N° 137, avril 2017

La mosquée dans les poèmes de Hâfez et Mowlavi*


Hamid Ghanbari
Résumé et traduction par :

Khadidjeh Nâderi Beni


Mosquée imaginaire, œuvre de Hâdj Mosaver ol-Molki

En analysant selon une approche intertextuelle les textes littéraires persans, il apparaît qu’il existe un lien de dépendance et d’influence mutuelle entre la littérature persane et la mosquée en tant que lieu sacré pour prier un Dieu unique. Le thème de la mosquée a été une importante source d’inspiration pour les poètes iraniens versés dans les thématiques religieuses. Depuis l’arrivée de l’islam jusqu’à nos jours, la littérature persane a considérablement participé à l’enrichissement de la spiritualité de ce lieu sacré aussi bien que sa popularité chez les Iraniens. Par exemple, chaque année à l’occasion de Moharram, mois de deuil pendant lequel fut tué l’Imâm Hossein, le petit fils du prophète Mohammad, la célèbre élégie funèbre (marthieh) composée par Mohtasham Kâshâni (1500-1580) est gaufrée sur des tissus et installée dans l’espace intérieur de nombreuses mosquées du pays. Il s’agit d’un poème strophique qu’il a écrit en hommage à l’Imâm Hossein et ses compagnons à Karbalâ : « Quel est ce soulèvement qui, une nouvelle fois, a bouleversé le cours des événements ? Que sont donc ce chant funèbre, ce deuil et ces lamentations qui ont envahi la terre entière ? » [1].

Dans la littérature persane, de nombreux poèmes chantent les louanges de la mosquée et de la prière collective. La mosquée y apparaît selon plusieurs définitions et différentes approches littéraires. Il est évident qu’une même notion peut prendre différents sens selon le contexte et les différents registres dans lesquels elle est employée. Par exemple, le mot « amour » n’a pas le même sens dans une poésie philosophique que dans une poésie lyrique, qui fait davantage de place à part aux sentiments personnels. Il en va de même pour la notion de « mosquée » : dans les ghazals de Hâfez, la définition donnée du mot se distingue de celle de la poésie mystique de Mowlavi. Dans cet article, nous allons donner un bref aperçu des sens du terme « mosquée » dans les poèmes de Hâfez et Mowlavi, en tant que deux représentants éminents de la poésie persane.

 

La mosquée dans la poésie de Hâfez

 

L’ensemble des théories de la littérature accepte l’idée que tout discours poétique peut avoir un sens implicite et/ou explicite. La particularité la plus importante de la poésie de Hâfez réside dans le fait que ses vers contiennent de nombreuses informations implicites et sous-entendues, qu’il revient au lecteur d’interpréter pour accéder au sens exprimé par le poète. De ce fait, dans le Divan de Hâfez, le mot « mosquée », qui est présent sept fois, jouit toujours d’un sens implicite ; il y perd son sens habituel et explicite pour prendre des significations allégoriques. En voici quelques exemples :

Hier soir le maître de nos consciences, en sortant de la mosquée, se dirigea vers la taverne !

Ô amis ! Quelle doit être notre conduite après un tel exemple ?! [2]

Dans ce vers, l’utilisation conjointe des mots comme "maître" (pir) et "taverne" (meykhâneh) avec la mosquée suggère le sens métaphorique de la phrase. La mosquée y prend un sens implicite : elle signifie l’hypocrisie en matière de religion. Ce passage du maître de la mosquée à la taverne symbolise le cheminement (solouk) du disciple (sâlek) et son maître de confrérie (pir-e Tariqat) pour accéder à la Réalité spirituelle au-delà des apparences.

Tous sont à la recherche de l’amant, les ivres comme les intelligents

Partout est la demeure de l’amour, mosquée ou synagogue [3]

***

Tout ce que je recherche à la mosquée ou à la taverne, c’est Toi

Par Dieu, je n’ai aucun autre désir [4]

 

Comme d’autres poètes persans, Hâfez exprime d’une façon saisissante que la différence entre les religions n’a que peu d’importance. Dans ce vers, il met sur un même pied la synagogue (kenesht) et la mosquée (masdjed). Il insiste également sur l’union entre les religions divines qui croient en un seul Dieu unique. D’ailleurs, dans ces deux vers, la vision unitaire de Hâfez est bien visible ; selon cette vision, l’univers entier est une manifestation ou une émanation de Dieu. De ce fait, le divin est présent partout, en toutes choses, et rien ne peut exister en dehors de Dieu. En fait, Hâfez a utilisé l’interprétation de ce verset du Coran : « A Allah seul appartient l’Est et l’Ouest. Où que vous vous tourniez, la Face d’Allah est là, car Allah a la grâce immense ; il est Omniscient [5] » (Sourate Baqara, verset 115)

Si ton imagination venait à la mosquée ou la taverne

Je construirais de tes deux sourcils, un mihrab et une vièle à pique [6] 

Dans ce vers, le poète se sert du contraste entre la mosquée et la taverne, puis entre le mihrâb (niche orientant la prière dans la mosquée) et le kamântcheh (vièle à pique), qui symbolisent deux dimensions de la religion, la shari’a (l’apparence de la religion, son écorce) et la tariqa (la voie mystique, son noyau et cœur).

Si je passe de la mosquée à la taverne, ne m’en tiens pas rigueur

Car les sermons y sont longs et le temps ne s’arrête pas [7]

 

Ici, la mosquée symbolise la sharia, et le poète exprime le cheminement du mystique vers la vérité/réalité (haghighat) qui seule, en retour, permet la compréhension profonde de la sharia. La kharâbât (taverne), image qui revient abondamment dans la poésie de Hâfez, est l’état dans lequel se trouve le pèlerin de la voie spirituelle pour se détacher de la vie matérielle, dont l’attachement est un obstacle à son rapprochement de Dieu.

On m’a obligé à quitter la mosquée pour la taverne

Cela a été mon destin de toute éternité [8]

Dans ce vers, le passage obligatoire du narrateur à la taverne symbolise l’histoire de la Création et la Chute d’Adam et d’Eve sur terre. Le poète y fait allusion à un phénomène apparemment surnaturel qui a été expliqué de façon rationnelle et de ce fait, les mots comme la mosquée et la taverne y jouissent d’un sens allégorique. Selon les théories de la critique contemporaine, ce registre littéraire s’appelle le fantastique.

 

La mosquée dans la poésie de Mowlavi

 

A la différence des poèmes mystiques de Hâfez, les poèmes de Mowlavi au sujet de la mosquée ont une dimension plus pédagogique. Autrement dit, Mowlavi se sert du mot « mosquée » dans un but didactique. De façon générale, les poèmes de Mowlavi abordant le thème de la mosquée sont divisés en trois groupes : 1) les poèmes exprimant la grandeur et la place de la mosquée auprès de la communauté musulmane ; 2) les poèmes qui insistent sur la fonction de la mosquée ; 3) les poèmes qui soulignent l’importance de peupler la mosquée.

Celui-ci va à la Kaaba pieds nus

Tandis que celui-là refuse de se rendre à la mosquée [9]

 

Dans ce vers, Rumi fait des reproches à ceux qui ne fréquentent pas les mosquées. En établissant une assimilation entre la mosquée et la Kaaba, le poète insiste sur l’importance de la mosquée pour conclure que ceux qui fréquentent et remplissent les mosquées sont les alliés d’Allah et qu’en ne priant pas à la mosquée, on manque une énorme récompense.

L’aspect fonctionnel de la mosquée a été abordé dans un bon nombre de vers religieux persans ; c’est le cas pour ce vers de Khâqâni (1120-1190), dans lequel il fait allusion aux multiples fonctions de ce lieu saint qui comporte parfois des pièces supplémentaires pour accueillir les voyageurs par exemple :

Ils séjournent dans l’enceinte de la mosquée*** Où l’on a installé des lits et des pots à eau [10]

Parmi les récits les plus célèbres du Masnavi Ma’navi concernant le motif de la mosquée, on peut citer l’histoire de la Mosquée de Zerâr. Il s’agit d’une mosquée construite par des opposants au prophète Mohammad ; elle avait pour objectif de diviser et de disperser la communauté musulmane. Finalement, le Prophète ordonna de la détruire. En narrant cette histoire, Mowlavi invite les musulmans à l’union, la fraternité et la vérité. Dans le dernier vers de ce long poème, il nous encourage également à ne pas faire étalage en matière de religion :

Toi-même, mets-toi à l’épreuve

Pour ne pas édifier la mosquée de Zerâr [11]

 

Pour finir, nous citerons deux autres vers de Mowlavi, composés au sujet de la mosquée.

Il faut mieux rendre joyeux un cœur affligé

Que reconstruire une centaine de mosquées ruinées [12]

 

Ici, le poète fait allusion à ce verset du Coran : « Ne développeront les mosquées que ceux qui croient en Allah et au Jour dernier, accomplissent la Salât, acquittent la Zakat et ne craignent qu’Allah. Il se peut que ceux-là soient au nombre des bien-guidés » [13] (sourate al-Tawbah, verset 18).

Mon cœur est une mosquée où je me prosterne (devant Allah)

Les faux amis sont comme la caroube poussée au seuil de la mosquée . مسجد است این دل که جسمش ساجد است
یار بد خرنوب هر جا مسجد است

 

Dans ce vers, Mowlavi conseille de se détourner des fréquentations qui détournent le pèlerin de son but. Ces amis sont assimilés à la caroube dont les épines empêchent d’accéder à la bienveillance et aux vertus, symbolisées par la mosquée.

* « Morouri bar naghsh-e masdjed dar adabiât », article extrait du site officiel de l’Organisation de la propagande islamique (Sâzmân-e tablighât-e eslâmi), publié en 2005, consultable sur : http://old.ido.ir

Notes

[1باز این چه شورش است که در خلق عالم است
باز این چه نوحه و چه عزا و چه ماتم است…

[2. دوش از مسجد سوی میخانه آمد پیر ما
چیست یاران طریقت بعد از این تدبیر ما

[3. همه کس طالب یارند چه هشیار و چه مست
همه جا خانه عشق است چه مسجد چه کنشت

[4. غرض ز مسجد و میخانه ام وصال شماست
جز این خیال ندارم خدا گواه من است

[5. ولله المشرق و المغرب فأینما تولوا فثم وجه الله إن الله واسع علیم

[6. در مسجد و میخانه خیالت اگر آید
محراب و کمانچه ز دو ابروی تو سازم

[7. گر ز مسجد به خرابات شدم خرده مگیر
مجلس وعظ دراز است و زمان خواهد شد

[8. من ز مسجد به خرابات نه به خود افتادم
اینم از عهد ازل حاصل فرجام افتاد

[9. آن یکی تا کعبه حافی می رود
آن دگر تا مسجد از پا می فتد

[10. در مسجدند و ساخته چو مهد کودکان
هم آبخانه در وی و هم جای خوابشان

[11. بر محک زن کار خود ای مرد کار
تا نسازی مسجد اهل ضرار

[12. یک دل غمزده را گر ز کرم شاد کنی
به ز صد مسجد ویرانه که آباد کنی

[13. إنما یعمر مساجد الله من آمن بالله والیوم الأخر و أقام الصلاة و آتی الزکوة و لم یخش إلا الله فعسی أولئک أن یکونوا من المهتدین.


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