N° 40, mars 2009

Le kotéba : théâtre traditionnel malien


Odile Puren

Voir en ligne : Le kotéba de la jeune mariée


Le Mali est un Etat situé au cœur de l’Afrique de l’Ouest. Sa superficie est de 1 240 190 km². Il s’agit d’un pays continental dont le tiers est désertique. Le Mali est une nation agricole. Des sécheresses fréquentes et l’irrégularité des pluies constituent un handicap sérieux au développement de l’agriculture.

L’or est la principale ressource minière du Mali.

Sa population est de plus de 8,4 millions d’habitants. La capitale, Bamako est entourée de collines. La langue officielle du pays est le français. Les autres langues sont le bambara, le peul, le sénoufo, le soninké, le tamasheq, le songhaï et le dogon.

Le kotéba est un théâtre traditionnel bambara. Les Bambara ou Bamana constituent une ethnie d’Afrique Occidentale, du groupe mandingue. Elle est localisée surtout au Mali, au Sénégal, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Mais les Bambara sont originaires du Bélédougou et de Ségou. Le Bélédougou était une région située au nord du fleuve Niger, au Mali. Cette région regroupait les villes de Bamako, Koulikoro, Kolokani, Kati et les villages alentour. Aujourd’hui le Bélédougou se réduit au cercle de Kolokani.

C’est d’une manière générale le phénomène de brassage des ethnies, dû aux travaux d’intérêt public pendant la période coloniale, aux affectations au niveau de la fonction publique et à l’exode rural qui permet de rencontrer les Bambara non seulement dans toutes les régions du Mali, mais aussi dans certains pays francophones de l’Afrique Occidentale. En se déplaçant ainsi, ils emportent avec eux toute leur culture, notamment le kotéba.

Les fiancés, debout derrière leur promise, les libèrent en jetant des noix de kola dans la bassine. On remarque à l’extrémité du rang, trois femmes libérées.
Photos : Odile Puren

Plusieurs légendes retracent l’origine du kotéba traditionnel. L’une fait de lui un théâtre sacré, et les autres un théâtre profane. A vrai dire, personne ne sait l’origine exacte du kotéba. Mais ce dont on est sûr, est qu’il existe depuis plus de deux siècles puisque l’histoire nous rapporte que des villageois jouaient du kotéba au temps du roi Da Mouzon. C’était leur disposition en spirale pour chanter et danser qui donna le nom kotéba à ce théâtre. Koté signifie escargot et ba veut dire grand. Le mot kotéba a donc pour signification le grand escargot. C’est cette définition que tout le monde admet.

L’organisation du kotéba traditionnel part d’une association appelée le koté-n’ton ou le ton c’est-à-dire l’association communautaire du kotéba, regroupant tous les membres du kotéba traditionnel d’un village. Comme la plupart des organisations sociales traditionnelles bambara, le ton est un groupe bien structuré et hiérarchisé dont le régime social est fondé sur la gérontocratie donc sur des rapports féodaux. C’est une association de jeunes sous la direction d’un vieillard vertueux appelé le koté-kuntigui. Il est chargé de la bonne marche de l’association, du respect strict des normes et des principes de la communauté. Il est assisté dans sa fonction par un adjoint nommé le koté-kuntigui danka. Ce dernier sert d’intermédiaire entre le koté-kuntigui et les autres membres de l’association.

Après avoir badigeonné l’autel, les femmes et les jeunes filles entament une danse.

Le ton est aussi formé d’un trésorier, de batteurs, de chanteurs, de danseurs et de comédiens. Tous ces individus sont composés de femmes et d’hommes qui exercent chacun une activité professionnelle en dehors du kotéba. On rencontre parmi eux des cultivateurs (en majorité), des forgerons, des femmes et des hommes griots, des potières, des marchands, etc. Lorsque l’association ou l’un de ses membres a besoin de quelqu’un de l’une de ces professions, il fait appel à lui. On les nomme les membres actifs du kotéba par opposition aux membres passifs qui sont les vieillards, les femmes épouses et mères, puis les enfants. Ce sont les membres actifs du ton qui exécutent des travaux collectifs lui permettant d’une part, de faire face aux dépenses du groupe lors des manifestations, et d’autre part d’assurer des actes de solidarité à l’occasion d’un décès, d’un incendie, etc. à l’égard d’un kotéden (membre de l’association du kotéba) ou de toute autre personne nécessiteuse du village. Des kotédens vont aussi effectuer bénévolement des travaux d’intérêt public : réfection de routes, construction d’une maternité, d’une école…

Ils peuvent être mobilisés pour la récolte des arachides dans le champ d’un tiers ou bien pour travailler sur le chantier de construction d’une maison. Les recettes de ces divers travaux sont gardées dans une caisse chez le trésorier jusqu’au jour où le ton a besoin de s’en servir.

Un vieillard, une branche d’arbre à la main, maintient la discipline pendant le kotéba “initiatique”.

Le ton est régi par un règlement. Des sanctions, variant conformément aux erreurs commises sont infligées aux membres qui ne l’observent pas. Elles peuvent aller d’un simple avertissement, d’une poignée de noix de kola, jusqu’à l’expulsion de l’individu de la communauté du kotéba.

Par ailleurs, le rapport entre les jeunes et les vieux est comme celui qui peut exister entre des élèves et leur maître ; avec toutes les exigences de la féodalité malienne. Le kotéba apparaît donc comme un instrument de la transmission de la tradition. Mais des conflits de générations observés en son sein mettent son avenir en danger.

Si les femmes constituent une main d’œuvre précieuse lors des travaux collectifs et à chaque représentation du kotéba, leur véritable place reste encore à définir au niveau du kotéba en tant que théâtre traditionnel bambara. Les séances de kotéba sont organisées par le ton.

Le kotéba est surtout un théâtre populaire bambara. C’est un théâtre d’intervention sociale. Il est du genre comique et moralisant. Il se sert de la satire pour corriger les travers de la société bambara. Il se présente donc à la fois comme un théâtre de divertissement et didactique. Il se compose de deux parties : une partie dansée et une partie représentée.

Le kotéba-mougou ou la partie dansée se divise en trois phases : le bakolo (mot bambara qui signifie : le noyau ou bien l’os), le n’tlon-misen (mot bambara signifiant petits jeux, amusements, divertissements) et le yo-ya-yo (mot bambara qui veut dire mouvements désordonnés, inharmonieux).

Mais la première peut être immédiatement suivie de la partie représentée du kotéba lorsque le spectacle a lieu le jour. Quand la représentation se passe la nuit, les trois phases y apparaissent obligatoirement.

Le kotébaklon ou la partie représentée suit immédiatement le yo-ya-yo. Des sketches y sont joués. Leurs thèmes sont inspirés des événements de la vie quotidienne des populations.

Quand peut-on jouer du kotéba ?

On remarque ici une seconde musicienne du kotéba “initiatique”. Plus loin, quelques hommes laissent éclater leur joie au son de la musique.

Au siècle dernier, le kotéba se déroulait avant et après les récoltes parce que c’étaient les seules occasions pour les villageois de se retrouver tous ensemble afin de se réjouir, de faire la fête.

De nos jours, il existe deux circonstances précises au cours desquelles le kotéba a lieu. Il porte alors le nom de konyomoussokoté quand il est joué à l’occasion du mariage d’une jeune fille, et celui de sayabondalakoté lorsqu’il se manifeste à la suite d’un décès.

La manifestation du kotéba est aussi liée à certains événements de la vie villageoise tels que : le vol, l’adultère etc. De plus, il y a une date unique qui est choisie tous les ans par le ton et cette seule date est nommée le jour ou le grand jour (selon les villages) du kotéba. Il se situe juste après les récoltes, au moment où les greniers sont pleins. Ce jour-là, le déroulement du kotéba est précédé et suivi d’un grand repas financé par l’association communautaire. Les villages voisins sont invités à cette fête au cours de laquelle ils discutent tous des problèmes qui leur sont communs. C’est aussi l’occasion de jumelages entre les différents koté-n’ton.

La langue utilisée dans ces spectacles est le bambara.

Le kotéba qui jusque là corrigeait les travers de la société, se vit attribuer un nouveau rôle social pendant la colonisation. Il est joué le soir par les ouvriers bambara lors de grands travaux afin d’oublier les souffrances de la journée et d’apaiser la nostalgie qu’ils ont de leur villages.

Dans quel espace se déroule le kotéba ?

L’espace du kotéba traditionnel est représenté par un cercle, une sorte de théâtre en rond originel, c’est-à-dire que le groupe du kotéba s’adresse aux spectateurs qui l’entourent. Tout décor est absent de cet espace. Les éléments d’un décor virtuel sont évoqués par les acteurs lors du jeu.

Après la première partie du kotéba, c’est-à-dire la partie dansée, les acteurs en costume entrent sur scène et se mettent à jouer. Ceux dont le tour n’est pas encore arrivé vont s’asseoir à côté des enfants au premier rang car il n’y a pas de coulisse.

La danse des femmes et des jeunes filles consacrées lors de la première partie du kotéba.

Si l’espace du kotéba est bien défini, le temps d’une représentation est à redéfinir. En effet, nous appelons temps, la durée d’une représentation. Le spectacle dure environ trois heures. Et le plus souvent les villageois préfèrent rester chanter, danser, raconter des histoires, dire des devinettes, ou faire un concours de proverbes parce que, évidemment, chaque séance de kotéba est une occasion de divertissement, et les spectateurs viennent s’intégrer aux acteurs pour porter la distraction à son comble. Les kotédens n’observent donc pas la même rigueur au niveau du temps que les acteurs européens.

Le kotéba "initiatique"

Diara, un village situé à quarante kilomètres environ de Bamako, communément appelé "le village du septennat" invente le kotéba "initiatique".

Ruiné par de nombreuses guerres, Diara est condamné à disparaître. Pour le sauver, son chef consulte un géomancien qui lui révèle que Diara n’aura la paix et ne se développera que lorsque la plus belle fille du village acceptera volontairement de se faire emmurer vivante pour sauver les siens. Elle se sacrifia, mais avant cela, elle exprima ses dernières volontés :

- D’abord elle demanda à sa famille de se retrouver tous les ans autour de l’autel qu’on appelle kotè djio (koté ou kotè est un diminutif de kotéba et djio signifie fétiche ou autel), la butte de terre dans laquelle se trouvera son corps, afin de perpétuer sa mémoire et de procéder à un sacrifice.

- Ensuite, elle proclama que les femmes qui ne feraient pas le sacrifice pour reconnaître le sien, n’enfanteraient plus et auraient une vie très brève.

A l’époque cette jeune fille avait trois frères. Après qu’elle fut emmurée, le village connut la paix et la prospérité. Ses frères, à leur majorité, allèrent fonder chacun un village. Leurs fils ont fait de même, et ainsi de suite si bien qu’aujourd’hui, ce sont dix sept villages qui ont été fondés par les membres de cette famille. Et puisque tous ces villages ne peuvent pas se retrouver tous les ans pour célébrer la cérémonie de commémoration qui nécessite beaucoup d’argent, il fut convenu qu’elle aurait lieu tous les sept ans. A chaque septennat donc, tous les habitants des dix sept villages descendant bien sûr des trois frères, se retrouvent pour célébrer la consécration de leurs filles.

Les femmes et les jeunes filles à consacrer s’inclinent les yeux fermés. (On remarque ici que deux femmes ne respectent pas cette dernière règle).

Seulement cinq filles participèrent à la première célébration. Mais à celle du 4 au 6 avril 1996, 3 500 filles furent consacrées. Et puisqu’il s’agit désormais d’un septennat, les jeunes filles qui se marient entre deux cérémonies sont autorisées à rejoindre leur mari en attendant l’année de la consécration. Cette année-là, toutes les femmes qui n’ont pas encore fait le sacrifice viennent avec leurs jeunes sœurs en âge de se marier pour prendre part ensemble à la cérémonie, afin de rejoindre définitivement leur foyer conjugal.

La cérémonie de la consécration se résume en trois points :

- Le rappel du sacrifice de la jeune fille devant l’autel qui porte son effigie.

- La présence obligatoire d’un vieillard, symbole de la sagesse.

- La présence d’une queue de caïman en guise de fouet, symbolisant une menace pour les indisciplinées. Les caïmans devenant de plus en plus rares, leur queue est aujourd’hui remplacée par une branche d’arbre. Elle est tenue par un vieillard qui n’hésite pas à rappeler à l’ordre les jeunes filles et les femmes qui ont un mauvais comportement car une telle attitude est considérée comme un manque de respect, une insulte à l’esprit de la jeune fille.

Comment se déroule la cérémonie ?

Le premier jour, les hommes, les femmes et les jeunes filles se lèvent à l’aube, vont à l’autel et ces dernières le badigeonnent de crème blanche (crème de farine de mil). Elles se mettent à plusieurs pour le faire. Une fois cette phase terminée, toutes les personnes présentes déjeunent et se préparent pour la fête qui va suivre. Dès que la nuit tombe, les musiciens se mettent à jouer de la musique, des masques sortent, puis toute l’assemblée chante et danse. Ces réjouissances s’achèvent vers deux heures du matin.

Ici nous remarquons un caractère particulier au kotéba “initiatique” : la présence d’une musicienne parmi les instrumentistes.

Le lendemain, les personnes à consacrer s’alignent entourées du public, se baissent, les yeux fermés. Les fiancés se mettent debout derrière elles, les libèrent chacune à leur tour en payant une dot. Des noix de kola constituent une première partie de la dot (le reste sera donné quelques jours plus tard). Un homme passe avec une bassine les recueillir. Chaque fois qu’un fiancé les jette dans ce récipient, sa femme ou sa future épouse est autorisée à se relever et lui appartient désormais : on dit qu’elle est libérée. Tant que le fiancé de la jeune fille ne vient pas la libérer, elle reste courbée, le visage tourné vers le sol, jusqu’à ce que la dernière se relève. Après la cérémonie, elle rentre chez ses parents et non pas chez son mari, parce qu’elle n’est pas encore considérée comme mariée. Lorsque le fiancé ne peut se présenter à la consécration pour des raisons justifiées, son frère a la possibilité de le remplacer.

Ensuite, une séance de kotéba est organisée. La cérémonie se termine vers la fin de l’après-midi et chacun rentre chez soi.

Le terme de kotéba "initiatique" a éveillé la curiosité des professeurs de l’Institut National des Arts de Bamako. C’est ainsi que certains ont décidé d’assister à cette cérémonie. Ils ont eu une discussion avec les notables des dix-sept villages de façon à se mettre d’accord sur le terme de consécration et non d’initiation. Mais ces derniers estiment que c’est un sacrilège que de changer une appellation choisie par leurs ancêtres. Le mot initiation leur paraît parfaitement approprié car un autel cérémoniel est l’objet de leur dévotion et surtout parce qu’une jeune villageoise a accepté de donner sa vie pour les siens. Les professeurs protestent en affirmant qu’il n’y a rien de sacré dans leur cérémonie et que le kotéba est une manifestation populaire. Les avis restent donc partagés.

En Afrique, le mot initiation se rapporte soit aux rites d’introduction à une classe d’âge, soit aux diverses cérémonies introduisant un nouvel adepte dans une société secrète. Or aucun de ces deux cas ne s’observe au cours du kotéba dit initiatique.

Le kotéba traditionnel possède un langage. Il est direct. Il n’est pas la traduction d’un langage littéraire en un langage scénique parce que le kotéba traditionnel est un théâtre basé sur l’oralité.

La technique de jeu du kotéba traditionnel est l’improvisation. Les thèmes des sketches qui reviennent fréquemment aujourd’hui sont le faux voyant, la sorcellerie, la polygamie etc.

Le kotéba essaie d’instruire et de plaire, c’est en cela que c’est un théâtre. Il puise ses thèmes dans la vie de tous les jours pour mettre sur scène les travers de la société afin que ceux qui s’y reconnaissent changent leurs habitudes. Le kotéba apparaît comme un miroir social, c’est-à-dire la conscience de la société dont il est issu et qui lui inspire ses idées.

Le kotéba est un théâtre total. En plus du jeu dramatique, le chant, la musique, la danse apparaissent comme des éléments essentiels de son langage parce qu’ils sont l’expression de la vie quotidienne africaine, et en particulier malienne : de ses joies, de ses angoisses, de ses chagrins, de ses deuils, et de son bonheur. Et tout cela est une indication féconde qui constitue l’esthétique théâtrale du kotéba.

On peut comprendre que certains hommes de théâtre aient eu un intérêt particulier à reprendre des éléments du kotéba traditionnel pour enrichir le kotéba moderne.


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