N° 101, avril 2014

La Fondation Avicenne, ex-Maison de l’Iran à la Cité Universitaire de Paris


Mireille Ferreira


La Cité Universitaire Internationale de Paris, utopie devenue réalité

L’histoire de la Cité Universitaire Internationale de Paris remonte aux années 1920. Les principaux initiateurs de ce projet d’hébergement étudiant - Paul Appell (mathématicien, Recteur de l’Académie de Paris et Président du conseil de l’université de Paris) et André Honnorat (Ministre de l’Instruction publique) - avaient pour préoccupation l’amélioration des conditions de logements des étudiants et des universitaires invités. A cette époque, la ville de Paris venait de détruire les fortifications qui l’entouraient et avait pour projet de créer à leur emplacement un gigantesque anneau vert. Les promoteurs de la future cité universitaire eurent l’idée d’utiliser une partie de cet espace libéré. C’est ainsi qu’un des lots, situé au sud de la ville et occupant une surface de 34 hectares, leur fut attribué. Idéalement situé par rapport aux universités parisiennes du Quartier Latin puisque directement connecté à la ligne ferroviaire dite de Sceaux – devenue de nos jours la ligne B du Réseau Express Régional d’Ile de France. En outre, de par sa situation inscrite dans une zone verte au sud de la ville, le site présentait également l’avantage d’un climat aéré et ensoleillé, critère non négligeable eu égard aux piètres conditions de salubrité des logements étudiants de l’époque. Bien que situé dans la ville, c’est un lieu de promenade très agréable. Chemin des oiseaux migrateurs, en raison de la diversité des espèces d’arbres qui y sont plantées, il fait partie, de nos jours, des projets écologiques de la ville de Paris.

Maison de l’Iran, ossature métallique secondaire - Coll. Association L’Oblique

Une première maison, fondée et financée par de riches mécènes, Monsieur Emile et Madame Louise Deutsch de la Meurthe, est inaugurée en 1925, restant pendant trois ans la seule construction sur cet immense espace. Puis, l’idée des créateurs étant de donner à cette cité une dimension internationale en créant un lieu d’échanges d’où pourraient émerger de grandes idées, un appel est lancé à tous les pays du monde. C’est ainsi qu’aujourd’hui, 47 pavillons, complétés par des équipements sportifs et culturels, s’inscrivent dans l’espace de la Cité Universitaire. Actuellement, quarante de ces pavillons offrent un hébergement totalisant 5 800 chambres, accueillant chaque année 12 000 étudiants, chercheurs, artistes et sportifs. Ces résidences, financées par des mécènes, des industriels et des gouvernements étrangers, représentent tous les continents, à l’exception de l’Océanie. Elles illustrent les différents mouvements architecturaux du XXe siècle, évoquant, soit leur pays d’origine comme la Maison de Cuba d’un beau style colonial d’Amérique latine des années 1930, ou encore la Maison des Provinces de France, signée de l’architecte en chef du château de Versailles, Armand Gueritte, dont l’intérieur est orné de très belles tapisseries d’Aubusson, soit les différents styles modernistes du XXe siècle (Maison de l’Iran, Fondation suisse, Maison du Brésil, etc.) Ces résidences ont, pour certaines, été dessinées par des architectes de renom international, Le Corbusier étant le plus renommé. Quatre d’entre elles sont inscrites à l’inventaire des Monuments historiques, dont la Fondation Avicenne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Cité Universitaire a été très endommagée puis réhabilitée après guerre. Les bâtiments existants à cette époque ayant fait l’objet d’une rénovation dans le style des années 1950, il reste peu d’éléments de l’architecture d’origine.

La Maison de l’Iran, monument historique en danger

La Maison de l’Iran, inaugurée par Mohammad Rezâ Pahlavi en 1969 [1], est restée pendant plus de quarante ans le dernier édifice construit à la Cité Universitaire Internationale de Paris. Devenu lieu de rassemblement d’étudiants iraniens contestataires opposés au régime du Shâh, le gouvernement iranien de l’époque l’abandonna rapidement. Elle fut renommée Fondation Avicenne en 1972 sur décision de la Fondation de la Cité Internationale, en hommage au célèbre philosophe et scientifique persan. Sur le plan architectural, l’expressionnisme de sa structure métallique en a fait un édifice manifeste de l’histoire de l’architecture en France, c’est pourquoi elle fut inscrite à l’inventaire des Monuments historiques en 2008.

Un premier projet, imaginé au début des années 1960 par deux architectes iraniens, Mohsen Foroughi et Heydar Ghiâ’i [2] - proposait une architecture de type Bauhaus agrémentée de motifs inspirés de l’art décoratif persan. Ce premier projet fut refusé par l’administration de la Cité, jugeant sa grande hauteur - rendue nécessaire par la mono orientation des logements et des trois façades aveugles protégeant les logements les plus exposés aux nuisances sonores du boulevard périphérique qui borde le terrain - peu adaptée à l’exigüité du terrain. Afin de faire avancer leur dossier dans les méandres administratifs, André Bloc, plasticien réputé et fondateur de la revue L’Architecture d’aujourd’hui, les mit en relation avec Claude Parent, jeune architecte qui se chargea de faire repartir leur projet avec un programme plus conforme aux exigences de l’administration. La touche d’esthétique moyen-orientale du premier projet disparut totalement de cette nouvelle version, faisant place à un bâtiment de style contemporain. Mohsen Foroughi et Heydar Ghiâ’i furent chargés, pour ce second projet, de la configuration intérieure des espaces, faisant le choix de logements vastes et de paliers extérieurs généreux à chaque niveau et ils en supervisèrent le suivi.

Fondation Avicenne, pignon nord et escalier monumental
(photo : Mireille Ferreira)

Cet exemple rare d’un édifice suspendu à une ossature métallique représente, aujourd’hui encore, une réelle prouesse architecturale. Toute la Cité universitaire repose sur des anciennes carrières exploitées par la ville de Paris jusqu’au XIXe siècle pour l’extraction des pierres. Les fondations de la Maison de l’Iran ont dû traverser cet énorme gruyère au sol très instable, jusqu’à une profondeur de 25 mètres leur permettant de supporter la hauteur du bâtiment, composé de deux blocs superposés de quatre niveaux chacun, séparés par un « vide structurant » et s’élevant à plus de 30 mètres au-dessus du sol. Pour ce faire, Claude Parent et André Bloc ont imaginé un système de trois portiques métalliques monumentaux, chacun supportant les trois niveaux de construction sur lesquels furent suspendues les deux boîtes formant blocs d’habitation. A l’inverse des constructions traditionnelles où l’on installe d’abord les fondations sur lesquelles repose le bâtiment qui s’élève au fur et à mesure de la construction, on a d’abord construit les portiques, sur lesquels ont été accrochés les blocs d’habitation, en partant de celui du haut. C’est cette technique originale qui fait la grande valeur architecturale de l’ensemble.

La centaine d’unités d’habitations composant la résidence a été occupée jusqu’en 2007, mais depuis cette date, aucun résident ne peut y être logé en raison, d’une part, de la règlementation sur les risques sanitaires engendrés par la présence importante d’amiante dans la structure du bâtiment et, d’autre part, de la vétusté des réseaux techniques.

Seul le rez-de-chaussée, réaménagé par l’agence d’architectes Beguin & Macchini, est aujourd’hui utilisable. Il est occupé depuis avril 2013 par le Centre de valorisation du patrimoine, appelé l’Oblique, nom donné en référence aux principes architecturaux de Claude Parent qui privilégiait volontiers le plan incliné dans ses constructions, formalisés dans sa Théorie de la fonction oblique. Cette association, qui met à la disposition du public une importante documentation sur la Cité Internationale, propose un espace de médiation dédié à la présentation de son histoire, de ses missions, de son architecture et du développement de son territoire. Tout au long de l’année, elle organise, les premier et troisième dimanches de chaque mois, des visites guidées de la Cité Universitaire et de quelques-unes de ses maisons, conduites par des architectes ou des historiens.

Du fait de son inscription à l’inventaire des monuments historiques interdisant la suppression de la Fondation Avicenne, des solutions techniques et des financements qui permettraient une réhabilitation complètes sont actuellement recherchés. Un projet de rénovation, confié à la même agence d’architectes, a été engagé, avec pour mission de répondre aux exigences de performances thermiques, aux normes de confort contemporaines, ainsi qu’aux impératifs de restauration à l’identique exigés par l’inscription aux Monuments Historiques. Etant donné l’ampleur des travaux à réaliser, un budget important se révèle nécessaire à la remise en service de ce bâtiment, témoin de la riche histoire iranienne sur le sol français. C’est pourquoi, à l’heure actuelle, la réalisation de cette entreprise semble encore très incertaine.

Fondation Avicenne, pignon sud
(photo : Mireille Ferreira)

Remerciements :
- A Madame Pascale Dejean et à son équipe du centre de valorisation (L’Oblique à la Fondation Avicenne) de la Cité Universitaire internationale de Paris.

Notes

[1La Cité Universitaire n’était pas inconnue du monarque iranien puisque c’est là qu’il rencontra pour la première fois sa future épouse.

[2Ces deux architectes furent associés à l’architecte français Fernand Pouillon pour la conception et la réalisation des gares de Tabriz et Mashhad en Iran, de 1954 à 1964. L’Iran doit aussi à Mohsen Foroughi (1907-1983) la faculté des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran (en collaboration avec les architectes français André Godard, Roland Dubrul et Maxime Siroux), de nombreux édifices publics commandés par la Banque nationale d’Iran (Bank-e Melli), et par les Ministères de l’Education et des Finances. Il collabora avec Heydar Gholi Khân Ghiâ’i Shâmlou (1922-1985) aux plans de l’ex-Maison du Sénat de Téhéran, devenue siège du Parlement de la République islamique d’Iran de 1979 à 2005. Heydar Gholi Khân Ghiâ’i Shâmlou est également l’architecte de l’hôpital universitaire de Mashhad et de l’hôtel Hilton de Téhéran, connu de nos jours sous le nom d’Hôtel Esteghlâl (de l’Indépendance).


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