N° 123, février 2016

L’architecture traditionnelle iranienne
Les espaces résidentiels


Afsaneh Pourmazaheri


Maison de Khâlou Mirzâ, ville d’Aghdâ,
Yazd, époque ilkhânide

L’architecture des résidences traditionnelles iraniennes est composée des éléments, des motifs et des méthodes de constructions culturels et environnementaux des époques islamique et préislamique. Au cours de la période préislamique, on comptait deux styles principaux à savoir le style parsi (Pasargades, Persépolis, Sialk) et les styles parthe et sassanide (Tample d’Anahita et Bishapour). Pour ce qui est de l’époque islamique, les exemples les plus connus sont le style Khorâsâni (la mosquée de Nâïn), le style Râzi (tombe d’Ismâ’il Ier à Gonbad-e Qâbous), le style Azari (Soltaniyeh) et le style Isfahâni (mosquée du Shâh).

Situées en bordure des déserts de régions arides et montagneuses, les villes typiques iraniennes sont exposées à la chaleur excessive de l’été et au froid sec de l’hiver. C’est ainsi que l’architecture traditionnelle iranienne est obligatoirement conçue dans le respect des conditions climatiques et majoritairement nourrie par l’arrière-plan artistique et culturel, inspiré lui aussi par le mode de vie et les habitudes acquises par les populations au cours des siècles. Elle est donc, à première vue, dénuée de souplesse et d’esthétisme apparent. Cependant, en s’y intéressant de plus près, on découvre nombre de merveilles architecturales à la beauté et à la finesse exemplaires.

Mosquée de Nâïn

La structure traditionnelle des villes typiquement iraniennes comprend des ruelles étroites et aérées appelées koutcheh en persan. Les matériaux utilisés pour ces ruelles sont des briques d’adobe, des blocs de boue séchée et du torchis. Les ruelles sont généralement en partie couvertes. Ce type d’urbanisme était, à une époque donnée, ordinaire voire banal en Iran. Cette conception permettait d’optimiser l’efficacité des structures en milieu désertique et ralentissait l’expansion du désert et les effets néfastes des tempêtes de poussière. Elle maximisait de même l’espace imparti à l’ombre - synonyme de fraîcheur - durant les journées chaudes et très ensoleillées, et isolait le tissu urbain durant les hivers rigoureux. En 1993, au moment de sa visite à Kâshân, ville aride située en bordure du désert, le vice-président de l’UNESCO exprime en ces mots l’harmonie architecturale traditionnelle : « Les architectes de Kâshân sont des alchimistes de l’histoire. Ils sont parvenus à créer de l’or à partir de la poussière. » En effet, la plupart des maisons traditionnelles de Kâshân, comme dans d’autres contrées iraniennes, ont été construites avec les matériaux cités.

Tombe d’Ismâ’il Ier à Gonbad-e Qâbous

Ceci dit, l’architecture traditionnelle ne prenait pas en compte les risques sismiques et les tremblements de terre ont massivement détruit le tissu traditionnel urbain. Ainsi, la plupart des structures traditionnelles existantes aujourd’hui datent de l’époque qâdjâre et malgré les efforts des architectes pour fortifier la résistance des bâtiments traditionnels au cours des siècles, les structures ont peiné à rester intactes.

Les croyances islamiques associées à la nécessité de défendre les villes contre les invasions et les attaques extérieures, ont encouragé l’architecture traditionnelle à une forme d’intériorité, notamment visible dans le lacis compliqué des ruelles étroites. Cette configuration permettait également de tisser des liens nodaux et homogènes entre le voisinage. Ces maisons typiques iraniennes possèdent un système inné de protection. Elles sont toutes dotées de jardins clos créant un sentiment maximal d’intimité. Ce genre de structure était donc conçu de manière à fournir une protection optimale aux habitants durant les moments de tension et de danger, créant ainsi un microcosme de tranquillité organisé autour des jardins intérieurs.

Dans la Perse d’autrefois, le tissu urbain se développait généralement autour des sanctuaires, des autels et des lieux saints populaires. On peut donc aisément retrouver les bains, les tekkyeh (centres de commémoration), les maisons de thé, les centres administratifs, les écoles et les lieux de rassemblement dans le périmètre d’un même voisinage.

Âb-anbâr Sardâr Bozorg, Qazvin

A part le bazar central de la ville, chaque quartier possédait son propre bâzârtcheh (petit bazar) ainsi que son propre réservoir d’eau ou âb-anbâr qui fournissait l’eau potable de tout le voisinage. La ville de Qazvin, par exemple, possédait plus de cent réservoirs avant le développement des infrastructures modernes de distribution d’eau.

A l’instar de nombreuses villes iraniennes partout en Iran, le stuc était la matière ornementale la plus répandue dans la construction des maisons traditionnelles iraniennes. L’une des raisons de ce choix était le prix modeste des matériaux utilisés dans ce genre de mortier, notamment du gypse. Requérant une faible quantité d’eau, il se transforme rapidement en plâtre et accélère ainsi le processus de construction. C’est un véritable avantage dans des lieux tels que le centre de l’Iran où le bois est une matière rare. Une autre raison de son succès tient à ce qu’il est facilement modulable, maniable et facile à tailler. Grâce au stuc, un mur couvert de pierre de façon rudimentaire peut donner une impression de raffinement. Ce matériau doit son apparence luxueuse au savoir-faire des artisans iraniens maniant un art qui remonte à l’époque préislamique.

Le schéma de la majorité des maisons traditionnelles iraniennes comprenait plusieurs espaces caractéristiques : entre autres le hashti, espace transitoire clos contigu à l’entrée qui mène à un vestibule appelé le dâlân-e voroudi (dans les mosquées, les hashti permettent à l’architecte d’orienter le croyant d’abord vers la salle des ablutions puis vers les salles de prière), qui offre un accès commode à tous les secteurs de la maison ; un bassin central entouré par un jardin fleuri contenant des figuiers, des grenadiers et des vignes ; et l’importante distinction orientale entre les parties de l’habitation entre le birouni (espace public et non-intime de l’habitation) et l’andarouni (espace intérieur et intime de la demeure, accessible uniquement aux membres très proches de la famille) ; et une orientation spécifique en direction de La Mecque.

Deux réservoirs d’eau (âb-anbâr) avec sept bâdgirs, région Hossein Abâd, près de Yazd

En outre, les maisons traditionnelles iraniennes, dans les parties centrales du pays, étaient conçues de façon à profiter d’une climatisation naturelle grâce au système des bâdgirs ou « tours du vent ». Ces tours permettent d’aérer et de rafraîchir la maison en transmettant la fraîcheur de l’air - parfois générée artificiellement grâce à l’aménagement de bassins d’eau sur le trajet de l’air -, aux niveaux inférieurs du bâtiment. Les murs épais et massifs aidaient également à l’isolation estivale ou hivernale.

L’héritage artistique des Iraniens, enrichi d’un savoir-faire technique quoiqu’ancien, toujours efficace, a réussi à créer des maisons et des espaces dont de remarquables exemples nous sont fournis par les tâlâr (salles de réception), pièces esthétiquement travaillées, les toits aux vitraux colorés intrigants, les portes-fenêtres finement ouvragées ainsi que les miroirs, les peintures, les reliefs et les beaux iwans des vieilles demeures. La rigueur géométrique, quant à elle, est évidente, notamment dans les chefs-d’œuvre architecturaux de l’ère safavide à Ispahan qui reflètent l’ordre parfait du monde céleste, par toute une batterie de moyens, dont l’organisation des jardins à l’intérieur des habitations.

Bibliographie :
- Goblot, Henri, "Dans l’ancien Iran, les techniques de l’eau et la grande histoire", Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, 1963, Vol. 18, n°3, pp. 499-520.
- Khonsâri, Mehdi, The Persian Garden : Echoes of Paradise, éd. Mage, 1998.
- Memârian Gholâm-Hossein, Memâri-ye âb anbârhâye shahr-e Qazvin (L’architecture des réservoirs d’eau de Qazvin), éd. Mirâs Farhangi, Vol. 35, Téhéran, 1993 , pp. 187-197.


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