N° 178, hiver 2022

Esthétique de la poésie lyrique de Saadi


Jafar Aghayani-Chavoshi


À Carole Alby pour les souvenirs inoubliables

Introduction

 

La poésie lyrique de Saadi, ce que l’on appelle habituellement le « ghazal », fait résonner en nous les notes d’une belle symphonie et offre à nos yeux charmés le spectacle d’une œuvre picturale. Musicalité, valeur littéraire, simplicité, précision, suppression de nombreux synonymes et épuration par élimination de termes métaphoriques et allégoriques inutiles, tels sont quelques-unes des caractéristiques de la poésie lyrique de Saadi. Beaucoup de ses successeurs voulant s’inspirer de sa rigueur et de son style s’égarèrent parce qu’ils n’étaient pas initiés.

Par ailleurs, la poésie de Saadi est consacrée à l’amour humain. En tant que poète fin, sensible et honnête, Saadi prenait position de façon personnelle sur les problèmes de la vie, s’engageait en envisageant tous les aspects, s’efforçait de les comprendre et d’y remédier. Il rêvait d’un amour sublime, fondé sur la vertu conduisant les âmes vers l’amour divin.

Malgré tout cela, la personnalité de Saadi comme moraliste éclipsa sa poésie lyrique à tel point que l’on ne trouve pas beaucoup d’études approfondies sur celle-ci dans les langues européennes. Il y a cinquante ans, en analysant la poésie lyrique de Saadi, Ali Dashti, un critique iranien de la littérature persane, avait comparé l’aspect mélodique de celle-ci à la courbure d’une ligne. Dans l’article présent, tout en développant la thèse de M. Dashti, nous allons exposer d’autres éléments qui caractérisent cette poésie.

 

  1. L’art poétique de Saadi : le langage

 

La vraie poésie se constitue à partir d’un langage formel, comme la versification d’une part, et d’un sous-langage traduisant le sentiment et l’imagination d’autre part. Sans cette fusion, la poésie se réduirait à une simple « prose ». 

D’après Paul Valery, le rapport de la poésie à la prose est le même rapport existant entre la danse et la marche. « La marche, comme la prose vise un objet précis… La danse… ne va nulle part… elle poursuit un état... »

C’est pour aboutir à la poésie pure que Saadi utilisait les techniques suivantes :

 

1.1. L’ellipse

 

Dans un poème, l’ellipse est l’omission d’un ou de plusieurs éléments (que l’on peut néanmoins déduire). Selon les cas, ce procédé permet d’alléger l’expression (par exemple, en évitant une répétition) ou de la renforcer, comme on le trouve dans les premiers vers du Sonnet de Du Bellay :

« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ».

(=Heureux [est celui] qui comme Ulysse a fait un beau voyage).

 

Aussi dans le vers suivant de Victor Hugo :

 

« Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,

Que l’oiseau perd sa plume, et la fleur son parfum ;

Que la création est une grande roue

Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un ».

 

(=Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,

Que l’oiseau perd sa plume, et la fleur son parfum ;

[Je sais] que la création est une grande roue

Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un.)

 

Saadi est un maître par excellence dans ce domaine surtout dans sa poésie lyrique. En voici un exemple :

 

شهری متحدثان حسنت 

 الا متحیران خاموش

Transcription :

Shari motehadethân hosnat

Ellâ motehayerân Khomoush

Traduction :

[Les habitants de] cette ville parlent de ta beauté ;

Sauf une partie qui est dans l’état du perplexe.

 

On voit que dans ce distique si court, Saadi décrit l’attitude des habitants d’une ville vis-à-vis de la beauté de sa bien-aimée : certains parlent de sa beauté, d’autres sont plongés dans la perplexité.

Ainsi en est-il du distique suivant :

 

قیمت گل برود تا تو به گلزار آیی 

وآب شیرین، چو تو در خنده و گفتار آیی

(قیمت گل برود تا تو به گلزار آیی 

وآب شیرین برود چو تو در خنده و گفتار آیی)

 

Transcription :

Gheymat gol beravad gar to be golzar âyi

vâb shirin, cho to dar khandeh vo ghoftar âyi

 

(Gheymat gol beravad gar to be golzar âyi

vâb shirin[beravad], cho to dar khandeh vo ghoftar âyi)

Traduction :

Le prix de la rose diminuera si tu viens au jardin.

Aussi bien que la beauté de Shirin, lorsque tu parles et tu ris.

 

1.2. L’oxymore

 

Un oxymore est une figure de style rapprochant deux termes de façon inattendue, et crée une formule en apparence contradictoire. Cette figure fondamentale de la conjonction du contraire (conjuctio opposititorum) se trouve aussi bien chez les poètes occidentaux qu’orientaux. Cette figure « était utilisée par Pétrarque pour exprimer la complexité contradictoire de la conscience de soi. Cette structure psychique devient, chez les disciples de Pétrarque, une exploitation rhétorique de l’oxymore. Le texte développe parallèlement le paradigme des contradictoires. Le texte de Jodelle s’efforce d’opérer une synthèse de la dualité, en assument les deux termes de la contraction en un complexe ; vivre de ne point vivre. Mourir de ne pas mourir ». L’oxymore, qu’on appelle « tebâgh= طباق » dans la littérature persane, sert à créer une tension dans l’esprit des lecteurs en rassemblant des mots ou des phrases de sorte qu’ils ne semblent pas d’abord suivre les règles de la logique ou de la vérité acceptée. Cette utilisation de la contradiction dans le langage amène souvent le lecteur à réfléchir à un niveau plus profond sur le sens implicite d’une déclaration aussi contradictoire. Les auteurs qui utilisent efficacement une formulation paradoxale révèlent un élément de vérité dans une déclaration apparemment fausse. En voici un exemple dans un poème d’Akhavân Thâleth :

از تهی سرشار،
جویبارِ لحظه‌ها جاری‌ست.

چون سبوی تشنه کاندر خواب بیند آب، واندر آب بیند سنگ،

دوستان و دشمنان را می‌شناسم من.

زندگی را دوست می‌دارم؛

مرگ را دشمن
وای امّا –با که باید گفت این؟- من دوستی دارم
که به دشمن خواهم از او التجا بردن.

جویبارِ لحظه‌ها جاری.

Traduction :

« Rempli de vide

Coule le ruisseau des instants

Comme une cruche assoiffée rêve l’eau

Et dans l’eau voit la pierre

Je connais mes amis et mes ennemis

J’aime la vie

Et la mort me dégoûte

De qui je cherche à me protéger

Auprès de mes ennemis

Coule le réseau des instants »

 

Comme on le voit dans ce poème, le mot « rempli » est le contraire du « vide », mais le poète l’emploie pour créer une pensée ou une image visuelle inhabituelle avec ces mots.

Cette utilisation amène le lecteur à réfléchir à un niveau plus profond sur le sens implicite de cette déclaration contradictoire. En effet, le poète qui utilise efficacement cette formulation paradoxale révèle un élément de vérité dans une déclaration apparemment fausse.

Saadi, qui était un maître de l’oxymore, utilisait cette figure pour créer la surprise chez les lecteurs. Cette figure lui permettait de rendre compte de la complexité de la conscience humaine. En voici un exemple :

هرگز وجودِ حاضرِ غایب شنیده‌ای؟

من در میان جمع و دلم جای دیگرست

Traduction :

As-tu jamais entendu qu’un être humain soit à la fois présent et absent ?

[Oui, c’est bien moi], je suis dans l’assemblée tandis que mon cœur est ailleurs.

 

Dans ce distique, les mots « présent=حاضر » et « absent=غایب » sont paradoxaux, mais en les utilisant le poète veut conduire le lecteur à la contemplation d’un sujet inhabituel de la nature qui contient maintes antinomies : mobile et immobile ; toute présence et toute absence. Dans ce vers, Saadi signale un aspect important de la psychologie de l’homme. En effet, un être qui visiblement est présent peut être absent en même temps. Le corps est ici, mais l’esprit est ailleurs. Combien cette dualité et cette déchirure sont épouvantables ! La gaieté et le bonheur reviennent lorsque l’on peut supprimer cette distance - exactement comme le moment où les enfants jouent ou bien lorsqu’un saint homme prie. C’est pourquoi Rûmi, grand poète mystique, lors d’un Samâ (concert sacré) a demandé au musicien de jouer doucement afin que son âme revienne dans son corps :

 

مطربا نرمک بزن تا روح بازآید به تن

 

L’oxymore dans la poésie de Saadi n’est pas toujours évident. Il faut le comprendre par l’analyse des termes contradictoires, mais aussi par les concepts qui s’opposent. Dans le vers suivant, par exemple, il a mis face à face un Hakim (qui signifie à la fois un sage et un médecin) et une jolie jeune fille avec des yeux languissants (cheshm-e bimâr) pour évoquer le conflit qui existe entre l’intelligence et l’amour : 

 

عشقبازی نه طریق حکما بود ولی 

چشم بیمار تو دل می برد از دست حکیم

 

Traduction :

Le manège amoureux n’était pas une affaire du Sage,

Mais tes yeux languissants dérobent le cœur du Sage.

On sait que les sages, comme Mohammad ibn Zakaria al-Razi, assimilent le sentiment amoureux à la folie, et cela en particulier dans son livre intitulé La médecine spirituelle où il conseille à l’homme de le fuir.

Quant au médecin, il s’agit d’une personne extrêmement sérieuse et capable de dominer ses passions. Il vient évidemment au secours des malades, et est celui qui prodigue les soins. Pour montrer l’importance de l’amour, Saadi renverse ses habitudes en laissant entendre par l’emploi simultané des yeux languissants ou ensorcelants et du médecin ou du sage que, pour une fois, c’est le malade qui est le vainqueur. Oui, le pouvoir de ces yeux-là est plus fort que toute la résolution et les sagesses, puisqu’il parvient à briser les défenses des mieux établies. Le médecin succombe face à leur charme. Le guérisseur tombe à son tour, novice, dans le piège et devient l’esclave de cette maladie étrange qu’est l’amour. 

 

1.3. L’épiphore 

 

Une épiphore est une figure de style consistant en la répétition, à la fin de deux ou de plusieurs groupes de phrases ou de vers qui se succèdent, d’un même mot ou d’un même groupe de mots.

Cette répétition ne remplace rien, bien au contraire, elle se définit justement par sa non-substituabilité. Répéter, c’est ne pas vouloir et ne pas pouvoir dire autrement. Répéter, ce n’est ne rien dire de plus. C’est-à-dire, pour produire certains effets.

Lorsqu’un certain mot ou une phrase est répété tout au long du poème, le lecteur le remarquera plus facilement et y accordera plus d’attention. Par exemple, prenons le vers suivant d’un long poème d’Akhavân Thâleth dans lequel il exprime sa solitude et son désespoir. Dans ce poème, il raconte l’histoire d’un prince, dont le royaume a été attaqué par des bandits et des sorciers. Tout en se réfugiant vers une grotte, le prince demande à la grotte : 

 

غم دل با تو گویم، غار

بگو آیا مرا دیگر امید رستگاری نیست؟

صدا نالنده پاسخ داد

آری نیست

Transcription :

Gham-e del bâ to goyam, ghar

Be gou âyâ marâ dighar omid-e rastegâri nist ?

Sedâ nâland-e pâsokh dâd :

« Âri nist ».

Traduction :

Ô grotte ! Je te raconte le chagrin de mon cœur,

Dis-moi n’y a-t-il donc pas d’issue,

L’écho lui répond : « pas d’issue. »

 

Dans ce vers, le poète a habilement utilisé la loi de l’écho (Fig. 1) pour répéter l’expression « Âri nist », aussi bien pour la musicalité du vers que pour insister sur le sens principal de son poème qui est « désespoir ».

Fig. 1

 

Saadi utilise souvent cette figure afin de renforcer la beauté et la musicalité d’un poème. Par exemple :

 

گر برود جان ما در طلب وصل دوست 

حیف نباشد که دوست،دوست تر از جان ماست

 

Transcription :

Gar beraved jân-e mâ dar talab-e vasl-e doust,

heyf nabâshad ke doust, doustar az jân-e mâst

Traduction :

Si à la recherche de ma bien-aimée, je perds ma vie ;

Il ne sera pas dommage, puisqu’elle coûte plus que ma vie.

 

Il s’agit, ici, non de la simple répétition du mot « doust » et « jân », mais de la reprise du sentiment.

 

1.4. Ligne courbe

 

Tout ce que nous venons d’étudier, comme les techniques rhétoriques utilisées dans la poésie lyrique de Saadi, se trouve également chez la plupart des poètes persans. Cependant, on ignore d’où la poésie de ce grand poète tient cette grâce qu’il est seul à posséder, et qui décourage les imitateurs. Nous allons dévoiler un secret. Mais avant toute explication, nous devons recourir à quelques remarques importantes. 

 

La beauté de la ligne courbe :

 

Si l’on s’assoit, en été, sur une plage et que l’on contemple l’immense horizontalité calme de celle-ci, on éprouve certainement une quiétude, mais la lassitude survient vite. Car l’œil est un organe exigeant qui se fatigue vite de la monotonie et réclame la diversité.

Au contraire, lors d’un voyage terrestre sur une route serpentine qui traverse la campagne ou d’une rivière, dont l’aspect varie continuellement, on se sent envahi par une sorte d’extase mystérieuse indéfinissable, à l’image de la ligne mélodique de l’Après-midi d’un faune de Debussy (Fig. 2).

Fig. 2. Le voyage terrestre sur une route serpentine qui se trouve au voisinage d’une campagne nous rappelle la ligne mélodique de l’Après-midi d’un faune de Debussy.

Voilà pourquoi la ligne courbe est le symbole du mouvement, de la vie et de la beauté ; et la ligne droite est celle de l’inertie ou de l’immobilité. En effet, la ligne courbe est « une incertitude dans la direction et d’abord une nonchalance en chemin. La droite ne s’attarde pas ; elle se dirige au but comme la flèche : rien ne l’en distrait. Remarquons, au contraire, l’hésitation du curviligne, l’indépendance de son tracé. C’est sa grâce propre. Entre ses points de départ et d’arrivée, jouant leur jeu modificateur qui conditionnent, sollicitent la courbe. La première, la plus apparente, c’est l’écart maximum du parcours : la valeur de sa flèche. Selon que le rapport de la flèche qui tend, à la corde qui sous-tend, diminue ou croit, l’allure générale est un rythme long ou un rythme court. Le second, c’est la position même du point d’écartement, sa situation exacte dans la courbe : ce point E peut glisser sur la parallèle à la corde et s’éloigner plus ou moins ; et à chaque déplacement nouveau, la courbe change. Il est enfin un troisième élément sensible du parcours curviligne qui n’est autre que l’angle du départ et l’angle du retour, avec le changement de leurs valeurs propres. Voilà donc les privilèges des courbes et du système de ses variables : une distance d’écart et le point de cet écart majeur, la direction des tangentes aux extrémités. Le problème parmi tant de choix est et demeure indéterminé. Pour un point à atteindre, ce sont toutes les fantaisies : Fig. 3

Fig. 3

 

Mais avec la courbe « de beauté » qui s’écarte ici, puis s’attarde là, pour aboutir enfin à sa ligne de départ – qui s’éloigne, recoupe pour se perdre en sens inverse et revenir, un nouvel aspect de la grâce paraît. À l’indéterminé de la courbe se joint l’exhaustive de l’ondoiement, car une telle courbe est exhaustive : toutes les directions possibles, elle les épouse en une seule fois ». 

Cet aspect de l’ondoiement de la ligne courbe se manifeste surtout dans la peinture et l’architecture. La formule de la grâce, ce n’est pas la courbe, mais la courbe et la contre-courbe, les compensations de l’ondulation.

En effet, une peinture se présente d’abord à nos yeux comme un ensemble de lignes, de couleurs et de formes assemblées dans un espace. La couleur donne d’abord la transcription la plus frappante et la moins profonde. La ligne immobile ou mobile en précise quelque chose de plus, et en fin de compte exalte notre sensibilité… Or, pour expliquer la beauté d’une image ou d’une peinture, il faut en chercher les lignes moins évidentes peut-être, mais dont l’artiste sait tisser une partie plus considérable encore. Nous appelons la ligne courbe une ligne de continuité. La continuité implique qu’on peut passer d’un point à un autre au besoin, en passant par un passage sans traverser la dureté. La souplesse et la flexibilité se caractérisent donc par la ligne courbe. Comme conséquence, quelle que soit la position qu’elle occupe, sa signification est plus conciliante, et par la suite moins précise et moins accentuée que celle de la ligne droite. En outre, quand deux lignes droites se rencontrent, elles forment un angle, et les angles, en arrêtant brusquement la lumière, donnent aux surfaces un aspect évident de carrure, de solidité, de résidence et d’énergie. Lorsque, au contraire, les surfaces s’arrondissent, le passage de la lumière à l’ombre et de l’ombre à la lumière s’opère graduellement. L’impression s’émousse, si l’on peut dire ainsi ; et la sensation devient plus agréable sans doute. Elle est, en tout cas, moins sévère, moins nette, moins accentuée et moins grandiose. De là vient que le peintre, lorsqu’il se propose de donner à sa peinture un caractère viril, énergique, vigoureux ; lorsqu’il s’efforce de produire une impression puissante et durable, il n’emploie les lignes courbes qu’avec une grande discrétion. Par contre, elles lui sont d’un grand secours pour relier les différents éléments d’une composition.

C’est pour cette raison que le célèbre peintre italien Raphaël et ses successeurs appliquaient les lignes courbes afin de donner des aspects gracieux à leurs modèles. Celui-ci en tant qu’artiste de génie, captait et fixait sur la toile la douceur des lignes courbes du corps féminin, la sérénité qui se dégage du corps au repos. Or, Albrecht Durrer utilisait souvent la ligne droite et la couleur dure et sèche. En effet, en tant que peintre et philosophe, ses compositions sont à la fois précises comme une construction logique et des personnages solides. Ses tableaux n’ont pas la grâce florentine ; mais la ligne et la couleur ont chez lui une puissance, une gravité et une signification intérieure qui s’imposent comme la vérité des mathématiques, alors que chez d’autres artistes, des poètes du cœur comme Vermeer, la ligne a plus de souplesse, et la couleur plus de tendresse et de sensualité.

Dans le tableau de « La jeune fille à la perle », un chef-d’œuvre de Vermeer, le peintre a conservé l’intégrité de la ligne continue.

La leçon de Vermeer, entendue successivement par Ingres et Bonnard, tient en ce précepte : « pour donner à un ensemble l’intensité voulue sans l’alourdir par la multiplicité des valeurs, il faut réduire les contrastes secondaires à modulation musicale. »

Dominique Ingres, célèbre peintre français du XIXe siècle, obsédé par la ligne courbe, « n’hésitait pas à modifier l’anatomie pour rendre plus expressifs et plus beaux le dessin d’une figure et la trame linéaire d’une composition. »

Cette obsession pour la ligne courbe se trouvait aussi chez les artistes hindous de l’Antiquité. Pour exprimer la vitalité harmonieuse et sensuelle du corps féminin, ces derniers ne s’inspiraient pas, comme les Grecs, de la géométrie, mais des lignes courbes pour le dessin d’un sourcil, d’un bras ou du visage de la femme.

Aussi certains peintres et sculpteurs, grâce aux lignes courbes, animent l’espace ou la forme en lui donnant une apparence du mouvement et de mobilité plus ou moins rapide et plus ou moins souple.

Par exemple, le génie de Michel Ange « a symbolisé et suggéré le mouvement de l’ascension du Christ dans un mouvement hélicoïdal très net. À remarquer l’aisance avec laquelle le regard peut passer de la position horizontale d’une main (qui rappelle la mort) à la position verticale de l’autre qui pointe vers le Ciel. À remarquer aussi la façon dont Michel-Ange a usé de la perspective pour réunir les deux jambes en une forme effilée comme une volute de fumée à sa naissance ». (Fig. 4) Emporté par un mouvement hélicoïdal, le corps de Jésus s’élève progressivement de la vie mouvementée de la nature aux grands symboles. On relit le vécu à l’expression sans même s’en apercevoir, car il n’y a pas de rupture.

Fig. 4 : L’ascension du Christ

 

Dans la danse aussi comme dans l’art plastique, il faut éviter les gestes angulaires, exécutés avec les bras, les jambes et tout le corps. Il faut chercher la grâce dans le mouvement, sortir de la verticalité et de l’horizontalité. C’est la difficile et rude éducation des danseurs, comme le mouvement qui a été illustré dans la figure suivante. (Fig. 5)

Fig. 5 : Illustration d’un mouvement gracieux dans une danse.

 

La ligne courbe dans la poésie  

 

Comme la grâce visuelle, la grâce verbale s’exprime à l’aide de mouvements ronds par exclusion de mouvements brusques. On le sent intuitivement à la lecture de certains poèmes. Certains vers coulent comme une ligne courbe alors que d’autres heurtent à l’écoute, formant comme des angles.

Voici un poème en prose de Charles Péguy, qui est souple et flexible comme une ligne courbe : (Fig. 6)

Fig. 6 : Un poème en prose de Charles Péguy, qui est souple et flexible comme une ligne courbe.

 

« Ce passage est lyrique ; les phrases y ont un développement large, une amplitude solennelle. Les quatre premiers éléments reprennent une même intonation, complexe et nuancée, faite d’une modulation ascendante et sur un ton de plus en plus élevé. Puis la mélodie reste plane, et s’abaisse lentement jusqu’à étoile pour remonter jusqu’au silence et redescendre ensuite jusqu’à la fin de la phrase.

La seconde phrase, reprenant la même forme syntaxique, retrouve une mélodie ascendante jusqu’à homme, et cette fois, les éléments qui suivent seront tous plus bas jusqu’à la chute finale. Les deux derniers alinéas sont de ton plus familier. Une idée nouvelle s’ajoute qui n’est pas tout à fait sur le même plan, et le registre grave marque ce changement. Ainsi l’ensemble oscille par trois fois du ton aigu au ton grave pour s’achever sur les notes encore plus basses. » 

Par contre, les vers suivants de Ronsard peuvent ne pas être agréables à l’oreille :

 

Adieu, belle Cassandre, et vous belle Marie,

Pour qui je fus trois ans en servage à Bourgueil

Cette gêne vient du fait que « dans la prononciation classique où se faisaient les liaisons des « s », ce vers devient :

Pour qui je fus trois zan zan servage à Bourgueil

 

Ainsi notre oreille ressent « un double effort musculaire imposé à notre bouche par zanzan (…s ans en…), groupe de sons dont les éléments (la consonne dentale z et la voyelle nasale â) ont respectivement le même point d’articulation ». Ce mauvais rapport de voisinage des mots empêche ainsi la mélodie verbale. À partir de ce point, si nous symbolisons le poème de Péguy par la figure 7 et le vers de Ronsard par la figure 8, nous pouvons conclure :

La figure 7 a engendré un espace rond qui n’oppose pas résistance au corps imaginaire.

La figure 8 est un espace structuré par un effet de perspective qui impose des points fixes contre lequel on se « casse ».

Fig. 7
Fig. 8

 

Ligne courbe dans la poésie de Saadi

 

La technique vers laquelle Saadi s’acheminait reposait sur l’espace rond. La mélodie verbale que nous pouvons appeler désormais « la ligne courbe de la poésie » est plus visible en particulier dans sa poésie lyrique. Elle est comme une harmonie des sons qui se succèdent dans les vers, et font à l’oreille un effet agréable. Voici l’un de ses ghazals, qui confirme cette vérité :

 

آن چه عیب است که در صورت زیبای تو هست

 وان چه سحر است که در غمزه فتان تو نیست

 

Transcription :

Ân che eyb ast ke dar soura-e zibây-e to hast ?!

vân che sehr ast ke dar ghamzey-e fattan-e to nist ?!

Traduction :

Quel est ce défaut qui existe sur ton beau visage ?!

Quelle est cette magie qui n’existe pas dans ton œillade ensorcelante ?! 

Le vers est mélodique sans aucune résistance. Les éléments de la phrase s’ajustent comme il faut, sans artifice. Les deux mots « hast » et « nist », malgré leur sens paradoxal, harmonisent le vers. Le thème n’est pas nouveau, mais il n’est pas non plus étranger pour les interlocuteurs. C’est cette harmonie qui constitue la nouveauté du vers. On dirait qu’il exprime nos sentiments de la meilleure façon. Ce choix précis des mots et cette justesse de la langue aboutissent à une concision qui constitue la qualité supérieure de l’art de Saadi. En voici un autre exemple :

سروی بالایی به صحرا می رود  

رفتنش بین تا چه زیبا می رود 

 

Transcription :(Fig. 9)

 

Traduction :

Une jolie fille élancée va vers la campagne,

Regardez avec quel mouvement gracieux elle marche.

Fig. 9

 

Comme toujours, la continuité et l’harmonie sont visibles dans ce vers. De plus, Saadi y dessine avec quelques mots, comme un peintre habile, un tableau mobile d’une campagne enchantée, lumineuse, colorée et poétique vers laquelle une jolie jeune fille élancée marche gracieusement.

Tout ce passage est chargé d’une affectivité amoureuse. La première partie est ascendante jusqu’au mot « sahrâ », puis la montée progressive est suivie d’une chute sur le mot « miravad ».

La seconde partie a une mélodie parallèle, mais plus basse. 

Afin de montrer l’originalité de Saadi, il importe de signaler que dans les vers de certains poètes célèbres soit arabes, soit persans, il existe des dissonances que l’on appelle en persan « تنافر حروف ». Voici un vers de Khaghani qui contient cette dissonance :

 

گر زخم زنی سنانت بوسم

ور خشم آری رضات جویم

Transcription :

Ghar zakhm zani sanânt bousam

Var Khashm Âri rezât jouyam

 

Traduction : 

Même si tu me blesses par une lance j’embrasserais celle-ci

Même si tu es mécontente de moi, je tâcherai de te faire plaisir. 

 

En récitant ce vers, on constate que le mot « Khashm » et « Âri » sont en dissonance par une réunion de sons qui ne s’accordent pas, car en proposant le mot « Khashm », le son partant du gosier se termine lorsque la bouche se ferme. Pour la prononciation du mot « Âri », nous devons ouvrir la bouche pleinement ; cela fait de brusques sauts, dont l’effort peut être mesuré par une ligne brisée. Pour supprimer cette résistance, il faut suivre d’un accord convenable entre ces deux mots qui se refusent.

En suivant le procédé de Saadi, nous pouvons utiliser le mot « Koni » à la place de « Âri » qui est synonyme de ce mot, et ne s’oppose pas non plus au mot « Khashm ». Avec cette modification, nous avons enlevé la résistance de distique. (Fig. 10), car à la suite du mot « Khashme » pour prononcer « Koni », la bouche s’ouvre non pas trop brusquement, mais doucement, comme on peut observer dans la figure suivante :

Chez Khaghani (1-Khashm 2- Âri) 

Chez Saadi (Khashm koni) 

Fig. 10

Il est évident que l’on ne peut pas utiliser n’importe quel mot dans la poésie, car il y a des mots pour la prose et d’autres pour la poésie. D’ailleurs, Jean Racine avait été « violemment attaqué pour avoir introduit dans ses tragédies des familiarités indignes de la poésie ». Cependant, les poètes sont obligés de temps à autre d’utiliser certains mots non poétiques. 

Par exemple, le mot « Âghché=آقچه » est un mot turc qui signifie « une pièce d’or ». C’était un mot populaire que l’on utilisait certainement dans la langue parlée à l’époque de Khaghani et de Saadi. Khaghani utilise ce mot dans le vers suivant :

 

شاهد طارم فلک رست ز دیو هفت سر

ریخت بهر دریچه ای آقچه زر شش سری 

 

Transcription :

Shâhed târom-e falak rast ze div-e haft sar,

Rikht behar dariche-yi âghché zarr-e shesh sari,

 

Avant de présenter la traduction du beyt, il est nécessaire d’expliquer le sens de certaines expressions de celui-ci. « Shâhed târom-e falak », « div-e haft sar » et « zarr-e shesh sari » signifient respectivement : le soleil, la terre et une ancienne idole.

 

Traduction :

Le soleil s’est sauvé de la prison de la terre

Il jette les pièces d’or qui ressemblent à l’idole.

 

Ici, le mot « Aghcheh » au côté du mot « Dariche » produit une dissonance dans ce distique et choque les oreilles, car les voyelles successives « i » et « â » produisent une dissonance, et l’articulation du distique qui se succède le long d’une ligne brisée. 

Dans le vers suivant, Saadi a utilisé également ce même mot « Âghcheh », mais en atténuant son effet sonore désagréable :

مژدگاني که گل از غنچه برون مي آيد

صد هزار آقچه بريزند عروسان بهار

Transcription :

Mojhdegâni ke gol az ghonch-e boroun miâyad,

Sad hezâr aghche rizand arossan-e bahâr.

Traduction :

Bonne nouvelle, la rose vient de sortir du bourgeon,

Les mariées du printemps jettent cent mille pièces d’or

 

Dans ce distique, Saadi a mis le mot « Âghcheh » dans le premier vers en symétrie avec le mot « Ghonche » dans le deuxième. Le mot « Hezar » est mis au côté du mot « Âghcheh ». Cette symétrie et le parallélisme renforcent les allitérations ou les timbres voisins. La voyelle « â » au côté de la consonne « r » produit une assonance de telle sorte que les mots s’articulent les uns aux autres et établissent une continuité.

Nous pouvons citer de nombreux exemples d’une telle continuité dans les vers de Saadi, dont le charme serait rompu si on les modifiait.

En voici un exemple : 

 

زهر از قبل تو نوشداروست 

فحش از دهن تو طیبات است

 

Transcription :

Zahr az ghebal to noush dâroust

Fohsh az dahan-e to tayebât ast

Traduction :

Le poison venant de toi est un nectar

Les vilenies sortant de ta bouche deviennent sauves

 

À la place de « Ghebal » qui est un mot d’origine arabe, il aurait pu mettre le mot persan « dast=دست » qui est synonyme de « ghébal » et écrire comme suivant sans changer le rythme ni le sens du vers :

 

از دست تو زهر نوش داروست

فحش از دهن تو طیبات است

 

Transcription :

Az dast-e to zahr noush dâroust

Fohsh az dahan-e to tayebât ast

 

Avec cette modification, le sens et le rythme restent plus ou moins les mêmes, c’est pourquoi les autres mots s’ajustent bien musicalement. De plus, Saadi insiste dans ce vers sur deux mots « Zahr » et « Fohsh » en positon de sujet. Il les a mis au début de chaque phrase. Ainsi il a renforcé non seulement le sens, mais construit une symétrie.

À propos de cette innovation de Saadi, le critique contemporain Ali Dashti a dit à juste titre : « Il semble qu’une ligne courbe continue existe dans la poésie de Saadi en particulier dans sa poésie lyrique, qui la rend mélodique. La succession des mots ne la brise en aucune façon. Cela est comme une résonnance étendue d’une onde sonore issue d’une vaisselle en cristal, qui se propage, c’est-à-dire se déplace et s’affaiblit en s’éloignant et finit par se perdre gracieusement ».

 

1.5. La musicalité

 

La poésie de Saadi présente aussi des qualités mélodiques irréfutables. La ligne mélodique apparaît comme entièrement surmontée d’une courbe de liaison que les musiciens utilisent pour éviter l’interruption du son entre les notes. Ce caractère de la poésie de Saadi est peut-être l’une de ses qualités les plus remarquables. Il n’est pourtant pas besoin de chercher longtemps un exemple d’une telle mélodie.

بخت جوان دارد آن که با تو قرین است 

پیر نگردد که در بهشت برین است

دیگر از آن جانبم نماز نباشد 

گر تو اشارت کنی که قبله چنین است

آینه پیش آفتاب نهادست 

بر در آن خیمه یا شعاع جبین است

گر همه عالم ز لوح فکر بشویند

عشق نخواهد شدن که نقش نگین است

گوشه گرفتم ز خلق و فایده‌ای نیست

گوشه چشمت بلای گوشه نشین است

تا نه تصور کنی که بی تو صبوریم

گر نفسی می‌زنیم بازپسین است

حسن تو هر جا که طبل عشق فروکوفت 

بانگ برآمد که غارت دل و دین است

سیم و زرم گو مباش و دنی و اسباب

روی تو بینم که ملک روی زمین است

عاشق صادق به زخم دوست نمیرد 

زهر مذابم بده که ماء مَعین است

سعدی از این پس که راه پیش تو دانست

گر ره دیگر رود ضلال مبین است

 

Traduction :

Celui que tu retiens connaît un bonheur toujours jeune ;

Un paradis constant le garde de vieillir.

Depuis que je te vois, je sais où tourner ma prière :

C’est vers ton Orient que monte ma ferveur.

Ton front rayonne-t-il à la porte du Sanctuaire ?

Dresse-t-il un miroir en face du soleil ?

Du champ de mon esprit, j’ai banni l’univers sensible :

L’amour précieux y garde son éclat.

J’ai renié le monde : en ai-je le moindre avantage ?

La lueur de tes yeux me comble de malheur !

Pourtant je t’aimerais tant que m’animera le souffle,

Et je rendrai le souffle en frémissant d’amour.

Quand tu parais, l’amour frappe d’éclatantes cymbales,

Et des troupes d’amants se lèvent sous tes pas.

L’amant vrai ne meurt pas des blessures de son amie :

Le poison qu’elle verse est une eau de cristal

Maintenant que Saadi suit la lumière que tu traverses,

Toute autre voie serait le chemin de la nuit.

 

Fort heureusement d’ailleurs, ce poème nuancé et richement varié a été mis en musique par les musiciens contemporains et a été chanté par plusieurs chanteurs iraniens. Voici le motif musical de ce ghazal qui a été chanté dans le Dastghâh-e Mâhur. Celui-ci exprime la dignité, la majesté, et très riche, « reflète des états d’âme vanités, dans un caractère dominant de noblesse ». (Fig.11-12)

Fig. 11
Fig. 12

 

  1. L’art poétique de Saadi : Sous Langage

 

Toutes ces techniques poétiques sont, en réalité, un moyen pour que ce grand poète parvienne à exprimer aisément ses sentiments. Dans la poésie de Saadi, les idées règnent sur les formes. Il est nécessaire de lire ses poèmes en entier pour en ressentir et savourer l’effet. Il faut que le lecteur se prépare d’une manière dynamique pour en recevoir la révélation active. Une lecture superficielle donne à croire que le poète hésite. Au contraire, il vibre, mais il s’agit d’une vibration que soulève l’émotion morale ou passion. Dans l’âme du poète, c’est son être même qui vient croire et diminuer, s’ouvrir et se fermer, descendre et montrer.

Disons tout d’abord que Saadi est le seul poète qui nous ait révélé, dans toute son intégrité, l’âme véritable d’un amoureux. Les autres poètes –ô combien nombreux !– sont pour la plupart, restés à la surface du sujet. Il faut exempter pourtant les ghazals mystiques de Rûmi, qui incarnent l’amour divin.

Dans le poème suivant, il exprime les sentiments d’un amoureux dans la nuit de la séparation d’une manière qui rompt nos habitudes de lecteur. Il nous dessine le tableau d’un amoureux dans l’obscurité d’une nuit profonde. En fait, la nuit est un temps plus intime que le jour (plus collectif) et chacun y retrouve un temps à soi. De plus, la nuit symbolise un moment de régénération, de repos bénéfique pour l’organisme. C’est aussi le temps des rêves, cette voie royale vers l’inconscient. Ce qui se joue la nuit, c’est l’accès au désir, au moment où nous quittons le monde et entrons dans le rêve. Elle suppose, en effet, de lâcher son corps et son esprit pour aller explorer des zones inconnues. C’est dans ce moment qu’un amoureux songe à sa bien-aimée, dialogue avec elle, converse de la mort et d’autres questions angoissantes.

 

شب فراق که داند که تا سحر چند است؟
مگر کسی که به زندان عشق دربند است 

گرفتم از غم دل راه بوستان گیرم
کدام سرو به بالای دوست مانند است 

پیام من که رساند به یار مهرگسل 
که برشکستی و ما را هنوز پیوند است

قسم به جان تو گفتن طریق عزت نیست
به خاک پای تو وآن هم عظیم سوگند است

که با شکستن پیمان و برگرفتن دل
هنوز دیده به دیدارت آرزومند است

بیا که بر سر کویت بساط چهره ی ماست
به جای خاک که در زیر پایت افکند ست

خیال روی تو بیخ امید بنشاندست
بلای عشق تو بنیاد صبر برکندست

عجب در آن که تو مجموع و گر قیاس کنی
به زیر هر خم مویت دلی پراکنده ست

 

گر برهنه نباشی که شخص بنمایی
گمان برند که پیراهنت گل آکند است

ز دست رفته نه تنها منم در این سودا
چه دست‌ها که ز دست تو بر خداوند است

فراق یار که پیش تو کاه برگی نیست
بیا و بر دل من بین که کوه الوند است 

ز ضعف طاقت آهم نماند و ترسم خلق
گمان برند که سعدی دوست خرسند است 

 

Traduction :

On sait que la traduction d’un poème lyrique d’un grand poète fait perdre une partie de sa beauté, spécialement en ce qui concerne les jeux de mots et la musicalité du vers. Il suffit de reprendre le texte original pour ressentir la différence. Cependant, la traduction suivante est restée fidèle au contenu :

 

Seul, celui qui dans la passion de l’amour se trouve aux liens ;

Sait combien dure jusqu’à l’aube la nuit de la séparation.

Allons ! je prends la voie du clos pour échapper à mon chagrin ;

Quel cyprès serait comparable à la taille de l’être aimé ?

Qui donc transmettra mon message à l’être qui brisa le pacte :

« Toi, tu as brisé avec moi ; mais moi, je tiens encore à toi. »

Si je fais serment par ta vie, c’est indigne de ta grandeur ;

Donc, « poussière de ton pied » et c’est un très grand serment.

Bien que tu aies brisé le pacte et que tu aies repris mon cœur ;

Mes yeux sont encore la proie du désir de te contempler.

Viens donc à l’entrée de ta rue, mon visage est comme un tapis ;

Qui pour se trouver sous tes pas, au lieu de terre est entendu.

Ta face, imaginée, fixa la racine de mon espoir ;

Mais le mal d’amour renversa les fondements de ma constance.

Ô surprise ! Tu es tranquille ! Mais si tu y réfléchissais ;

Un cœur se trouve en désarroi dessous chacune de tes boucles.

Si tu n’es pas en nudité et montrant toute ta personne ;

On pensera que c’est l’envelopper d’une rose.

Je ne suis pas seul éperdu en cette frénésie d’amour ;

Que des mains sous ta cruauté s’élèvent pour implorer Dieu !

À tes yeux, quitter un ami n’est pas même un fétu de paille ;

Viens ! Et vois donc que sur mon cœur j’ai un mont lourd comme l’Elvend.

Épuisé dans mon endurance, je suis sans soupirs ; et je crains ;

Que les gens ne croient pas que Saadi est satisfait de l’être aimé.

 

Remerciements :

Je tiens à remercier Madame Florence Rafatian pour sa lecture attentive et ses remarques précieuses.

 


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