N° 174, hiver 2021

De l’origine iranienne des Croates


Babak Ershadi


L’origine des Croates avant la grande migration des Slaves dans l’Empire romain d’Orient en 568 reste incertaine. Les Croates modernes sont considérés aujourd’hui comme un peuple slave, mais des preuves à la fois archéologiques et historiques relatives à la grande migration des Slaves montrent qu’il y eut des relations et des échanges réciproques parmi les migrants slaves et les populations indigènes qui vivaient sur le territoire actuel de la Croatie.

 

Carte de la Croatie moderne.

La naissance d’une nation (ethnogenèse croate)

Une ethnie ou un groupe ethnique est une catégorie socialement définie de personnes s’identifiant les unes aux autres sur la base d’une expérience et d’une ascendance ancestrale, sociale, culturelle, ou linguistique. Un groupe ethnique est donc une population humaine qui considère avoir en commun une culture (un patrimoine historique et mythologique), une langue (ou un dialecte), un mode de vie, des traditions, des coutumes, mais aussi une origine géographique, idéologique, religieuse partagée, montrant une certaine durabilité sur le long terme.

Dans le cas croate, il est attesté qu’un certain groupe humain s’identifiait sous l’ethnonyme Hrvat (Croates), ou était identifié par les autres populations comme tel pendant le haut Moyen Âge, c’est-à-dire une période historique qui, par convention, commence en 476 avec la déposition du dernier empereur romain d’Occident, et qui dure jusqu’à la date symbolique de l’an 1000 (début de la société féodale et des raids vikings, ou le début de la dynastie des Capétiens en France en 987). Cette identité croate (Hrvati) devint explicite vers le Moyen Âge tardif (XIVe et XVe siècles) et se présente comme une « nation », mais pas dans le sens exact de la nation moderne contemporaine telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Tablette n° 2 de Tanaïs contenant le mot « Horoathos » (croate). Plateau métallique de l’époque sassanide représentant une scène de chasse de Bahrâm V Gour, accompagné de son esclave romaine Azadeh, selon Ferdowsi (Fetneh, selon Nezami).

La genèse de la nation croate actuelle a connu des composantes ou des phases différentes qui ont eu chacune son influence sur ses évolutions historiques :

  1. A) Dans l’ethnogenèse croate, il existe une composante préhistorique indigène qui date de l’âge de pierre d’il y a plus de 40 000 ans, et une culture néolithique plus jeune comme la culture de Danilo datant de 4700 à 3900 av. J.-C. Les céramiques découvertes à Danilo (côte orientale de l’Adriatique, aujourd’hui en Croatie) témoignent de ce patrimoine néolithique. Il faut également mentionner la culture de Vucedol (« Vallée des loups ») qui se développa en Croatie de 3000 à 2200 av. J.-C.
  1. B) une composante protohistorique de l’ethnogenèse croate comprend des peuples anciens comme les Illyriens et les Celtes. Les Illyriens étaient un peuple indo-européen des Balkans qui a fondé un royaume sur le territoire de l’Albanie actuelle en 385 av. J.-C. Les Dalmates et les Liburniens font notamment partie des Illyriens qui ont autrefois vécu sur le territoire actuel de la Croatie. Ils étaient tous d’origine indo-européenne. Les Dalmates occupaient la région méridionale de l’actuelle Croatie sur une bande littorale étroite de la mer Adriatique (appelée autrefois la Dalmatie). Les Liburniens étaient un peuple de marins habitant une région côtière au nord-est de l’Adriatique. Selon certaines sources, ils apprirent aux Romains l’art de la navigation, et c’est d’eux que vient le mot latin « Liburne », qui sert à désigner des navires légers et rapides utilisés comme navires de combat.

Les Celtes ou les populations mixtes celtes-illyriennes ont vécu pendant une certaine période en Croatie continentale. Les Lapydes (probablement d’une origine mixte celte-illyrienne) étaient un peuple ancien de langue indo-européenne qui habitait en Croatie continentale, au nord du territoire des Liburniens. Les documents archéologiques confirment leur présence dans cette région au moins depuis le IXe siècle av. J.-C., et pendant plus d’un millénaire. Néanmoins, les documents anciens les concernant sont plus pauvres que ceux consacrés aux populations côtières (Liburniens, Dalmates, etc.), qui avaient des contacts maritimes plus fréquents avec les anciens Grecs et Romains. Selon les historiens, au IVe siècle av. J.-C., il existait également plusieurs colonies grecques sur les îles et la côte de la mer Adriatique.

La colombe de Vucedol (une perdrix mâle) est un symbole de la fertilité et elle est l’emblème de la culture de Vucedol.

 

  1. C) Une composante de l’Antiquité classique (Ve-Ier siècles av. J.-C.) est présente dans l’ethnogenèse croate par le biais des conquêtes romaines. Cela a été à l’origine d’un mélange avec d’anciens peuples illyriens d’une part, et des colons et légionnaires de Rome, de l’autre.

Il y avait également une présence d’Iazyges, une branche occidentale des Sarmates, un peuple d’origine scythique, donc de langue iranienne. Les Iazyges apparurent pour la première fois sur le continent européen autour de la mer d’Azov (entre l’Ukraine et la Russie). Les Sarmates, eux, vivaient généralement entre les steppes pontiques de l’Europe de l’Est jusqu’au fleuve Oural (Russie actuelle). Sur le plan ethnolinguistique, ils appartenaient à une branche iranienne septentrionale du grand ensemble indo-européen. Parmi les peuples sarmates, il faut distinguer les Roxolans et les Iazyges.

Les Iazyges, dont la présence en Croatie fut temporaire, disparurent peu à peu avec les grandes invasions du Ve siècle de notre ère. Nous entendons ici par « grandes invasions » les grands mouvements migratoires des populations germaniques, hunniques et autres, à partir de l’arrivée des Huns dans l’est de l’Europe centrale aux environs de 375, jusqu’à celles des Lombards en Italie en 568, et des Slaves dans l’Empire romain d’Orient en 577.

 

  1. D) Pendant l’Antiquité tardive (période qui a débuté vers la fin du IIIe siècle) et le haut Moyen Âge, la nouvelle composante de l’ethnogenèse croate est celle de la période de migration, commencée par les Huns. Ces derniers étaient un peuple nomade originaire d’Asie centrale dont la présence en Europe est confirmée au moins à partir du IVe siècle. Dans la première phase des grandes migrations, les Wisigoths et les Suèves, tous deux appartenant au groupe des peuples germaniques, ne restèrent pas longtemps dans les territoires qui constituent la Croatie moderne. Durant la deuxième phase des grandes invasions, se produisit la grande migration slave souvent associée à la migration des Avars. Les premiers étaient d’origine indo-européenne, et les seconds un peuple de cavaliers nomades mongols. Les deux dominèrent une grande partie de l’Europe orientale.

 

Céramique de la culture de Danilo (Musée archéologique de Zadar).

Sources historiques anciennes

D’après les experts, il est encore difficile de parler avec certitude d’un ethnonyme « croate » (Hrvat) pour désigner une population spécifique avant le IXe siècle. Dans son ouvrage savant intitulé « De administrando Imperio » (De l’administration de l’Empire) dédié à son fils et successeur, l’empereur byzantin Constantin VII (qui régna de 913 à 959) parle de la « Croatie blanche », une région située dans le sud de la Pologne actuelle. En effet, environ 300 ans avant de s’installer au début du VIIe siècle dans le nord des Carpates puis dans le nord-ouest des Balkans (Croatie actuelle), des tribus croates appelées « Croates blancs » vivaient dans le sud de la Pologne. Mais l’empereur byzantin mentionne également un groupe de Croates (Hrvat) distinct des Croates blancs. Selon lui, ces derniers s’étaient installés de leur plein gré ou à la demande de l’empereur byzantin Héraclius (610-641) en Dalmatie, c’est-à-dire une bande littorale étroite de la mer Adriatique située en Croatie actuelle.

Constantin VII souligne dans son ouvrage qu’en Dalmatie, ces Croates combattirent et vainquirent les Avars et finirent par organiser leur propre principauté. L’empereur relate dans son ouvrage une légende selon laquelle ces Croates étaient dirigés par cinq frères (Kloukas, Lobelos, Kosentzis, Mouchlo et Chrobatos) et deux sœurs (Touga et Bouga). Selon certains érudits, un fils de l’un de ces cinq frères était Porga, l’un des premiers dirigeants des Croates, qui fut baptisé sous le règne de l’empereur byzantin Héraclius pendant la première moitié du VIIe siècle.

Bataille navale entre les Liburniens et la flotte picénienne selon les tablettes de Novilara (VIe ou Ve siècle av. J.-C.).

Cependant, les anciennes sources historiques ne donnent pas d’indications exactes de l’ethnogenèse de ces premiers Croates. Constantin VII n’indique aucune différence entre les Croates et les peuples slaves.

Jean Skylitzès (1040-1101), un historien byzantin du XIe siècle originaire d’Asie Mineure, soutient que les Croates, comme les Serbes, étaient d’origine scythique. Les Scythes étaient un ensemble de peuples indo-européens d’Eurasie, majoritairement nomades, parlant des langues iraniennes.

Un moine orthodoxe de Kiev, Nestor (1056-1106) est l’auteur de la célèbre Chronique des temps passés, la plus ancienne chronique slave orientale qui nous soit parvenue. Il évoque dans son ouvrage l’existence d’une union tribale slave orientale incluant les Croates.

L’auteur anonyme d’une œuvre prétendument médiévale (probablement écrite à la fin du XIIIe siècle) intitulée Chronique du prêtre de Dioclée prétend que les Croates et les Goths avaient une origine commune.

 

Recherches historiques :

D’après les chercheurs contemporains, l’idée selon laquelle les Croates (Hrvat) ne sont pas d’origine slave ne peut pas être rejetée simplement comme une pure fabrication de Constantin VII. En réalité, le sujet est assez obscur, car l’origine des premiers Croates avant et au moment de leur arrivée dans le territoire de la Croatie actuelle reste une énigme pour les historiens, les archéologues et les linguistes. Pourtant, il faut admettre que les théories relatives à l’origine des Croates n’ont pas été toujours élaborées sur des fondements scientifiques. Par contre, il paraît que certaines de ces théories s’appuient sur des points de vue idéologiques, politiques et socioculturels de l’époque de l’élaboration de chacune de ces théories.

 

L’Arachosie (Haraiva en vieux perse), vers 300 av. J.-C.

Théorie slave :

Pour trouver les origines de la théorie slave (ou panslave), il faut sans doute remonter à la période de la « Renaissance croate », c’est-à-dire une époque d’enrichissement culturel en Croatie qui commença à la fin du XVe siècle et dura jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle.

Un historien et un poète furent les défenseurs les plus connus de cette théorie. Vinko Pribojevic (né au milieu du XVe siècle et mort après 1532) était un historien vénitien. Il est connu comme l’un des fondateurs de l’idéologie panslave ancienne. Son livre le plus célèbre est intitulé L’origine et la gloire des Slaves (1532). Juraj Sizgoric (1445-1509) était un poète latiniste vénitien originaire de la ville de Sibenik en Croatie. Il fut le premier humaniste de Sibenik et la personnalité centrale du cercle humaniste de cette ville, mais aussi l’une des figures les plus importantes de la vie culturelle et de l’histoire du peuple croate au XVe siècle.

Il ne fait aucun doute que la langue croate est une langue indo-européenne appartenant à la famille des langues slaves méridionales (serbo-croate). Cependant, les fondateurs de la théorie panslave allaient au-delà des appartenances linguistiques et croyaient fermement que les Croates étaient des Slaves autochtones du territoire actuel de la Croatie, et que leurs ancêtres étaient les anciens Illyriens.

Plusieurs érudits croates des XVIIIe et XIXe siècles développèrent cette théorie. Leurs travaux furent repris par le mouvement nationaliste illyrien au XIXe siècle et exploités par le chef de ce mouvement Ljudevit Gaj (1809-1872). Linguiste, politicien, journaliste et écrivain croate, Ljudevit Gaj fut l’instigateur principal du renouveau national croate (Mouvement des Illyriens) qui défendait l’idée de la création d’un État pour tous les Slaves du sud.

À la fin du XIXe siècle, l’impact le plus significatif de cette idéologie peut être constaté dans l’œuvre de Franjo Racki (1828-1894), historien et politicien croate. Il défendait la théorie panslave de l’unification serbo-croate. Cela correspondait évidemment à l’idéologie yougoslave.

Dans la première et la deuxième Yougoslavie, la théorie panslave était particulièrement appréciée pour des raisons idéologiques et politiques. Par conséquent, cette pensée était la seule théorie officielle à propos de la naissance et des origines des Slaves du sud, dont les Serbes et les Croates.

La première Yougoslavie était le « Royaume de Yougoslavie », une ancienne monarchie des Balkans, qui a existé de la fin de la Première mondiale (1918) jusqu’à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale (1939). Elle comprenait les territoires des actuels états de Bosnie-Herzégovine, de Serbie, du Kosovo, du Monténégro et de Macédoine, ainsi que la majeure partie des actuelles républiques de Slovénie et de Croatie.

Objet en or représentant des guerriers scythes avec des arcs (IVe siècle av. J.-C.), découvert en Crimée. (Musée du Louvre).

La seconde Yougoslavie, qui remplaça la première, était une république fédérale à parti unique communiste, fondée le 29 novembre 1945. Elle survécut jusqu’en 1992, lorsque quatre de ses républiques fédérées firent sécession : la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine.

Pendant la période yougoslave, d’autres théories qui attribuaient une ou des origines non slaves aux Croates étaient systématiquement ignorées et refusées, et même leurs partisans, pour des raisons également politiques, furent persécutés. Pendant cette période, la théorie officielle panslave ignora même certaines sources historiques, comme l’ouvrage de Constantin VII, afin de défendre la théorie selon laquelle les Croates et les Serbes étaient les mêmes populations slaves arrivées au cours d’un seul et même mouvement de migration dans la « patrie des Slaves du sud », c’est-à-dire le territoire de l’ex-Yougoslavie. Les hypothèses selon lesquelles les anciens Illyriens étaient une entité homogène du point de vue ethnolinguistique furent cependant rejetées au XXe siècle.

 

Théorie gothique :

La théorie gothique d’explication des origines ethniques des Croates fut présentée dès la fin du XIIe et au XIIIe siècle. Le royaume ostrogoth (officiellement royaume d’Italie) a existé de 493 à 553 et a succédé à l’Empire romain sur son sol natal, c’est-à-dire en Italie. La domination gothique prit fin avec la reconquête de l’Italie par l’Empire romain d’Orient (553).

Les experts n’excluent pas que certaines traces gothiques puissent être identifiées dans l’ethnogenèse des Croates, mais ils soulignent que l’idée de donner aux Croates la même origine ethnique que les peuples gothiques n’est basée sur presque aucune preuve concrète. En 1102, le Royaume croate a conclu une union avec le Royaume de Hongrie. Les historiens considèrent que cette identification des Croates avec des Goths est basée sur un mythe dynastique croate local du XIe siècle.

Certains érudits contemporains comme l’historienne croate Nada Klaic (1920-1988) estiment que l’historien médiéval Thomas l’Archidiacre (1200-1268) méprisait autant les Slaves que les Croates, et voulait les déprécier en tant que « barbares » en les identifiant avec les Goths. Cependant, jusqu’à la Renaissance, les Goths étaient souvent considérés comme de « nobles barbares » par rapport aux Huns, aux Avars, etc.

Si la théorie slave était la seule théorie officiellement admise à l’époque de l’ex-Yougoslavie, la théorie gothique, quant à elle, était la seule théorie soutenue par le régime de l’État indépendant de Croatie (1941-1945). Ce régime a été mis sur pied sur la majeure partie de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine actuelles. Les occupants allemands et italiens y mirent au pouvoir le mouvement nationaliste des Oustachis (séparatiste, fasciste et anti-yougoslave).

 

Théorie avare :

Les Avars étaient un peuple de cavaliers nomades mongols, installé en Europe centrale et orientale dont ils dominèrent une partie de 560 à 800.

La théorie avare, également connue sous le nom de théorie avare-bulgare ou turcique, remonte à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle lorsque le célèbre historien irlandais, John Bagnell Bury (1861-1927), releva des similitudes entre la légende croate de cinq frères (et deux sœurs) avec la légende bulgare des cinq fils du khan protobulgare, Kourbat (605-665).

Certains chercheurs essayèrent plus tard de prouver que les premiers Croates étaient une caste supérieure d’origine avare, qui se mélangea à la noblesse slave au cours des XVIIe et XVIIIe siècles et abandonna sa langue avare. Cependant, la plupart des spécialistes modernes croient qu’il s’agirait là de simples hypothèses que les historiens ne peuvent pas objectivement accepter comme preuves.

 

Théorie iranienne :

La théorie iranienne (également connue sous le nom de théorie irano-caucasienne) remonte à la fin du XVIIIe siècle. L’historien croate, Josip Mikoczy-Blumenthal (1734-1800) est l’auteur d’une thèse datant de 1797, qui disparut mystérieusement en 1918 et dont on ne dispose aujourd’hui que d’un court compte-rendu. Dans sa thèse, Josip Mikoczy-Blumenthal considérait que les Croates descendaient des Sarmates qui, eux, descendaient à leur tour des Mèdes des régions du nord-ouest de l’Iran. Il est considéré comme le fondateur de la théorie sur l’origine iranienne des Croates.

Pendant la première moitié du XXe siècle, la théorie iranienne est entrée dans les recherches et les théories historiques par trois manières initialement indépendantes : les études philologiques et linguistiques, l’histoire de l’art et l’histoire de la religion.

D’après un point philologique, contrairement aux idées reçues, les Croates ne seraient pas d’origine slave, mais ils auraient une parenté avec les Iraniens. La justification est étymologique : le mot Hrvat (croate) est interprété comme « croate » qui dériverait de l’ancien perse « hu-ur-vatha », mot qui signifie « allié ». Selon cette interprétation, des Croates descendraient des Alains, apparentés aux Perses. D’après certains linguistes, la racine du mot « Hrvat » serait le mot avestique « khoravat » signifiant « amitié ».

La langue originelle des Alains serait une langue iranienne du nord-est de type scythe, probablement semblable à celle des Sarmates. Elle évolua par la suite au Caucase au Moyen Âge, pour devenir la langue actuelle des Ossètes. Il est à noter que les linguistes confirment avec certitude que le mot « Hrvat » n’a aucune parenté étymologique avec les langues slaves.

La théorie de l’origine iranienne des Croates est soutenue également par des historiens de l’art et de la religion. Nous pouvons citer parmi eux Josef Strzygowski (1862-1941), un historien de l’art polonais-autrichien connu pour ses théories sur les influences de l’art du Moyen-Orient sur l’art européen.

Par ailleurs, les interactions culturelles anciennes entre les Slaves et les Iraniens ont été soulignées par des ethnologues modernes, comme Marijana Gusic (1901-1987), ethnologue croate qui fut directrice du Musée ethnographique de Zagreb. Elle a fait remarquer l’influence de la sphère caucasienne-iranienne sur la culture ancienne des Croates. Son hypothèse a été soutenue par certains érudits contemporains comme Zdenko Vinski (1913-1996), célèbre archéologue croate. Cependant, il faut admettre qu’il est particulièrement difficile de confirmer l’influence des indicateurs culturels et artistiques d’origine iranienne, y compris d’ordre religieux. Ces historiens soulignent que c’était surtout les influences culturelles de l’époque des Sassanides (224-651 apr. J.-C.) qui se faisaient ressentir dans les régions steppiques aux alentours de la mer Noire.

Konstantin Jirecek (1854-1918) fut le premier à considérer, avec une méthodologique scientifique, la thèse de l’origine iranienne des Croates en 1911. Une dizaine d’années plus tard, Alexey Sobolewski, slaviste russe, présenta la première théorie systématique sur l’origine iranienne des Croates, qui reste inchangée jusqu’à aujourd’hui dans ses grandes lignes. Indépendamment de cette théorie, Fran Ramovs (1890-1952) se pencha sur une interprétation linguistique sur les premiers Croates et estima que c’était une tribu sarmate qui, pendant la grande migration, avança au bord des Carpates vers les fleuves Vistule sur le territoire de la Croatie actuelle.

Une analyse plus détaillée de la théorie iranienne fut donnée en 1935 par l’académicien slovène Ljudmil Hauptmann (1884-1968). Il considérait qu’après l’invasion des Huns vers 370, lorsque ces derniers eurent traversé la Volga, les « Croates iraniens » abandonnèrent leurs terres sarmates initiales et arrivèrent parmi les Slaves sur les terres non cultivées du nord des Carpates. Ce fut là que ces populations furent progressivement slavisées. Ils furent ensuite attaqués par les Avars vers 560 qui finirent par les dominer définitivement en 602.

En 1985, le célèbre philologue et historien ukrainien, Omeljan Pritsak (1919-2006), considérait les premiers Croates comme une population tribale d’origine iranienne.

Dans le cadre de la théorie iranienne, les anthroponymes inscrits sur les tablettes de Tanaïs sont considérés comme des prototypes d’un certain ethnonyme d’une tribu sarmate dont ces personnes seraient issues.

Bâties au Ier siècle de notre ère, les Arènes de Pula sont le sixième plus grand amphithéâtre de l’Empire romain et pouvaient contenir 25.000 spectateurs. Elles accueillent aujourd’hui de grands événements culturels et sportifs.

En général, aujourd’hui encore, il est généralement admis que le mot « croate » est un mot d’origine iranienne. Cependant, certains experts estiment que l’étymologie elle-même n’est pas une preuve suffisamment solide.

Une autre interprétation a été présentée par le philologue et historien ukrainien Jevgenij Pascenko (né en 1950), qui soutient que les premiers Croates étaient un groupe hétérogène de personnes, un mélange culturel polyethnique composé principalement de Slaves et de Sarmates et d’autres groupes ethniques comme les Goths. Il défend l’idée selon laquelle il existerait une corrélation entre la langue et la culture slaves et iraniennes. De ce point de vue, sous l’ethnonyme Hrvat (croate), il ne devrait pas être nécessaire de voir une tribu spécifique ou même homogène, mais plutôt une appartenance archaïque d’un groupe hétérogène de personnes d’origine iranienne.

Au sein de la théorie iranienne, une autre hypothèse plus radicale a été présentée pour la première fois par l’historien croate, Stjepan Krizin Sakac (1890-1973) qui a tenté de retracer les origines de l’ethnonyme Hrvat (croate) jusqu’à la région de l’Arachosie (Haraiva en vieux perse), une ancienne satrapie de l’Empire achéménide (550-330 av. J.-C.). Cette région se situe au sud de l’Afghanistan actuel. Cependant, les philologues estiment que cette hypothèse est étymologiquement incorrecte, d’autant plus que les arguments présentés par les partisans de cette hypothèse semblent être dépourvus de fondement scientifique.


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