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Les premiers peuples iraniens qui s’installèrent sur le plateau iranien, venus de l’est et du nord étaient tous Scythes, Tokhariens, Sarmates et Alains, des peuples semi-nomades sans culture écrite. C’est pourquoi les premières écritures que les Iraniens utilisèrent furent directement empruntées à leurs voisins et aux habitants originels de la région. Le Shâhnâmeh de Ferdowsi, recueil de mythologie iranienne, précise que l’écriture fut enseignée à l’un des premiers rois mythiques d’Iran, Tahmouress, par les div, (littéralement "démons"), nom donné aux habitants pré-iraniens du plateau iranien.
On peut notamment citer l’élamite dont les origines restent toujours mystérieuses, puisqu’elle est autant différente des langues indo-iraniennes de la région que des langues sémites. Trois graphies élamites se sont ainsi succédé historiquement sur le territoire de l’Elâm, aujourd’hui sud et sud ouest de l’Iran. Soit le proto-élamite (2900 av. J.-C.), l’élamite linéaire (2250-2220 av. J.-C.) et l’écriture cunéiforme élamite qu’on utilisa jusqu’au 4eme siècle av. J-C.) visiblement inspirée de l’akkadien.
Avec l’apparition d’un premier « royaume » iranien constitué et fort, la nécessité d’une écriture se fit ressentir. Ainsi, les Mèdes (VIIIe-553 av. J.-C.) commencèrent à utiliser un cunéiforme dérivé des écritures cunéiformes babylonienne et élamite. Cette écriture cunéiforme mède était syllabaire et nettement plus simple que les graphies cunéiformes dont elle s’inspirait. De plus, elle s’écrivait de droite à gauche. Le cunéiforme mède peut être considéré comme la forme la plus élaborée et la plus « moderne » du cunéiforme.
Cette écriture fut également l’écriture officielle du plus grand empire antique, celui des Achéménides. On peut aujourd’hui la lire entre autres sur les bas-reliefs des grands sites archéologiques iraniens.
Avec la chute de l’Empire achéménide et l’apparition de l’empire hellénistique séleucide (305-64 av. J.-C.), l’écriture grecque devint écriture officielle en Iran aux côtés du cunéiforme qui demeurait toujours en vigueur, en raison de la tradition royale administrative iranienne.
Avec la chute des Séleucides au profit des Parthes et l’apparition de l’Empire arsacide (247 av. J.-C.), apparaissent les écritures pahlavi, nom donné à un ensemble de graphies utilisées pour écrire le moyen-perse, ainsi que spécifiquement le parthe arsacide.
Toutes ces graphies avaient une origine phénicienne, par l’intermédiaire de l’écriture araméenne. L’araméen se divisait en araméen occidental (utilisé en Syrie, Palestine, etc.) et l’araméen oriental, utilisé en Irak. C’est cet araméen oriental qui donna naissance à l’écriture pahlavi.
L’écriture pahlavi fut diffusée par l’administration impériale arsacide, car le cunéiforme était difficile à utiliser dans les correspondances courantes. L’écriture pahlavi, créée sur le modèle alphabétique de l’araméen, commença d’abord à accompagner la graphie cunéiforme, mais finit par la remplacer sur un très large territoire, comprenant en plus de l’Empire arsacide des territoires adjacents comme l’Egypte.
Les graphies pahlavi sont généralement divisées en deux grandes catégories :
- Le pahlavi arsacide qui servit à l’écriture de la langue parthe. Cette écriture servait aux grandes inscriptions murales et les lettres s’y écrivaient séparément.
- Le pahlavi sassanide, qui servit à écrire le moyen-perse. Cette seconde écriture pahlavi (la plus connue) se divise en deux branches mineures : le pahlavi sassanide livresque, où les lettres s’écrivent collées l’une à l’autre, et le pahlavi des psautiers, forme mineure, utilisé pour la traduction en moyen-perse de la Bible.
Ces deux types de graphies sont nommés pahlavi en raison de la communauté d’origine, mais ils sont très différents au niveau de la graphie. Pourtant, les deux, en particulier le pahlavi livresque sassanide, recèlent encore de nombreux mystères en raison des ambiguïtés des caractères utilisés, qui correspondent parfois à plusieurs consonnes différentes.
Autre particularité héritée de l’araméen qui rend le pahlavi difficile à lire est l’existence des hozvâresh, c’est-à-dire de mots écrits dans une langue, mais lus dans une autre. Par exemple, le mot « bosra » (viande) était lu « gousht » (viande).
Etant donné le peu de fiabilité dans la transcription qui caractérisait le pahlavi à l’époque sassanide, une autre écriture, beaucoup plus précise, fut inventée à partir du pahlavi sassanide, l’avestique, dont le but était la transcription de l’Avestâ, livre sacré des zoroastriens.
L’écriture avestique a été créée durant l’ère sassanide (226-651) pour permettre une compilation écrite du Zand et du Pâzand, commentaires (et traduction) de l’Avestâ, qui jusqu’à cette époque se transmettaient oralement. Visiblement, l’invention de cette écriture date du milieu de l’ère sassanide, où l’apparition de religions comme le manichéisme, le christianisme et le bouddhisme poussèrent les Sassanides zoroastriens à insister sur une « renaissance » religieuse, avec entre autres l’insistance sur la préservation et la régulation de la foi zoroastrienne, religion officielle de l’empire, au travers notamment de l’écriture du livre sacré et ses commentaires. On estime que la création de l’écriture avestique date du règne de Shâpour II (309-379). L’alphabet avestique est une version plus élaborée et précise du pahlavi et comprend 37 consonnes et 16 voyelles, ce qui permettait de ne pas avoir la moindre imprécision dans la transcription des textes sacrés. L’avestique était nommée en moyen-perse la din-dabireh (écriture de la foi).
L’absence d’autres documents zoroastriens non-religieux fonde comme certaine l’hypothèse de l’existence d’une autre écriture du moyen-perse, qui se transforma en persan entre les IXe et XIIe siècles, mais aucun document d’époque n’a encore étayé cette thèse. De plus, la précision de l’écriture avestique suggère qu’elle avait éventuellement été modélisée à partir d’une écriture archétypique avestique datant de l’ère arsacide. Mais encore une fois, rien n’a permis jusqu’à maintenant de prouver cette hypothèse.
D’après le compilateur et bibliothécaire Ebn al-Nadim (Xe siècle), qui cite la classification de l’écrivain et homme de lettres persan Ebn Moghaffa’ (720-757), les Iraniens avaient avant l’islam sept écritures différentes :
- La din dabireh ou écriture avestique, écriture secrète qui fut utilisée pour la compilation de l’Avestâ.
- La vish dabireh formée de 365 lettres, autre écriture secrète.
- La gostak : utilisée pour la rédaction des traités, des ordres, des documents officiels importants, qui comportait 28 lettres. Les sceaux royaux, les monnaies, etc. étaient également frappés avec cette graphie.
- La nim-gostak : de 28 lettres également, elle était utilisée dans la rédaction des traités de médecine et de philosophie.
- La shâh dabireh était une écriture royale (une langue aussi ?) utilisée uniquement par les rois et les princes, qu’eux seuls avaient le droit de connaître. A l’époque d’Ebn Nadim, il n’existait déjà plus d’exemplaires de cette écriture.
- La nâmeh dabirieh ou hâm dabirieh : était l’écriture couramment utilisée par les scribes et utilisée par toutes les couches sociales sauf les nobles. Cette écriture de 33 lettres ne comprenait pas de points.
- La râz sehrieh : écriture utilisée pour les documents royaux secrets, qui comprenait 40 lettres.
On voit que la classification classique des anciennes écritures persanes ne diffère pas beaucoup des données de la science actuelle puisque cette classification date du Xe siècle, période où le persan moderne est en train de se faire et voit naître des chefs-d’œuvre comme le Shâhnâmeh.
Une autre forme d’écriture apparut également au IIIe siècle. Il s’agit de l’écriture manichéenne, attribuée à Mâni et inspirée de l’écriture syriaque, destinée à la préservation des ouvrages de la foi manichéenne. Les ouvrages manichéens ont souvent été rédigés avec cette écriture. Ebn Nadim appelle cette écriture la manâni et s’étend à son sujet. D’après lui, cette écriture était un mélange de l’écriture pahlavi et de l’écriture syriaque, qui comprenait plus de lettres que l’écriture arabe. Il précise également que les habitants de Transoxiane et de Boukhara s’en servaient également occasionnellement. Il nomme aussi cette écriture la râzâmiz. Des manuscrits de cette écriture ont été découverts dans le Turkestan chinois, à Turfan. Cette écriture servit notamment à transcrire le moyen-perse, le parthe, le sogdien et rarement, l’ouïgour. Contrairement aux cunéiformes et au pahlavi, cette écriture ne connaît pas de hozvâresh et est graphiquement proche de l’écriture persane.
Après l’entrée de l’islam en Iran au VIIe siècle, l’écriture pahlavi, du fait de son manque de précision, mais aussi parce qu’elle tendait à n’être qu’une écriture utilisée par l’élite, fut peu à peu délaissée et cantonnée à l’usage des seuls zoroastriens et finit par disparaître. Ainsi, très vite, des écritures sémitiques furent utilisées. Durant les débuts de l’ère islamique, de nombreuses écritures sémites furent utilisées en Iran du fait du mélange culturel fort apporté par l’islam :
- L’écriture en hébreu, déjà présente avant l’islam, que les commerçants juifs iraniens utilisaient pour transcrire le persan et dont il existe quelques manuscrits contant des affaires de la Route de la Soie.
- L’écriture nabatéenne, également inspirée de l’araméen, qui dit-on, fut à l’origine de l’écriture coufique, donc des écritures arabe et persane modernes.
- L’écriture syriaque, qui fut utilisée durant toute la période sassanide en Iran en tant que langue scientifique, du moins à l’ouest de l’Empire, et qui continua à être une écriture d’érudition et de sciences longtemps après la venue de l’islam. Parmi les centres académiques avant et après l’islam où cette langue était utilisée, on peut nommer l’Académie de Jondishâpour, première académie de médecine du monde. Cette écriture perdit sa place éminente après l’invasion mongole.
- L’écriture chaldéenne : l’héritière directe de l’araméenne, qui était assez proche de la graphie nabatéenne.
- L’écriture sabéenne : originellement utilisée au Yémen, elle était une forme rectifiée et revue de l’écriture antique mosnad.
- L’écriture nestorienne, utilisée par les membres de l’Eglise orientale nestorienne et qui était proche du syriaque et de l’araméen.
Toutes ces écritures étaient utilisées sur le territoire islamique. Mais aucune n’était à proprement parler, une écriture arabe. On estime que l’écriture proprement arabe a été inspirée par l’écriture nabatéenne et qu’elle est apparue durant les IVe et Ve siècles, avant l’apparition de l’islam.
Cette écriture arabe héritée de la nabatéenne s’est très vite divisée, en raison des trajets commerciaux des Arabes, en écriture coufique et écriture naskh. A partir de là, ces deux écritures ont chacune été développées en différents qalam, ou écritures calligraphiques, et complétées également.
Les écritures pahlavi et manichéennes continuèrent à être utilisées couramment en Iran durant les VIIe et VIIIe siècles conjointement à l’écriture arabe, qui était alors en mutation puisque les Iraniens nouveaux musulmans tentaient également d’améliorer la graphie coranique, à l’époque rédigée en écriture arabo-nabatéenne, une écriture manquant de la précision nécessitée par le texte divin. On peut notamment citer à ce propos le nom de Yazid le Persan. L’écriture première utilisée pour le Coran n’était pas précise dans sa transcription, elle ne comportait notamment pas de points sur les lettres et ne montrait pas les voyelles longues. Pour les Arabes eux-mêmes, étant donné la rigueur de la structure de l’arabe, cette écriture ne posait pas de problèmes, mais les Iraniens ne pouvaient lire correctement le texte sacré. C’est pourquoi, de la même manière qu’ils furent les premiers à rédiger une grammaire écrite et structurée de l’arabe, les Iraniens améliorèrent également cette écriture nabatéenne arabe en puisant dans les écritures pahlavi et manichéenne iraniennes. On peut notamment préciser l’invention d’un système de points différenciant les différentes consonnes arabes (différentes mais proches) et d’un système de signes désignant les voyelles, attribuée à un Iranien nommé Abou As’ad Do’li Al-Fâres au VIIe siècle. A l’origine, ces modifications étaient uniquement à l’usage des non-arabophones, mais devinrent finalement parties intégrantes de la graphie arabe.
Puis, les Iraniens reprirent cette même écriture arabe à leur compte et en y ajoutant quelques nouvelles lettres adaptées à leur langue, en firent l’écriture persane telle qu’elle existe aujourd’hui, avec très peu de modifications. Cette écriture persane commença à se généraliser dès le IXe siècle pour continuer, en des calligraphies diverses et variées, jusqu’à aujourd’hui.
Bibliographie :
Nâtel Khânlari, Parviz, Târikh-e zabân-e fârsi (Histoire de la langue persane), Téhéran, 1988.
Bahâr, Mehrdâd, « Khotout-e bâstâni az âghâz tâ khatt-e koufi », Az ostoure tâ târikh (Du mythe à l’histoire), Téhéran, éd. Tcheshmeh, 1998.
Bahâr, Mohammad Taghi, Sabk shenâsi-e zabân va she’r-e fârsi (Stylistique de la langue et de la poésie persanes), Téhéran, éd. Zavvâr, 2002.
Amouzegâr, Jâleh, « Târikh-tchei az negâresh o khat » (Histoire de l’écriture), juin 2008. Site internet : persianlanguage.ir