N° 88, mars 2013

L’Académie iranienne de Langue et de Littérature persanes : un aperçu historique


Samira Saeidiân
Traduit par

Issa Vâleh


Les académies de langue sont les produits de la constitution, depuis le XVIIème siècle en Europe, d’Etats modernes et le développement de tendances nationalistes, donnant sens, au fur et à mesure, au concept de « langue nationale ». Elles participent pour ainsi dire à légitimer, voire établir l’existence des ةtats-nations. Mais si cette institution moderne est née, à titre d’exemple, en France en 1635, son apparition en Iran ne date que du XXème siècle ! Elle a par ailleurs vu le jour pour normaliser la situation qui régnait à l’époque dans le domaine de la langue. Car des établissements non officiels avaient surgi, par ci par là, en s’étant fixé pour but de « purifier le persan des termes et expressions étrangers ». Il n’y avait pas de contrôle sur le travail de ces puristes dont l’œuvre était jugée non scientifique et souvent marquée d’excès. De ce point de vue, la fondation de l’Académie iranienne de langue fut moins comme un choix conscient ou une entreprise de présenter le persan en tant que langue nationale. Notons également que durant cette même durée, son fonctionnement et son mouvement ont été interrompus à plusieurs reprises. Elle a de même subi des changements de nom durant son histoire, pour finalement s’intituler de nos jours « L’Académie de Langue et de Littérature persanes ».

L’Académie de Langue et de Littérature persanes est donc une institution iranienne, fondée en 1369 (1990), dont la fonction est notamment de « conserver la force et l’originalité de la langue persane ». Elle n’est cependant pas, nous l’avons évoqué, la première de ce genre, suivant deux autres académies : Première académie et Seconde académie. Les deux premières académies ainsi que cette troisième ont été de même mises en place en vue de « chercher et de poser des équivalents persans pour les termes étrangers ».

Entrée de l’Académie de Langue et de Littérature persanes

L’Académie iranienne (la Première académie) vit le jour en 1314 (1935), et se donna comme objectif, outre cette normalisation des activités de purification du persan, de confronter également, par une méthode scientifique, cet afflux de termes étrangers en persan, dû à l’accélération de la modernisation du pays au début de la dynastie Pahlavi.

A noter que l’introduction de mots techniques et de nouvelles théories en Iran et donc dans la langue persane date de l’époque qâdjâre. Suite à la fondation de l’école de Dar-ol-Fonoûn, des mots et des expressions européennes, surtout dans les domaines technique, militaire et médical, avaient envahi le persan. A l’époque du constitutionalisme, ce phénomène toucha le domaine des sciences sociales et politiques. Purifier le persan de ces mots et expressions étrangers était à ce titre la première visée de l’Académie iranienne. Il en résulta cependant une conséquence d’importance majeure : la nation iranienne se dotait d’une identité culturelle bien définie « pareillement aux Européens ».

Mais son activité principale, nous le répétons, restait de « purifier la langue et l’écriture persanes des mots et des expressions étrangers », surtout arabes. Car, Rezâ Pahlavi avait entrepris de moderniser l’Iran sur le modèle de la Turquie, encourageant donc un nationalisme notamment basé sur la langue persane. Il voyait en effet l’arabe, langue de l’islam, comme un obstacle à son projet de modernisation. Il suivit cette politique de purification dans tous les domaines. « Il a donc donné l’ordre public daté du premier dêy 2480 (selon le calendrier royal) selon lequel l’armée devait se débarrasser de tout terme étranger et de le remplacer par des mots persans ». Le grand poète de l’époque Malek-ol-Shoarâ fit le même constat et considéra la naissance de l’Académie dans la lignée des tentatives royales pour renvoyer les étrangers de la gendarmerie : « Le roi ne s’est point contenté de renvoyer les étrangers, il s’efforce également d’expulser les mots, qu’ils soient européens, arabes ou turcs (…). » Dans ses souvenirs, Ali-Asghar Hekmat évoque l’intérêt du roi pour la langue persane en ces termes : « Il s’intéressait tant à la langue persane que quand un jour, en traversant la rue, il considéra que quelques établissements et boutiques avait fait le choix des noms étrangers (russe, français, anglais ou autre), il ordonna tout de suite par un ordre écrit que tous ces noms soient remplacés par des mots persans ; il a aussi chargé la gendarmerie de le faire pour toutes les rues et avenues de la capitale, et l’Académie fut chargée de substituer les noms étrangers, notamment dans les provinces d’Azerbaïdjan, du Khouzestân et de Gorgân (lesquels étaient marqués plus que les autres par la présence des Arabes et Turcs), par des noms persans (…). »

Le 29 ordibehesht 1314 (1935), fut donc émis l’ordre de la constitution de l’Académie iranienne par Rezâ Shâh, fondateur de la dynastie pahlavi. Son premier président fut Mohammad-Ali Foroughi, également connu sous le nom de Zoka-ol-Molk, alors Premier ministre. Sa présidence à l’Académie fut très courte (8 mois), mais l’œuvre qu’il réalisa fut remarquable.

Foroughi était un ancien élève de l’école de Dar-ol-Fonoûn où il avait étudié la médecine. Mais sa passion allait à l’histoire et à la littérature, laquelle était le domaine préféré de son père et de son grand-père. En outre, il s’intéressait à la philosophie et à l’art (il apprit la peinture chez Kamâl-ol-molk, à qui il enseigna le français). Il maîtrisait les langues arabe, russe, anglaise et française, compétences pour lesquelles l’ةtat l’avait recruté en tant que traducteur au ministère de l’édition, où ce grand politicien du début du siècle commença à servir la langue persane, notamment grâce à l’invention de termes nouveaux lors de la traduction des ouvrages d’économie et de droit. Entre autres, sa traduction d’Éléments de l’économie politique de Paul Beauregard est un exemple à noter où sont donnés bon nombre d’équivalents en persan de termes clés de l’économie. Il a en même temps traduit une œuvre en droit, y ayant déployé un grand talent pour le néologisme. « La maîtrise du traducteur des sujets de ces deux ouvrages, écrit Ghaninejâd, célèbre économiste persan contemporain, sa minutie et ses compétences dans la recherche des équivalents persans pour les termes techniques, lesquels sont souvent pour la première fois posés en persan, font montre de sa connaissance approfondie du persan, de l’étendue de son savoir et de son regard attentif. » Ce constat en dit suffisamment pour justifier la présidence de Foroughi à l’Académie iranienne. Dâryoush Ashouri, autre penseur et philosophe iranien, dit pour sa part : « Foroughi était un éminent homme de lettres et linguiste, il était également doué pour écrire et possédait des idées claires sur la nécessité de reconstruire la langue persane ainsi que sur son futur et les méthodes à poursuivre. Là où les deux générations qui l’avaient précédé avaient compris qu’il fallait rendre plus simple la langue écrite, mais elles n’étaient pas encore à même d’enrichir le persan de termes scientifiques adaptés au mode de vie moderne. Foroughi et ses collègues sont allés dans ce sens. De plus, Foroughî a également rendu un service important à la langue persane en traduisant les philosophes européens, et a ainsi rendu le terrain propice à une évolution stylistique en la matière. Cela fut fructueux et les générations suivantes en profitèrent beaucoup dans leurs méthodes d’enrichissement et de renouvellement du persan. »

En résumé, nous pouvons donc dire que Foroughi fut l’un des premiers à saisir le problème de la langue persane, lequel résidait dans son expression du monde moderne. Foroughi rendit tôt sa place de président à Hassan Vossough, connu sous le nom de Vossough-ol-Doleh, mais resta membre permanent de l’Académie jusqu’à sa mort en 1942.

Couverture de Lettre de l’Académie, une revue annuelle

Vossough aussi était politicien (Premier ministre durant deux périodes, et plusieurs fois ministre et député), mais pratiquait moins les lettres persanes que son précurseur, bien qu’il fut l’auteur de poèmes aujourd’hui rassemblés en recueil. Il resta à ce poste jusqu’en 1938, jusqu’à ce que lui succède Ali-Asghar Hekmat. Contrairement à Vossough, ce dernier était plus connu pour sa carrière littéraire que son travail politique, bien que son mandat au ministère de la culture fût l’un des plus brillants de l’époque. Il fut en outre le premier président de l’Université de Téhéran où il donnait des cours sur l’histoire de la littérature persane ainsi que l’histoire des religions. Outre ses nombreuses traductions, Hekmat a également écrit des textes importants sur la langue persane, dont Le fin persan, et Du persan dessiné sur les Pierres d’Inde. Il fut remplacé à la tête de l’Académie iranienne par d’autres grands noms : Esmâil Mer’ât, qui figurait parmi les partisans acharnés de la purification de la langue persane des termes étrangers, Issâ Sedigh et Hossein Samii, lequel a écrit un Normes d’écriture.

Concernant l’œuvre de cette première académie, elle fut, dans l’ensemble, remarquable : durant les trois premières années, elle donna jour à mille mots, lesquels furent publiés dans Les mots nouveaux. Ce nombre grandit au fur et à mesure et passa à plus de 2000 en 1941. La publication d’une revue annuelle intitulée Lettre de l’Académie, et la fondation de bon nombre d’associations scientifiques, de lettres (sous la présidence de Malek-ol-Shoarâ), de linguistique, de théâtre, de musique… sont d’autres fruits de cette nouvelle institution.

En 1941, avec l’occupation de l’Iran par les forces alliées, durant la Seconde Guerre mondiale, et la chute de Rezâ Shâh, le travail de cette première académie en matière de construction de mots et de purification de langue prit fin. Le centre poursuivit pourtant ses activités de recherche en littérature avant d’être officiellement dissous en 1954.

La Seconde Académie, connue également sous le nom d’Académie iranienne de langue, fut fondée en 1968 et resta en place jusqu’en 1981, lorsqu’elle fut intégrée dans le corps d’un institut nouvellement fondé sous le nom d’« Institut d’études et de recherches culturelles ». Elle vit le jour après une longue période d’hésitations pendant laquelle fut ressenti « le danger d’invasion » de la langue persane par les langues étrangères. Ce danger avait été évoqué au milieu des années 60 par Mohammad Moghaddam, linguiste et homme de lettres de ce temps. Des débats se tintent également dans les médias sur la nécessité d’adapter le persan aux langages des technologies modernes.

Cette nouvelle académie comprenait quatre centres de recherche : choix des mots, groupement des mots persans, langues archaïques, langues moyennes. Elle s’était fixé un double objectif : le choix des mots, et des recherches sur la langue ; elle avait donc pour mission de faire également des études sur les langues et dialectes iraniens. Mais son travail principal était toujours de proposer et de faire approuver de nouveaux termes persans. Pour ce faire, neuf commissions avaient été chargées de faire chacune le choix des mots ou de trouver des équivalents pour les termes étrangers, dans un domaine particulier. Ce nombre atteignit celui de 28 en 1978, avec 10 membres pour chaque commission. Les termes étrangers (en principe des langues anglaise et française) étaient présentés sous trois formes aux commissions, dont l’une passait par les cahiers « Quelle serait votre proposition ? ». Il s’agissait de traduire d’abord un nombre défini de termes techniques de la discipline concernée, de les publier dans lesdits cahiers, et de consulter l’opinion de divers experts et spécialistes en dehors de la commission, en posant cette question : « Quelle serait votre proposition ? » Le troisième numéro de cette académie (1974), à titre d’exemple, portait sur les mots des sciences sociales. Une fois les réponses recueillies, on discutait selon les normes définies par l’académie pour décider du mot ou de l’équivalent convenable. On cherchait ces mots notamment dans le réservoir de la langue persane contemporaine. Plus de 6000 termes furent ainsi trouvés, choisis ou définis, et mis à la disposition du public.

Mais cette seconde académie, comme la première, ne fut pas à l’abri des abus de ses membres dans la purification du persan, c’est-à-dire du rejet de tout mot étranger, même s’il était connu de tout le monde et qu’il avait bien trouvé sa place dans la structure du persan. L’exemple est le terme français de « scène » que l’on voulut absolument remplacer par un terme persan ancien, « viyân », tandis qu’il avait déjà un équivalent arabe, « sahneh ». Toujours dans ce sens d’excès, le conseil de l’académie iranienne n’admettait point que l’on garde un terme étranger sous prétexte qu’il était international. On chercha à ce titre un équivalent pour, par exemple, le mot « téléphone ».

Réunion de l’académie de Langue et de Littérature persanes

Pour autant, l’œuvre de cette seconde académie fut aussi remarquable, bien qu’elle n’eût pas le succès de la première.

Pour ce qui de la troisième académie, évoquée au début de ce texte, elle comptait à son origine 17 membres constitués d’éminents chercheurs en langue et littérature persanes. Son premier président fut Hassan Habibi, qui était en même temps vice-président de la République islamique. Après lui, Haddâd Adel assuma ce poste qu’il quitta lors de son élection à la présidence du parlement iranien en 1383 (2005). Après un temps, en 2008, M. Adel fut de retour et est toujours en fonction à ce jour. Il est titulaire d’un doctorat en philosophie de l’Université de Téhéran.

La commission la plus importante de cette dernière académie reste celle du choix des mots, fondée en 1370 (1991). Cette commission est elle-même composée d’un conseil de choix des mots, d’un comité technique, de groupes et conseils de coordination, d’une section de recherche, d’une section informatique et d’un groupe de réalisation. Elle s’est fixé comme objectif de fortifier, de développer et d’armer la langue persane pour répondre aux besoins culturels, scientifiques et techniques du monde actuel, et d’équilibrer en même temps les diverses activités de formation et de choix de mots. Chaque commission fait approuver tous les ans environ 4000 mille mots, publiés dans Le dictionnaire des mots approuvés à la fin de l’année. Il paraît également, depuis 2010, pour les termes qui dépassent les mille mots dans chaque discipline, un dictionnaire intitulé Mille-mots. Dans l’ensemble, ont été jusqu’ici approuvés par cette troisième académie 35 000 mots, lesquels ont été publiés dans 9 cahiers, sous le nom de Les mots approuvés, et dont l’usage est obligatoire dans les administrations de l’Etat. D’autres publications de l’Académie de Langue et de Littérature persanes sont : un semestriel intitulé Lettre de l’académie, et un ouvrage sur Les normes d’écriture persane.


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