N° 164, juillet 2019

L’origine des jours fériés en Iran à l’occasion d’événements politiques et culturels


Samirâ Deldâdeh


Le 13 farvardin (2 avril) : le Jour de la nature

En Iran, les vendredis sont les seuls jours fériés de la fin de la semaine. Quant aux jours fériés nationaux, ils célèbrent généralement le souvenir d’un événement historique, religieux ou culturel. Dans le présent article, nous allons voir de près l’origine de quelques-unes de ces dates déterminantes du calendrier iranien en nous appuyant sur les sources historiques.

Le 1er farvardin (21 mars) : le premier jour du Nouvel An, la fête de Norouz

À l’instar de la nature qui se renouvelle et se régénère au printemps, le calendrier solaire iranien commence avec le premier jour du printemps célébré sous forme de la grande fête de Norouz. Ce jour férié est suivi de quatre autres jours pour permettre aux Iraniens d’effectuer les rituels de cette fête antique, notamment les visites familiales. Ces quelques jours fériés sont ainsi consacrés aux visites familiales et amicales ou à un voyage. Il est à noter que Norouz est une partie intrinsèque du patrimoine iranien en tant que tradition multimillénaire. La plupart des chercheurs, spécialistes de l’histoire et de la culture persanes, s’accordent sur le fait que Norouz a été célébré pour la première fois par le roi légendaire, Jamshid [1], à l’occasion de la prise du pouvoir, le premier jour du mois de farvardin.

Norouz a été célébré pour la première fois par le roi légendaire Jamshid à
l’occasion de la prise du pouvoir.

Les Iraniens, tenant à respecter les coutumes et croyances qui leur ont été transmises par leurs aïeux, célèbrent le premier jour de leur année par des cérémonies spéciales. "À l’époque des Achéménides, il était permis aux personnes de toute classe sociale de rendre visite au roi à l’occasion du premier jour du Nouvel An et de lui offrir des cadeaux" [2]. Les cadeaux apportés à la cour du roi étaient enregistrés par les notaires officiels en tant qu‘acte de gratitude populaire envers le roi qui s’engageait réciproquement à protéger son sujet. [3]

Offrir des cadeaux aux personnes aimées et respectées est toujours de rigueur dans les cérémonies du Nouvel An iranien. Les familles iraniennes, les amis, les étudiants et les collègues s’offrent des cadeaux pour montrer leur amitié, leur gratitude et leur respect ainsi que pour échanger leurs vœux.

Les 30 et 31 mars 1979, référendum pour l’établissement d’une république islamique

Le 12 farvardin (1er avril) : le jour de la République islamique.

Après la chute de la monarchie Pahlavi le 22 bahman 1357 (11 février 1979), Rouhollâh Moussavi Khomeiny (l’Imâm Khomeiny) leader de l’opposition islamique au Shâh, proposa un référendum pour l’établissement d’une république islamique. Ce référendum se tint durant deux jours, les 10 et 11 farvardin 1358 (les 30 et 31 mars 1979), dans tous les villes et villages d’Iran. Le résultat du référendum (annoncé le lendemain) est en faveur d’une république islamique : 99% des participants ont voté "oui" à la République islamique. Le 12 farvadin a donc été nommé Jour de la République islamique.

Rouhollâh Khomeiny, dans un message public adressé au peuple de l’Iran, félicita cette solidarité des opprimés contre l’ex-régime et annonça que la Révolution islamique de l’Iran serait un modèle pour toutes les autres nations exploitées [4].

Le 13 farvardin (2 avril) : le Jour de la nature

Le 13 farvardin (2 avril) : le Jour de la nature [5]

Pourquoi ce jour a-t-il été nommé « Jour de la nature » ? Plusieurs hypothèses existent à ce sujet. Les Iraniens de l’antiquité, notamment les Zoroastriens, attribuaient aux trente jours de chaque mois trente des noms des divinités iraniennes (izad). Le treizième jour de chaque mois s’appelait le jour de Tir, dieu de la pluie. On a donc avancé l’hypothèse selon laquelle l’importance du 13 farvardin chez les Iraniens venait de la relation de ce jour-là avec le dieu Tir, en particulier durant ce premier mois de l’année, coïncidant avec le début du printemps et de la renaissance annuelle de la nature.

Dans les textes historiques, il est dit que les Iraniens avaient coutume – coutume encore aujourd’hui respectée par certains – de passer les douze premiers jours de l’an chez eux, sans voyager ou quitter la ville, pour honorer les douze mois de l’année. Il est possible qu’au treizième jour, en raison d’impératifs religieux et climatiques liés à la sécheresse chronique de l’Iran, ils devaient sortir de chez eux pour rendre hommage au dieu Tir et se prémunir contre le risque de sécheresse et de famine pour l’année à venir.

Les Iraniens de l’époque antique fêtaient le jour qui coïncidait avec le mois dont il portait le nom. Par exemple, la célèbre fête de Mehregân se déroule le seizième jour du mois de mehr (le 8 octobre), parce que ce jour-là porte le nom du dieu Mehr (Mithra), le dieu de la lumière et des traités.

La fête du 13 farvardin, bien qu’elle ne soit pas parmi les douze fêtes traditionnelles des Iraniens, est un rite que l’on respecte depuis des siècles. Ce jour est nommé aussi Sizdah (=le treize) Be (=vers, dans) Dar (=la nature).

Le 14 khordâd (4 juin 1989) : jour anniversaire du décès de Rouhollâh Khomeiny

Le 14 khordâd (4 juin) : jour anniversaire du décès de Rouhollâh Khomeiny

L’Imâm Khomeiny, le guide de la Révolution islamique d’Iran, est décédé dans la nuit du 13 khordâd 1368 (3 juin 1989) à Téhéran. Le lendemain, l’annonce de sa mort à la radio nationale provoqua « une tempête » [6] au sein de la nation iranienne. Des millions de personnes se rendirent dans les heures qui suivirent au cimetière de Téhéran, envisagé comme lieu d’enterrement pour le guide. Le corps du défunt dut être déplacé par hélicoptère en raison de la densité de la population présente sur place. Des millions d’Iraniens participèrent ainsi le 16 khordâd (6 juin) aux funérailles et à l’inhumation de l’Imâm Khomeiny dans le grand cimetière de Behesht-e Zahrâ, à Rey, dans la banlieue de Téhéran.

Le 15 khordâd (6 juin) : l’anniversaire de la Révolte de 1963 (1342)

Le 15 khordad est un jour important dans l’histoire contemporaine de l’Iran. Lors du règne de Mohammad-Rezâ Pahlavi et bien avant la révolution de 1979, les mouvements d’opposition politique commencèrent. Ce fut notamment le cas au sein des milieux chiites où les prêches enflammés de l’Imâm Khomeiny commencèrent à attirer l’attention. Ses discours étaient entendus lors de meetings privés, distribués sous forme de tracts clandestins ou enregistrés et distribués dans le plus grand secret.

Le 15 khordâd (6 juin) : l’anniversaire de la Révolte de 1963 (1342)

L’un de ces discours fut prononcé à l’école théologique de Qom le 13 khordâd 1342 (le 4 juin 1963), à l’occasion du jour historique d’Ashourâ. Son contenu fut trop sensible pour que le régime Pahlavi l’ignore. Les agents de la police secrète attaquèrent sa maison et l’école théologique le soir même, blessant et tuant plusieurs étudiants. Ils arrêtèrent l’ayatollah Khomeiny. "Cette arrestation nocturne amena immédiatement une importante vague de grèves et de manifestations dans plusieurs villes, notamment à Qom, à Mashhad, à Tabriz et à Ispahan. Le régime, en s’appuyant sur la force policière et la violence, tua des milliers de manifestants et décréta un couvre-feu à Téhéran et à Shirâz" [7].

Le 22 bahman (11 février) : Jour de la victoire la Révolution islamique

La Révolution islamique d’Iran, comme toutes les révolutions, n’a pas eu lieu du jour au lendemain. Dès 1905, avant même le succès de la Révolution constitutionnelle et le changement de régime en monarchie parlementaire, l’Iran prit ses distances avec le système de gouvernement absolu basé sur le pouvoir indiscutable d’un roi. Mais ce changement en monarchie parlementaire, qui se réalisa au travers d’une révolution longue et douloureuse vers la fin de l’ère qâdjâre, ne fut que le premier exprimant une profonde mutation sociale et politique vers la démocratisation d’un pays souffrant en même temps de l’intérêt qu’on lui portait internationalement en raison de ses richesses naturelles. En 1926, un militaire, Rezâ Pahlavi, se fit aider par les Anglais pour prendre le pouvoir, détrôner le dernier roi qâdjâr et se couronner roi et fondateur d’une nouvelle dynastie, les Pahlavi.

Malgré son caractère autoritaire et violent, Rezâ Shâh entama des efforts en partie couronnés de succès pour moderniser le pays. Mais son autoritarisme – Adolf Hitler est l’un de ses modèles – le pousse vers un absolutisme inquiétant dans un régime parlementaire et provoque un mécontentement populaire important, fortement réprimé. « L’Assemblée nationale n’était plus une institution sérieuse et effective » [8], car c’était finalement le roi qui décidait.

En 1942, l’occupation militaire de l’Iran par les Britanniques et les Soviétiques, le mécontentement du peuple, des députés, des partis politiques et des ethnies provoquèrent la chute du gouvernement militaire de Rezâ Shâh, remplacé par son fils Mohammad-Rezâ, qui ne stabilisa son pouvoir qu’après le coup d’État américain en Iran. Ce décalage de treize ans est une période de désordre pendant laquelle le pouvoir se répartit entre la cour, l’Assemblée, le cabinet du roi, les représentants de pays étrangers en Iran et le peuple [9].

Le 22 bahman (11 février) : Jour de la victoire la Révolution islamique

Dans le but de satisfaire le peuple, le nouveau roi iranien s’efforça de suivre des plans de modernisation tels que des réformes territoriales, le développement du système éducatif, le développement du système d’hygiène et de santé, etc. Mais c’est un gouvernement corrompu, aux politiques de développement souvent irréalistes et plus encore, un gouvernement où les libertés fondamentales n’existent pas. L’opposition est notamment réprimée avec la plus grande férocité. Aucune des politiques gouvernementales ne réussit à diminuer le mécontentement populaire grandissant. Le clergé iranien n’approuve également pas la manière dont la modernisation se comprend dans le sens d’une occidentalisation étant en quelque sorte le fer de lance des politiques culturelles pahlavies. La société iranienne fut très réceptive à ce discours, d’autant plus que le clergé souligna, plus que tout autre groupe d’opposition, que les relations entre les Pahlavi et certains États étrangers menèrent à l’échec de décennies de lutte pour une indépendance nationale réelle face aux autres pays.

La révolte de 1963 prépara le terreau de la victoire de la Révolution en 1979, qui s’acheva avec la fuite du roi quelque temps avant le retour de l’ayatollah Khomeiny de son exil en France. C’est le dimanche après-midi à 18h, le 22 bahman 1357 (11 février 1979) que les Iraniens entendent à la radio "la vraie voix de l’Iran, la voix de la Révolution" [10]. Ce fut la fin d’une royauté qui avait duré 2500 ans.

Depuis 1979, les Iraniens célèbrent la Décade de Fajr (Victoire) sous forme de grandes marches populaires dans toutes les villes de leur pays. Cette décade commence le 1er février (12 bahman) en commémoration du retour de l’Imâm Khomeiny de son exil, et se termine le 11 février (22 bahman), le jour anniversaire de la victoire de la Révolution.

Le 29 esfand (20 mars), jour de la nationalisation de l’industrie pétrolière iranienne

Le 29 esfand (20 mars), jour de la nationalisation de l’industrie pétrolière iranienne

La découverte du premier puits de pétrole en Iran mène en 1908 à la monopolisation de son exploitation par une compagnie britannique. Monopole qui comprend tous les bénéfices de l’exploitation et de l’utilisation du pétrole [11]. Cette compagnie s’engagea auprès de l’État iranien de l’époque à lui verser 16% de son revenu annuel [12]. Ce contrat anglo-iranien fut l’un des nombreux exemples d’une colonisation secrète de l’Iran et d’un pillage des ressources nationales.

La première étincelle de révolte contre la colonisation pétrolière de l’Iran par l’Angleterre (et un peu plus tard par les États-Unis) se voit dans les années 1940 dans les activités de contestation et de protestation d’un certain Abolghâssem Kâshâni. Ce dernier avait passé plusieurs années en prison pour avoir prévenu l’Angleterre qu’elle n’aurait bientôt plus un accès privilégié au pétrole iranien [13].

Le peuple iranien, jusqu’alors insensible au problème du pétrole, est cependant habitué à celui du combat contre la monopolisation des ressources iraniennes par des compagnies étrangères. L’ayatollah Kâshâni et le futur Premier ministre, Mohammad Mossadegh, peuvent compter sur la mobilisation des Iraniens. Ainsi, les manifestations populaires et les discours des députés de l’Assemblée nationale renforcent le mouvement national pour la nationalisation du pétrole et obligent le Sénat à adopter le 29 esfand 1329 (le 20 mars 1951) une nouvelle loi nationalisant le pétrole iranien.

Le jour de la nationalisation du pétrole iranien est le dernier jour de l’année, férié et il marque le début des festivités du Nouvel An.

Notes

[1Parviz Azkâï,1975, Norouz, Târikhtcheh va marja’shenâsi (Norouz, historique et bibliographie), Téhéran, Centre des études de l’homme du ministère de la Culture et de l’Art. p. 2.

[2Ibid., 7.

[3Ibid., 8-11.

[4 Sahifeh-ye Imâm : Anthologie des discours, messages, interviews, décrets, permissions religieuses et lettres de Rouhollâh Khomeiny.

[5Cf. Hâshem Razi, Gâhshomâri va jashn-hâye Irân-e bâstân (Calendrier et fêtes de l’ancien Iran), 2002. Téhéran : Editions Bahjat.
Kourosh Niknâm, Az Norouz tâ Norouz (De Norouz à Norouz), 2001, Téhéran, éditions Farvahar.

[6Homâ Kâtouziân, Les Perses. L’Iran de l’époque ancienne, médiévale et moderne, 2009, New York : Editions de l’Université de Yale.

[7Mohammad Rajâï Nejâd, « Rouzshomâr zendegi-e ejtemâ’i va siyâsi Emâm Khomeiny bar asâs-e sâl-e hejri-e shamsi, az tavallod ta rehlat » (Vie socio-politique de l’Imâm Khomeiny selon l’ordre chronologique. De sa naissance à son décès" in Revue saisonnière Hozour. Nº 60, 2008, pp. 95-134 ; p. 126.

[8Ibid., 172.

[9Ibid., 208.

[10Ibid., 652.

[11Ministère du pétrole iranien. 1990 (1368), « 29 Esfand, sâlrouz-e melli shodan-e san’at-e naft-e Irân » (Le 29 esfand, anniversaire de la nationalisation de l’industrie pétrolière de l’Iran), Téhéran.

[12Ibid.

[13Ibid., 19.


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