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Les grandes bibliothèques islamiques en Iran
Nayereh Djoshaghani
Traduction et adaptation par
A l’époque de la pénétration de l’islam en Iran en 634, l’Iran comptait plus de 600 bibliothèques qui attiraient un grand nombre de savants et de philosophes de nombreux pays et régions reculées, dont l’Andalousie de l’époque, venus en Iran pour bénéficier des bibliothèques et des centres culturels du pays.
La Bibliothèque d’Abol-vafâ Ibn Salmeh dans la province de Hamadân comptait parmi les bibliothèques les plus anciennes de l’Iran après l’islam. Elle conservait d’importants ouvrages évoquant les problèmes courants de l’époque et les événements historiques, notamment ceux du Xe siècle. La Bibliothèque de l’observatoire de Marâgheh, construite grâce aux efforts de Khâdjeh Nassireddin Toussi (1201-1274) [1], rassemblait également des trésors bibliographiques iraniens. Outre les ouvrages scientifiques, la bibliothèque, qui avoisine l’observatoire, contenait également certains manuscrits d’ouvrages remarquables provenant de nombreuses villes du monde islamique de l’époque dont Bagdad, Damas, et la région du Khorâssân. Afin de préserver les ouvrages précieux dans les bibliothèques notamment des risques de pillage auxquels ils étaient régulièrement exposés, les gouverneurs de l’époque décidèrent de les envoyer à la Bibliothèque de Marâgheh où ils seraient bien gardés. De même, Khâdjeh Nassireddin Toussi chargea de nombreux missionnaires de trouver et d’acheter des manuscrits précieux dans de nombreux pays. C’est ainsi que sa bibliothèque rassemblait près de 400 000 ouvrages.
Au XVe siècle, la Bibliothèque de Sheikh Sâfi al-Din Ardabili [2] était connue comme un lieu où se trouvaient d’importants manuscrits historiques, dont une majorité écrite par les disciples du Sheikh. Au XXe siècle, sous le règne de Fath Ali Shâh Qâdjâr et à la suite de la guerre entre l’Iran et la Russie (1961-1964), ces manuscrits furent emportés à Tiflis afin d’effectuer des recherches à leur sujet. Ils sont actuellement à l’Institut des Etudes Orientales à Leningrad.
Au Xe siècle, la dynastie samanide [3] qui avait la mainmise sur la province du Khorâssân et la Transoxiane et était adepte de l’ismaélisme [4], essaya d’y répandre ses idées au travers de la diffusion d’ouvrages religieux et philosophiques. Elle bâtit dans ce but plusieurs bibliothèques à Boukharâ, sa capitale. Dans la bibliothèque de Nouh Ibn Mansour, de nombreux ouvrages sur des sujets très divers étaient disponibles. Avicenne décrit en ces termes la bibliothèque de Nouh Ibn Mansour : « Dans cette bibliothèque, j’ai trouvé des livres dont les gens n’avaient même pas entendu parler. J’y ai lu des manuscrits que je n’avais jamais vus de ma vie. Je ne les ai par la suite retrouvés nulle part ailleurs. »
La bibliothèque d’Astân-e Ghods-e Razavi dans la ville de Mashhad, ayant plus de mille ans, a résisté aux destructions de l’histoire. En 1969, à la suite de la reconstruction du bâtiment, plusieurs ouvrages dont quelques Corans précieux datant des Xe et XIe siècles y ont été retrouvés. A Shiraz, la bibliothèque d’Azd-od-Doleh Balami était unique. Ce dernier avait commandé des ouvrages par sujet de façon à pouvoir les classer et consacrer chaque pièce à un domaine spécifique. La description faite par le peintre de sa bibliothèque, permet d’imaginer son importance : « Je n’ai jamais vu une telle bibliothèque dans le monde islamique. On dirait qu’elle est le paradis terrestre. » Moghadassi, quant à lui, ajouta : « On y trouve une copie de tout livre écrit jusqu’à aujourd’hui. »
La ville de Rey possédait également des bibliothèques remarquables dont celle de Sâheb Ibn Ebâd qui comprenait près de 117 000 ouvrages et manuscrits précieux. Plus tard, il la nomma Dar-ol Ketâb (la maison des livres) et l’ouvrit à l’ensemble de la population. Ainsi, les ouvrages rares furent facilement à la disposition des chercheurs et des amateurs. On suppose que le nombre de ses livres dépassaient les 300 000.
Les bibliothèques des grandes villes du Khorâssân comptaient parmi les centres culturels les plus importants de l’époque. Parmi elles, les plus connues furent la bibliothèque de Massoud Ibn Ibrâhim Ghaznavi, appartenant au fameux poète de XIIIe siècle, Massoud Ibn Sa’ad-e Salmân, la bibliothèque de l’Imam Mohammad Ghazzâli dans la ville de Tous, les bibliothèques de Sâbounieh et de Nezâmieh à Neyshâbour, les bibliothèques de Rashidoddin et de Tavat à Khârezm.
Quant aux bibliothèques des autres villes d’Iran, nous pouvons mentionner les bibliothèques de Nezâmieh d’Ispahan, de Seyyed Hassan Sabbâh, de Fâzel Déilami, de Shams al-Maâli à Tabas, la bibliothèque de Rostam-e Shahriâr à Rey, et enfin, celles d’Anoushirvân à Kâshân et de Rashidi à Tabriz. L’ampleur et la richesse de ces bibliothèques et centres de recherche soulignent également l’avancement et le développement de la culture des Iraniens de l’époque. Certaines de ces bibliothèques ont survécu jusqu’à nos jours et font partie des trésors culturels et scientifiques de l’Iran.
Bibliographie
Azâdi, Assadollah, Shenâkht-e Ketâb va Ketâbkhâni (Introduction à la connaissance du livre et de la lecture), Mashhad, Bibliothèque d’Astân-e Ghods-e Razavi.
Hakimi, Esmâ’il, Naghsh-e Irâniân dar Sâkht-e Ketâbkhânehây-e Eslâmi ta Qarn-e Hashtom-e Hejri (Le rôle des Iraniens dans la construction des bibliothèques islamiques jusqu’au XVe siècle), Mashhad, l’Université de Mashhad, Bibliothèque Centrale et le Centre de Documentation, 1981.
Farahzâd, Mohammad, Pâyeh-e Ketâbkhânehhâ dar Jahân (La base des bibliothèques dans le monde), "La revue bibliographique", No. 24 et 25, 1996.
[1] Khâdjeh Nâssireddin Toussi fut un grand philosophe, orateur, mathématicien, astronome, théologien et médecin né à Tous en 1201 et mort en 1274. Il construisit un observatoire qui devint le plus grand de son époque. Il écrivit également nombreux livres dont Sharh al-Eshârât va al-Tanbihât et Akhlâq-e Hasiri, traité de morale devenu un classique.
[2] Sheikh Sâfi al-Din Ardabili (1252-1334) fut un grand mystique iranien à l’époque de la dynastie safavide. Il est notamment l’auteur de Kara Medjmua (Le livre noir).
[3] Les Samanides (874-1004) furent une dynastie persanophone qui régna plus d’un siècle sur l’Iran d’aujourd’hui, l’Afghanistan et l’Asie Centrale. Ils ont accédés au pouvoir en Iran après l’invasion arabe.
[4] L’ismaélisme est une branche du chiisme qui considère que le dernier imam est Ismâ’ël, fils du sixième Imam Ja’far.