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En période estivale, quand le thermomètre affiche 42° à Téhéran et seulement 24° à Ardebil, c’est le bon moment pour visiter cette province septentrionale d’Iran, qui faisait encore partie de l’Azerbaïdjan oriental dans la dernière décennie du XXe siècle.
Cette région montagneuse, probablement la plus froide d’Iran, est recouverte de neige dès novembre. Elle est située sur la frange sud du massif caucasien, aux confins du nord-ouest iranien, entre la province caspienne du Guilân à l’est, la république d’Azerbaïdjan (ex-soviétique) au nord et la province iranienne d’Azerbaïdjan orientale à l’ouest. La région est majoritairement peuplée des groupes ethniques Azéri, Shâhsavan et Kurde. Les Azéris, dont l’origine précise n’est pas tranchée, seraient, selon différents chercheurs, d’origine turque en provenance d’Asie centrale, ou bien issus d’un peuple iranien ayant changé de langue à la suite des invasions turques, ou encore d’indigènes du Caucase qui auraient adopté la culture persane et la religion musulmane. Ils parlent une langue turco-altaïque, comme les Shâhsavan qui nomadisent durant l’été sur les pentes du Mont Sabalân. Les Kurdes d’Iran occupent principalement le nord-ouest de l’Iran, séparés des peuplements kurdes de Turquie, d’Irak et de Syrie par les frontières dessinées au lendemain de la Première Guerre mondiale.
De nombreuses traditions sont attachées à la ville d’Ardebil, située sur un plateau à 1300 mètres d’altitude, au pied du Mont Sabalân, volcan éteint, culminant à 4811 mètres. Fondée au Ve siècle de l’ère chrétienne par le roi sassanide Pirouz, elle fut conquise par les Arabes en 638 et détruite par les Mongols en 1220. Son nom viendrait de ce qu’autrefois, l’Iran était noyé par les eaux. Le roi Salomon les aurait canalisées vers la mer Caspienne avec l’aide de deux démons, Ard et Bil, et Zoroastre aurait écrit l’Avesta sur le Mont Sabalân.
Faute de place dans les hôtels d’Ardebil en haute saison touristique, la station thermale de Sar’eyn possède d’intéressantes ressources hôtelières. Cette ville, dénuée de toute curiosité architecturale, monumentale ou historique, a cependant la particularité de posséder une douzaine de sources d’eau chaude aux nombreuses vertus, traitant aussi bien les rhumatismes que le système nerveux, les troubles moteurs et digestifs, ou les maux de reins. Une foule familiale et populaire fréquente ses nombreux centres d’hydrothérapie, conférant aux rues de cette ville provinciale une ambiance festive de centre de villégiature, rare en Iran. Les boutiques de costumes et bonnets de bain, bouées et chaussures en plastique bordent la rue principale, juxtaposant les nombreuses échoppes des producteurs d’un des meilleurs miels d’Iran. Le soir venu, les arbustes métalliques décorant la voie publique, chargés de guirlandes lumineuses, très populaires partout en Iran, ainsi que les façades des hôtels de tourisme s’éclairent de bleu, rouge, vert ou violet, donnant à la ville une apparence festive.
Il ne faut surtout pas manquer de fréquenter le complexe d’hydrothérapie. Lorsque la tranche horaire leur est réservée, les baigneuses, équipées du bonnet à tranches colorées obligatoire, se frayent un chemin au milieu des tchâdors, près des vestiaires exigus, pour enfiler un costume de bain. L’eau à 42°C, a priori peu engageante en raison de sa teinte marron foncé, est quelque peu surprenante. Les non-habituées, réticentes au début, ne veulent plus sortir de cette étuve, malgré la rougeur qui leur vient aux joues. Cette épreuve, finalement bien revigorante, pourra être récompensée dans la soirée par la dégustation d’un excellent dِner kebab préparé à la mode d’Istanbul, dans un des nombreux restaurants qui bordent la rue principale.
La ville d’Ardebil offre aux visiteurs le plus bel exemple d’architecture islamique médiévale, agrandi entre le début du XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle. Il est constitué par l’ensemble du khâneghâh soufi, lieu de retraite spirituelle des derviches, et du sanctuaire de Sheikh Safieddin. Celui-ci, grand mystique, fondateur par ailleurs de la dynastie safavide, mort en 1334, fit d’Ardebil, sa ville natale, un centre spirituel. Ce site a été classé au patrimoine mondial des biens culturels par l’Unesco en 2010 en raison de la valeur exceptionnelle de son architecture, exemplaire des formes architecturales traditionnelles iraniennes et de la représentation des principes fondamentaux du soufisme - considéré comme la dimension intérieure mystique de l’islam. Effectivement guidée par la philosophie soufie, dont Sheikh Safieddin fut un des grands maîtres, l’architecture du site suit un cheminement conduisant au sanctuaire, articulé en sept étapes qui reflètent les sept stades du mysticisme soufi, séparées par huit portes qui représentent les huit attitudes du soufisme.
A l’origine, cet ensemble était organisé comme une petite ville autonome avec ses bazars, ses bains publics, ses places, ses lieux de culte, ses maisons et ses commerces. Il comprenait également la plus grande salle de cérémonie de son époque. Au XVIe siècle, Shâh Ismâïl, lointain descendant et successeur de Sheikh Safieddin en tant que maître soufi du Khâneghâh, devint le premier Shâh de la dynastie safavide et déclara le chiisme religion d’Etat. Le site acquiert alors une dimension politique et nationale en tant que sanctuaire du fondateur de la dynastie. Il accueillera une bibliothèque, où se trouvaient d’importants manuscrits historiques, dont une majorité écrite par les disciples du Sheikh (emportés par les Russes au XIXe siècle, ils sont actuellement à l’Institut d’Etudes Orientales de St Pétersbourg), une mosquée, une école, une citerne, un hôpital, des cuisines, une boulangerie, des bureaux. Il est de nos jours lieu de pèlerinage, ensemble religieux et musée. Il abrite, sous ses spectaculaires tours funéraires recouvertes de céramique bleue, les tombeaux d’une grande partie de cette famille qui régna sur l’Iran pendant plus de deux siècles.
Le spectaculaire tchini khâneh, ou musée des porcelaines chinoises, fut aménagé par Shâh Abbâs Ier safavide en 1612, sur l’emplacement de l’ancien khâneghâh dont le sous-sol abrite les tombes des disciples de Sheikh Safieddin. Ses magnifiques niches, disposées sous de gigantesques arches, évoquent celles du salon de musique du palais Ali Qâpou d’Ispahan, qui leur sont contemporaines. Elles contenaient la collection de Shâh Abbas, composée de plus de 1200 pièces de porcelaine, la plupart portant le sceau du monarque. En 1828, lors de l’invasion d’Ardebil par les Russes, une grande partie en fut dérobée, exposée depuis cette époque au Musée de l’Ermitage de St Pétersbourg. Les pièces qui échappèrent à cette razzia furent transférées, un siècle plus tard, au Musée national de Téhéran.
Un séjour dans cette région ne serait pas complet sans une excursion à Alvarèse, petite station de sports d’hiver, ouverte depuis quelques années sur le Mont Sabalân. Equipée d’un télésiège, d’un restaurant panoramique, de pistes synthétiques de ski d’été et de jeux gonflables pour les enfants, elle fait bien des efforts pour séduire le public.
Parmi les campements d’été des bergers, composés des âlâtchiq - les tentes de feutre hémisphériques des Shâhsavan qui parsèment la montagne - les femmes de cette tribu nomade cuisent le pain sur une plaque chauffée à même le sol, sous le regard impassible des chameaux de la tribu qui ruminent l’herbe rare trouvée sur le bord de la route.
Des piles de bouses de vache séchées sont disposées devant chaque maison des villages de bergers qui parsèment la route empruntée pour la descente vers Ardebil. Comme partout dans ces provinces d’Azerbaïdjan au climat rude, elles serviront de combustible durant la mauvaise saison. La précarité bien apparente de l’habitat rural ramène aux images des journaux nationaux, montrant chaque hiver quelques-uns des toits en terrasse de ces pauvres maisons, écroulés sous le poids de la neige, ou encore sous l’effet des secousses sismiques, fréquentes dans ces provinces du nord-ouest.
Sur la route vers l’aéroport d’Ardebil, l’usine d’embouteillage de la source Vâtâ, eau minérale bien connue des Iraniens, est la dernière image que les touristes emporteront de cette belle région de montagne, loin de l’idée largement répandue que l’Iran n’est qu’un vaste désert.