N° 178, hiver 2022

BASELITZ, LA RÉTROSPECTIVE
Centre Georges Pompidou, Paris
20 octobre 2021, 7 mars 2022
L’acte de créer, peindre, sculpter, comme sujet.


Jean-Pierre Brigaudiot


Baselitz est un artiste allemand né en 1938 dans la région de Dresde, ville qui va se trouver du côté Est de l’Allemagne vaincue, partagée en deux. Il est donc né à la veille de la Seconde Guerre mondiale et avait 7 ans en 1945, lorsque cette guerre prit fin. D’une manière ou l’autre il a vécu en tant qu’enfant, l’effondrement de l’Allemagne et les ravages d’une guerre totale. Il s’ensuit sans nul doute un nombre conséquent de souvenirs, cauchemars et traumatismes conscients ou étouffés de ce à quoi Baselitz a pu assister, tout cela jouant certes un rôle déterminant quant à ce qu’est devenu Baselitz, l’artiste.

Vue de la rétrospective Georg Baselitz au Centre Pompidou (© Centre Pompidou - Bertrand Prévost)

Les Expressionnismes

Dans l’histoire de l’art du vingtième siècle, l’œuvre de Baselitz, principalement peinte, mais aussi amplement sculptée, trouve sa place parmi les mouvements expressionnistes, ce sont des tendances artistiques qui jalonnent ce siècle sous des formes et à des dates différentes, avec pour caractéristiques principales de mettre en avant l’expression spontanée de soi, souvent brutale, voire violente. Bref, il s’agit d’un art de l’immédiateté constitué d’œuvres réalisées sans raffinement, ni mise en œuvre, ni applications savantes et délicates dans l’élaboration. Cette forme d’expressionnisme du vingtième siècle, au sein de laquelle on trouve l’œuvre de Baselitz, avant de s’imposer aux USA et notamment New York dans les années 80, comporte préalablement différents moments où se sont développés plusieurs expressionnismes, et cela dès le tout début du vingtième siècle. Munich et Berlin seront les foyers de ces premiers expressionnismes, avec par exemple des artistes comme Munch et Kirchner. Pour autant, au fil du vingtième siècle, on peut répertorier des figures notoires d’artistes, autres qu’Allemands, qui ont connu des périodes, sinon des carrières expressionnistes. Tel fut le cas de Picasso, le Picasso de Guernica ou celui des dernières années de sa vie où la peinture rejoint, dans sa forme et son mode d’exécution, le mouvement de la Bad Painting que l’on peut considérer comme un expressionnisme, par la spontanéité du faire et son goût du non fini. New York comme pôle essentiel de l’art contemporain de la seconde moitié du vingtième siècle, connut donc des poussées expressionnistes très marquées, tels la Bad Painting ou l’Expressionnisme Abstrait, celui dont Pollock fut l’épicentre, avec entre ces deux tendances l’expressionnisme resté figuratif de Willem Kooning.

Modèle pour une sculpture, 1979-1980, © Georg Baselitz, 2021

Mythologies et héros.

Pour Baselitz, le parti pris est de créer une sorte de mythologie et de panthéon à la fois fondés sur ceux de l’Allemagne avec ses légendes et héros et sur ceux qu’il invente. Les figures de héros légendaires peuplent autant ses peintures que ses sculptures, en grands ou très grands formats. La représentation de ces personnages qui peuplent l’art de Baselitz est loin d’user des raffinements techniques offerts par les arts en d’autres cas, avec finitions et amabilités que l’on trouve chez certains autres artistes des différentes figurations convoquant peu ou prou des thèmes identiques. L’art de Baselitz n’est point aimable, bien au contraire, il est brutal, ayant à voir avec certaines formes de l’Art Brut (bien que n’ayant rien à faire directement avec cette forme d’art), exhibant le faire. « ... Je suis brutal, naïf et gothique… », dit-il.

Georg Baselitz, (1938, Empire fédéral allemand), Ralf III, 1965, peinture, huile sur toile, Dimensions 100,5 x 80 cm

La peinture est souvent épaisse, lourde, terreuse, étalée avec force gestes sur de très grands formats qui renvoient à la peinture d’histoire, celle qui hante les musées, le plus souvent en immenses formats. Peintes à larges coups de brosses et pinceaux, les figures sont comme « bâclées » en leur représentation. Cette peinture, cet art de Baselitz se veulent une résurgence, une résurrection, et au-delà des mythes allemands elle est une renaissance, un nouveau départ, notamment avec la série Ein neuer Typ (Un nouveau type), entre 1965 et 1966. Comme dans la série Die grossen Freunde (Les grands amis), apparaissent ces personnages délabrés, mal dessinés, figures bancales, comme en ruines, qui se dressent, énormes sur fond de paysages en ruines.

L’inversion de la figure.

C’est en 1969 que Baselitz va renverser/inverser la figure humaine, ou retourner le tableau avec les figures humaines représentées, dès lors, la tête en bas. Il accentue encore davantage les caractéristiques expressionnistes de sa peinture en peignant directement avec la main comme outil premier : trituration de la pâte picturale comme retour à un état supposé premier. Chez Baselitz, la peinture est une quête d’elle-même, plus que quoi que ce soit d’autre, à la recherche de ce qu’elle pourrait être pour dire son propre ressenti du monde. La figure inversée laisse ainsi davantage le champ libre à la perception de la peinture comme telle, élément primaire, médium s’exposant, dégagé du poids de la figuration, comme seul et vrai sujet. Selon la démarche de Baselitz, le sujet figuré occulte le faire et le médium pictural. La démarche est, de fait, bien proche de celle des expressionnistes abstraits qui vont, s’étant détachés du sujet représenté, afficher la spontanéité du faire, en tant qu’expression d’un ressenti de soi et du monde. Ainsi les expressionnismes figuratifs ou abstraits semblent se positionner comme des retours à un monde aux savoir-faire des plus élémentaires, sinon premiers, loin des sophistications d’une peinture dont le but serait de figurer au mieux et de la manière la plus crédible le visible ; peinture qui fut radicalement remise en question par la photographie.

Georg Baselitz, Fingermalerei – Adler, [Peinture au doigt – Aigle], 1972. Huile sur toile, 250 × 180 cm. © Georg Baselitz, 2021.

La sculpture

Elle est remarquable autant par sa monumentalité, monumentalité que même les plus petits formats donnent à ressentir. On y retrouve la brutalité et la force qui règnent en la peinture de Baselitz, mais plus percutante encore, car l’œuvre ne passe pas par les supports propres à la peinture, supports, qui peu ou prou la qualifient comme art de la re-présentation du visible, débouchant malgré elle et malgré la noblesse acquise par cet art, sur la production d’une image du monde. Blocs de bois sommairement équarris en totems des plus primitifs, où le travail se donne à voir et recevoir comme celui de la seule ébauche. Œuvres du non fini qui vont à l’essentiel, vers les mythes de l’humanité ; le bois brut, taillé grossièrement fait quelquefois place à son moulage en bronze non poli, ou mal poli, c’est à dire brut de décoffrage, noirâtre et non moins brutal que l’essentiel de l’œuvre de Baselitz.

Georg Baselitz, Lu dans la tasse, le jaune joyeux (2010). Huile sur toile. 270x207cm.

Avec une œuvre puissante qui frappe au cœur du spectateur. Baselitz est l’une des très grandes figures du mouvement auquel il contribue, ce Néo-Expressionnisme qui ramifiera bien au-delà de lui-même dès lors qu’il aura pris New York comme tremplin, en Europe ou ailleurs, en des mouvements aux argumentaires bien proches. L’exposition du Centre Pompidou laisse entrevoir et rappelle ces proximités que sont Kieffer et Schnabel, celles de la Bad Painting, Basquiat, Dubuffet, Picasso et les expressionnistes abstraits, gestuels ou non.

Photos : Vue de l’xposition de Bazelitz au centre Pompidou

Et le temps allant son cours, le long trajet effectué pour rencontrer l’œuvre de Baselitz peut quelquefois apparaître, durant la visite de cette très vaste exposition, comme relevant quelque peu d’un passé déjà dit. Sans doute que cette œuvre s’inscrit dans une modernité subvertie par une postmodernité très présente dans l’aire du monde de l’art, dans une actualité où la notion d’art évolue à grands pas vers une forme éphémère et consommable massivement de l’objet post-pop.

Les œuvres les plus récentes de Baselitz témoignent d’une prise de distance par rapport à la force, la brutalité et la violence qui les ont caractérisées durant plusieurs décennies. Les années les plus récentes montrent une peinture plus évanescente, plus liquide, où le couple de l’artiste et son épouse nous conduit dans un autre monde que celui des années antérieures. Même si cette peinture garde, chez Baselitz, force traces d’une pensée du monde établie depuis des décennies : l’exposition fut la rétrospective de 60 années de création dont la puissance est indéniable.


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