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L’Iran est aujourd’hui un pays musulman à forte majorité chiite (duodécimaine) avec plus de 80% de ses 75 millions d’habitants, chiites. Mais comment un pays qui s’est trouvé un jour "conquis" militairement par l’islam, est devenu un pays non seulement musulman, mais chiite ?
De nombreux orientalistes ont tenté de trouver une trace irréfutable d’"iranité" dans le chiisme, pour tenter de montrer que le chiisme est plus que tout, la façade d’une "allergie" iranienne à l’islam qui, ne pouvant porter son nom, a pris la forme d’un "islam iranien" que serait le chiisme. N’en déplaise aux tenants de cette idée, comme le reste de l’islam, le chiisme fut au départ "importé" d’Arabie, qui sut convaincre plus que conquérir et cela, dès le premier siècle de l’islam.
L’une des raisons les plus importantes du développement de l’islam en Iran fut l’émigration d’Arabes venus de la péninsule saoudienne pour s’installer en Iran, en particulier durant les Ier et IIe siècles de l’Hégire (VIIe et VIIIe siècles). Cette migration s’est faite pour des raisons essentiellement économiques, ces Arabes ayant droit de mainmise sur les terres iraniennes riches et cultivables puisque, comme tous les non-Arabes, les propriétaires persans étaient considérés comme inférieurs dans le système de caste instauré par les Omeyyades. Ces Arabes migrèrent en Iran en tribus, et continuèrent à vivre pendant un ou deux siècles suivant le même modèle tribal avant de se fondre dans le reste de la population et devenir Iraniens. En tant que vainqueurs, ils avaient une influence politique et sociale énorme et jouèrent un rôle très important dans la première vague de conversion à l’islam, sunnite ou chiite, ce dernier critère étant parfois simplement déterminé par la croyance de la tribu arabe de telle ou telle région.
Bien évidemment, synthétiser et résumer en quelques phrases les raisons qui poussèrent les Iraniens à devenir musulmans est impossible, puisque ce processus mit plus de douze siècles à se compléter. Même si, bien avant les Safavides, d’autres dynasties chiites puissantes régnèrent sur le monde musulman, à commencer par les Iraniens Bouyides (aux Xe et XIe siècles) qui prirent Bagdad et transformèrent le califat abbasside en marionnette destiné à approuver et bénir leur pouvoir.
Parmi d’autres raisons qui poussèrent au développement du chiisme en Iran, l’une des plus importantes est la réaction iranienne à la tragédie de Karbalâ (en l’an 680) et à l’injustice du martyre du petit-fils du Prophète, l’Imâm Hossein, troisième Imâm des chiites, et de plusieurs centaines de ses compagnons. Ce massacre avait de plus été commis par le califat omeyyade, symbole de la répression et de la tyrannie, en particulier pour les pays vaincus par les Arabes musulmans. Ainsi, les répercussions de la tragédie de Karbalâ, à peine quelques mois plus tard, furent fortes et une vague de sympathie, de colère et de revanche vit rapidement le jour sous forme de révoltes que le califat omeyyade eut de plus en plus de mal à réprimer. Les bases du chiisme commençaient à se fortifier en Iran.
Certaines des tribus arabes qui s’installèrent en Iran étaient chiites. Ces tribus étaient en particulier des tribus irakiennes, dont la migration s’était intensifiée à partir du "règne" du califat abbasside. Les Abbassides étaient également à l’origine chiites, ou plus exactement, s’étaient présentés comme partisans de la prise du pouvoir par les descendants directs du Prophète. Après la tragédie de Karbalâ, qui secoua notablement le monde musulman, d’innombrables révoltes éclatèrent en différents endroits, demandant l’expiation du crime commis contre le petit-fils du Prophète. Comme nous le verrons plus loin, les Abbassides utilisèrent ce mécontentement et canalisèrent ces révoltes pour finalement obtenir le pouvoir, après quoi, ils se montrèrent ennemis les plus virulents et les plus acharnés des chiites, qui eurent à subir des persécutions ignobles et interminables durant toute la période abbasside.
Pour en revenir aux premiers siècles, la sympathie ressentie en Irak et en Iran face à l’envergure de la tragédie de Karbalâ poussa des Iraniens - alors nommés "mavâli" (ceux qui sont guidés), par le système de caste omeyyade -, à prendre le parti des chiites. On peut donc voir le commencement d’une activité iranienne chiite ou pro chiite durant les deux premiers siècles de l’Hégire, ce avant même l’avènement du califat abbasside, auquel de nombreux Iraniens prirent part.
La première révolte des chiites pro-abbasside est celle de Zeyd, qui eut lieu en 122 de l’Hégire (739). A l’époque, Koufa était un centre chiite d’importance et ce dernier avait reçu l’assurance des chiites de cette ville qu’il y aurait beaucoup d’hommes en Iran, dans le Khorâssân, à Gorgân, Qom ou Jazireh, pour le seconder. Bien évidemment, tous ces habitants chiites des régions citées n’étaient pas Iraniens, mais les Iraniens n’étaient pas rares.
D’après les documents historiques de l’époque, parmi ces régions, le Khorâssân était considéré, après la côte nord iranienne - moins grande et moins importante -, comme le centre potentiel du chiisme. L’historien Ya’ghoubi, historien officiel du second calife abbasside, Mansour, qui régna de 754 à 775, écrit à ce propos : "Quand Zeyd fut tué, une grande révolte éclata parmi les chiites du Khorâssân, qui dévoilèrent leur identité. Et de nombreux autres qui les virent furent tentés par eux et choisirent leur voie, car ils parlaient des crimes commis par les Omeyyades à l’encontre de la famille du Prophète. Et dans tout le Khorâssân, il n’y avait ni ville ni village où ces informations ne se soient pas répandues."
Après Zeyd, son fils Yahyâ prit la tête de la révolte. Encore une fois, l’histoire rapporte l’existence d’un très grand soutien populaire, moins idéologiquement chiite que basé sur l’injustice subie par les descendants du Prophète, ainsi que la mise en parallèle de cette situation avec celle dont souffrait les non-Arabes, en particulier les Iraniens, qui voyaient une nette différence entre l’islam qu’on leur avait promis et celui qu’ils voyaient pratiquer par les Omeyyades.
Avant de prendre le pouvoir, les Abbassides se présentèrent aux côtés des chiites, bien que sous un étendard indépendant. Cependant, en profondeur, ce n’était pas pour la famille du Prophète, mais uniquement pour prendre le pouvoir qu’ils firent preuve d’un opportunisme de haut vol, en préparant le terrain lentement mais sûrement, des décennies avant de passer à l’acte et de renverser les Omeyyades.
Pour eux, le Khorâssân iranien était le meilleur centre de rayonnement politique, un endroit d’où ils pouvaient procéder au renversement du califat omeyyade à leur propre profit. Le Khorâssân était grand, riche, historique, et un carrefour important de la région. Il était aussi surtout loin de la capitale omeyyade, donc difficile à contrôler, et l’influence de la noblesse perse, profondément chauvine et attachée au zoroastrisme qui s’y était réfugiée au moment de l’attaque musulmane, en avait fait le bastion de la liberté religieuse. C’était une région où la révolte anti-omeyyade pouvait facilement flamber. A l’époque, chaque grande région de l’empire islamique suivait une ligne de pensée particulière, par exemple le croissant fertile et l’Egypte étaient omeyyades, l’Irak était chiite alaouite, l’Arabie Saoudite avait encore son air de l’époque des deux premiers successeurs du Prophète, et ainsi de suite. Pour les pré-Abbassides, le Khorâssân, aujourd’hui département iranien, correspond dans ce texte au "Grand Khorâssân", en réalité une vaste région historique comprenant l’ensemble du Khorâssân iranien actuel, l’Afghanistan, le Tadjikistan et même une bonne partie de la Transoxiane. était encore apolitique, ni sunnite, ni omeyyade, ni même chiite. Ce terrain pouvait donc être préparé avec un peu de patience. Ainsi, à la base de la politique insidieuse des Abbassides, il y eut la stratégie de "l’information" : les agents abbassides sillonnèrent le Khorâssân et les autres régions iraniennes aux sympathies chiites et "informèrent" les habitants des crimes et des exactions commises par les Omeyyades, les dépeignant sous leur jour le plus sombre - qui par ailleurs correspondait à la réalité. Cette stratégie fut d’une efficacité absolue et rien d’autre ne permit autant de préparer les populations à un changement de califat. Mais ils servirent également à renforcer la place du chiisme en Iran. Cela dit, il ne s’agissait pas encore d’un chiisme défini comme tel. Quand le sixième Imâm chiite, l’Imâm Sâdeq, est invité à se rendre dans le Khorâssân, il refuse, en disant que les Khorâssânis ne sont pas encore ses chiites.
Il faut, durant ces deux premiers siècles, rappeler la révolte du chiite Omeyyade, Abdullah Ibn Mu’âwiyah, qui, révulsé par les crimes de sa famille à l’encontre de celle du Prophète, fomenta en 744 une rébellion, favorablement accueillie et soutenue par les Iraniens. L’histoire rapporte la participation de chiites iraniens des régions de Fârs, Halvân, Dâmghân, Ispahan, Rey, Hamedân, Estakhr, Qom et Sistân. Ce furent les prédicateurs abbassides, pourtant en apparence œuvrant pour les chiites, qui étouffèrent cette rébellion dans le sang, et c’est le fameux Abou Moslem Khorâssâni, l’Iranien qui porta les Abbassides au pouvoir, qui tua l’Omeyyade et mit définitivement fin à la révolte chiite. Cette rébellion avait commencé dans la région arabe et chiite d’Irak, à Ctésiphon, l’ancienne capitale sassanide. Elle était donc en premier lieu appuyée par le chiisme irakien, et nul doute que si elle avait réussi, le chiisme se serait développé nettement plus vite et pas seulement en Iran.
Après la prise du pouvoir par les Abbassides et l’établissement de leur califat, ceux qui pensaient que les Abbassides soutenaient le chiisme se rendirent compte de leur méprise. Commença alors une très longue série de révoltes successives contre le nouveau califat. Parmi elles, on peut citer la grande révolte de Charik, qui commença à Boukhara et à laquelle participa la grande majorité des émirs locaux de toute la Transoxiane. Cette révolte, à laquelle plus de trente mille personnes en armes participèrent, fut réprimée dans le sang. Cependant, elle permet de voir que le chiisme même minoritaire, idée phare qui présidait à cette révolution avortée, était déjà bel et bien ancré dans la région.
En tout cas, à partir de ces révoltes, presque toutes chiites, commencèrent les longs siècles de répression féroce du chiisme, qui rend impossible tout travail de statistiques concernant les populations chiites et sunnites, les chiites devant garder le secret sur leurs croyances pour échapper à la mort. Cependant, durant tout le califat abbasside, le chiisme ne cessa de se développer dans tous les pays sous domination abbasside, en particulier en Iran ; les récits justement des persécutions terribles qu’ils subissaient, démontre que leur nombre ne faisait qu’augmenter au fil des années, malgré les atrocités. La mise à mort massive des chiites, qui devint politique d’Etat dès les premières années de l’établissement du califat abbasside, devint officielle à partir du califat de Mansour (754-775).
L’assassinat des chiites était une coutume non seulement acceptée mais approuvée, tuer un chiite était une "bonne action", à tel point que l’anecdote raconte : Quand le calife Mansour voulut tuer son premier chiite, son ministre lui dit "Tu n’as jusqu’à maintenant tué aucun chiite. Aujourd’hui est donc un jour de grand honneur pour toi !"
Ces massacres systématiques, paradoxalement, contribuèrent grandement au développement souterrain du chiisme en Iran, en raison de la sympathie qu’il provoquait et surtout vu que l’Iran étant grand, de nombreux chiites venaient s’y réfugiaient avec des descendants des Prophètes. Ce qui donna par ailleurs naissance à la vénération et au respect dont bénéficient aujourd’hui encore les Emâmzâdeh, respect et vénération qui sont parmi les croyances iraniennes les plus profondes et les plus sacrées.
Le massacre massif des chiites continua et même prit de l’ampleur jusqu’au califat de Ma’moun, lequel essaya de se rallier les chiites – les Alavis, tels qu’ils étaient alors nommés - et de répéter le scénario ayant présidé à la prise du pouvoir par les Abbassides : faire croire que les chiites et les Abbassides étaient alliés. Son choix de proclamer le huitième Imâm chiite "dauphin" du califat après l’avoir sommé en Iran, suivait cette même logique.
Une autre raison qui poussa au développement du chiisme en territoire persan fut la migration des descendants du Prophète (sâdât) en Iran, certains ayant choisi cette terre pour des raisons de sécurité, puisqu’ils étaient pour la plupart chiites, et d’autres étant venus en Iran comme les autres Arabes, pour commencer une nouvelle vie. Pour les sâdât chiites comme pour d’autres personnes opprimées par les pouvoirs omeyyade puis abbasside, l’Iran représentait une vraie terre d’asile, en particulier en raison de la distance avec les centres du pouvoir, qui étaient en Syrie ou en Irak actuels. La géographie particulière de l’Iran, avec ses montagnes et ses régions difficiles d’accès, aidait encore plus ces personnes en danger à se cacher. Il suffit pour le comprendre de voir la somme de tombeaux de descendants du Prophète bâtis dans les régions montagneuses d’Iran. En tout cas, venus en Iran pour sauver leurs vies, ou pour y bâtir une vie meilleure, les sâdât étaient profondément respectés. Aujourd’hui encore, être seyyed est un titre au sens littéral, qui donne souvent droit à un respect particulier. Dans ces migrations, les villes d’ores et déjà à majorité chiite et les régions, telles que Qom, Rey, ou la côte nord iranienne qui longe la Caspienne, étaient plus attractives. Cette vague de migration commença dès le Ier siècle de l’Hégire, avant tout pour échapper aux exactions et aux massacres commis par les émissaires omeyyades, et prit de l’ampleur à partir du IIe siècle, quand simultanément à la continuation des persécutions anti-chiites, les chiites et les sâdât se rendirent compte du potentiel iranien pour s’opposer aux califats arabes. Cela dit, il faut préciser que durant ces premiers siècles, le chiisme était une tendance minoritaire en Iran, en particulier à l’est. Cependant, l’influence conjuguée de la propagande abbasside, qui mit 30 ans à préparer le terrain pour la prise du pouvoir par les Abbassides, et de la présence des sâdât chiites joua un rôle important dans le développement du chiisme et de la prise de conscience chiite en Iran.
Pour résumer la période des califats, les ères omeyyades et abbassides connurent les pires persécutions imaginables à l’encontre des chiites, contraignant ces derniers à suivre le principe de la taghieh (dissimulation et secret total sur leur croyance) pour pouvoir survivre. Ceci rend impossible l’établissement de statistiques, même imprécises ou incomplètes, sur l’état du chiisme en Iran durant les premiers siècles de l’Hégire. Cependant, manque d’informations ne signifie pas absence d’informations et il est possible de montrer que des populations chiites vivaient, plus nombreuses qu’on ne le pense, ici et là en Iran et que leur nombre ne cessa d’augmenter au fil du temps, situation qui aboutit à l’officialisation du chiisme comme religion d’Etat en Iran à l’époque safavide.
Ainsi, bien que la persécution des chiites ait été un fait avéré et répandu, plusieurs fois avant les Safavides, des dynasties chiites virent le jour, peu ou prou puissantes, qui régnèrent sur un territoire plus ou moins vaste.
La pression des califes abbassides sur les seyyed chiites les poussa à prendre le chemin de l’Iran. Dans ce pays d’accueil, la région la plus abritée et inaccessible aux califes était sans doute la côte nord iranienne, séparée du reste du pays par la haute chaîne montagneuse d’Alborz. D’autre part, en raison justement de cette autarcie géographique, les habitants de cette région avaient une grande tolérance vis-à-vis de ces réfugiés arabes. Ainsi, l’ensemble des régions côtières du nord de l’Iran possédait le potentiel géographique, politique et sécuritaire pour la formation d’un Etat chiite ou du moins, d’un important mouvement politique chiite. Finalement, au IIIe siècle de l’Hégire (IXe-Xe siècle), cette présence forte des chiites dans la région conduisit à la fondation d’une dynastie chiite locale, celle du Tabarestân (le Tabarestân étant l’actuelle province iranienne de Mâzandarân). Ce même siècle marquant également la pire période de persécutions des chiites de la part des Abbassides, en particulier durant le règne du calife Al-Mutawakkil, de nombreux chiites se réfugièrent dans cette région.
Cette dynastie chiite prit le pouvoir en 864 et régna sur le Tabarestân jusqu’en 928.
Au début du Xe siècle, le califat abbasside d’Irak commença à s’affaiblir, offrant une occasion propice aux fils d’un simple pêcheur iranien, Bouyeh, de prendre le pouvoir lentement, d’une région à l’autre. Après avoir pris les villes de Rey, Ispahan et Shirâz, ces frères prirent le chemin de Bagdad, siège et capitale du califat abbasside. Le califat capitula rapidement et les fils de Bouyeh firent prisonnier le calife, mais sans chercher à se proclamer califes. En prenant le califat, ils avaient en réalité pris le contrôle de tout l’empire musulman et pour régner sur cet immense territoire, ils souhaitaient conserver le calife abbasside en tant que "chef spirituel" pour justifier religieusement et moralement leurs actes. Ainsi, à partir des Bouyides, le califat abbasside, malgré son poids religieux, ne fut plus guère qu’une marionnette aux mains des différentes dynasties régionales ou nationales.
Les Bouyides étaient certainement chiites. Plus d’un détail historique le prouve ; mais la question demeure de la tendance chiite qu’ils suivaient. ةtaient-ils chiites duodécimains ? Et surtout, dans quelle mesure leur vision du chiisme était politique et "engagée" ? Dans quelle mesure leur chiisme a guidé leurs choix politiques ?
D’après les historiens, il est probable qu’ils aient tenu leur chiisme au second plan, pour garder une relation d’amitié et de solidarité avec la majorité des musulmans, sunnites.
Le Xe siècle est le siècle du développement politique évident du chiisme sous forme de gouvernements locaux et de dynasties plus ou moins marquantes. Le chiisme devient à cette époque officiellement reconnu dans plus d’une région. Ce siècle voit la prise du pouvoir par quatre dynasties chiites d’importance sur l’ensemble du monde musulman, les Bouyides en Iran et Irak, les Fatimides en Afrique du Nord, les Hamdâni dans le Croissant fertile et les Zeydis au Yémen. D’autres dynasties locales chiites virent également le jour. D’après de nombreux historiens, y compris des historiens de l’époque, trois de ces dynasties, y compris celle des Bouyides, ont laissé la pensée chiite se développer en toute liberté, ce qui permit une importante poussée à la diffusion du chiisme.
Ainsi, avec les Bouyides en Iran, les chiites se virent dans une sécurité relative et se lancèrent dans la compilation des écrits chiites. La prédication chiite connut un net développement durant les 126 ans du règne bouyide et de très grands noms du chiisme tels que Sheykh Kolayni, Sheykh Sadough, Sheykh Mofid et autres, piliers de la pensée chiite, vécurent et purent rédiger leurs œuvres de référence durant cette période.
Après la chute des Bouyides, ce fut de nouveau le tour des dynasties sunnites de régner et durant plusieurs siècles. Le chiisme, qui était désormais moins persécuté et avait déjà une place sociale acceptée et remarquée, fut développé et enseigné par les prédicateurs, les théologiens et les scientifiques chiites. La présence chiite était désormais si forte que le dernier calife abbasside eut un chancelier chiite reconnu, Ibn Alghami, collaborateur important du mathématicien, astronome, théologien et philosophe chiite, Khâdjeh Nassireddin Toussi.
Avec l’attaque mongole en 1257 et la prise de Bagdad par le Mongol Holaku, le califat abbasside,et les dynasties qui y étaient soumises disparurent, et les Mongols, qui allaient bientôt devenir les Ilkhanides de Perse, commencèrent à stabiliser leur pouvoir sur les territoires islamiques conquis.
Avec le temps, les rois ilkhanides se convertirent à l’islam. Etant religieusement tolérants, ils essayèrent de ne pas s’immiscer dans les débats opposant sunnites et chiites.
Ghâzân Khân, qui régna de 1294 à 1309, fut ainsi le premier ilkhanide Mongol à pencher nettement pour le chiisme. Tous les historiens acceptent ce fait, certains estimant même qu’il officialisa son chiisme durant son règne.
Avec sa mort en 1309, son frère et dauphin prit le pouvoir sous le nom d’Uljaïtu, signifiant en persan "Soumis à Dieu" et c’est sous ce nom que les Iraniens le connaissent : Soltân Mohammad Khodâbandeh.
Dès avant l’attaque mongole, le chiisme s’était à ce point développé que les débats religieux entre chiites et sunnites avaient désormais libre cours. Nous étions alors loin de la persécution massive des chiites des premiers siècles de l’islam. Le sultan ilkhanide, assistant à ces débats, ne put se décider. Finalement, il raconta avoir vu en rêve le premier Imâm chiite et devint officiellement chiite.
L’intérêt du roi Mohammad Khodâbandeh pour sa nouvelle foi le poussa à inviter des savants religieux et des théologiens chiites depuis d’autres territoires chiites tels que l’Irak. Ceci permit au chiisme iranien de connaître de nouveaux développements. Après cela, la nouvelle de la "conversion" du sultan au chiisme se répandit rapidement et il fut "conseillé" à tous ses sujets de se convertir également au chiisme, conseil qui se vit opposer une nette résistance un peu partout dans l’empire, jusqu’à ce qu’un décret du sultan lui-même précise que la conversion au chiisme devait rester facultative.
Le choix du chiisme par ce sultan est un évènement majeur dans l’histoire du chiisme iranien, puisqu’il officialisa désormais cette branche de l’islam et l’érigea au même rang que le sunnisme dans le pays, ce qui favorisa plus tard l’officialisation du chiisme comme religion d’Etat.
Dans la partie centrale du Khorâssân, aux alentours de la ville de Sabzevâr, un Etat naquit en 1337 avec la prise de Sabzevâr. Cet Etat, relativement grand, s’étendait à l’est jusqu’à la ville de Neyshâbour et à l’ouest jusqu’à Dâmghân et Gorgân (au nord ouest). C’était l’émirat des Sarbedârân. Ces derniers avaient annoncé comme politique officielle la poursuite de la "voie de la Vérité", en un mot, du chiisme, et avaient choisi la ville de Sabzevâr, très vieux bastion chiite, comme capitale. Ces émirs avaient une relation quasi politique avec les mystiques chiites et les pros chiites de toutes sortes. Ils encouragèrent également fortement les arts et les lettres apologétiques chiites. Ils avaient aussi des contacts avec les savants chiites non-Iraniens, en particulier ceux du Jabal Amel libanais qu’ils invitèrent au Khorâssan. C’est en raison de ces invitations, entre autres, que l’un des grands doctes chiites, Shahid Avval, dédia son ouvrage majeur Al-Lom’at al-Damashghyya à l’émir Ali Moayyed Sarbedâri et qu’il l’envoya au Khorâssân pour que les habitants puissent suivre ses fatwas. Cependant, encore une fois, il est impossible de savoir avec exactitude quelle était la tendance chiite suivie par les Sarbedârân.
Cette dynastie relativement importante fut contemporaine des Timourides et régna à l’ouest de l’Iran, en Azerbaïdjan et en Irak. Le chiisme également important qui imprégnait la politique étatique de cette dynastie joua également un rôle décisif dans le chiisme officiel des Safavides.
Nous ne reviendrons pas sur les Safavides, durant l’ère desquels le chiisme devint finalement la religion d’Etat en Iran, avec bien sûr parfois des résistances importantes de la part de la population, d’autant plus que le chiisme des Safavides était surtout un moyen de regroupement politique et non une croyance aussi sincère qu’elle le paraissait.
Cela dit, durant les Safavides, le chiisme devint finalement la religion d’Etat en Iran et l’est demeurée jusqu’à aujourd’hui. Toutes les dynasties postérieures aux Safavides, les Afsharides, les Zands, les Qâdjârs, etc., ont également été chiites duodécimaines.
Ainsi, nous pouvons conclure que le chiisme, qui n’est pas né en Iran, y a pourtant trouvé un excellent terrain pour se développer. Les vexations incessantes n’empêchèrent pas les Iraniens de trouver dans cette branche de l’islam la réponse à leurs aspirations spirituelles.