N° 87, février 2013

Les influences réciproques de l’arabe et du persan au cours de l’histoire


Sarah Mirdâmâdi


Respectivement sémites et indo-européennes, les langues arabe et persane ont une logique et structure fondamentalement distincte. Néanmoins, des liens s’étant tissés entre leurs locuteurs au cours de l’histoire, et ce même avant l’islam, ont été à la source d’une profonde influence réciproque dont les traces sont largement perceptibles encore aujourd’hui. Ce jeu d’influences s’est cependant réalisé d’une langue à l’autre selon des modalités distinctes. La langue étant à la fois un moyen de transmission des connaissances et un phénomène social reproduisant les évolutions d’une culture particulière, son évolution et les influences qu’elle subit reflètent l’évolution de la culture et de la société qui la porte, et parfois les nouveaux rapports de force. L’étude de l’influence réciproque de l’arabe et du persan doit donc être située dans le contexte des différents phénomènes historiques ayant produit cette influence tels que les liens – politiques, économiques, commerciaux, culturels… - établis entre les Arabes et les Iraniens au cours de l’histoire, à la fois avant et après l’islam.

Les liens entre les langues persane et arabe avant l’islam

La Mésopotamie était à l’origine habitée par des peuples non sémites, les Sumériens, puis par les Akkadiens, qui furent à l’origine de l’une des plus grandes civilisations sémites. Les Achéménides, qui gouvernaient l’ensemble des territoires peuplés par les sémites, furent à l’origine de l’influence du persan de l’époque sur la littérature talmudique, qui lui emprunta certains termes. Par l’intermédiaire du judaïsme, des mots persans pénétrèrent dans d’autres langues sémites de l’époque, telles que le syriaque. De façon générale, les Perses et les peuples sémites ont entretenu des relations constantes durant toute l’histoire, ce qui a renforcé cette influence. Après l’époque achéménide, un nombre important de termes pahlavis ont été adoptés par l’araméen, et sont ensuite entrés par ce biais dans la langue arabe. Ces termes concernaient les domaines social, culturel, agricole, commercial, militaire, musical, politique et liés à la cour, ou encore vestimentaires. Parmi ces termes, nous pouvons citer le terme persan tcherâgh (چراغ) signifiant "lampe" présent sous la forme de la racine srga ou sraga dans le Talmud et la langue syriaque, et devenu sirâj (سراج) en arabe, ou encore le terme gandj (گنج) signifiant "trésor", et présent sous la racine gnza en hébreu et gnzia en araméen, et qui devint ensuite kanz (كنز) en arabe.

Avant l’islam, il existait également des liens à la fois commerciaux, politiques, sociaux, économiques et miliaires entre les habitants de la Péninsule arabique et de la Perse, ces deux territoires étant traversés par les mêmes caravanes venant de l’Inde, de la Syrie, ou du Yémen. Cette relation était telle que le roi iranien Khosro Parviz fit élever ses enfants par des précepteurs arabes. On rapporte également que le roi Khosro Anousharivân aurait eu pour projet de marier certains de ses fils avec des jeunes filles arabes. Le roi Bahrâm Gour fut un acteur important de l’établissement de liens entre les Arabes et les Iraniens avant l’islam, et se rendit lui-même en terre arabe pour guérir d’une maladie qui l’affectait, l’air y étant réputé de meilleure qualité. Durant son séjour, il apprit la langue arabe et composa des poèmes en persan selon un rythme et une forme proche de l’arabe. La présence de termes persans dans le Coran, tels que sundus (سندس)"satin", istabraq (استبرق) "brocard" (44:53) ou abârîq (اباريق) "aiguières" (56:18), attestent également de l’influence préislamique du persan sur l’arabe, l’inverse étant néanmoins plus difficile à établir.

Les influences réciproques après l’islam

L’apparition de l’islam a consacré une extension sans précédent du domaine d’influence de la langue arabe qui devint à la fois la langue de la religion, du savoir, et de l’administration dans les nouveaux pays conquis. Après la conquête de la Perse, l’arabe devint la langue officielle du pouvoir jusqu’à l’époque seldjoukide, mais vint également répondre à de nouveaux besoins conceptuels dans le domaine religieux, de la pensée ou de l’administration, en fournissant de nouvelles expressions. Comme l’évoque Dolatshâh Samarghandi dans son Tazkerat-ol-Sho’arâ, ainsi que Nezâm-ol-Molk dans son traité sur l’éthique du gouvernement intitulé Siyâsatnâmeh, de l’époque des premiers califes à celle du Sultan Mahmoud Ghaznavi, tous traités ou lois promulgués en Iran ne furent écrits qu’en arabe ; écrire en persan étant mal vu par les gouverneurs de l’époque. La diffusion et l’adoption de la langue arabe, ou du moins de nombreux termes de cette langue avaient soit des motivations religieuses, soit politiques, et permettaient à son usager d’occuper une position dans le nouveau gouvernement. De leur côté, les nouveaux gouverneurs arabes s’efforçaient de limiter l’usage de la langue pahlavi, considérée comme un frein à leur influence et à la diffusion de l’islam et contribuant à la conservation des croyances zoroastres.

Les Persans découvrirent également les deux styles d’écriture arabe, le naskh et le coufique. Etant donné que l’écriture et l’alphabet propre du moyen-perse n’étaient plus adaptés à un contexte où la langue persane et sa littérature subissaient un processus de renouveau, l’alphabet arabe fut adopté à partir du Xe siècle pour écrire le persan. Jusqu’au XIIe siècle, il subit certaines modifications et ajouts de lettres, pour devenir la nouvelle écriture persane.

La conversion des Perses à l’islam a également approfondi le processus de diffusion de l’arabe, langue de la nouvelle religion, étant donné qu’outre le Coran, l’ensemble des textes religieux et des obligations légales étaient écrits et diffusés avec des termes arabes. Dans la vie quotidienne, les Iraniens convertis se devaient de faire leur prière en arabe. De nombreux Iraniens comptèrent parmi les savants les plus éminents dans les différentes sciences religieuses, parmi lesquels nous pouvons citer Abou Hanifeh ibn Thâbet dans la jurisprudence islamique, Bokhâri Mohammad ibn Ismâ’il dans le hadith, mais aussi des commentateurs du Coran, grammairiens, des linguistes, etc. Lorsqu’ils n’étaient pas écrits en arabe, ces commentaires utilisaient de nombreux termes arabes aux côtés des termes persans. Le processus de conversion entraîna également l’adoption croissante de prénoms arabes aux côtés des prénoms persans, soit issus de grandes personnalités de l’islam – Mohammad, Ali, Hossein, Hassan, Fâtima, Zeynab… -, soit de termes coraniques – Mohsen, Hamid, Sakina, Hodâ…

En outre, les traités de mariage, les invocations récitées lors des pèlerinages, ainsi que de nombreux autres actes juridico-religieux de la vie quotidienne étaient également lus et écrits en arabe, contribuant à répandre son usage parmi l’ensemble des couches de la société ainsi qu’à remplacer de nombreux mots persans par des termes arabes. La langue arabe devint donc la nouvelle langue de l’expression de la justice, des lois, et de l’administration, mais aussi d’une pensée philosophique et religieuse. Lorsqu’un certain renouveau de la langue persane commença sous les Samanides (IXe-XIe siècles), pour aboutir à un renversement de la tendance à la domination de l’arabe à l’époque seldjoukide, l’influence de cette langue s’était déjà profondément enracinée dans le persan et constituait un processus irréversible.

Cette influence réciproque est également passée par des traductions d’œuvres littéraires arabes en persan, ainsi que la rédaction de nombreux ouvrages en arabe par des érudits persans. Cette influence de l’arabe est elle-même très présente dans les chefs d’œuvre de la littérature persane tels que Târikh de Beyhaghi, le Golestân de Saadi, les poèmes de Mowlânâ, de Hâfez… où l’on peut trouver des vers entiers écrits en arabe. La compréhension de nombreuses parties de ces œuvres est donc impossible sans une connaissance de cette langue, de sa logique et de sa grammaire. La langue arabe eut également une grande influence dans les formes de poésie comme le mathnavi et de robâ’i (quatrain, le terme lui-même étant dérivé du terme arabe arba’a signifiant "quatre"). Au cours de l’histoire, de nombreux poètes écrivant en arabe et d’origine persane, comme Ziyâd ibn Jâbir ibn Omar connu sous le nom de Ziyâd A’jam, ont contribué à rapprocher les deux langues. Du XIe au XIVe siècle, l’emploi des mots arabes en persan connu une progression exponentielle. Elle contribua au dynamisme et à l’apogée littéraire de cette langue.

A l’inverse, à l’issue de la présence en Perse des Arabes, la langue arabe subit également des transformations en empruntant au persan des termes scientifiques mais également liés au pouvoir et à la cour, à la vie courante, aux aliments, aux instruments de musique, aux armes, aux animaux, aux pierres précieuses… Des expressions persanes furent également adoptées dans le domaine de l’astronomie, de l’architecture, du commerce, etc. qui n’existaient pas dans la langue arabe. En outre, la présence de nombreux Iraniens à Koufa, Bassora et Médine fut à l’origine de nouvelles influences du persan sur l’arabe. A Bassora, le persan était ainsi la langue des agents de l’armée, et leur présence eut une influence au niveau de l’arabe local, impliquant parfois des modifications dans la façon de prononcer certains termes arabes. Dans le domaine culturel, Ibn Moqaffa’ fut la première personne à traduire des ouvrages d’histoire, de philosophie, et de littérature du pahlavi à l’arabe, dont le plus connu est Kalileh va Dimneh. D’autres personnalités comme Al-Reyhâni, Ja’far ibn Mohammad, Ibn Sahl, Ibn Mâsouyeh, Abou Ali Astarâbâdi ont également réalisé d’importants travaux de traduction d’œuvres scientifiques et littéraires. Sous les Abbassides, le mouvement de traduction en arabe de nombreuses œuvres étrangères, dont persanes, fut également à l’origine d’une nouvelle vague d’influence.

Les modalités des emprunts

Les termes arabes ou persans appartenant aux domaines scientifique et littéraire sont entrés respectivement dans ces deux langues par l’intermédiaire des lettrés et érudits à travers leurs manuscrits, ouvrages et traductions, tandis que ceux touchant davantage aux affaires de la vie courante ont été adopté sous l’influence des usages populaires. Les premiers étaient souvent conscients de l’origine étrangère du mot et s’efforçaient parfois, notamment lors de l’adoption d’un mot persan en arabe, de l’adapter à la syntaxe et à la logique de cette langue, ce qui n’était pas le cas pour le persan, où les mots arabes furent dans leur grande majorité adoptés tels quels, en ne subissant des modifications qu’au niveau de la prononciation et parfois de légers changements de sens. Les mots arabes présents dans la langue persane n’ont pas subi de modification orthographique - même si certaines de leurs consonnes ne sont pas prononcées ou se prononcent différemment -, et sont aisément reconnaissables dans un texte.

Les types même de termes empruntés diffèrent d’une langue à l’autre : les mots arabes empruntés par le persan sont non seulement des noms, mais également des verbes, adverbes, prépositions ou particules. La langue persane a également adopté des expressions, des phrases et parfois même des règles grammaticales à l’arabe, comme celle de l’accord de l’attribut avec le sujet selon le genre (comme dans qhovveh ghazâ’ieh, qhovveh mojriyeh, omour-e khârejeh, ghoroun-e vostâ, etc.), ou encore le participe passif et actif, (monazzam, mo’ayyan, mad’ov, mohtavâ… dans le premier cas, et monshi, mojri… dans le second). Le persan a adopté également la forme arabe de maf’al pour désigner les noms de lieu (majrâ, mahall, madâr…) Certains mots persans ont également adopté une forme de pluriel arabe, comme darâvish, pluriel de darvish, banâder, pluriel de bandar (port), mayâdin, pluriel de meydân (place).

L’influence du persan sur l’arabe est plus limitée, la tendance étant à l’utilisation des mots étrangers en général et persans en particulier que lorsqu’il n’existait aucun équivalent en arabe. Une grande partie des noms empruntés étaient des noms propres que les Arabes ne connaissaient pas, dont des noms de plantes, d’animaux, de minéraux, de denrées alimentaires, de boissons, de vêtements, ou encore des concepts scientifiques ou philosophiques. Ces termes ont souvent subi, comme nous l’avons évoqué, un processus d’arabisation et de dérivation propre à la langue arabe. Le fait que les mots persans aient subi une plus grande transformation en arabe peut s’expliquer par plusieurs raisons, notamment une forte volonté et conscience d’arabiser les mots étrangers, mais également, d’un strict point de vue linguistique et phonétique, la présence de lettres – comme "p" (پ), "tch" (چ), "j" (ژ) et "g" (گ) - et sons inexistants dans la langue arabe et nécessitant donc une arabisation de fait. Cet état de fait est également présent dans la langue persane qui est dépourvue de certains sons comme celui produit par la prononciation du "’ayn" (ع) arabe, ou encore la différence entre le "sîn" (س) et le "sâd" (ص), le "dâl" (د) et "dâd" (ض). Néanmoins, si ces lettres subirent de légères modifications de prononciation, leur orthographe ne subit des modifications que très rarement, la graphie originale du mot arabe ayant été conservée.

Les mots persans empruntés par l’arabe et contenant des lettres absentes dans cette langue ont subi des transformations dont on peut distinguer des règles générales : le "p" (پ) persan a le plus souvent été remplacé en arabe par le "b" (ب) ou par le "f" (ف) ; le "tch" (چ) par le sâd (ص) ou le "shin" (ش) ; le "j" (ژ) par le "z" (ز) ; ou encore le "gâf" (گ) par le "jim" (ج) ou le "kâf" (ک). Outre le remplacement de lettres, le nombre de lettres a parfois été réduit ou augmenté, ou la vocalisation modifiée. Parmi ces mots, nous pouvons citer kahrobâ (کهربا), "électricité", devenu la racine quadrilitère kahraba (کهرب) ; meghnâtîs (مغناطیس), "aimant", devenu maghtasa (مغطس) ; mohr (مُهر), "sceller" devenu mahara (مَهَرَ), dîvân (دیوان), "recueil", changé en davvana (دوّن), etc. Certains mots empruntés du persan ont également subi une transformation avec le remplacement de "eh" en "j" comme tâzeh (تازه), "frais", devenu en arabe tâzej (تازج) ; banafsheh (بنفشه), "violet", devenu banafj (بنفج) ; sâdeh (ساده), "simple", transformé en sâdhej (ساذج) ; ou encore nemoudeh (نموده), "modèle", devenu namouzaj (نموذج). Nous pouvons également relever une transformation du "g" persan en "dj" arabe comme legâm (لگام), "bride, rêne", devenu ledjâm (لجام) ; du "p" en "f" comme parand (پرند), "soie", devenu farand (فرند) ; pâloudeh (پالوده), "épuré, raffiné", transformé en fâlouzhaj (فالوذج) ; pîrouzeh (پیروزه) en fîrouzaj (فیروزج) ; ou encore du "sh" à "s" comme shekar (شکر), "sucre", devenu sukkar (سکّر) ; shalvâr (شلوار), "pantalon" devenu sarwâl (سروال) ; shalgham (شلغم), "navet", devenu saldjam (سلجم). Des mots persans comme anbâr (انبار), "dépôt, réservoir", ont, en arabe, adopté une forme plurielle arabe anâbîr (انابیر), ou eyvân (ایوان), "balcon, terrasse", devenu au pluriel eyvâvîn (اواوین).

En outre, les mots persans adoptés en arabe ont parfois subi plusieurs phases de modifications progressives jusqu’à devenir méconnaissables – retrouver leur origine persane nécessitant des connaissances approfondies en histoire de la linguistique. A titre d’exemple, le "tarbouche" (en arabe : tarboush, طربوش), couvre-chef porté par les hommes en Syrie, au Liban ou en Egypte est une modification du mot "sharboush" (شربوش), lui-même issu du mot persan "sarpoush" (سرپوش) signifiant littéralement "couvre-tête". De même, le terme de "babouche" (bâboutj en arabe, بابوج) vient du persan "pâ-poush" (پاپوش), signifiant littéralement "couvre-pied" ; le "p" inexistant en arabe s’étant transformé en "b". De même, le mot "bombe", qui se dit ghonbola (قنبلة) en arabe est à l’origine le mot persan khompâreh (خمپاره) signifiant "obus" et qui a subi plusieurs transformations : ce mot persan fut introduit dans la langue arabe sous la forme de khombara (خمبرة), pour devenir ensuite ghonbara (قنبرة) et le mot ghonbola actuel. Ces modifications furent donc parfois telles qu’il est devenu souvent difficile de discerner l’origine persane de ces termes étant donné que leur racine même a parfois été modifiée. Dans ce sens, de nombreux dictionnaires et encyclopédies arabes ne mentionnent pas l’origine persane de ces termes.

Un processus atypique d’influences croisées

L’une des caractéristiques atypiques de ces influences réciproques est que parfois, pour exprimer une même idée, les Arabes ont emprunté un mot persan et les Persans, un mot arabe. Par exemple, le terme utilisé par les Arabes pour "pourboire" est bakshish (بکشیش), qui vient du persan bakhshesh (بخشش) exprimant l’idée plus générale de largesse et de don, alors que les Iraniens utilisent le terme arabe de en’âm (انعام) pour exprimer le même mot. Le terme de bakshish constitue un exemple du changement de forme de ce terme persan, dont l’infinitif du verbe correspondant est bakhshidan (بخشیدن), devenu bakhshasha (بخشش) (sur le modèle de fa’lala) en arabe pour exprimer l’idée de "donner un pourboire". En persan, le terme de an’âm vient de l’arabe in’âm (إنعام) signifiant l’idée de donner et d’accorder une grâce.

Dans la même logique, dans le domaine politique, les Iraniens ont adopté le terme de mashrouteh (مشروطه) littéralement "conditionné", pour exprimer l’idée d’un gouvernement doté d’une Constitution, tandis que pour exprimer le même concept, les Arabes utilisent le mot d’origine persan dastour (دستور) (en pahlavi, dastevar), qui exprime également l’idée d’un ensemble de lois gouvernant un Etat. En persan, ce terme existe toujours dans le sens d’ordre, d’instruction ou de prescription.

Un autre exemple est celui du calendrier : pour exprimer ce terme, les Iraniens utilisent le mode arabe taqwîm (تقویم), alors que les Arabes ont adopté le mot persan rouznâmeh (روزنامه), même si taqwîm y est également employé. Ce terme est composé du mot rouz, signifiant jour, et nâmeh exprimant l’idée de livre ou lettre. Le terme de rouznâmeh est un terme venant des cours sassanides et dont l’emploi se poursuivit par la suite pour entrer dans la langue arabe dans le sens de calendrier ou pour désigner le registre contenant l’ensemble des tâches à accomplir durant une journée. Dans des ouvrages classiques, il apparaît parfois sous la forme de al-rûznâmaj (روزنامج) ou encore rouznamja (روزنمج) Il prit ensuite la signification plus générale hors de la cour en désignant les registres administratifs où l’on enregistrait différents événements. Il conserve actuellement le sens de calendrier dans le sens d’un ensemble de notes sur les différents événements passés, et se rapproche alors de l’almanach. En persan, le terme de taqwîm a été adopté pour désigner à la fois le calendrier et le registre dans lequel divers événements étaient enregistrés.

Selon un processus d’emprunt croisé similaire pour désigner un même terme, l’un des termes arabes pour désigner les draps est celui de sharshaf (شرشف), mot d’origine persane qui fut ensuite arabisé. Le mot d’origine persan est tchâdor-e shab (چادرِ شب), littéralement "couverture (dans le sens de couvrir) de la nuit". Ce terme a d’abord été adopté par les Turcs sous la forme modifiée de tchârshaf (چارشف), pour ensuite devenir sharshaf en arabe. Le terme de tchâdor désignait – et désigne - alors en persan à la fois les tentes, les vêtements portés par les femmes pour se couvrir, et viendrait de tchatr (چتر), exprimant à l’époque une sorte d’auvent. Le terme de tchâdor est également devenu shawzhar en arabe, désignant à la fois un drap et une chemise à manches courtes. A l’inverse, le mot persan malâfeh (ملافه) issu de l’arabe malhafa (ملحفه), est utilisé pour désigner les draps.

De même, le terme arabe pour exprimer l’électricité est le mot d’origine persan kahrobâ (کهربا) lui-même composé de kâh (کاه), "la paille" et robâ (ربا), nom agent du verbe roboudan (ربودن), "enlever, ravir". Il signifie donc robudan-e kâh, c’est-à-dire [le magnétisme] "qui enlève ou attire la paille". Ce terme existait également en pahlavi sous la forme de kahrupâî ou kahrupat, qui désignait alors l’ambre jaune avec laquelle on fabriquait essentiellement des chapelets ou colliers. Lorsque l’on frottait alors cette matière, elle avait la propriété d’agir tel un aimant et d’attirer vers elle la paille et les autres corps légers. C’est donc l’électricité qu’elle dégageait qui a été à l’origine du terme général désignant l’électricité, qui est actuellement employé en arabe. Comme nous l’avons évoqué, le terme persan originel de kâhrobâ a été arabisé sous la forme de la racine quadrilitère kahraba donnant des termes dérivés tels que takahraba pour l’électrification, kahrobî ou kahrobâ’î pour électrique, ou encore kahrobâ maghnatisiyya pour l’électro-magnétique. A l’inverse, les Persans ont adopté le terme arabe de bargh (برق) pour désigner l’électricité. Ce terme désignait à l’origine l’idée de scintillement utilisé notamment pour décrire l’éclair du tonnerre. Le terme français de elektrisiteh (الکتریسیته) est également utilisé aux côtés du terme arabe. La langue arabe privilégie ainsi une propriété de l’électricité (son aspect magnétique) dans le terme choisi pour l’exprimer, alors que le terme persan issu de l’arabe évoque davantage l’idée de scintillement et d’éclair.

Conclusion

Les influences réciproques du persan et de l’arabe révèlent deux processus distincts d’appropriation : de nombreux emprunts tels quels de l’arabe sans subir aucun changement de forme – et éventuellement de légers changements de signification – en persan, si bien qu’un arabisant pourra parfaitement distinguer les mots arabes des mots persans dans un texte en persan, alors qu’à l’inverse, les termes persans entrés en arabe ont subi une forte arabisation, et une modification de racine et de structure pour pouvoir être l’objet de dérivation, tant est si bien qu’il est bien plus difficile de les reconnaître si l’on ne connaît pas le mot persan d’origine. Dans ce jeu d’influences, c’est celle de l’arabe sur le persan qui demeure et à laissé jusqu’à aujourd’hui la trace à la fois la plus forte et visible. Cette préservation intacte des mots arabes, malgré le fait qu’ils sont entrés dans la langue persane depuis plusieurs siècles, est notamment à rechercher dans le statut de l’arabe comme langue coranique, conférant une dimension spirituelle, pour ne pas dire sacrée, aux mots et aux concepts qu’ils expriment. Ils sont néanmoins actuellement devenus des mots employés quotidiennement par les Iraniens aux côtés des mots d’origine persane, et font désormais partie intégrante de la langue courante.

Bibliographie :
- Abd-ol-Qâder, Hâmed, "Peyvand-hâye zabân-e fârsi va arabi" (Les liens entre la langue persane et arabe), sur la base d’une traduction d’un texte en arabe de Mohammad Hâdi Mu’azhin Jâmi, She’r va adab, pp. 258-282.
- Mohammadi, Mohammad, "Tchand nokteh darbâreh-ye degargouni-hâye kalamât-e fârsi dar zabân-e arabi" (Quelques points sur les modifications des mots persans dans la langue arabe), Al-Dirâsât al-Adabiyya, Beyrout, 6e année, no. 1 et 2, 1964, pp. 1-36.
- Pâkizeh-Khou, Toubâ, "Râbeteh dosouyeh zabân-e fârsi va arabi" (Les liens réciproques de la langue persane et arabe), Zabân va adabiyât, no. 219, Dey 1383 (décembre 2004), pp. 73-77.


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