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Les voyages de Norouz : exemple du changement de la signification des « vacances »
Les vacances sont une période de temps pendant laquelle une personne ou toute une société cesse ses activités habituelles. Mais nous vivons aujourd’hui une époque où la signification des vacances a changé de façon perceptible par rapport au passé. Autrefois, si les gens cessaient leurs activités habituelles, c’était essentiellement pour s’occuper ensemble d’autres activités prédéfinies comme des cérémonies ou des fêtes rituelles. Les « vacances » n’étaient donc pas destinées à ne « rien faire » ou à « faire tout ce que l’on veut ». Il en va de même concernant les vacances de Norouz et du Nouvel An. Toutes les familles cessent leurs activités habituelles pendant plusieurs jours pour s’occuper ensemble des cérémonies traditionnelles de cette période du début de l’année. Néanmoins, la vie moderne a apporté la possibilité d’individualiser les activités faites à cette occasion. Par conséquent, aujourd’hui, les gens ne font plus tous la même chose pendant les vacances.
Les statistiques officielles, publiées chaque année en Iran, montrent que depuis plusieurs décennies, le nombre des personnes qui profitent des vacances de Norouz et du Nouvel An (du 21 mars au 2 avril) pour voyager augmente régulièrement.
Ces statistiques montrent aussi que les voyages de Norouz se réalisent en trois vagues successives ; la première vague commençant avant l’arrivée du Nouvel An.
En effet, certaines familles partent en voyage durant les derniers jours du mois d’Esfand, avant le début officiel des vacances du Nouvel An le 1er Farvardin (21 mars). Cette première vague dure jusqu’au 4 Farvardin (jour de la reprise du travail du secteur public).
La deuxième vague des voyages de Norouz commence le 5 Farvardin et continue jusqu’au vendredi suivant, et la troisième vague dure jusqu’à la fin des vacances scolaires, c’est-à-dire le 13 Farvardin (2 avril) ou plus, si le week-end tombe tout de suite après.
L’Organisation nationale du Patrimoine culturel, de l’Artisanat et du Tourisme a enregistré près de 70 millions de nuitées dans les établissements hôteliers et d’hébergement pour les vacances de Norouz 2019. D’un point de vue économique, l’incroyable vague de voyages pendant les vacances du Nouvel An se traduit par un chiffre d’affaires très important, mais sur le plan culturel et social, l’augmentation du nombre des voyages pendant les deux semaines de vacances scolaires de Norouz indique un changement considérable des mœurs et du mode de vie des Iraniens pendant ces dernières décennies.
De ce point de vue, certains sociologues disent que les us et coutumes traditionnels de Norouz perdent du terrain au profit de la nouvelle culture des « vacances de voyage ».
Traditionnellement, les vacances de Norouz étaient une occasion pour l’organisation de cérémonies familiales ou communautaires, ainsi que pour le renouvellement des liens et des rencontres avec les proches. Autrefois, Norouz et le Nouvel An étaient essentiellement caractérisés par « Did-o-bâzdid » (échange de visites familiales mutuelles), mais aujourd’hui le « voyage » est devenu l’image emblématique de ces vacances.
De nos jours, quand on dit : « Cette année, nous ne sommes pas là », cela veut dire implicitement « Ne comptez pas sur nous pour les échanges de visites familiales ». Il est évident que les voyages de Norouz ne durent pas deux semaines pour toutes les familles. Il y a donc des familles qui consacrent une partie des vacances à leur voyage et une autre partie aux us et coutumes traditionnels. Mais de plus en plus de familles se désengagent totalement du renouvellement des rencontres avec leurs proches. Les études sociologiques montrent que ce changement est le signe de la domination d’un nouveau mode de vie moderne et complexe, plus soucieux des considérations individuelles et individualisées que les mœurs et les liens communautaires et traditionnels. C’est dans ce contexte nouveau que beaucoup de gens préfèrent le voyage de Norouz aux cérémonies familiales anciennes ; et quand les familles voyagent, elles préfèrent plutôt partir avec des « amis » qu’avec des parents. Cependant, il faut souligner que ce ne sont pas les voyages de Norouz qui affaiblissent les liens communautaires et familiaux. La causalité est plutôt inverse : c’est l’affaiblissement de ces liens qui ont favorisé et accéléré la généralisation de ces voyages pendant les vacances qui étaient essentiellement dédiées à « se réunir » et non pas à « partir ».
« Vu l’amélioration progressive des conditions de vie d’une grande partie de la classe moyenne, les enfants n’éprouvent plus de grand intérêt à recevoir des cadeaux de Norouz de la part des gens qu’ils ne connaissent guère, et encouragent leurs parents à voyager au lieu de s’occuper d’échanges de visites avec les parents pendant les vacances », dit un sociologue.
Il y a une vingtaine d’années, les Iraniens voyageaient beaucoup moins et le plus grand nombre des voyages étaient, en réalité, des déplacements dans le cadre de pèlerinages. Aujourd’hui, de très nombreuses agences de voyages organisent tous les week-ends des voyages guidés en groupe vers des destinations très variées. C’est l’occasion pour une famille de voyager sans parents ni amis, mais en compagnie d’étrangers.
Certains démographes estiment que même si la généralisation des voyages de Norouz a un effet négatif sur les relations extérieures d’une famille nucléaire [1] avec sa famille élargie, elle peut contribuer au renforcement des liens à l’intérieur d’une famille nucléaire, notamment entre les parents et les enfants qui ont l’occasion de passer plus de temps ensemble. En tout état de cause, les familles ont de plus en plus la liberté de choisir entre le voyage et les échanges de visites avec les membres de leur famille élargie.
[1] En sociologie, la famille nucléaire correspond donc à une famille regroupant deux adultes mariés avec ou sans enfant. Cette structure familiale se distingue de la famille élargie.