N° 178, hiver 2022

Les populations roms en Iran


Arash Khalili


Les Roms sont généralement désignés en persan par un terme d’origine incertaine : « kowli ». Il n’est cependant pas certain que tous les groupes appelés « kowli » soient des Roms, ni que seuls les groupes appelés « kowli » doivent être considérés comme des Roms.

En réalité, presque partout en Iran, il existe des groupes minoritaires aux caractéristiques similaires à celles des Roms, mais ils sont appelés dans chaque région par des noms différents. 

Photos : village de Zarkar dans le département d’Abyek (province de Qazvin)

L’identité de ces groupes étant incertaine, il n’existe pas de statistiques à leur sujet. Leurs origines sont tout aussi obscures.

Une légende rapportée dans Le Livre des Rois du poète épique iranien Ferdowsi (940-1020), qui a été reprise par certains auteurs modernes comme l’orientaliste néerlandais Michael Jan de Goeje (1836-1909) ou l’orientaliste italien Alessandro Bausani (1921-1988), explique l’origine de la présence des Kowlis (Roms) en Perse :

Vers la fin de son règne, le roi sassanide Bahram V Gour (420-438 de notre ère) apprit que les pauvres et les gens des classes inférieures n’avaient pas les moyens de profiter de la musique. Il demanda au roi des Indes de lui envoyer dix mille « Luri », hommes et femmes, experts en musique, en danse et en chant. Lorsque les Luris arrivèrent en Perse, Bahram V donna à chaque famille un bœuf, mais aussi un âne chargé de sacs de blé pour qu’elle puisse vivre de l’agriculture et jouer de la musique gratuitement pour les gens. Mais les Luris mangèrent le bœuf et le blé et revinrent un an plus tard les joues creusées de faim, n’ayant plus rien que leur âne. Furieux de voir qu’ils avaient gaspillé ce qu’il leur avait donné, le roi leur ordonna de faire charger leurs valises sur leurs ânes et d’aller errer à travers le monde… »

Certes, cette légende est digne d’intérêt mais ne reflète pas la vérité de la vie réelle des Kowlis et des groupes assimilés. Pourtant, cela nous apprend que ces groupes de « Roms » vivaient en Perse bien avant la période islamique. 

La culture iranienne semble avoir attribué certaines caractéristiques communes aux Kowlis et aux groupes similaires : ils formaient souvent de petits groupes de deux ou trois familles en mouvement, vivaient sous des tentes ou des habitations temporaires, suivaient les migrations saisonnières des tribus nomades pastorales auxquelles ils étaient plus ou moins attachés ou se déplaçaient de village en village et en banlieue des villes. Cependant, il existe depuis longtemps des quartiers dans certaines villes (notamment au Khorasan) où les Kowlis vivent en permanence.

L’économie des Kowlis repose sur l’approvisionnement des nomades ou des agglomérations qu’ils fréquentent en services ou en articles manufacturés contre de l’argent ou des biens. Leurs spécialités professionnelles sont la forge, le colportage, la fabrication de petits objets d’usage courant, etc. Ils travaillent également comme musiciens et, de façon plus marginale, en tant que comédiens de fanfare et de spectacles animaliers.

Bien que les Kowlis soient musulmans, chiites ou sunnites selon les cas, et adoptent en partie la langue des communautés villageoises ou tribales pour lesquelles ils travaillent, ils sont restés marginalisés. Le mot générique « ghorbani » (étranger, avec une forte connotation péjorative : isolé, exilé) par lequel les Kowlis sont désignés dans de nombreuses régions révèle clairement cette marginalisation.

Le critère linguistique lui-même est de peu d’utilité pour déterminer l’identité ethnique des Kowlis. Cependant, une chose est sûre : pour tous ces groupes, le persan ou les langues locales des villes et des villages auxquels ils s’associent, a été jusqu’à l’époque du développement de la scolarisation, une deuxième langue ; une langue de travail. Cependant, les études linguistiques de ces groupes sont trop fragmentaires et trop partielles pour permettre d’établir des conclusions définitives quant à la nature de leur langue. Les linguistes sont étonnés par l’existence de termes communs entre plusieurs groupes. Malgré leur fragilité, ces quelques similitudes semblent indiquer l’existence et la permanence en Iran d’une langue et d’une culture au moins partiellement communes entre les groupes de Kowlis et les groupes assimilés, malgré la forte perte de culture en raison de la fragmentation et de la dispersion géographiques.

La présence, dans ces langues, de mots proches de l’hindi, du romani et du manouche (parlé en Europe) est aussi frappante. Ces similitudes semblent indiquer que les groupes en question, leurs langues et leurs cultures pourraient être considérés comme faisant partie d’une vaste nébuleuse de Roms.

Toutes les langues des Roms sont typologiquement hybrides et reflètent les résultats du contact avec les langues hôtes successives au cours des siècles. Cela inclut des restructurations majeures dans la morphologie et la syntaxe. L’étape finale de ce processus est la perte de la grammaire d’origine, tout en conservant une partie importante du lexique hybride.

La plupart des autres dialectes et variantes de la langue des Kowlis dans les régions iraniennes sont basés sur des variantes locales du persan, ayant adopté à la fois la morphologie et la syntaxe des langues locales.

Les dialectes kowlis dans les zones de langue iranienne constituent dans l’ensemble un continuum de l’Asie centrale et de l’Afghanistan à travers l’Iran jusqu’à certaines parties du Caucase du Sud (Géorgie, Arménie et République d’Azerbaïdjan), de la Mésopotamie (Irak) et de l’Anatolie orientale (Turquie). Il y a cependant deux exceptions : il y a deux dialectes romanis européens qui ne sont parlés que par deux petites populations regroupées dans deux villages, l’un près de Qazvin (ouest de Téhéran) et l’autre près de Ghouchan (Khorasan du Nord). De ces deux dialectes d’origine « européenne », c’est seulement le dialecte du village de Zarkar dans le département d’Abyek (province de Qazvin) qui a entièrement conservé la morphologie du romani parlé en Europe. Ce dialecte est probablement originaire du sud de la Bulgarie.

Photo par Bahâr Mohammadiân

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