N° 150, mai 2018

Le Mont Damavand :
les ascensions passées et actuelles
et sa place dans les loisirs des Iraniens


Shahâb Vahdati


Les premiers récits concernant l’ascension du mont Damavand ont été transmis par Abu Dolaf. Ce géographe arabe prétend en avoir essayé l’escalade en 952, sans pouvoir en atteindre le sommet. Il a néanmoins réussi à s’approcher de « fontaines énormes et de tas de pierres brutes en soufre. »

 

Trois siècles plus tard, Yâkut Homavi [1] écrit : « Le sommet du Damavand est très haut et la région environnante escarpée et magnifique. Personne ne peut atteindre le mont. » Il ne mentionne rien au sujet d’éventuelles ascensions, mais rapporte les écrits d’Abu Dolaf et sa description du sommet. De son côté, Al-Mas’oudi [2] rend compte de ce mont en ces termes [3] : « […] il y a trois journées de marche depuis le pied de la montagne jusqu’au sommet, et on y trouve une terre plate de mille pieds carrés. » Ibn al-Faqih al-Hamedâni (869-951) écrit quant à lui [4] : « Mâziâr (Sepahbod [5] de Tabarestân) envoya des gens pour effectuer l’ascension du mont Damavand afin d’obtenir des informations sur l’histoire de Zahhâk. Après deux ou trois journées, ces personnes ont réussi à gravir le sommet du mont. » Dans l’Histoire du Tabarestân, l’historien du XIIIe siècle, Ibn Isfandiyâr, cite Ali ibn Rob-ol-Kâteb qui évoque qu’il faut trois jours d’escalade pour compléter l’ascension du mont Damavand.

Carte dela perse par le géographe arabe Abu Dolaf

Dans son Safarnâmeh  (Livre de voyage), Nasser Khosrô (1004-1074) évoque aussi le mont : « …On dit qu’il existe un puits à son sommet d’où sont extraits le salmiac [6] et le soufre ». Nasser Khosrô rapporte également des témoignages de ceux qui affirment avoir atteint le sommet pendant cinq journées de marche et ont trouvé un sommet plat d’une superficie de cent acres.

 

En 1627, l’anglais Thomas Herbert voyage en Iran pour rendre visite à Shâh Abbâs le Safavide, qui réside alors dans son palais à Farah Abâd, près de Sâri. Ayant accompli sa mission, le diplomate essaie d’escalader le Damavand, qu’il décrit en ces termes : « Le sommet est couvert de soufre et brille toute la nuit comme l’Etna. Il y a un paysage très beau, mais son odeur irrite le nez, de telle sorte qu’il faut se munir d’un sachet d’ail. » (Gabriel, 1348, p. 126.) En 1816, l’Anglais Watson, qui en effectue l’ascension, rend compte d’un pic volcanique recouvert de glace et de soufre. (Hassanzâdeh et Fakhâri : 1998, p. 13 et 32).

 

Ancienne gravure du mont Damavand, 1860

Les deux premières ascensions ayant donné lieu à des descriptions détaillées ont été effectuées à quelques jours d’intervalle en septembre 1837 par l’Anglais Taylor Thomson et le botaniste français Aucher-Eloy - qui avait tenté l’ascension, sans succès, deux ans plus tôt. En 1843, le botaniste autrichien Karl Georg Theodor Kotschy atteint le sommet, performance qu’il reproduit une nouvelle fois en 1860. Puis il prétend que ni Thompson, ni Aucher-Eloy n’ont atteint le plus haut sommet. Kotschy dessine une carte du Damavand et ses alentours à une échelle de 392400/1 (Gabriel, 1348, p. 287) (630 p, 1993 : Iranica). L’ascension du Damavand devient alors un défi pour les voyageurs, en particulier les Britanniques et les Prussiens.

En 1856, une vingtaine de personnes dont les membres de l’ambassade d’Allemagne et trois diplomates britanniques participent à une ascension à partir du plan d’Heinrich Karl Brugsch [7] et sous le commandement du Baron Minutoli [8]. Munis de baromètres et de thermomètres, ils entament l’ascension via Deh Gazaneh, le 29 juillet à 5h30. Arrivés au sommet, ils consacrent deux heures à la recherche du cratère sommital du Damavand. (Heinrich Brugsch : 1367, p. 255).

 

Le lac Tar

En 1870 et alors que le roi Nâsser-al-Din Shâh Qâdjâr fait du camping sur les pentes australes du Damavand, quatre de ses serviteurs, Ali Aftâbgardanchi, Karbalâ’i Asadollâh, Seyyed Azizollâh et Hossein Bâlonsâz, escaladent ce mont par sa face nord. Les quatre hommes quittent le camp le mardi après-midi et passent la nuit dans la maison d’un habitant de Lârijân. Cet homme s’appelle Ghorbânali, et leur servira de guide jusqu’au sommet. Selon le récit, ils entament l’ascension une heure avant l’aube. Le soleil se lève après un demi-farsakh [9] de route, Ghorbanali se fatigue alors et revient. Mais les autres continuent à monter et atteignent le sommet deux heures avant le coucher du soleil. Karbalâ’i Asadollâh essaie de devancer ses compagnons, mais il est pris de nausée et s’évanouit. On lui donne alors à sentir et à boire du vinaigre, et il revient à lui. Il existe des prairies et pâturages depuis le pied du mont à une distance d’une demi-farsakh mais plus loin, il n’y a ni verdure, ni herbe, ni gibier. Le sommet plat est un peu creux et d’une superficie de 500 coudées. Ayant retrouvé ses forces, Karbalâ’ Asadollâh constate deux cavités sur le côté est du sommet qui donne sur Lârijân, ce qui témoigne que les habitants de ce village y montent pour prendre du soufre. L’une des deux excavations, plus profonde, servait apparemment d’abri aux voyageurs. L’équipe sort ses provisions (pain, fromage, vinaigre, oignons, ainsi que du bois de chauffage et du charbon pour le narguilé). Mais pendant la nuit, ils ne réussirent pas à allumer un feu malgré tous leurs efforts. Ayant passé une nuit très difficile, ils redescendent le lendemain dès l’aube, ramenant un peu de soufre du Damavand. Arrivés avant midi au pied du mont, ils trouvent l’argent de leurs bagues et selles noirci par les effluves de soufre dans l’air.

En 1880, les Français Rosenberg et Napier escaladent le Damavand. Une expédition suédoise atteint le sommet en 1885. En 1999, on y trouve une bouteille enterrée sous un tas de sable et de pierres avec une lettre à l’intérieur, laissée par l’expédition suédoise. En 1890, le grand explorateur, géographe et topographe suédois Sven Hedin atteint le sommet et estime son altitude à 4655 mètres.

 

La première ascension certaine des Iraniens est celle de l’équipe du capitaine Mohammad-Sâdegh Khân Qâdjâr, datant de 1875. Celui-ci estima sa hauteur à 13226 empans, soit 5290 mètres. Le premier campement nocturne d’une équipe iranienne a été installé par Karbalâ’i Assadollâh en 1882. La première ascension hivernale jusqu’à une hauteur de 5300 mètres sera effectuée par le français Jacques de Morgan en 1889.

 

La grotte Roudafshân

L’ascension par le versant nord (plus difficile car il est rocheux et constamment recouvert de neige) a été réalisée la première fois par les Allemands Steinauer et Gorter en 1936. Kâzem Gilânpour et Bernard Pierre ont été les pionniers d’une route encore plus difficile le long de l’arête orientale en 1952. Depuis le développement de l’escalade en Iran, le Damavand est devenu un objectif fréquent d’ascension en toutes saisons, ouvrant un plus grand nombre de routes. Les études scientifiques systématiques sont cependant rares et après celle de Jacques de Morgan, il faut attendre l’expédition française du CNRS en 1958 pour la première étude complète du volcan.

 

Ascensions plus récentes

 

Manoutchehr Mehrân (1912-1947) accompagna en 1943 un groupe de quarante personnes vers le sommet du Damavand. Mohammad-Kâzem Guilânpour, premier Iranien à recevoir une formation d’alpinisme en France, crée une école d’alpinisme en Iran en 1951 où il transmet ses savoirs aux dix meilleurs alpinistes iraniens. En 1965, Mehri Zarafshân est la première Iranienne à atteindre le sommet du Damavand. Vers 1968, un refuge est construit à 4 200 m par la Federâsion-e Kouhnavardi-e Irân (Fédération iranienne d’alpinisme). De nombreux alpinistes iraniens tentent alors d’effectuer l’ascension du Damavand.

 

Entre mars et début avril 1971, une expédition composée d’alpinistes autrichiens et suisses est menée par Reinold Messner. Mais la tempête et la neige manquent de tuer ces alpinistes qui s’enferment dans les refuges du côté sud. Ils l’appellent alors « Autre Himalaya » et, l’évaluant plus difficile que les Andes, Messner le compare avec le toit du monde.

Encore en 1971, quatre Japonais dirigés par Hossein Adili escaladent le Damavand par le côté sud-est et atteignent le sommet par une nouvelle voie au-delà de Kafar-Darreh. Ils descendent en skiant, exactement par la même piste.

En 1972, un programme d’entraînement à l’ascension de l’Everest est organisé par la Fédération iranienne d’alpinisme, exigeant du candidat qu’il possède une expérience sportive excellente et de longue durée. Le campement est établi dans le glacier Seyvaleh du Damavand, accompagné d’une escalade du glacier auquel quatre-vingts Iraniens participent. Vingt candidats réussissent à passer les tests et sont choisis. En mars 1973, un programme d’entraînement pour l’Everest est organisé par la Fédération d’alpinisme. Vingt-sept hommes et trois femmes l’escaladent par le côté nord dans une tempête de neige. Vingt-six alpinistes atteignent le sommet, dont madame Rouh’angiz Hakimi.

 

La source A’alâ

En 1980, Jalâl Rabouki crée un groupe de cinq alpinistes pour effectuer une escalade du glacier. Ils constatent alors une importante modification de sa forme : un creux de dix mètres de large et de cinq à six mètres de profondeur s’est formé au fond du glacier, probablement suite à des inondations. Ils rencontrent de nombreuses difficultés pendant le troisième jour alors qu’ils tentent d’escalader le nez du glacier principal. La paroi glaciaire fait cent cinquante mètres de long et après quelques heures d’efforts, ils atteignent la bosse du glacier. Deux jours plus tard, ils visent le couloir en neige et en pierre du côté droit du glacier central, dont la reconnaissance avait été effectuée deux ans plus tôt par Jalâl Rabouki. Ce couloir monte 400 mètres vers le haut, en parallèle avec la paroi glaciaire à sa gauche et donne sur une plate-forme offrant une vue magnifique sur le sommet. Cette ascension tourne au drame lorsqu’un alpiniste glisse et fait une chute mortelle. A la suite de cela, Rabouki suspend le projet et descend pour retrouver le corps du camarade disparu.

Le fondateur de l’escalade de vitesse en Iran, Jalâl Rabouki, atteint un record de quatre ascensions en 26 heures, à partir de quatre différentes voies d’escalade. Entre les années 1981 et 1986, Rabouki entreprend plus de quarante-cinq escalades de vitesse du sommet du Damavand.

 

En 1986, Jalâl Rabouki et Gholâm Râshtchi montent du côté nord, avec pour objectif de contourner le Damavand à 5100 mètres d’altitude par le col « Yekhar » et les côtés est et sud. Ils affrontent des excavations sulfureuses sur la façade orientale, inconnues jusqu’alors et couvertes de fumées et de brumes.

En 1998, Ali-Asghar Pâshâ-Zanoussi monte au sommet en vélo de montagne en trois jours et par le côté sud. Au mois d’août de cette même année, la première Iranienne ayant effectué l’ascension du Damavand en 1973, madame Rouh’angiz Hakimi effectue de nouveau l’ascension, cette fois à l’âge de 52 ans et accompagnée de son fils adolescent.

 

Promenade en montgolfière autour du Damavand

La place du Damavand dans les loisirs des Iraniens

 

Situé à 75 kilomètres au nord-est de Téhéran et avec une altitude de 5671 mètres, le mont Damavand est le plus haut sommet de la chaîne de montagnes Elbourz. Il existe quatre voies principales d’accès au Damavand :

 

La route du sud-ouest : par Harâz, Polour, Rineh.

La route de l’ouest : par Harâz, Polour, le barrage de Lar, et la plaine de Vararou.

La route du nord : par Harâz, la source chaude de Lârijân, le village Naneh Del, Mantagheh Chaman et Gousfand Sarâ.

La route du nord-est : la route Haraz-Polour, la source chaude de Larijan, et le village Gazanak.

 

Le mont comporte également plusieurs attractions naturelles ayant renforcé sa transformation en lieu de loisirs, dont :

 

Le lac Tar : Entouré de montagnes dont la hauteur varie entre 50 et 500 mètres, ce lac est accessible par :

  1. La ville de Damavand et le complexe agraire « Abesard », à 20 kilomètres du lac.
  2. Par la route Téhéran-Firouzkouh et les villages de Yekhar, Leposht, Momadj, Dehnar et Hovir, pour atteindre le côté sud du lac.

 

La grotte Roudafshân : située à 42 km au sud-ouest du Damavand près d’un village du même nom. De nombreux amateurs de la nature s’y rendent pour l’explorer.

 

La source A’alâ : Cette belle source est située au nord-ouest de la ville de Damavand et à une distance de 3500 mètres du centre de la ville. Autrefois elle arrosait les fermes et les jardins de la région, et est actuellement exploitée par le groupe français Danone à travers sa filiale « Eau minérale Damavand ». Les nombreux arbres hauts et luxuriants qui l’entourent font de cette source un lieu qui attire les visiteurs à différentes saisons de l’année, en particulier pendant les vacances.

 

La source « Siah Sang » : Cette source coule vers la vallée de Yekhar, créant des paysages magnifiques. Elle avoisine également plusieurs chutes d’eau et cascades qui attirent de nombreux touristes au cours de l’année.

Deux vieux platanes : Dans le centre du quartier Jilard, à côté de la nouvelle mosquée, se trouve un platane de plus de 600 ans. De nombreux souvenirs et mythes lui sont liés. Un autre platane est à l’origine du nom du village Chenar Gharb [10], âgé de 300 ans et abritant une source d’eau à son pied.

 

La station de ski Ab-Ali : Située à une cinquante kilomètres de Téhéran, cette station dispose de nombreuses installations pour le ski, le tennis, l’équitation, et le parapente. Il existe des facilités de remontées mécaniques (télésiège, télécabine et téléphérique).

La station de ski Ab-Ali

 

Le survol du Damavand en montgolfière

 

Depuis peu, une société offre la possibilité d’effectuer une promenade en montgolfière autour du Damavand pour cinq personnes durant environ deux heures. Elle commence juste après le lever du soleil. Le point de départ est situé à Absard, à 65 km de Téhéran et entre les deux villes de Damavand et Firouzkouh. Chaque vol est une expérience unique, car le trajet est décidé par le vent. Le voyageur pourra ainsi découvrir plus ou moins de hameaux, de collines ou d’arbres selon la météo.

    Bibliographie :


    - Darwishzadeh, Ali, Zaminshenâsi-e Irân (La Géologie de l’Iran), Dânesh-e-Emrouz, 1991.

    Râhnamâ-ye so’ud be gholeha-ye Albroz-e miâni (Le Guide de l’escalade des monts en Alborz central), Institut iranien de la cartographie, 1999.


    - Mosâheb, Gholamhossein, Encyclopédie persane, article « Damavand », tome I, troisième édition, 2002.


    - Karl Gratzl, Robert Kostka, Damavand, bolandtarin ghole-ye Irân (Damavand, le plus haut sommet de l’Iran), traduit de l’allemand par Iraj Hâshemizâdeh, Elmi-Farhangi, 2005.

    Sites : 


    - http://damavandnameh.ir/


    - http://5610m.com


    - http://www.damavandkooh.com

    Notes

    [1Dans Mu’jam al-Buldân ou « Dictionnaire des pays » (en 1224, tome 2, pp. 7-436).

    [2Encyclopédiste et polygraphe arabe (896-975).

    [3Dans Murouj adh-dhahab wa-Ma’âdin al-jawhar ou Prairies d’or et mines de pierres précieuses (tome 1, p 89).

    [4Dans Mukhtasar Kitâb al-Buldân ou Livre concis sur les pays.

    [5Commandant des forces armées.

    [6Chlorure d’ammonium.

    [7Egyptologue allemand (1827-1894).

    [8Heinrich Menu von Minutoli, égyptologue allemand (1804-1860).

    [9Ancienne unité de distance correspondant à 5,6 km.

    [10Chenar Gharb signifie « platane à l’ouest ».


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