N° 107, octobre 2014

Portrait de Nâder Shâh


Ali Mokhtâri


"Ma ceinture de souverain est le symbole de ma servitude envers mon pays. Beaucoup de Nâder sont venus et tant d’autres viendront, mais l’Iran et les Iraniens doivent toujours vivre dans la grandeur et la supériorité."

Nâder Shâh Afshâr

Nâder Shâh Afshâr, surnommé le dixième Alexandre et considéré comme le Napoléon iranien, est un homme à la vie mouvementée sur laquelle de nombreux écrivains, historiens et poètes se sont penchés pour en faire connaître la légende.

Nâder Shâh Afshâr est né en 1688 dans la tribu Afshâr de Karmânj dans la province du Khorâssân. De son nom Nâder Gholi, il est le fils d’un humble tanneur qui meurt alors que Nâder est encore enfant. Il n’a pas encore dix-huit ans qu’il est capturé avec sa mère lors d’un des raids des Ouzbeks de Transoxiane. Sa mère meurt en captivité, mais Nâder réussit à s’échapper et retournant au Khorâssân, il se met au service du gouverneur d’Abivard, Bâbâ Ali Beyg. L’Iran safavide est alors occupé par les Afghans. En outre, le puissant suzerain du Sistân, Malek Mahmoud Sistâni, qui se considère comme le successeur de l’ancienne dynastie saffaride, veut à l’époque conquérir l’Iran en commençant par le Khorâssân. Nâder le rejoint et fait preuve de tant de bravoure et de zèle qu’il est rapidement remarqué par Malek Mahmoud qui en fait un chef de son armée. Mais quelque temps plus tard, lors de la campagne du Khorâssân, leur relation se détériore et Nâder mène désormais seul, en son propre nom, sa campagne du Khorâssân. Son expédition se termine avec la prise de quelques régions du Khorâssân, suite à quoi, il s’octroie lui-même le nom de Nâder Gholi Beyg.

Portrait de Nâder Shâh Afshâr

A cette époque, le roi safavide Tahmasp, confronté aux Afghans qui ont occupé la capitale, cherche désespérément des alliés. En entendant la renommée du jeune chef afshâr, il l’appelle aussitôt à son service. A cette époque, le chef des armées safavides est Fathali Khân Qâdjâr, fils de Shâhgholi Khân et grand-père du fondateur de la future dynastie des Qâdjârs. Nâder voit le Qâdjâr comme un obstacle à ses ambitions. Il le fait donc secrètement assassiner avec l’accord de Shâh Tahmâsp et prend sa place, devenant le commandant des armées safavides. En 1726, il libère Mashhad prise par Malek Mahmoud Sistâni, après quoi Shâh Tahmâsp le surnomme honorifiquement Tahmâsp Gholi Khân. Peu à peu, il obtient du pouvoir et des privilèges, en plus de la gouvernance des provinces de Khorâssân, Mâzandarân, Sistân et Kermân. Après quoi, Nâder se prépare à contre-attaquer les Afghans. En 1729, il vainc Ashraf l’Afghan une première fois près de Dâmghân, une seconde fois à Mourch-e Khort près d’Ispahan, et une troisième et dernière fois à Zarghân dans la province du Fârs. Le chassant ensuite en Afghanistan, il obtient la reddition d’un grand nombre des clans afghans.

Après les Afghans, c’est au tour des Russes envahisseurs que Nâder réussit à déloger du nord de l’Iran qu’ils ont subrepticement pris en profitant du chaos généré par l’invasion afghane. Après les Russes, ce sont les Ottomans qu’il faut déloger de plusieurs provinces de l’ouest iranien. Mais durant sa campagne à l’ouest, Nâder entend les nouvelles d’une agression à l’est. Il abandonne donc sa campagne et se dirige vers les frontières de l’est. Shâh Tahmâsp, croyant bien faire, veut terminer avec les Ottomans ce que Nâder a commencé, mais il est durement vaincu et perd encore plus de territoires. Le résultat de cette défaite est un traité infâme pour l’Iran signé en 1732 selon lequel l’Iran cède aux Ottomans toute la partie nord de l’Arax, c’est-à-dire le Caucase iranien et une partie de l’Azerbaïdjân.

En 1732, à la suite du traité de paix conclu par le roi safavide avec les Ottomans, Nâder réunit les chefs des clans piliers du pouvoir safavide et destituant avec leur accord Shâh Tahmâsp, il le remplace par son fils Abbâs âgé de huit mois, se proclamant régent. A cette époque, il a déjà un pouvoir notable. Après cet épisode politique, il repart vers l’Azerbaïdjân et le Caucase qu’il réussit à reprendre aux Ottomans en moins de deux ans.

Après avoir vaincu tous les principaux ennemis du pays, en mars 1735, à l’occasion du Nouvel An iranien, il réunit tous les gouverneurs et les chefs de clans dans la plaine de Moghân pour leur demander de choisir un roi, sous le prétexte que la charge de la régence est trop lourde pour lui. Les préparations étant terminées, il est lui-même choisi à l’unanimité comme nouveau roi. Couronné sous le titre de Nâder Shâh Afshâr, il fonde ainsi la dynastie afshâride.

Il lance ensuite sa campagne contre les Afghans et les Ouzbeks de Qandahar. La ville tombe et certains rebelles se réfugient en Inde. Nâder Shâh envoie un message à Mohammad Shâh, le roi mongol d’Inde, pour qu’il lui remette ces rebelles, mais les trois émissaires successifs qu’il envoie pour transmettre le message sont soit emprisonnés, soit exécutés. Il attaque donc l’Empire indien, profitant notamment des troubles à Delhi et dans les environs. C’est durant la bataille de Karnal en 1739 qu’il vainc Mohammad Shâh, qu’il laisse cependant régner. Chargé d’un butin important et de célèbres cadeaux offerts par Mohammad Shâh, il retourne en Iran quelques mois plus tard.

Œuvre contemporaine représentant Nâder Shâh durant la bataille de Karnâl par Adel Adili, 1987.

Après la conquête de l’Inde, Nâder est définitivement reconnu comme un des grands stratèges de l’histoire. Mais avec l’âge, la folie le guette. Il devient cruel et paranoïaque, et va jusqu’à ordonner l’énucléation de son héritier, Rezâ Gholi Mirzâ, qu’il accuse de conspirer contre lui. Plus tard, il regrette sa décision et ordonne d’exécuter certains de ses proches, qu’il considère comme responsables de cette tragédie.

Finalement, en 1747, ses généraux, fatigués de sa folie et de sa cruauté, l’assassinent près de Ghoutchân, mettant fin à la vie de ce conquérant qui, ayant d’abord libéré l’Iran des occupations étrangères et restauré un ordre disparu pendant plusieurs décennies, était à son tour devenu un fantasque despote.

Le bilan du roi conquérant

Les orientalistes ont laissé entendre que si les généraux de son armée ne l’avaient pas assassiné, Nâder Shâh aurait fini par envahir également l’Europe, dont l’Allemagne et l’Autriche. Cette affirmation s’appuie sur la correspondance entre des émissaires des Etats européens et les généraux de Nâder Shâh au sujet de son assassinat, auquel ils contribuèrent. Précisons cependant que Nâder Shâh avait lui-même une opinion différente : "La conquête de l’Inde n’a pas été pour moi un honneur ; ce qui m’importait c’était d’arrêter les agresseurs qui avaient ruiné mon pays pendant vingt ans, qui l’avaient pillé et avaient fait subir à mon peuple toutes sortes de crimes et de violences. Si j’avais été à la recherche de l’honneur et de la fierté, j’aurais enchaîné comme esclaves les souverains de l’Europe, Cependant, un tel acte est loin de mon enseignement chevaleresque iranien."

En conclusion, Nâder Shâh est apparu à une époque où l’Etat Safavide s’effondrait sous le coup de l’agression afghane et alors que le pays était démembré de toutes parts par les ennemis intérieurs ou voisins : Ottomans à l’ouest, Russes au nord, Arabes au sud et Afghans à l’intérieur même du pays. Dans ces circonstances, Nâder a réellement été un "sauveur", ouvrant un nouveau chapitre d’unité et de grandeur pour l’Iran, bien qu’il n’ait pas réussi à stabiliser sur le long terme son empire.

Pièces d’argent datant du règne de Nâder Shâh Afshâr, 1736-1747, Perse.

Après la mort de Nâder Shâh, ses successeurs se lancèrent dans de terribles batailles de succession, au point qu’aucun ne put régner en paix et que la dynastie implosa deux ans à peine après la mort de son fondateur. Un seul des descendants de Nâder Shâh, Shâhrokh Afshâr, rendu aveugle durant les batailles de succession par ses ennemis, réussit à régner avec une certaine stabilité durant une cinquantaine d’années, mais uniquement sur le territoire du Khorâssân. Le reste de l’Iran étant déchiré par les guerres entre les généraux de Nâder Shâh. Ce fut enfin le Zand Karim Khân qui réussit à prendre l’ensemble du pays, sauf le Khorâssân qu’il laissa à Shâhrokh en souvenir du grand Nâder, et établit la dynastie Zand, rétablissant l’ordre dans le pays. Nous finirons par cette phrase de Nâder, qui résume son projet personnel : "Qui ne sait que les grands hommes sortent de l’intérieur des palais en ruines pour se venger, se venger de la destruction. Une voix à l’intérieur de moi me disait : « Lève-toi, l’Iran t’appelle ! » Et je me suis levé."

Un portrait européen de Nâder Shâh datant de 1754. On voit au fond une tour faite de crânes.

Pièces d’or datant du règne de Shâhrokh Shâh Afshâr, 1755-1796, conservées au British Museum.


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