N° 150, mai 2018

Panorama du mont Damavand
et de sa ville


Afsaneh Pourmazaheri


Vallée de Lâr, Damavand

En dépit de sa place importante dans les traditions littéraires et populaires persanes, le nom du mont Damavand a très souvent été omis des cartes jusqu’au début du XXe siècle. Pourtant, dès le Xe siècle, des géographes et historiens persans et arabes ont commencé à s’intéresser à cette montagne. C’est le cas de Abou Dolaf Kazraji, qui entreprend une ascension en 905 ou, trois siècles plus tard, de Yaqout Homavi, qui rédige une description détaillée conforme à celle des locaux.

Les premières ascensions occidentales, faites pour fournir une description détaillée du volcan, ont été entreprises en septembre 1837 par l’Anglais Taylor Thomson et le botaniste français Aucher-Eloy. En 1843, le botaniste autrichien Theodor Kotschy atteint le sommet pour la première fois, et à partir de 1860, cette ascension a été souvent répétée par les Européens, principalement Britanniques et Prussiens. Vers 1968, un abri y a été construit par la Fédération Iranienne d’Alpinisme. L’ascension du versant nord a été réalisée pour la première fois par les Allemands Steinauer et Gorter en 1936. Kâzem Gilânpour et Bernard Pierre ont été les premiers à escalader une voie encore plus difficile sur le versant oriental de la montagne en 1952. Depuis le développement de l’escalade en Iran, Damavand est devenu une cible d’ascension fréquente en toutes saisons. Malgré cela, les études scientifiques et systématiques de la montagne et de sa région se sont moins développées, et après celles de Jacques de Morgan vers la fin du XIXe siècle, il a fallu attendre l’expédition française du CNRS en 1958 pour voir se réaliser la première étude complète du volcan.

Détails de la carte de la Perse par Guillaume Delisle, on peut y apercevoir la ville de Damavand.

Durant l’Antiquité, cette montagne a été mentionnée sous plusieurs noms différents. Les Grecs l’appelaient Koronos et les Assyriens Bitnik. Un nombre particulièrement important de légendes et de contes est attaché à Damavand, ce qui n’est pas surprenant, car c’est à la fois un volcan et le sommet le plus élevé de la région. Ces mythes et légendes sont longuement enregistrés dans les histoires et la littérature épiques perses, en particulier dans le Livre des Rois de Ferdowsi. Les traditions populaires des villages autour de la montagne sont remplies de légendes et de superstitions similaires, dont les traces peuvent être trouvées dans les noms de lieux, comme dans la haute vallée du Lâr, où un petit ravin parsemé de marais, de sources chaudes et de geysers, est nommé Div Asîâb ("le moulin du diable").

Sources chaudes et geysers à Div Asîâb ("le moulin du diable"), vallée du Lâr

L’origine du mot Damavand a donné naissance à un certain nombre de spéculations ou de légendes. Wilhelm Eilers (1954) a tenté de démontrer que la forme la plus ancienne du nom Damavand, attestée depuis le début de la période sassanide, était « Dunbâvant » autrement dit « la montagne aux multiples visages ». La hauteur hors norme du Damavand explique son rôle dans de nombreux mythes et légendes habituellement rattachés aux régions montagneuses. Après plusieurs appellations, dont Donyâvand dans le dialecte parlé, celle de Damavand, signifiant « tempête de neige », a été choisie et répandue par Ferdowsi. Depuis lors, ce nom, évoquant la neige et le vent, est resté attaché à cette montagne magique, située sur la principale voie de communication de la chaine d’Alborz et parsemée de nombreux vestiges archéologiques tels que des gravures rupestres, des tombes préhistoriques, des mausolées et des tombeaux. Les souverains mongols, safavides et qâdjârs aimaient y établir leurs camps d’été.

Fereydoun réussit à vaincre Zahhâk et l’enchaîne au fond d’un puits sur le mont Damavand.

Damavand est la scène d’un certain nombre d’événements mythologiques et légendaires iraniens. Gayomard, le prototype zoroastrien des êtres humains et le premier roi iranien selon le Shâhnâmeh de Ferdowsi, aurait fondé la ville de Damavand et y aurait résidé. Djamchid, le roi mythique iranien, monté dans un char majestueux fait et conduit par des démons, y aurait séjourné quelques jours, et sa bataille légendaire contre Zahhâk aurait eu lieu au pied de cette montagne.

Emâmzâdeh Hâshem en 1894

Cette région a également joué un rôle important dans les légendes de Zahhâk et de Fereydoun avant leur bataille. Les deux cuisiniers du malfaisant Zahhâk étaient chargés de tuer chaque jour deux jeunes hommes afin de nourrir les deux serpents qui poussaient sur ses épaules. Ces cuisiniers réussissaient cependant à sauver l’un des deux jeunes hommes en n’en tuant qu’un seul et en envoyant l’autre se cacher dans la montagne Damavand. Ces jeunes sauvés d’une mort terrible fondèrent des foyers dans la montagne, et la légende veut qu’ils soient les ancêtres des Kurdes. Selon Mar’achi, Fereydoun, le pourfendeur mythique de Zahhâk, est né dans le village de Var près de la ville actuelle de Damavand, après que sa mère ait cherché refuge dans cette montagne. Il réussit à vaincre Zahhâk et l’enchaîna au fond d’un puits sur le mont Damavand. Il nomma ensuite des gardes, qui martelaient constamment des enclumes avec de lourds marteaux afin d’intimider le prisonnier diabolique. Le mythique trône Tâqdis de Kosrow II Parviz aurait été créé à l’origine par le roi de Damavand pour Fereydoun après la capture de Zahhâk. Ce dernier restera captif du Damavand jusqu’à la fin du monde, et quand il se libérera, il sera finalement tué par le héros iranien Garchâsp. Dans la croyance populaire locale, la vapeur volcanique qui s’élève de la montagne est le souffle de Zahhak, les flammes ses yeux, les sons sourds ses gémissements, et l’eau jaunâtre qui coule dans les ruisseaux au pied de la montagne son urine.

Rivière Târ (à gauche) et rivière Havir (à droite)

La fête populaire qui a lieu dans la ville de Damavand le 31 août est une célébration de l’anniversaire de la mort de Zahhâk. Selon une tradition, le légendaire roi Manouchehr est né à Damavand. La montagne a également été le théâtre d’un épisode de l’histoire de Rostam et Esfandiâr. Ce dernier essaya de rouler la montagne sur Rostam pendant qu’il dormait. Selon la croyance populaire, le Démon Blanc, tué par Rostam, résidait à Damavand.

Même pour la tradition sémite, le mont Damavand possède une dimension mythologique. Il a ainsi été présenté par des auteurs musulmans comme le théâtre d’événements de certaines légendes. Il a été rapporté, entre autres, que le démon Sakr y fut emprisonné par Salomon et que les anges déchus babyloniens Hârout et Mârout y auraient été enchaînés.

 

Ville de Damavand

Géographie et économie du mont

 

La petite ville de Damavand est le centre principal de la région du même nom dans la province de Téhéran. Elle est située à une altitude de 1900 mètres sur le versant sud du col de l’Emâmzâdeh Hâshem, entre les routes reliant la capitale à Amol à l’est de Téhéran. Elle jouxte ainsi les régions de Tabarestân et Deylam. La ville de Damavand est aménagée au milieu d’une très belle petite vallée couverte d’arbres fruitiers et traversée par la rivière Târ, qui a plusieurs fois débordé de ses berges en détruisant le centre de la ville. C’est une région agricole, où l’on cultive des fruits (pommes, cerises, abricots), notamment le long des vallées du Târ et de l’Arablaroud. C’est aussi un centre administratif et commercial très actif et un lieu de villégiature, fréquenté à toutes les époques par les souverains perses et aujourd’hui, par un grand nombre d’habitants de Téhéran. Damavand était probablement une banlieue verte pour la ville de Rey et de Varâmin à l’époque où ces villes étaient les capitales des dirigeants mongols, qui avaient leurs troupeaux et leurs camps au pied du Damavand dans la vallée de Lâr. La ville de Damavand a souvent été mentionnée par les historiens, mais elle n’a jamais été le site d’événements historiques majeurs. Selon le Nozhat al-Qoloub, elle a dû être conquise par les Arabes au cours de la première vague de conquête musulmane. Yaqout al-Homavi rapporte que plusieurs poètes et personnages importants proches du prophète Mohammad y vivaient.

Célébration de l’anniversaire de la mort de Zahhâk dans le cadre d’une fête populaire, village de Nevâ, Amol

Le calme et le charme de la ville et de la vallée de Damavand contrastent avec le caractère rude et grandiose du volcan voisin, situé sur l’autre versant du col et qui n’est pas visible de la ville. Les coutumes populaires et la culture de la ville de Damavand sont particulièrement riches et ne manquent pas de légendes attachées au volcan. Comme dans toutes les vallées de cette partie de la chaîne montagneuse de l’Alborz centrale, la ville principale et les hameaux périphériques ont de nombreux Hosseynieh et tekkieh, attestant d’une tradition active du ta’zieh. Du point de vue ethnolinguistique, la vallée de Damavand se trouve dans la zone des locuteurs de Tâti englobant les villages du piémont sud de l’Alborz, tandis qu’à Lârijan et dans les vallées entourant la montagne de Damavand, le dialecte gilaki d’Amol est parlé. Une ancienne communauté juive y est également installée.

Emâmzâdeh Hâshem

Jusqu’avant la construction de la route Téhéran-Amol à travers la vallée du Harâz, la ville de Damavand était située sur l’une des plus anciennes routes de l’Alborz. Elle bénéficiait ainsi de nombreux caravansérails, ponts et châteaux de la période safavide. La vieille route d’Alborz fut refaite en 1877 par l’ingénieur autrichien A. S. Gasteiger sur ordre de Nâssereddin Shâh et un portrait de ce dernier fut sculpté en bas-relief dans le col Band-e Borideh qui avoisine cette route. Mais à partir de la fin du XVIIIe siècle et le choix de Téhéran comme capitale, les caravanes ne s’arrêtaient plus régulièrement dans cette petite ville et préféraient continuer directement vers la capitale, d’où le déclin de Damavand à partir de cette période. A l’époque, les seules escales étaient donc celles de l’hiver, quand les tempêtes de neige et conditions climatiques rendaient trop périlleux le passage à travers le col de l’Emâmzâdeh Hâshem, régulièrement pris sous les avalanches. Il ne reste aujourd’hui presque rien du petit bazar et des caravansérails qui étaient le cœur battant de la ville avant l’ouverture des voies modernes. Néanmoins, son agriculture, son commerce, sa source d’eau minérale et sa proximité avec la capitale iranienne lui assurent une certaine prospérité.

Les vestiges de l’ancien détroit de Band-e Borideh entre Rey et Amol

Bibliographie :

Aucher-Eloy, Relations de voyage en Orient de 1830 à 1830, Paris, 1943.

Hourcade, Bernad, « Les nomades du Lâr face aux problèmes de l’expansion de Téhéran », Revue géographique de l’Est 1-2, 1977, pp. 37-51.

Morgan (de) Jacques, Mission géographique en Perse. Etudes géographiques I, Paris, 1894.

Pirnia Hassan, Târikh-e Iran-e Bâstân (Histoire de la Perse), éd. Negâh, Téhéran, 2001.

Shahidi Mâzandarâni Hossein, Farhang-e Shâhnâmeh (Dictionnaire du Shâhnâmeh), éd. Balkh, Téhéran, 1991.

Siroux M., Caravansérails d’Iran et petites constructions routières, Mémoires de l’Institut Français d’Archéologie Orientale 81, Le Caire, 1949.


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