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L’odalisque est venue
à la rencontre des époux
pour les mener vers leur chambre.
Elle ouvre les grilles de bronze
d’où les eunuques s’éloignent.
Flotte une odeur d’opium
qui se fait sentir fortement
derrière les rideaux d’ambre.
Sur les bas-reliefs des salles,
apparaissent diverses figurines
dont Asmodée, le rejeté,
qui s’envole par une fenêtre.
Des pendeloques cliquettent,
des chuchotements couvrent
de furtifs glissements.
Un déclic savamment caché
actionné par un page roux
fait virer une portière
d’où un sublime paon
surgit en faisant la roue.
Dans la chambre
à la teinte vert d’eau
et entourée d’arcades,
de petites perruches
aux incrustations
de jade et d’émail
délimitent l’espace.
Deux servantes apparaissent
entre deux montants de bois
dont les motifs sont cernés
symétriquement de clous d’or.
Elles tiennent le miroir nuptial
dans lequel les mariés selon la loi
se mirent pour la première fois.
Il est orné de symboles d’argent
protecteurs des enfantements.
Puis les servantes déroulent
le tapis nuptial bleu limpide ;
sur lequel les deux amants
vont se placer lentement.
Il est doux aux pieds
des amoureux gênés
et dégage une fine odeur
d’amandier et de citronnier.
Main dans la main,
se contemplant,
ils écoutent
les sonnailles
des caravanes
lointaines...
Un silence d’émotion
emplit toute l’habitation.
Soudain retentissent
douze cymbales et trompettes,
autant de tambours et de flûtes
qui triomphalement saluent
le flamboyant coucher
comme le sublime lever
de l’astre solaire.
En même temps, les chants
glorifient l’amour et les invités
enclos dans le palais.
– Ainsi, dit Omid,
les événements
se sont passés
dans l’intimité.
Par un sortilège,
tu as pu y assister ;
mais c’est un secret.
– Je suis touché.
A ce point, dit-il,
je n’aurais jamais
pu me l’imaginer.
Distrait, il se caresse le visage
de sa longue et précieuse plume ;
il est passé au travers des âges.
Rostam est maintenant
dans le champ du tapis
où les arbres verdissent.
Le cyprès côtoie
l’amandier de la vie
tendant ses branches
vers le palmier-dattier
présent de toute éternité.
Ce n’est pas un tapis figé
mais un tapis animé
où les éléments sont habités
du souffle de la liberté.
Les musiciens sont assis,
effleurant de leur dos
les lourdes tentures ;
ils tiennent en leurs mains
des coupes de cristal de roche
tout en attendant le signe.
Puis, l’un d’eux se lève,
donnant un verre à Rostam,
il prononce quelques mots :
– Prends la coupe,
et partage avec moi
l’esprit du lieu.
Maintenant, regarde
dans la paume
que je te tends.
– J’y vois une petite lueur.
– Recueille la graine
de ton fabuleux désir
que tu y avais posée.
Car elle engendrera
toutes les moissons
de tes divers souhaits
qui seront réalisés.
– Je partage avec toi
ce qui m’est ici,
gracieusement
et si généreusement
donné avec tant de joie.
– Sais-tu qu’en cet endroit
où ruisselle la lumière,
les entités échevelées
te regardent et sourient
avec grâce et aménité ?
– Merci de m’accueillir,
ô grand sage vénéré,
dans le jardin de l’ةden
où vie et pensées sont liées.
Une forte odeur de citronnier
envahit le cœur de Rostam ;
des flammes vacillent
et parfois s’inclinent
sur les chandeliers ouvragés,
ornés de serpents de métal,
se dressant dans le vent.
Mille et un cèdres pleureurs
encadrent les chemins
des multiples labyrinthes.
Au cœur même et au sein
du jardin des senteurs,
les manuscrits du temps
sont toujours ouverts
pour que le pèlerin
puisse lire et prier
en toute liberté.
Cependant Rostam
a fini son parcours ;
déjà il entrevoit
dans le lointain
les chaînes enneigées
qui succèdent
aux arides plateaux.
S’éloignent alors
les bulbes turquoise
des sanctuaires
et les argiles carminées
des toits en damier.
Tout s’effacera
à deux parasanges
de la ceinture de l’oasis
où s’envolent les anges.
A ce moment-là,
le passeur Omid
s’adresse au voyageur :
– Tu es venu, ô Rostam
pour remettre un présent
et nous l’avons reçu.
Tu as parcouru
avec raison
les quatre saisons
du vaste monde.
Tu t’es désaltéré
à la fontaine
où tu as contemplé
les arbres et les oiseaux.
Tu as écouté le sage,
applaudi le derviche,
et prié avec Aspasie.
Tu as goûté le vin du Vizir,
caressé les effluves de soie
et sans doute échangé
avec les brunes odalisques.
Le Simorgh t’a accueilli
et pour finir
tu sors du tapis.
– Merci, je suis
profondément
reconnaissant.
– Maintenant l’initiation
arrive à sa fin
et Farsâd t’attend ;
suis-moi pour
une dernière visite
qui sera l’aboutissement
de ton laborieux chemin.
– Ami, qui est Farsâd ?
– Farsâd est la conscience du temps
et le marcheur de l’univers.
Son dieu est Ormuzd ;
touché par ta dévotion,
il va te manifester
toute son amitié.
– Tu m’en vois très flatté.
– Maintenant je me retire,
je te laisse à lui,
ma tâche est terminée
c’est à lui qu’appartient
la dernière sentence.
Sur ce, il disparaît
et Rostam, sans un mot
n’a que le temps de s’incliner.
Farsâd est une statue
gigantesque et blanche ;
dont les traits sont sereins.
Son visage altier et constant,
encadré de multiples boucles,
est animé par des yeux perçants.
Alors la grande image parle :
– Combien de tapis
ai-je vu dérouler !
Combien d’années
se sont écoulées !
Combien de jardins de soie
se sont matérialisés !
Et combien de paysages
ont servi de fond
aux fileuses du Vizir !
Mais ta démarche est louable
et certes, elle a touché
le cœur du Divin.
Ton Sceau-cylindre
est arrivé au temple,
les pierres ont parlé.
Vers le soleil doré,
le cadeau a été élevé
pour être honoré.
Irradié de Vie,
il est maintenant adoré.
Certes, ton chemin
se poursuit...
tu es désormais
hors du jardin,
loin des chants
et du paradis,
loin de la fontaine
et du derviche.
Mais chaque fois
que tu le désireras,
viens au centre du tapis ;
tu sais que tu es relié
à tout jamais.
Sous une lourde treille,
le tapis est enroulé ;
dans le coffre du Vizir,
il a été aussitôt placé.
Simorgh et Omid,
les gardiens fidèles,
en silence, le veillent.