N° 132, novembre 2016

Le Khorâssân du Sud :
l’histoire du Ghohestân


Babak Ershadi


Le Khorâssân du Sud et ses voisins

Dans le système des divisions administratives du territoire iranien, le Khorâssân du Sud est une province bien jeune. C’est en 2004 que le Parlement approuve la division de la province du Khorâssân en trois nouvelles provinces : le Khorâssân du Nord (avec Bojnourd pour capitale), le Khorâssân Razavi (Mashhad), et le Khorâssân du Sud (Birjand). Cependant, les divisions administratives à l’intérieur de la nouvelle province du Khorâssân du Sud ne se stabilisent que huit ans plus tard, en raison des différends qui existent alors au sujet du statut administratif des départements dont certains ont longtemps hésité avant de faire leur choix entre leur appartenance au Khorâssân Razavi ou au Khorâssân du Sud. Depuis avril 2012, la province du Khorâssân du Sud compte onze départements : Birjand, Ferdows, Tabas, Ghâyenât, Nahbandân, Sarbisheh, Darmiyân, Sarâyân, Boshrouyeh, Zirkouh et Khousf. La province du Khorâssân du Sud se situe à l’est du pays. Elle est voisine de six provinces iraniennes : au nord, le Khorâssân Razavi et Semnân ; au sud, Kermân et le Sistân et Baloutchistân ; et à l’ouest, Ispahan et Yazd. Avec une superficie de 151 193 km², le Khorâssân du Sud est la troisième plus grande province de l’Iran après Kermân (181 785 km²) et la province du Sistan et Baloutchistan (180 726 km²). Cependant, la densité démographique de la province du Khorâssân du Sud est relativement faible par rapport à la moyenne nationale. Avec ses 732 192 habitants (selon le recensement national de 2011), le Khorâssân du Sud occupe la 28e place parmi les 31 provinces iraniennes.

Une carte du quart de Nishâpour datant du Xe siècle. Nous y avons marqué le Ghohestân (Khorâssân du Sud), 1-Ghâyen, 2-Toun (Ferdows), 3-Tabas, 4-Nishâpour.

La province actuelle du Khorâssân du Sud correspond historiquement à une partie des contrées appelées autrefois « Ghohestân » (dérivé du mot « Kouhestân », qui signifie littéralement « montagnes »). Le Ghohestân historique a fait partie pendant des siècles du Grand Khorâssân.

Le Grand Khorâssân est une grande région historique aux confins indéterminés et fluctuants au cours des siècles. Il couvrait autrefois les trois provinces actuelles qui portent son nom, mais aussi une majeure partie de l’Afghanistan actuel (à l’exception d’une large bande au sud du pays, le long de la frontière pakistanaise), une majeure partie du sud et de l’est du Turkménistan et de l’Ouzbékistan actuels, le Tadjikistan et une partie du territoire kirghize, jusqu’aux frontières actuelles de la Chine.

Géographiquement, le Ghohestân historique fut, certes, assez éloigné des grands foyers culturels et civilisationnels du Grand Khorâssân, notamment Beyhaq - aujourd’hui Sabzevâr -, Neyshâbour ou Toûs (en Iran), Hérat, Ghazni, Balkh - ancien Bactres - (en Afghanistan), Mary - ancien Marv - (au Turkménistan), Boukhârâ, Termez et Samarkand (en Ouzbékistan), Khodjent et Badakhshan (au Tadjikistan). Cependant, avec ses villes anciennes (Ghâyen et Toun -aujourd’hui Ferdows -), le Ghohestân appartenait sans le moindre doute à cette grande civilisation majoritairement persanophone du Grand Khorâssân historique.

Le Ghohestân historique était plus grand que la province du Khorâssân du Sud actuel, et comprenait une partie de ce qui est aujourd’hui le Khorâssân Razavi. Les villes principales du Ghohestân étaient Ferdows (autrefois Toun), Ghâyen, Tabas mais aussi Tâybâd, Kâshmar, Torbat Heydariyeh, Khâf, Gonâbâd (ces dernières faisant partie aujourd’hui de la province du Khorâssân Razavi).

Royaume des Khwârazm Shâh en 1219, avant l’
invasion mongole.

Comme nous l’avons évoqué, la région fut appelée « Ghohestân » (Kouhestân, montagnes) en raison des montagnes de sa zone sud. En effet, les voyageurs qui venaient du sud désertique arrivaient à ces montagnes qui constituaient la frontière naturelle entre la montagne et le désert du sud du Khorâssân iranien.

Sous les Sassanides (224-651), le Khorâssân était l’une des quatre grandes provinces de l’empire. Les Sassanides divisèrent le Khorâssân en quatre régions administratives : le quart d’Abar-Shahr (Métropole) ou de Nishâpour, le quart de Marv (aujourd’hui Mary), le quart de Hérat, et le quart de Balkh (autrefois, Bactres).

Le quart d’Abar-Shahr (Métropole) ou de Nishâpour correspondait plus ou moins à l’étendue des trois provinces actuelles en Iran qui porte le nom de Khorâssân.

Tout au long de son histoire, le Ghohestân est soit rattaché au quart de Nishâpour, soit une zone distincte de Nishâpour, voire une zone autonome.

Mais l’histoire du Ghohestân remonte à des époques plus anciennes que celle de la dynastie des Sassanides : la ville de Kâshmar (aujourd’hui dans la province du Khorâssân Razavi) fut à l’époque des Achéménides (668-330 av. J.-C.) un foyer important du zoroastrisme. Selon les récits anciens, ce fut à Kâshmar que Zoroastre rencontra le roi semi-légendaire de Balkh (Bactres), Vishtaspa (Goshtâsb, en persan). Le Shâhnâmeh (Livre des Rois) de Ferdowsi présente Vishtaspa comme le protecteur de Zoroastre et le roi d’Iran. Avec le soutien du roi, Zoroastre aurait construit son premier temple du feu à Kâshmar. La ville fut conquise par les Arabes en 31 de l’Hégire (VIIe siècle). Des habitants zoroastriens qui ne voulaient pas payer l’impôt aux conquérants commencèrent à quitter la région pour se diriger vers le sud, pour s’installer d’abord à Jask, sur la mer d’Oman pour ensuite émigrer en Inde. Non loin de Kâshmar, la ville de Badjestân (située aujourd’hui dans la province du Khorâssân Razavi) conserve, elle aussi, des vestiges du zoroastrisme ancien. A l’époque des Achéménides, elle était dénommée « Baghestân » (pays de Dieu).

La forteresse ismaélienne de Furg, à l’
est de Birjand.

Après l’islamisation de l’Iran, les Omeyyades, qui régnèrent pendant près de deux siècles sur le pays, préférèrent diviser le Grand Khorâssân en quatre régions administratives comme à l’époque sassanide. Les troupes arabes avancèrent jusqu’à la ville de Tabas et Kâshmar près de trente ans après l’Hégire, mais ils ne pénétrèrent pas dans la région de Ghohestân dont l’islamisation eut lieu un siècle après la conquête arabe.

En 1219, la première vague des invasions mongoles mit fin au règne de l’Empire des Khwârazm Shâh. Dix ans plus tard, en 1229 et après la mort de Gengis Khân, la deuxième vague des invasions mongoles fit disparaître les dernières résistances des Khwârazm Shâh. Pendant cette période de guerre sanglante, le Ghohestân resta plus ou moins à l’abri de la cruauté des troupes mongoles.

La troisième vague des invasions mongoles commença en 1254 lorsque Hulagu Khân (1217-1265), petit-fils de Gengis Khân, envoya ses troupes combattre les Nizârites dans presque toutes les régions iraniennes. Les Nizârites étaient une communauté ismaélienne (une branche du chiisme) particulièrement active sur les plans politiques et militaires du XIe siècle au XIIIe siècle en Iran et dans d’autres pays musulmans. Les troupes mongoles attaquèrent les nombreuses forteresses des ismaéliens dans le pays, notamment la forteresse d’Alamout, dans les montagnes de l’Alborz, près de la ville de Qazvin. Les troupes mongoles se rendirent aussi dans le Ghohestân pour briser la résistance des ismaéliens, nombreux et puissants dans cette région.

Birjand et sa citadelle ancienne.Birjand et sa
citadelle ancienne.

La forteresse de Furg située à 5 kilomètres de la ville de Darmiyân, à l’est de Birjand, était à l’époque l’une des forteresses les plus importantes des ismaéliens. Cette forteresse fut détruite par les troupes mongoles qui massacrèrent des milliers d’ismaéliens. Furg fut reconstruite plusieurs centaines d’années plus tard sous la dynastie des Afshârs au XVIIIe siècle.

Avant cette date, les deux villes de Ghâyen et de Toun (aujourd’hui, Ferdows) étaient les centres urbains les plus importants du Ghohestân. Les découvertes archéologiques montrent que la vie humaine à Ghâyen remonte au moins à près de 30 000 ans, c’est-à-dire au paléolithique moyen. La plupart de ces découvertes ont été effectuées dans la caverne de Khounik, au sud de Ghâyen. Nâsser Khosrow et Marco Polo ont décrit les deux villes de Ghâyen et de Toun dans leurs œuvres comme étant deux villes importantes du Ghohestân.

Toun, aujourd’hui appelée Ferdows, est une ville plus ou moins aussi ancienne que Ghâyen. Le nom de Toun apparaît pour la première fois sur une tablette datant de l’époque du grand empereur achéménide, Darius Ier (550-486 av. J.-C.). Hérodote, historien et géographe grec du Ve siècle avant notre ère, cite les noms de Toun (Ferdows) et de Tabas dans son ouvrage et indique que les habitants de ces villes étaient tous des Perses. Le site historique de Toun, situé près de la ville moderne, date des Arsacides (250 av. J.-C. - 224 de notre ère).

Toun et Ghâyen furent détruites et pillées par les Mongols, et leurs habitants massacrés. Selon certains documents, les troupes de Houlagou Khân tuèrent près de 40 000 personnes dans ces villes en les accusant de soutenir les ismaéliens.

Caverne de Khounik, au sud de Ghâyen

Le nom de Birjand, capitale actuelle de la province du Khorâssân du Sud, est également cité dans des ouvrages historiques et géographiques de la période islamique. La ville prit plus d’importance par rapport à Ghâyen et Toun (Ferdows) à partir du règne des Safavides (1501-1736). Les Safavides, qui voulaient développer le commerce avec l’Inde et les pays de l’Asie de l’Est, encouragèrent la construction de routes dans les régions orientales du pays, y compris dans le Ghohestân. Birjand eut ainsi l’avantage de se trouver sur ces routes commerciales.

Au XIXe siècle, sous la dynastie des Qâdjârs, Birjand et Ghohestân acquirent une importance stratégique et militaire en raison de la présence des colonialistes britanniques en Inde et en Afghanistan, et des Russes vers les frontières septentrionales du Khorâssân. Ce fut après la guerre de Hérat entre les troupes britanniques et les armées des Qâdjârs que les Britanniques, inquiets des dangers susceptibles de menacer leurs intérêts dans le sous-continent indien, développèrent leur présence dans les régions orientales de l’Iran. Un Consulat britannique ouvrit ses portes à Birjand en 1894. Aussitôt, les Russes ouvrirent eux aussi leur consulat à Birjand. Cette présence russo-britannique à Birjand dura jusqu’à la Première Guerre mondiale. Mais après la révolution bolchevique en Russie et la fin de la guerre, les deux puissances rivales fermèrent leurs consulats respectifs dans cette ville.

En 1928, au début du règne de la dynastie des Pahlavis (1925-1979), les forces de la Gendarmerie nationale s’installèrent à Birjand. Elles avaient pour mission de rétablir l’ordre et la sécurité dans toutes les villes du sud du Khorâssân, mais aussi de se charger de la sécurité des frontières avec l’Afghanistan. L’aérodrome de Birjand fut construit en 1933.

Le projet de la division de la province du Khorâssân et de l’établissement d’une province du Khorâssân du Sud ayant Birjand pour capitale date de 1963, mais il ne fut réalisé que quarante ans plus tard, en 2004.


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