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L’absence de la division du temps en semaine dans le système de chronologie de l’Antiquité iranienne
Ali Safipour
Traduit par
La semaine est la division du temps en périodes de sept jours consécutifs. Aujourd’hui cette division du temps existe dans la plupart des systèmes de chronologie, dont le système de chronologie iranienne. Mais la division du temps en périodes de sept jours existait-elle également dans l’Antiquité iranienne ? Dans cet article, nous analyserons les rapports et les points de vue relatifs aux jours de la semaine, pour éclaircir la place de la division du temps en périodes de sept jours dans le système chronologique iranien.
La méthode conventionnelle de division du temps en périodes de sept jours est entrée en Iran avec le système de chronologie de l’Hégire lunaire. A ce propos, Rezâ Abdollahi écrit : « Avant de se convertir à l’islam, les Iraniens ne se servaient pas des divisions des jours d’un mois en petits groupes de sept ou de dix jours. » [1] Pour distinguer les jours du mois, les Iraniens avait inventé un système de dénomination composée des différents noms de Dieu, des noms des anges et des mots religieux du zoroastrisme. Le premier jour de chaque mois était dédié au grand Dieu et était nommé « Ahurâ Mazdâ » ou « Hurmazd ». Le 8ème, le 15ème et le 23ème jour de chaque mois étaient nommés « Din ». Cette division particulière partageait le mois en quatre périodes. Pour distinguer les jours qui étaient nommés « Din », on y ajoutait le nom du jour suivant. Par exemple : « Din à Azar », « Din à Mehr », « Din à Din ». Le premier jour de chaque période était consacré à la fête, au repos, au commerce, et souvent au culte et aux cérémonies religieuses.
Cette méthode de division du mois en quatre périodes est encore aujourd’hui utilisée par les Zoroastriens. La division quadruple des jours du mois est différente, à plusieurs égards, de la division internationale du temps en périodes de sept jours nommées « semaine » :
1- Elle se fixe dans le système du mois, tandis que la semaine est indépendante du système des mois et des années.
2- Les quatre groupes n’ont pas le même nombre de jours. Les deux premiers durent chacun sept jours, tandis que les deux derniers en ont huit.
3- Les noms des jours de chacun des quatre groupes ne se répètent pas dans les autres groupes, à l’exception des jours appelés « Din ». par conséquent, les noms des différents jours ne se répètent que douze fois chaque année.
L’opinion de Rezâ Abdollahi est exacte dans la mesure où elle indique l’absence de la division de temps en périodes de sept jours dans le système de chronologie de l’Antiquité iranienne, mais l’idée selon laquelle cette « division des jours du mois en quatre périodes inégales » aurait fonctionné comme la « semaine » est une question à débattre.
Une fois que l’on admet que la division du temps en périodes de sept jours (semaine) n’existait pas dans le système chronologique de l’Antiquité iranienne, une question légitime se pose concernant les allusions faites dans la littérature persane – comme Le Livre des Rois (Shâhnâmeh) de Ferdowsi et Les Sept idoles de Nezâmi – à la semaine (hafteh) et aux jours de la semaine. En voici quelques exemples dans Le Livre des Rois de Ferdowsi :
« Il travailla dur pendant une semaine, jusqu’à ce qu’il monta sur le trône. » [2]
« Le médecin traita le malade par des médicaments pendant une semaine. » [3]
« Au Yémen, hommes, femmes et enfants se révoltèrent durant deux semaines. » [4]
Massoud Sa’ad Salmân a cité, dans plusieurs poèmes en persan moyen, les noms des jours de la semaine ainsi que le lien supposé de chacun des jours de la semaine avec les corps célestes. [5] Par ailleurs, dans Les Sept idoles de Nezâmi, le poète relate que le roi sassanide Bahrâm passait chaque jour de la semaine en compagnie des princes et des princesses de sept pays différents.
Selon les recherches menées sur le calendrier yazdgard qui est le système de chronologie le plus ancien que nous connaissons en Iran, la division du temps en périodes de sept jours (semaine) n’existait pas dans l’Antiquité iranienne. Cependant, il y a plusieurs rapports qui indiquent l’éventualité de l’existence de la semaine dans la Perse antique. En effet, ces rapports et documents créent certaines ambiguïtés dans notre compréhension du calendrier yazdgard de la fin de l’époque sassanide.
Le premier rapport est celui qui indique le jour de la mort de Mani : « Le père de la lumière monta au ciel le lundi, le jour Shahrivar, le mois Shahrivar de l’an onze, dans la province du Khûzistân, dans la ville de Bel Labat (Gondishâpour). » [6] Le deuxième rapport a été cité par Djahiz : « A l’époque des Sassanides, si Norouz (jour de l’an) coïncidait avec samedi, le roi donnait l’ordre au chef des Juifs de payer 4000 drachmes à la cour. » [7] Mme Badrozzammân Qarib a conclu de l’examen de ces deux rapports que, sous les Sassanides, la division du temps en semaine existait déjà en Iran. Elle a donc critiqué les études de Rezâ Abdollahi que nous avons cité au début du présent article. [8] Outre le rapport sur la date du trépas de Mani, d’autres textes appartenant aux Manichéens exilés en Chine à l’époque des rois sassanides indiquent également les noms des jours de la semaine.
A propos des noms appartenant au système de chronologie iranienne utilisés dans l’Antiquité chinoise, Kong Fang Gen écrit : « Un texte de l’astronomie bouddhiste intitulé Discours de Buddhistava Manchuseri et des sages sur les jours de bon et de mauvais augure et les astres de bon et de mauvais augure a été traduit en 759 de notre ère, du sanskrit au chinois. En 764, Yang Ching Feng a rédigé un commentaire sur cet ouvrage. Dans ce deuxième texte, la forme chinoise des noms de sept corps célestes [9], est visiblement tirée des langues sogdienne et persane moyenne :
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Persan moyen |
Chinois |
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Sogdien |
Chinois |
Dimanche |
Yu-shambat |
yag-sen-wu |
Soleil |
Mehr=Mitra |
Mi |
Lundi |
Do-shambat |
iu-huo-sen-wu |
Lune |
Mah=Mâh |
Mo |
Mardi |
Sé-shambat |
shi-sen-wu |
Mars |
Varhan=Bahrâm |
Yun-han |
Mercredi |
Tchar-shambat |
zhi-sen-wu |
Mercure |
Tir=Tashtar |
Hi |
Jeudi |
Panj-shambat |
ben-sen-wu |
Jupiter |
Ourmazd=Ourmazd |
Gu-wu |
Vendredi |
Sesh-shambat |
shu-sen-wu |
Vénus |
Nahid=Anahita |
Na-hei |
Samedi |
Shambat |
hi-sen-wu |
Saturne |
Jian=Keyvan |
Zhi-yuan [10] |
Plus loin, il ajoute : « Les Manichéens utilisaient à la fois les noms religieux et des nombres cardinaux pour désigner les jours de la semaine. Les deux dénominations ont été enregistrées dans les deux textes de "Mog-Tag" et "Tourfan". Cependant, la plupart des Manichéens qui vivaient en Chine se servaient des dénominations sacrées pour désigner les jours de la semaine. Dans la traduction en chinois du "Chapitre II des chants manichéens", le nom de deux jours de la semaine : Mehr et Mah (dimanche et lundi) ont été cité en tant que jours de jeûne. Outre les exilés iraniens, les Nestoriens qui vivaient en Chine utilisaient eux aussi les noms persans des jours de la semaine. Dans l’épigraphe nestorienne appelée "Hian", écrite en chinois et en syriaque, la date de l’emplacement de l’épigraphe est indiquée par un mot chinois (« yw-šmbt ») qui veut dire "yek-shanbeh" (dimanche). » [11]
En ce qui concerne les textes manichéens, il faut savoir qu’il est possible de les interpréter de différentes façons. En premier lieu, ils ne nous permettent pas de conclure avec certitude que la division du temps en semaine aurait existé dans la chronologie yazdgardienne. Par ailleurs, il est probable que les disciples de Mani aient emprunté le système de la division du temps en semaine aux adeptes d’autres religions dont le christianisme ou le judaïsme. En outre, il ne faut pas perdre de vue que Mani était né à Babylone, en Mésopotamie, où la division du temps en période de sept jours avait été inventée, pour la première fois, apparemment par les Chaldéens.
En second lieu, les textes manichéens se réfèrent à la fois à deux systèmes de chronologie différents : d’une part, ces textes se servent de la dénomination des jours et des mois dans le système de chronologie yazdgardien, et d’autre part, s’appuient sur l’usage de noms des jours de la semaine, propre aux systèmes de chronologie mésopotamiens.
Lundi |
Le jour Shahrivar, le mois Shahrivar de l’an onze |
Système mésopotamien |
Système yazdgardien |
Des cas similaires ont été remarqués sur les anciennes pierres tombales découvertes près de la ville de Yazd. Dans ces documents appartenant à la période islamique, les éléments de la chronologie yazdgardienne et de la chronologie de l’Hégire lunaire sont utilisés les uns à côtés des autres. Dans le cimetière du village de Roud Bezan ("Ruze Bezun" dans le dialecte local), les chercheurs ont découvert une pierre tombale avec une inscription en arabe : « Voici le tombeau du martyr Hadji Bou Bakr ibn Mohammad Basti Benar (?), date : mois de Bahman de l’an 772 (de l’Hégire). » [12] Il est évident, qu’il serait faux de croire que les noms persans des mois de l’année auraient été utilisés dans le système de chronologie de l’Hégire lunaire. Cependant, il est tout à fait possible de conclure que l’auteur de cette inscription tombale vivait à une époque ou les éléments de deux systèmes de chronologie de Yazdgard et de l’Hégire lunaire étaient utilisés simultanément.
En réalité, les structures des deux systèmes de l’Hégire lunaire et de l’Hégire solaire sont tellement différentes qu’il serait totalement impossible de se servir du système des mois du calendrier solaire (Hégire solaire ou Yazdgard) pour désigner les mois de l’année du calendrier de l’Hégire lunaire. Par contre, on peut envisager théoriquement l’usage combiné des systèmes des mois dans les systèmes de chronologie grégorien, séleucide ou yazdgardien. Par conséquent, on peut imaginer la possibilité de dire « Mars » au lieu de « Farvardin », ou de dire « Nissan » à la place de « Ordibehesht ». Certes, ces mois appartenant aux différents systèmes de chronologie ne correspondent pas exactement à la même période de temps, mais les couples Mars/Farvardin ou Nissan/Ordibehesht ont en commun leur immobilité complète dans l’organisation chronologique de l’année. Autrement dit, ces deux systèmes sont basés, l’un comme l’autre, sur la chronologie solaire. Dans les deux systèmes, l’année compte 365 jours. En outre, le calcul précis des bissextes permet de fixer le système dans le cycle solaire. Par contre, l’année ne dure que 354 jours dans la chronologie lunaire. Par conséquent, les mois de l’année lunaire ne sont pas immobiles dans un système de chronologie solaire. Ceci étant dit, il serait impossible de vouloir faire correspondre, par exemple, le mois de « Moharram » au mois de « Farvardin ». Etant donné cette difficulté structurelle, l’hypothèse de l’existence, dans le passé, d’une sorte de combinaison entre des systèmes de chronologie, dépendrait de l’existence de documents historiques solides : livres, documents écrits, etc.
Par conséquent, l’usage de la division du temps en semaine par les Manichéens à l’intérieur du système de chronologie yazdgardienne ne prouve pas nécessairement que tous les Iraniens utilisaient la division du temps en sept jours, ni l’appartenance structurelle de cette division au système de chronologie de l’Antiquité iranienne.
Quant au rapport de Djahiz qui dit : « A l’époque des Sassanides, si Norouz (jour de l’an) coïncidait avec samedi, le roi donnait l’ordre au chef des Juifs de payer 4000 drachmes à la cour. Personne n’en connaissait la raison. C’était donc une coutume de la cour, comme la collecte d’impôt que doivent payer les non musulmans au souverain musulman. » [13] Ce rapport ne suffit pas à prouver l’usage de la semaine dans la chronologie de l’époque des Sassanides. La seule conclusion que l’on pourrait en tirer est que les rois sassanides se servaient, peut-être, de la coïncidence d’une fête nationale (Norouz) avec le sabbat (jour de repos et de culte divin que les Juifs doivent observer le samedi) pour exploiter une minorité religieuse et ethnique.
La même chose est pourtant arrivée dans le sens inverse, sous les califes omeyyades. Admirant à l’extrême les valeurs socioculturelles arabes, les Omeyyades méprisaient les Iraniens, leur civilisation et leurs us et coutumes. Le mépris et les restrictions sociales et légales qu’ils imposaient aux Iraniens ont poussé ces derniers à déclencher un mouvement de résistance contre la discrimination arabe pendant les premiers siècles de l’islamisation de l’Iran. Il est à noter que ces mêmes califes omeyyades ont ressuscité la tradition des cadeaux de Norouz à la cour en vue d’augmenter leurs revenus. En d’autres termes, les califes omeyyades imposaient aux Iraniens un impôt supplémentaire sous prétexte d’assurer le respect des traditions anciennes des Iraniens. Hadjâdj ibn Youssef a été le premier calife omeyyade à demander aux Iraniens des « cadeaux » à l’occasion des fêtes de Norouz et de Mehregân. Quelques années plus tard, le calife Omar ibn Abdelaziz l’a aboli, en raison du fardeau supplémentaire que ces soi-disant « cadeaux » imposaient à la population. [14] Il semblerait qu’à l’époque de Muawiya, premier calife de la dynastie des Omeyyades, la valeur de ces « cadeaux » de Norouz que les Iraniens devaient payer à la cour s’élevait à plus de 10 millions de drachmes. [15] Certes, cette pratique abusive des califes omeyyades ne signifie pas que Norouz aurait existé dans le calendrier islamique de l’Hégire lunaire ou qu’une sorte de combinaison aurait pu exister entre le calendrier lunaire de l’Hégire et le calendrier solaire de Yazdgard. En réalité, toute combinaison entre les deux calendriers, l’une solaire et l’autre lunaire, est impossible. Par conséquent, l’explication la plus vraisemblable qui existe pour la demande du roi sassanide au chef de la communauté juive serait uniquement que cette fête servait de prétexte au roi pour imposer une taxe supplémentaire.
Au-delà de quelques rapports appartenant à la période islamique [16], les textes importants des premiers siècles musulmans – ouvrages historiques ou tableaux astronomiques et ouvrages consacrés à la chronologie – ne font aucune allusion à l’existence de la notion de « semaine » dans le système chronologique sassanide. Par ailleurs, les textes religieux zoroastriens tels que l’Avestâ, le Bondaheshn, Shâyast ni shâyast, etc. ou les ouvrages profanes en pahlavi tels que Le Livre d’Ardeshir Bâbakân et l’Arbre asourik ne font aucune mention des jours de la semaine. Les textes importants des premiers siècles de la période islamique, comme les ouvrages d’Abou Reyhân al-Birouni, ou les ouvrages des astronomes iraniens tels que Nassir al-Din Toussi, ne font aucune allusion à l’existence de la semaine dans le système de chronologie yazdgardien à l’époque de l’Empire sassanide.
Cependant, les textes manichéens nous apprennent que les Iraniens de l’Antiquité connaissaient la notion de semaine, en tant qu’élément étranger à leur propre système de chronologie, sans vouloir pour autant l’intégrer à leur système officiel.
Entre le système de chronologie yazdgardien et l’usage courant de la notion de « semaine » telle qu’elle a été définie dans les systèmes de la division du temps en Mésopotamie et dans la culture sémite, quelques vers du Livre des Rois de Ferdowsi semblent pouvoir nous indiquer l’existence d’un maillon perdu de la chaîne. Dans ces poésies de Ferdowsi, il paraît que le mot semaine (en persan : hafteh, ¾Tںہ qui veut dire littéralement : « un groupe de sept ») n’est pas utilisé dans sa signification courante, mais en tant que « durée de sept jours consécutifs » :
« Ils passèrent une semaine à célébrer la fête et à boire du vin. Le huitième (jour), ils partirent comme il était convenu d’avance ». [17]
Comme on le voit dans ces vers, il s’agit non pas d’une « semaine » de convention, mais d’une durée de temps : sept jours durant. En réalité, pour exprimer la durée, Ferdowsi a utilisé le mot de convention « la semaine ». S’agit-il du sens propre du terme (7 jours durant) ou d’un sens figuré (5, 6, 7 ou 8 jours) ? Impossible d’y répondre, faute d’accès aux sources et aux documents utilisés par le poète.
Le Livre des Rois appartient à l’époque où les différentes civilisations du monde ancien attribuaient des propriétés mystérieuses ou sacrées au chiffre 7. C’est la raison pour laquelle Ferdowsi utilisait parfois le terme de « deux fois sept » au lieu du chiffre 14 :
« Lorsque son règne arriva à deux fois sept ans, il dut quitter le trône. » [18]
« Le jeune monarque avait deux fois sept (ans). » [19]
« Lorsque le jeune roi mourut, il avait deux fois sept (ans). » [20]
Dans un autre récit du Livre des Rois, Ferdowsi utilise encore une fois l’expression « deux fois sept » à la place de « quatorze », l) où Gostahm choisit quatorze combattants courageux parmi les soldats de l’armée du roi sassanide Khosrô Abharvez (en persan : Khosrô Parviz) :
« Cherchant dans la cavalerie, Gostahm choisit quatorze combattants courageux. » [21]
« Il quitta le camp, après avoir choisi deux fois sept combattants. » [22]
« Il laissa le commandement de l’armée au roi lui-même, et il partit en compagnie des quatorze combattants. » [23]
« Vous êtes quatorze, tandis que vos adversaires ne sont que trois. Faites donc attention à ne pas perdre la bataille. » [24]
Ferdowsi a également utilisé l’expression « lune de deux semaines » ou « lune de deux fois sept » pour désigner « la pleine lune » :
« Le roi organisa une fête aussi belle que la lune de quatorze jours. » [25]
« La grandeur royale le quitta, comme la lune de deux semaines qui quitte la cime des arbres. » [26]
« La grandeur royale le quitta, comme la lune de deux fois sept (jours) qui quitte la cime des arbres. » [27]
Dans le Livre des Rois, Ferdowsi n’a fait allusion que deux fois aux jours de la semaine ou plus précisément à mercredi (« tchârshanbad » dans le texte) :
« Bahrâm se décida à faire la guerre, et il quitta l’Iran pour le pays des Turcs.
« Son astronome lui dit de ne pas partir mercredi pour la guerre.
« Sinon un malheur te frappera, lui dit-il.
« Au milieu du camp, il y avait un jardin.
« Le roi s’y rendit mercredi matin. Nous nous y amuserons toute la journée, dit-il. » [28]
M. Khâleqi Motlaq qui a examiné les manuscrits anciens du Livre des Rois, explique dans les notes qu’il a écrites à propos de ces vers que l’usage du terme « mercredi » trouve son origine dans la culture et les croyances arabes. [29]
Les noms des jours de la semaine ne sont utilisés que deux fois dans le Livre des Rois de Ferdowsi, ce qui pourrait nous permettre de retrouver le maillon perdu de la chaîne qui nous permettra de comprendre la place et l’usage de la division du temps en semaine dans l’Antiquité iranienne.
Dans les traditions astronomiques de la Mésopotamie, les astres étaient considérés comme des puissances mystérieuses, capables d’exercer leur influence sur la vie des humains. Par ailleurs, chaque jour de la semaine était dédié à l’un des sept corps célestes connu de longue date. Cela avait amené les habitants de la Mésopotamie à respecter quotidiennement les augures dans leurs entreprises journalières. Selon les croyances mésopotamiennes, chacun des sept corps célestes se situait à un niveau différent du ciel, et il exerçait son bon ou mauvais augure sur la vie des hommes. A titre d’exemple, Jupiter était l’astre de jeudi et il était considéré comme la bonne étoile et le bon augure suprême.
Les Iraniens ne partageaient pas ces croyances, et ce d’autant plus qu’ils étaient zoroastriens et qu’elles étaient pour eux les dérives d’une culture païenne. Dans leur calendrier, le calendrier yazdgard, les jours de l’année étaient chacun dédié à Dieu, aux anges et aux astres de bon augure. En d’autres termes, aucun jour n’était l’égal de Saturne (l’étoile du mauvais augure par excellence) ou de Jupiter du calendrier mésopotamien. Dans le calendrier yazdgardien, les noms de quatre étoiles étaient utilisés pour désigner les jours du mois :
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Jour de la semaine |
Jour du mois |
Soleil |
Dimanche |
11ème jour du mois |
Lune |
Lundi |
12ème jour du mois |
Mercure |
Mercredi |
13ème jour du mois |
Mars |
Mardi |
20ème jour du mois |
Comme nous le montre ce tableau, il n’existe aucun lien significatif entre les jours de la semaine et les jours du calendrier yazdgard homonymes. Par conséquent, il est difficile d’établir un quelconque lien entre les croyances mésopotamiennes et le système de chronologie yazdgardien. Par ailleurs, l’absence des trois autres étoiles dans la nomination des jours de l’année dans le calendrier yazdgard montre clairement l’absence des croyances similaires à celles en vigueur en Mésopotamie. En effet, le nom d’aucun astre supposé être de mauvais augure (Saturne ou Mars) n’a été choisi pour désigner le 13ème jour du mois.
Bien que la division du temps en sept jours (semaine) se soit propagée dans la plupart des calendriers du monde ancien, elle n’a pas du tout influencé le calendrier officiel de l’Antiquité iranienne, et ce en raison du rejet des croyances mésopotamiennes par les Iraniens dont la majorité était zoroastrienne.
Mais si l’idée de la semaine n’est pas officiellement entrée dans le système chronologique impérial iranien, elle s’est pourtant répandue officieusement parmi les Iraniens. Cependant, l’absence des noms des jours de la semaine dans les dates indiquées par Ferdowsi dans le Livre des Rois est significative. Prenons, par exemple, les vers dans lesquels Ferdowsi annonce la date de naissance du roi sassanide Bahrâm V :
« Sept ans s’écoulèrent après le couronnement de Yazgdard Ier>. » [30]
« Le premier jour du mois Farvardin de la huitième année,
« Le roi eut un fils le jour de Hormozd, un jour de très bon augure.
« L’enfant fut nommé Bahrâm
« Tous les astronomes confirmèrent le bon augure du jour de sa naissance. » [31] Pour indiquer la date de naissance de Bahrâm V, Ferdowsi utilise les règles du calendrier yazdgard : le jour Hormozd (premier jour) du mois Farvardin de l’an 8 du règne de Yazdgard Ier. Ensuite, en parlant du bon augure du jour de la naissance de Bahrâm V qui coïncidait d’ailleurs avec Norouz (jour de l’an), Ferdowsi ne mentionne pas le jour de la semaine. L’absence du nom du jour de la semaine est curieuse, car il s’agissait en fait d’un jeudi, jour le plus heureux de la semaine selon les croyances mésopotamiennes :
1er Farvardin de l’an 8 du règne de Yazdgard Ier = Jeudi 21 mars 407 julien.
En tout état de cause, ces indices nous montrent que l’idée de la semaine et de la division du temps en sept jours existait parmi les Iraniens en tant que croyance astrologique, mais elle ne faisait pas partie du système de chronologie officielle. Par contre, pour les peuples anciens dont le calendrier était fondé sur la chronologie lunaire, la semaine avait une importance toute particulière, car un mois lunaire peut être très facilement partagé en quatre semaines. Ceci alors que les Iraniens et les autres peuples qui se servaient des calendriers solaires (comme les peuples turcs) s’intéressaient moins à l’idée de diviser le temps en groupes de sept jours.
La civilisation judaïque a été fortement influencée par les croyances et les us et coutumes mésopotamiens. [32]
En effet, le calendrier juif compte parmi les plus anciens qui utilisent la semaine en tant qu’unité de temps. [33] Les Arabes ont subi les mêmes influences mésopotamiennes avant leur immigration vers le sud de la péninsule arabique et le Yémen. [34] Après l’islam, cette tradition chronologique a été transférée au système de chronologie islamique, lui aussi basé sur la chronologie lunaire.
Après l’apparition du christianisme, les adeptes de cette religion ont très vite adopté l’idée de la semaine et les croyances liées à cette division du temps, véhiculées par la culture judaïque. Cependant, le calendrier romain n’a reconnu officiellement la division du temps en semaine qu’en 321 sous le règne de Constantin Ier (v. 274-337 apr. J.-C.), premier empereur romain à s’être converti au christianisme. A cette époque-là, les jours de la semaine n’avaient pas encore de noms et étaient souvent désignés en chiffre. Bien que la dénomination des jours de la semaine par les noms des corps célestes ait été inventée plusieurs siècles avant cette date, la chronologie chrétienne n’a été adoptée que plus tard. C’est pour cela que les noms de sept étoiles ont été choisis pour désigner les jours de la semaine : Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus et Saturne. [35]
Quant aux Grecs, ils connaissaient les croyances astrologiques des civilisations mésopotamiennes, notamment babyloniennes. [36] La division du temps en périodes de sept jours et des croyances liées à cette division existent également parmi les civilisations moins connues, telles que celle des Sabéens, pour qui le dimanche était le premier jour de la semaine. [37]
Tableau des noms des jours et des croyances liées à chaque jour de la semaine | ||||||||
( *indique le premier jour de la semaine) |
Croyances | |||||||
Français |
Sabéen |
Arabe |
Arabe
|
Indien
|
Persan |
Niveau
|
Astre |
Croyances anciennes |
Samedi |
قرنس |
شیار |
*یوم السبت |
شنیسشچربار
|
*شنبه |
7 |
Saturne |
Le pire augure |
Dimanche* |
*ایلیوس |
*اول |
يوم الاحد
|
آدت بار
|
یکشنبه |
4 |
Soleil |
Bon ou mauvais augure
|
Lundi |
سین |
اهون |
يوم الاثنين |
سوم بار
|
دوشنبه |
1 |
Lune |
- |
Mardi |
آریس |
جبار |
يوم الثلاثاء
|
منکل بار
|
سه شنبه |
5 |
Mars |
Le petit mauvais augure |
Mercredi |
نابق |
دیار |
يوم الاربعاء |
بُدَبار
|
چهارشنبه |
2 |
Mercure |
- |
Jeudi |
یال |
مونس |
يوم الخميس |
برهسپت بار
|
پنج شنبه |
6 |
Jupiter |
Le meilleur augure |
Vendredi |
بلثا |
عروبة |
يوم ازهر
|
شُکربار
|
آدینه |
3 |
Vénus |
Le petit bon augure |
Plusieurs facteurs nous amènent à conclure que les Iraniens connaissaient le système de division du temps en période de sept jours (semaine) : les cultures et les civilisations voisines utilisaient toutes ce système, et certains Iraniens (comme les Manichéens) l’ont utilisé à leur tour. Cependant, cette connaissance n’a pas abouti à une reconnaissance officielle de la division du temps en période de sept jours dans le système chronologique antique de l’Iran, la raison étant que la culture zoroastrienne, dominante, considérait la semaine, liée pour elle aux croyances astrologiques étrangères, comme synonyme d’une certaine vulgarité dénuée de distinction.
Cela pourrait nous conduire à mettre en doute l’origine des us et coutumes liés d’une manière ou d’une autre aux jours de la semaine comme le Tchâhârshanbeh-Souri, fête attribuée à l’Antiquité iranienne alors qu’elle n’existait vraisemblablement pas dans l’Iran et qu’elle a été probablement inventée après la chute de l’empire des Sassanides.
Les récits anciens, tels que Les Sept idoles de Nezâmi qui relatent la construction de sept palais au nombre des sept jours de la semaine par le roi sassanide Bahrâm V, sont fondés sur des croyances distinctes des principes de la chronologie officielle des Iraniens. En effet, ces récits se réfèrent à des éléments étrangers aux Iraniens, datant d’avant l’islamisation du pays. Cependant, il est à rappeler que le roi Bahrâm V avait passé son enfance parmi les membres de la tribu arabe d’Al-Monzar. Par conséquent, nous pouvons avancer trois hypothèses :
1- Bahrâm avait accepté l’idée de « semaine » sous l’influence de la culture arabe, et il a pris des décisions blâmables selon ses contemporains zoroastriens, ce qui a amené ces derniers à falsifier les récits relatifs à la vie de ce roi.
2- Ces récits ont été inventés par des peuples non zoroastriens comme les Sabéens. [38]
3- Les récits des Sept idoles de Nezâmi sont le fruit de l’imaginaire collectif des Iraniens après l’arrivée de l’islam, d’où le recours à l’idée de « semaine », composante de la chronologie lunaire des Musulmans. Dans l’œuvre de Nezâmi, le samedi est le premier jour de la semaine, à l’instar du système arabe, tandis que pour les Manichéens et selon les documents sogdiens de l’époque des Sassanides, le dimanche était considéré comme le premier jour de la semaine.
[1] Pour plus d’information voir : Yaqoubi (1968, p. 217), Massoudi (1968, p 555), Birouni (1973, p. 75), … Pour connaître les sources auxquelles se réfère Abdollahi, se référer à Abdollahi, Rezâ, L’Histoire de l’Histoire en Iran, éd. Amir Kabir, Téhéran, 1er éd. 1987, p.82.
[2] Ferdowsi Toussi, Abolqâssem, Le Livre des Rois, corrigé par Djalâl Khâleqi Motlaq, sous la direction de Ehsân Yârshâter, éd. Rouzbehân, Téhéran, 1er éd., 1991, Vol.6, p.266.
[3] Ibid., Vol.6, p.386.
[4] Ibid., Vol.6, p.392.
[5] Cf. Sa’ad Salmân, Massoud, Œuvres complètes, corrigé par Rashid Yâssemi, éd. Amir Kabir, Téhéran, 2ème éd., 1983, pp.668-669.
[6] Qarib, Badrozzamân, La semaine dans l’Antiquité iranienne, une étude sur Les Sept idoles de Nezâmi et les textes manichéens, in "Nâmeh Farhangestân", 3ème année, No.4, hiver 1997, p.29.
[7] Ibid., p.33.
[8] Ibid., p.30.
[9] Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus et Saturne.
[10] Kong, Fang Gen, Les noms de la chronologie iranienne dans l’Antiquité chinoise, traduit en persan par Mohammad Bâqeri, in "Tahqiqât-e eslâmi" (Recherches islamiques), Revue de la Fondation de l’Encyclopédie islamique, numéro consacré à l’Histoire des sciences, 8ème année, printemps et été 1993, n° 1 & 2, p.141.
[11] Ibid., p.142.
[12] Afshâr, Iraj, Les Souvenirs de Yazd, Téhéran, éd. De l’Associations de l’Héritage national, 1969, Vol. 1, p.251.
[13] Djâhiz, Omar ben Bahr, Les Avantages et les inconvénients, corrigé par ’Assem Aitani, Beyrouth, éd. Dar al-Ihyâ al-Oloum, 1er éd., 1986, p.233.
[14] Shokri al-Toussi, Mahmoud, La connaissance des mœurs arabes, corrigé par Mohammad Behjat al-Assri, Egypte, éd. Kotob al-Hadith, 3ème éd., Vol.1, 1342 de l’Hégire, p.350.
[15] Zeidan, Georgy, L’Histoire de la civilisation musulmane, textes réunis par Hossein Mounes, Le Caire, éd. Dar al-Helal, date : ?, Vol.2, p.27.
[16] Qarib, op.cit., p.33.
[17] Ferdowsi Toussi, Abolqâssem, Le Livre des Rois, corrigé par Djalâl Khâleqi Motlaq, sous la direction de Ehsân Yârshâter, éd. Rouzbehân, Téhéran, 1er éd., 1991, Vol.2, p.316.
[18] Ibid., Vol.6, p.104.
[19] Ibid., Vol.6, p.356.
[20] Ibid., Vol.6, p.357.
[21] Ibid., Vol.8, p.139.
[22] Ibid., Vol.8, p.140.
[23] Ibid., Vol.8, p.141.
[24] Ibid., Vol.8, p.142.
[25] Ibid., Vol.1, p.253.
[26] Ibid., Vol.1, p.22.
[27] Ibid., Vol.3, p.395.
[28] Ibid., Vol.7, p.553.
[29] Ibid.
[30] Ibid., Vol.6, p.266.
[31] Ibid., Vol.6, p.363.
[32] Pour plus d’information sur la « semaine », dans le calendrier juif, voir : Birouni, Abou Reyhân, Al-Tafhim, p.232. et Athâr al-Bâqieh, p.85.
[33] L’exil des Juifs à Babylone à l’époque de Nabuchodonosor (décédé en 561 av. J.-C.) est probablement la principale explication de l’influence des civilisations mésopotamiennes sur la culture judaïque.
[34] Massoudi cite les noms des jours de la semaine de la culture arabe préislamique. Ces nominations étaient complètement différentes des noms des jours de la semaine utilisés par les Arabes après l’islam. (Voir Massoudi, Ali ibn Hossein, Morouj al-Zahab va Ma’âden al-Johar, traduit en persan par Abolqâssem Pâyandeh, Téhéran, éd. Maison d’éditions scientifiques et culturelles, 7ème éd., hiver 2003, Vol.2, p.559.)
[35] Abdollahi, Rezâ, Recherche sur les chronologies islamique et chrétienne, Téhéran, éd. Amir Kabir, 1er éd., 1986, p.42.
[36] A ce propos, Banâ’i a écrit : « Les Grecs connaissaient fort probablement l’idée de la division du temps en semaine, qu’ils avaient appris des Juifs. Plus tard, à l’instar des Romains, les Grecs se sont servis des noms de leurs dieux pour désigner les jours de la semaine. » (Banâ’i, Abolfazl , Histoire de la chronologie, Téhéran, éd. des publications universitaires en sciences humaines, 3ème éd., hiver 2006, p.166.)
[37] Cf. Ibn Nadim, Mohammad ibn Is’haq, L’Inventaire, traduit en persan par Mohammad-Rezâ Tadjadod, Téhéran, éd. Assâtir, 1er éd. 2002, p.571.
[38] Mme Živa Vessel a fait une recherche intéressante sur le rôle des astres dans la culture sabéenne et son influence sur les récits de "Haft Peykar" (Les Sept idoles). Voir : Vessel, Živa, Réminiscences de la magie astrale dans le Haft Peykar de Nezâmi, Studia Iranica, 24, 1995, pp.7-18.