les pommes de terre, recommandations de modalités de cuisson des aliments conservant une partie de la vitamine C. En mai 2004, Odile réalisa une évaluation sur l’impact de ces séances d’éducation sur la maladie. De fait, elle s’aperçut, par exemple, que certains messages concernant l’apparition de la maladie avaient bien été reçus. Un nombre significatif de familles avait bien compris que le scorbut était lié à la nourriture, et non à la neige et au froid comme elles le pensaient auparavant, et elles avaient modifié leurs habitudes alimentaires. Au cours de cette phase, l’enquête auprès de certaines familles qui n’avaient pas développé de scorbut et consommaient certaines plantes sauvages laissaient à penser que ces plantes étaient riches en vitamine C, ce qui fut confirmé par l’analyse d’échantillons rapportés en France. La troisième phase du projet de l’équipe d’Odile aurait dû être de retourner dans les villages pour y diffuser les connaissances sur les qualités de ces plantes sur la prévention du scorbut, et promouvoir auprès de l’ensemble de la population des pratiques bénéfiques qui sont déjà utilisées par certains. Actuellement, l’instabilité de la région rend cette dernière étape impossible à réaliser.
- Depuis plusieurs années, ACF se préoccupe très particulièrement des problèmes de malnutrition survenant chez des enfants très jeunes, de moins de six mois. Il faut savoir qu’en Afghanistan, la mortalité chez les enfants de moins de cinq ans concerne un enfant sur cinq, soit 20 % des naissances. A titre de comparaison, le taux en Europe est de 0,6 % et de 3,2 % en Iran. ACF a donc mis en place dans les centres de nutrition de Kaboul des méthodes de prise en charge spécifiques à ces très jeunes enfants, en particulier pour favoriser le bon fonctionnement de l’allaitement maternel, clé de la nutrition à cet âge. Odile, envoyée par ACF pour évaluer la mise en place de ces pratiques, a constaté les progrès réalisés.
Actuellement, la poursuite de ces différentes études est compromise par l’insécurité du pays qui empêche les équipes de se déplacer dans les villages.
Philippe, quant à lui, fait partie de l’association de santé MRCA (Medical Refresher Courses for Afghans). Alors qu’elle délivrait un enseignement à divers professionnels de santé dans son hôpital école des camps de réfugiés de Peshawar, MRCA a été sollicitée pour ouvrir un service de chirurgie réparatrice à Kaboul, qui a ouvert en 1996. A partir de 2002, MRCA a géré un hôpital à Sharikar, ville située à 80 km au nord de Kaboul et, deux ans plus tard, elle a initié un programme de soins primaires dans la province du Logar, au sud de Kaboul. Depuis, l’ONG a créé deux écoles de sages-femmes communautaires et une nouvelle unité de chirurgie reconstructive dans le nord du pays, à Mazar-e Sharif.
Ses trois types de programmes couvrent les champs suivants : les soins primaires (grippe, autres maladies et épidémies, vaccinations, planning familial, suivi de grossesses et accouchements), la chirurgie réparatrice et la prise en charge des brûlés. Ces programmes sont toujours complétés par une activité d’enseignement : de troisième cycle universitaire pour les médecins des services de chirurgie réparatrice, mais aussi de remise à niveau pour les infirmiers et infirmières, de formation des employés des postes de santé villageois et, bien entendu, formation initiale et continue des sages-femmes communautaires.
Philippe a commencé sa collaboration avec cette ONG en 2003 en faisant de l’évaluation, à savoir l’étude des types de soins, la recherche d’améliorations des méthodes et l’organisation. Après deux missions d’évaluation réalisées à un an d’intervalle auprès de l’hôpital du nord de Kaboul, il est devenu administrateur de l’ONG et, à ce titre, fut chargé des grandes orientations médicales et de l’organisation de la politique générale. Il séjourne deux fois par an en Afghanistan pour une quinzaine de jours chaque fois, pour évaluer, avec les chefs de projet, le bon fonctionnement des programmes et les besoins d’amélioration.
Le financement de l’ONG est assuré par la Commission européenne pour les soins primaires de la province du Logar. La Mission Nations-Unies pour l’Afghanistan et une organisation protestante hongroise financent différents projets, dont les écoles de sages-femmes et quelques centres obstétricaux. Les frais des deux services de chirurgie sont actuellement assumés par le Ministère des Affaires Etrangères de la France mais l’avenir de ce financement n’est pas assuré.
L’association souhaiterait se recentrer, par nécessité, sur la transmission de savoir, comme elle le faisait dans les camps de Peshawar. Philippe regrette que la coopération entre les différentes ONG soit insuffisante ; en particulier elle pourrait permettre une mise en commun de l’achat des médicaments, avec un meilleur contrôle de la qualité et une économie d’échelle possibles par le regroupement des commandes.
[1] A ce titre, Odile Oberlin participe régulièrement à des colloques organisés dans le cadre d’échanges de coopération entre l’hôpital de Villejuif et l’hôpital Mahak à Téhéran.