|
Le mont Damavand, symbole de grandeur et de majesté pour les Iraniens, est depuis longtemps un sujet de prédilection dans les mythes et légendes persans. Ce mont possède également une signification mythologique religieuse très ancienne, puisque selon le zoroastrisme, le dragon à trois têtes, symbole du Mal, y a été enchaîné, condamné à être enfermé dans ce mont jusqu’à la fin du monde. Les nombreux mythes et légendes de ce mont ont été abordés, commentés et repris par de nombreux poètes et écrivains persans et étrangers.
Le mont Damavand est l’un des lieux les plus mythiques et les plus significatifs du Shâhnâmeh de Ferdowsi, compilation des mythes de l’Iran ancien, où il y est surtout présenté comme lieu d’ensevelissement du tyran malfaisant Zahhâk (Ajidahâk). Le rappel de cet être démonique conduit Ferdowsi à sommer une autre figure mythologique iranienne pour comparer et même personnifier le mont blanc et impressionnant du Damavand : le Div-e Sefid ou Démon Blanc, le plus puissant de tous les démons, vaincu finalement par un héros légendaire lors de ses sept travaux.
Le Shâhnâmeh est loin d’être l’unique recueil citant cette montagne légendaire, et nous serions bien en peine de présenter même en partie tous les auteurs et poètes qui en ont fait le sujet de leur inspiration. On peut néanmoins préciser que le mont Damavand n’a jamais cessé d’inspirer les artistes iraniens. L’un des poèmes annonciateurs du renouveau de l’ère poétique en Iran au XIXe siècle est une ode au Damavand, par le poète qâdjâr Malek-ol-Sho’arâ-ye Bahâr (1886-1951). Intitulée la « Damavandiyeh », cette longue ode est bien connue des Iraniens :
Ô blanc démon aux pieds entravés
Ô dôme céleste, Ô Damavand…
Pour retourner vers le passé, citons le voyageur médiéval Nâsser Khosrow, dont le Safarnâmeh (Carnet de voyage) contient des informations recueillies par le voyageur concernant le Damavand, informations qui confirment la version du Shâhnâmeh :
Zahhâk était réputé pour son indignité et sa malfaisance immenses
Et l’on raconte qu’il fut enseveli dans une prison effrayante : Damavand
Un autre grand poète médiéval persan, Khâghâni Shervâni, réputé pour la complexité de sa prose poétique, a composé des distiques élégiaques se référant à Ferdowsi et au Damavand :
Ô toi qui es fort comme Ferydoun face à l’ennemi
Envoie-le aux oubliettes, boulets aux pieds
Pour l’oppresseur égal de Zahhâk
Ta prison est aussi terrible que celle du Damavand
Un autre poète qâdjâr, journaliste, constitutionnaliste et activiste politique, Adibol Mamâlek Farâhâni, exploite doublement le Damavand pour parler de sa lutte contre l’absolutisme royal :
Le malfaisant a été emprisonné dans le puits
Comme le prisonnier de Fereydoun [Zahhâk] au sommet du Damavand
Et si tu racontes l’histoire à Damavand
Il sera réduit en poudre
L’œuvre des poètes modernistes comme Nimâ Youshidj, Forough Farrokhzâd ou Syâvash Kasrâï est en général riche d’images et de symboles s’enracinant dans la culture persane. Dans la plupart de leurs poèmes, ils glorifient le Damavand en tant que symbole de résistance à toutes les oppressions. Chez le poète et homme de lettres contemporain, Mohammad-Rezâ Shifi’i Kadkani, né en 1939, Damavand est le symbole de la gloire et des combattants courageux.
On peut lire des descriptions du Damavand dans de nombreux récits de voyage iraniens et étrangers, aussi bien que dans des ouvrages historiques. En voici quelques extraits :
- Mo’djamol Boldân (Dictionnaire des villes), écrit en 1228 par Yâghout Homavi, historien et géographe persan :
« Situé au cœur de la plaine de Rey, Damavand est le point culminant non seulement de la région mais de l’Iran tout entier. »
- Moravvedj-o-Zahab (Les mines d’or), compilé par Mas’oudi historien et géographe du quatrième siècle de l’hégire (Xe siècle grégorien) :
« Le Damavand est un mont dont le sommet est recouvert de neige pendant toute l’année. Le sommet comporte plus d’une trentaine d’ouvertures desquelles émanent perpétuellement des vapeurs de soufre. Le sommet est cependant vide et exempt de vie sauvage en raison du froid et des vents très forts. »
- Taghvimol Boldân (Chronologie des villes), compilé par Abou Fedâ, géographe syrien, mort en 1331 :
« Le Damavand est bien visible, même depuis Sâveh. Il se distingue d’autres sommets qui sont considérablement moins élevés. »
- Massâlek-ol Mamâlek (Livre des routes et des royaumes), compilé par Ibn Khordâdbeh entre les années 844 et 848 :
« Le Damavand domine toutes les montagnes du Tabarestân [actuelle province de Mâzandarân] et les habitants l’appellent « Agh’ra » [Le chauve] car sa terre est exempte de faune et de flore. »
- Mokhtassar-ol Boldân (Abrégé des villes), écrit à la fin du troisième siècle de l’hégire (IXe siècle grégorien) par Ibn Faghih :
« On raconte que Mâzyâr [souverain de la région montagneuse du Tabarestân] expédia un groupe d’habitants du Deylam pour enquêter sur le sort de Zahhâk. Après trois jours d’ascension, ils durent s’arrêter et faire demi-tour, sans pouvoir atteindre le sommet, en raison d’une tempête de neige. »
- Le Safarnâmeh (Livre de voyage) de Nâsser Khosrow en 1066 :
« Dans une région encerclée par Rey et Amol, il y a un mont dont le sommet ressemble plutôt à un dôme. On l’appelle Lavâssan ; de nombreuses mines de noshâdor [chlorure d’ammonium] y existent. Il s’agit d’un solide ionique qu’on utilise surtout comme produit de nettoyage des métaux et autres surfaces spécifiques. La mer Caspienne est bien visible à partir du sommet. »
Mer’ât-ol Boldân (Miroir des villes), écrit par E’temâdosaltaneh, homme politique de l’époque qâdjâre :
« Le Damavand, nommé également Donyâvand [Qui abrite le monde], est un mont situé à l’est de Rey. Sa hauteur dépasse les 6000 mètres et son sommet s’étale sur une superficie de près de 30 djirib (hectares). »
- La Perse et la question persane, publiée en 1892 par George Curzion, orientaliste anglais :
« Le Damavand est un dôme très élevé avec deux flancs de même longueur. Le sommet est très reconnaissable parmi les autres sommets de la région, du fait de sa blancheur et de son altitude. Il domine et surveille depuis longtemps la ville de Téhéran et sa majesté rappelle celle du mont Fuji au Japon. »
- Récit de voyage de Fred Richards (1921), écrivain anglais :
« Le sommet neigeux du Damavand s’élève jusqu’au cœur du ciel bleu d’Iran et jouit de ce fait d’une majesté sans égale. »
- De Constantinople au pays d’Omar Khayyam, écrit en 1911 par William Jackson, orientaliste et linguiste américain :
« A notre arrivée aux portes de Téhéran, nous avons aperçu le sommet le plus élevé de la chaîne de montagnes d’Alborz : le Damavand. On m’a dit que depuis des millénaires, Damavand serre entre ses mains son prisonnier Zahhâk, et que cela continuera jusqu’à la résurrection de Garshâsp qui, selon la mythologie persane, reviendra afin d’abattre Zahhâk pour ensuite instaurer la justice dans le monde. »
- Histoire de la Perse (1915), compilée par Sir Percy Sykes, orientaliste anglais :
« Au sud de la mer Caspienne, il existe un immense sommet volcanique qui est considéré comme le sommet le plus élevé parmi les monts situés à l’ouest de l’Himalaya ; la beauté et la majesté du mont au moment du coucher du soleil a fait des habitants de la région de véritables poètes. »
- Récit de voyage d’Aboudolf, écrit par Aboudolf Mos’ar Alkhazradji, poète, écrivain et globetrotteur arabe qui a vécu au début du IVe siècle de l’hégire. Dans son récit de voyage, Alkhazradji date son passage à la montagne Damavand à l’an 905 :
« A Danbâvand [ancien nom de Damavand], il existe un immense mont très élevé dont le sommet est recouvert de neige pendant toute l’année. »
- Histoire des Mèdes (1986), écrit par Igor M. Diakonoff, orientaliste et voyageur russe :
« Au pied du mont, on peut découvrir de nombreux tombeaux historiques datant de la préhistoire. Durant longtemps, la région a été le théâtre des cérémonies rituelles des mages (adorateurs du feu) selon laquelle ils enterraient les morts au pied du Damavand. Au huitième siècle de l’ère chrétienne, on y édifia une forteresse. Elle était alors le lieu de résidence de Massmoghân qui signifie le chef des mages. Ce mot est un nom zoroastrien qui signifie également le propriétaire des territoires de Damavand. »
- Histoire de la Perse, compilée par Hassan Pirniâ, homme politique et écrivain iranien de l’époque qâdjâre :
« Dès leur l’arrivée en Iran au XIXe siècle, les Assyriens avancent jusqu’au pied du Damavand afin de conquérir les mines de la région, mais ils échouent. »
Le Damavand est considéré comme un symbole du territoire iranien et de ce fait, son image figure dans de nombreuses œuvres artistiques. Un grand nombre de peintres iraniens ont créé d’importantes œuvres au sujet du Damavand et de sa majesté. Entre autres, on peut citer les noms de Reza Hedâyat, Ahmad Nâdaliân, Manoutchehr Safarzâdeh et Sâed Fârsi.
En outre, ce mont a été une source d’inspiration pour les grands musiciens qui l’ont décrit dans leurs compositions. C’est le cas pour la symphonie du Damavand composée par Shâhin Farhat. Elle comprend trois parties : la première partie représente les ascensions au mont Damavand ; la deuxième décrit la grandeur et la beauté du Damavand, et la dernière partie dessine une tempête de neige à Damavand, au cœur d’une nuit hivernale.
Ô toi, démon blanc aux pieds dans les chaînes
Couple du monde, ô mont Démavend
La tête couverte d’un casque d’argent
Et la taille ceinte d’un cercle de fer,
A l’œil des humains parmi les nuées
Tu caches ta face qui les fascine.
Et pour éviter l’atteinte des bêtes
Et celle des hommes qui porte malheur
Tu t’es fait l’allié du Lion céleste,
Tu t’es uni aux astres bénéfiques
Quand la cruauté du ciel fit la terre
Cette boule obscure, silencieuse et froide
Elle lui tendit le poing de colère,
Et ce poing, c’est toi, c’est toi Démavend
Extrait de l’Anthologie de la poésie persane (XIe-XXe siècle),
Zabihollâh Safâ, Trad. du persan par G. Lazard, Roger Lescot et H. Masset, Gallimard, 2003.
Sources :
Bahrâmiân, Maryam, Le mont Damavand et ses poètes, Harmattan, 2018.
Pirniâ, Hassan, Histoire de la Perse antique, Téhéran, 2004.
www.damavandna
meh.ir