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« Demeure de l’être », pour reprendre l’expression de Heidegger, la langue est le berceau de l’histoire. Sans elle, l’homme n’aurait pas d’histoire.
Le persan est une langue iranienne de la branche indo-iranienne des langues indo-européennes. On le parle essentiellement en Iran, Afghanistan, Tadjikistan et pays historiquement sous influence persane. La langue persane se situe dans la continuation du moyen perse, la langue religieuse et littéraire officielle de la Perse sassanide, lui-même une continuation du vieux persan, la langue de l’Empire perse durant l’ère achéménide. Le persan est une langue pluri centrale et sa grammaire est semblable en cette caractéristique à certaines langues européennes contemporaines.
Le persan compte approximativement 110 millions de locuteurs natifs et est langue officielle en Iran, Afghanistan et Tadjikistan. Des siècles durant, le persan a également été une langue culturelle prestigieuse en Asie centrale, Asie du sud et Asie mineure.
Le persan a eu une influence considérable (principalement dans le lexique) sur les langues voisines, particulièrement les langues altaïques de l’Asie centrale, du Caucase et de l’Anatolie, les langues iraniennes voisines, aussi bien que sur l’arménien et les langues indo-aryennes, en particulier l’urdu. Il a exercé moins d’influence sur l’arabe, en en empruntant beaucoup de vocabulaire.
Avec déjà une riche histoire littéraire préislamique en moyen perse, c’est-à-dire avant l’islam, le persan devint la première langue de la civilisation musulmane à briser le monopole de l’arabe sur la prose et la poésie et très vite, la composition de poésies en persan s’est établie comme une tradition de cour dans de nombreuses cours d’Asie.
Selon les documents disponibles, la langue persane est la seule langue iranienne ayant existé avec une continuité sans rupture, sous formes de vieux perse, moyen perse et persan.
L’histoire connue de la langue persane peut être divisée en trois périodes distinctes :
Le vieux perse : Le vieux perse, originaire du sud-ouest du plateau iranien, a évolué du proto-iranien. ہ la différence du persan moderne, le vieux perse avait une grammaire très flexionnelle, avec des déclinaisons propres aux genres masculin, féminin et neutre et au nombre (singulier, double, pluriel).
Le moyen perse : Le nom originel du moyen perse était le pârsik ou pârsig, d’après le nom du groupe ethnique perse du sud-ouest, c’est-à-dire les Pârs, d’où viennent également les noms de vieux perse et de persan. Suite à l’effondrement de l’Empire sassanide, le pârsik, désormais écrit avec l’écriture arabe, référa uniquement au persan utilisé jusqu’au milieu du IXe siècle, après quoi le persan moderne prit sa place. Cependant, il faut préciser qu’il est erronément nommé le pahlavi, alors que le pahlavi est en réalité uniquement un système d’écriture, utilisé non seulement pour le moyen-perse mais aussi pour d’autres langues iraniennes avant l’islam. Le pahlavi avait été adopté auparavant par les Sassanides (Perses, originaires du sud-ouest de l’Iran) et avant eux par les Arsacides (Parthes, originaires du nord-est). Bien que cette distinction entre le persan (moderne) et le pahlavi ou moyen-perse sassanide ait été notée jusqu’au VIIIe siècle, notamment par Rouzbeh (Abdullah Ibn al-Muqaffa), on ne la voit plus dans les commentaires arabo-persans postérieurs à cette date.
Le nouveau persan : L’histoire du nouveau persan (le persan actuel dans sa forme contemporaine) s’étend sur plus d’un millénaire. Le développement de la langue de l’Iran dans cette dernière période est souvent divisé en trois stades premier, classique et contemporain. Les locuteurs natifs persans peuvent comprendre les textes du premier stade avec une adaptation moderne minimale, car la morphologie du persan, et dans une moindre mesure, son lexique, sont restés relativement inchangés durant ce millénaire.
Le nouveau persan postérieur : Le nouveau persan s’est développé à partir du VIIIe siècle en tant que langue littéraire indépendante. Avec le déclin du pouvoir du califat au IXe siècle, le persan a entamé un sérieux rétablissement après le choc de la confrontation avec l’arabe et les fondations d’une renaissance iranienne ont été posées au travers des lettres. Ainsi, le nouveau persan est né dans l’Iran de l’est par l’adaptation de la forme parlée de la langue de cour persane de la période sassanide. Le berceau de la renaissance littéraire persane se trouve ainsi dans l’est de l’Iran. Ce nouveau persan était déjà parfaitement maîtrisé en tant que langue orale et les trois dynasties iraniennes Tâhirides (820-872), Saffârides (860-903) et Samanides (874-999), toutes trois formées à l’est de l’Iran, permirent également la mise en écrit et donc, la naissance d’une littérature basée sur cette langue nouvelle, alors complètement formée. Ceci permit le développement littéraire du persan, notamment en gammes et pouvoirs d’expression. Abbâs de Merv est mentionné comme étant le premier ménestrel à avoir scander des vers dans la nouvelle langue persane et après lui, ce sont les poèmes de Hanzaleh Badgheysi qui sont parmi les premières œuvres littéraires du persan.
L’un des premiers poètes importants ayant composé en persan fut Roudaki, qui fut poète de cour auprès des Samanides (Xe siècle). Sa réputation de poète de cour, de musicien accompli et de chanteur a survécu jusqu’à aujourd’hui, bien que peu de sa poésie ait été préservée. Du peu qui reste de son œuvre, on peut notamment citer des fables versifiées, compilées quelques siècles plus tard dans le Kelileh va Demneh.
La propagation géographique du persan à partir du XIe siècle en a également fait un moyen de communication important qui permit notamment aux tribus altaïques de l’Asie centrale, voisines de l’Iran, de faire la connaissance de l’islam et de la vie citadine. Ainsi, le nouveau persan est devenu tôt une lingua franca transrégionale, en raison notamment de sa structure morphologique relativement simple, situation qu’il garda jusqu’au XIXe siècle. Vers la fin du Moyen âge, de nouvelles langues littéraires islamiques ont été créées sur le modèle persan : l’ottoman, le chaghatay et l’urdu, qui sont considérées comme des langues structurées sur le persan.
Le persan classique : La conquête islamique de la Perse marque le début de la nouvelle histoire de la langue et de la littérature persanes. Cette période a produit des poètes de langue persane de classe mondiale, et cet essor du persan lui a permis de consolider sa place en tant que lingua franca à l’est et au sud de l’Asie. C’était aussi la langue officielle et culturelle de beaucoup de dynasties islamiques, notamment les Samanides, les Tahirides, les Bouyides, les Zyârides, les Ilkhanides, les Timourides, les Ghaznavides, les Seldjoukides, les Khwarezmides, les Safavides, les Afsharides, les Zands, les Qâdjârs, les Ottomans, ainsi que des royaumes du sub-continent indien tels que les Nizâms.
Pour l’usage commun du persan en Asie à l’époque, on peut citer le cas de Marco Polo, qui utilisa le persan à la cour de Kubilaï Khân et en Chine. Cette place importante du persan et son influence sur d’autres langues est visible à travers le rôle qu’il a joué en tant que langue d’élites et langue de littérature autant que de commerce.
Après l’invasion arabe de la Perse, le persan a commencé à adopter un grand nombre de mots arabes, puis les invasions turco-mogholes successives ont également permis l’emprunt de mots turco-moghols.
Le persan contemporain : Depuis le XIXe siècle, les emprunts faits au russe, au français et à l’anglais, ainsi que d’autres langues européennes dans une moindre mesure, ont contribué à l’enrichissement du vocabulaire technique du persan. L’Académie iranienne de Langue et de Littérature persanes est responsable de l’évaluation de ces nouveaux mots, avec notamment pour but de créer leurs équivalents persans. A ce niveau, des progrès ont été remarquables au XXe siècle.
Ces couches d’apports de vocabulaires de différentes langues font ainsi du persan une langue toujours en espace d’intertextualité, et pour cerner l’importance de cet état de fait, il faut reconnaître l’évolution de la pensée iranienne au cours de la période moderne et contemporaine, pour pouvoir évaluer ses conséquences sur la langue persane au travers de l’intertextualité.