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Un séjour dans le calme apaisant de la petite ville de Selçuk (prononcez Seldchouk) est un bon choix pour qui veut visiter les célèbres sites antiques d’Ephèse et de Priène, le temple d’Apollon de Didymes ou le théâtre grec de Milet, situés aux alentours. Le nom de cette cité évoque les Seldjoukides d’Anatolie qui, du XIe au début du XIVe siècle, s’installèrent dans cette région, menaçant les Byzantins jusqu’à Constantinople.
Nommée Ayasuluk avant l’arrivée des Turcs, Selçuk est riche d’une histoire vieille de 2000 ans, qui a laissé de belles traces archéologiques et historiques. Quelques petits hôtels aménagés dans les anciennes maisons ottomanes proposent des chambres souvent disposées autour d’un jardin fleuri offrant, au printemps, un petit-déjeuner sous les citronniers en fleurs. Les nombreuses cigognes qui nichent dès le mois d’avril, en centre ville, sur le haut des ruines de l’aqueduc byzantin, achèvent de donner à la ville une allure champêtre.
Nous commençons notre soirée en centre ville par un arrêt à la boutique de tapis d’Aydin Can. Il commence par nous expliquer la différence entre double nœud turc et simple nœud perse puis déroule ses tapis dont certains sont très précieux, deux tapis persans datant du XIIe siècle pour l’un, du XVIe pour l’autre, un tapis en soie à décor de tulipes datant du XVIIe siècle, originaire de Héréké, petite ville des bords de la mer de Marmara où une manufacture du Sultan fut fondée au XIXe siècle pour tisser des tapis très finement noués pour la cour ottomane, et dont la production s’éteignit avec l’empire en 1922. Le tissage de ces tapis aux motifs inspirés des décors floraux des tapis persans a repris au milieu du XXe siècle.
Aydin Can expose aussi de nombreux tapis turcs aux dessins géométriques de provenances diverses : Antalya, villages de la région d’Istanbul, villes et villages d’Anatolie orientale, comme Kayseri, réputée être la capitale du tapis de soie après Héréké, et Usak, grand centre du tissage des tapis, réputé depuis l’empire ottoman. Il possède aussi un joli sofreh devenu rare, la fabrication de ce type de kilim ayant cessé en Turquie. Sa collection est complétée par des piles de suzanis brodés en Ouzbékistan, en Turquie ou au Kurdistan irakien. Comme partout en Turquie, ces suzanis rencontrent un franc succès auprès des touristes.
De nombreux restaurants sont alignés dans les petites ruelles piétonnes de la vieille ville. Nous fixons notre choix sur celui qui fait face au vieil aqueduc byzantin au sommet duquel quelques cigognes sont occupées à préparer leurs gigantesques nids. Sur les terrasses, les hommes du quartier jouent entre amis au Okey, jeu populaire turc, composé de jetons de bois marqués de chiffres. Le gagnant est celui qui parvient le premier à aligner, soit une série de valeur égale, soit une série de chiffres consécutifs de même couleur.
C’est dans ce musée qu’ont été réunies les plus importantes trouvailles des archéologues d’Ephèse, situé à trois kilomètres de là : miniatures, sculptures (les statues de l’Empereur Auguste et de son épouse Livie, les spectaculaires statues d’Artémis, des bustes d’empereurs et de princes, la tête colossale de l’empereur Domitien), objets usuels, décoratifs et cultuels, objets et architecture funéraires (reliquaires, poteries, bronzes, sarcophages et pierres tombales), éléments d’architecture comme la chambre de Socrate reconstituée avec fresques et mosaïques, fontaines, chapiteaux, stèles, maquette du temple d’Artémis, frise du temple d’Hadrien).
En sortant du musée, nous allons nous désaltérer d’un thé ou d’un café turc sur l’agréable place ombragée d’un café-restaurant, siège de l’association locale pro-Atatürk, exposant de nombreuses photographies du grand homme de la nation turque.
Qu’ils soient grecs, romains ou turcs, ou encore musulmans ou chrétiens, les monuments et sites archéologiques de Selçuk portent témoignage de sa longue histoire. Une forteresse byzantine, remaniée par les Turcs seldjoukides, côtoie les ruines d’une basilique des premiers siècles de l’ère chrétienne, tandis qu’une mosquée surplombe les ruines d’un temple grec.
Au sommet d’une colline, la forteresse d’Ayasuluk fut construite par les Byzantins avant les attaques arabes des VIIe et VIIIe siècles, et restaurée par les Seldjoukides. Elle fait actuellement l’objet de fouilles et devrait ouvrir à la visite dans un an. Les riverains nous indiquent qu’elle contient une chapelle byzantine intacte et une petite mosquée de l’époque seldjoukide.
Un peu plus bas sur la même colline, on peut observer les ruines de la basilique Saint Jean l’ةvangéliste, dans un paysage bucolique. Selon la tradition chrétienne, à sa mort, le Christ aurait confié la Vierge Marie, sa mère, à son apôtre Saint Jean qui choisit de s’installer à Ephèse entre l’an 37 et l’an 48 de l’ère chrétienne, emmenant la mère de Jésus avec lui. Il passa les dernières années de sa vie sur cette colline d’Ayasuluk, où il aurait écrit son ةvangile et ses lettres (les ةpitres pour les Chrétiens). C’est sur ce site qu’il aurait été inhumé. Au VIe siècle, un tremblement de terre détruisit la première basilique bâtie au siècle précédent sur trois tombeaux, dont l’un est supposé être celui de Saint Jean. Justinien, empereur romain d’Orient et son épouse la reine Théodora décidèrent d’en bâtir une nouvelle, bien plus vaste, sur ces ruines. Ce sont les restes de cette seconde église que l’on peut voir de nos jours. Bâtie sur un plan cruciforme, longue de 130 mètres et large de 65 mètres, surmontée de six dômes, elle était fort impressionnante. Au Moyen-âge, elle fut l’objet d’importants pèlerinages chrétiens. Quand les Turcs s’emparèrent d’Ephèse après 1304, une partie de la basilique fut transformée en mosquée. Puis un autre tremblement de terre la détruisit à son tour en 1365. Le site a fait l’objet, dès 1921, d’importantes recherches archéologiques et des travaux de restauration du site sans encore en cours.
En contrebas, il ne reste plus de la septième merveille du monde antique que fut l’Artémision, le temple grec d’Artémis, sœur d’Apollon, qu’une simple colonne et quelques pierres disséminées sur le marécage. Edifié au VIe siècle avant l’ère chrétienne par le roi Crésus, sur l’emplacement d’anciens lieux de culte à des divinités grecques, il était plus vaste que le Parthénon d’Athènes, couvrant une surface de 110 mètres sur 55. Sur celle-ci se dressaient plus de 100 colonnes d’environ 15 mètres de haut et de près de 2 mètres de diamètre. Il sera abandonné lorsque l’empereur Théodose Ier aura décrété le christianisme, unique religion de l’Empire romain.
De 1348 à 1390, époque à laquelle Ayasuluk était la capitale de l’Emirat d’Aydinogullari, l’un des beyliks anatoliens, derniers héritiers du grand empire seldjoukide [1], la ville connut une activité architecturale intense, voyant la construction de nombreux bains et mosquées. C’est dans ce contexte que fut édifiée, entre la basilique Saint Jean et le temple d’Artémis, la mosquée Isa Bey, inaugurée en 1375. Selon l’inscription visible sur le portail, elle fut construite par la volonté d’Isa Bey, protecteur des sciences et homme de science lui-même. Son architecte, ’Ali, qui était originaire de Syrie, s’était inspiré de la grande mosquée des Omeyyades de Damas et de celles d’Harran et de Diyarbakir en Turquie.
Il faudra se lever tôt le lendemain pour aller guetter, à quelques kilomètres de là, les oiseaux migrateurs du lac اamiçi Golû, puis profiter du calme de la plage de Pamucak, plaisamment déserte à cette époque de l’année, sans oublier d’aller jeter un coup d’œil sur le mythique fleuve Méandre, nommé Büyük Menderes en turc, qui traverse notre route.
[1] Pour une information plus générale sur l’histoire de la dynastie seldjoukide, voir l’article « L’irrésistible ascension de la dynastie des Seldjoukides » d’Afsâneh Pourmazâheri et de Farzâneh Pourmazâheri, dans le n° 51 de février 2010 de La Revue de Téhéran.