N° 165, août 2019

La restauration du village d’Esfahak :
un bon exemple de la participation locale


Babak Ershadi


Le secteur restauré du village d’Esfahak

Le 16 septembre 1978, un grand séisme d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter frappe le centre de l’Iran. Le foyer du séisme se situa à une profondeur de 10 kilomètres et à la surface, l’épicentre se trouva à une dizaine de kilomètres de la ville de Tabas [1] (province du Khorâssân du Sud [2]). Les ondes sismiques très puissantes dévastèrent la ville de Tabas et plus de 85 villages de cette région désertique. Selon les estimations de l’époque, entre 15 000 et 25 000 personnes perdirent la vie lors de cette catastrophe naturelle, et des milliers de bâtiments furent détruits. Plus tard, la ville de Tabas et de nombreux villages furent reconstruits, mais certains villages de cette région relativement peu peuplée furent laissés à l’abandon. Esfahak, petit village historique situé à 35 km au sud-ouest de Tabas, fut l’un de ces villages abandonnés.

Esfahak se situe à 35 km de Tabas (province du Khorâssân du Sud) à proximité du désert central iranien
Vue aérienne du vieux village abandonné d’Esfahak

Le village fut gravement endommagé par le tremblement de terre du 16 septembre 1978 dont plus de 80 habitants, malheureusement, perdirent la vie à la suite de l’effondrement des toits et des murs des vieilles maisons. Après la catastrophe, les survivants furent relogés dans des maisons construites à proximité. Le vieux village ne se releva pas du choc du séisme. Ses habitants n’y revinrent plus et fondèrent leur nouveau village à deux kilomètres à l’ouest du vieux village qu’ils abandonnèrent complètement. Cinq ans après le séisme de 1978, plus personne ne vivait dans le village historique dont les ruines rappelaient aux survivants les souvenirs amers du tremblement de terre et la disparition des êtres chers. Les bâtiments du nouvel Esfahak, ne ressemblant point à ceux du vieux bourg, avaient été construits selon un plan étranger à l’architecture locale.

La présence de montagnes et de jardins renforcent le potentiel touristique d’Esfahak

L’abandon total du vieux village accéléra le processus de sa destruction par l’érosion. En réalité, en 2013, trente-cinq ans après le grand séisme, le départ définitif des habitants et l’abandon des lieux avaient bien plus détruit le vieux village que le séisme de 1978. Les signes de cette destruction progressive sont visibles partout : des murs effrités, des toits effondrés, des arches et des dômes détruits, etc.

Une rue du secteur restauré d’Esfahak

Cependant, le paysage unique et agréable de l’environnement naturel du village historique, ainsi que les souvenirs de la vie passée d’Esfahak existaient toujours. Un petit événement suffisait pour que le vieux village reprenne vie. Finalement, malgré ces décennies d’abandon, l’idée de la restauration du village surgit dans l’esprit des habitants du nouveau village. Ce sont les jeunes qui ont entrepris les premières démarches. À l’aide des autorités locales, ils ont examiné la topographie du village historique et le zonage, et délimité des bâtiments et des passages. Cette première étape fut réalisée en 2012-2013.

L’intérieur de l’une des maisons transformées en auberge

Début 2014, la chance sourit au village ancien. Une heureuse coïncidence y conduisit l’architecte Farâmarz Pârsi, spécialiste de la restauration. Il visita le vieux village abandonné et s’entretint avec les jeunes habitants dont il apprécia beaucoup l’idée du retour au village ancien. Il décida alors de dessiner un plan de restauration partielle du village, sous condition de participation des habitants au projet.

Le hammâm traditionnel du village d’Esfahak

Au cours des deux années suivantes, grâce aux efforts de Farâmarz Pârsi, quatre groupes d’étudiants en architecture et en restauration travaillèrent à Esfahak pour faire avancer le projet de la restauration du village historique en profitant du soutien et de l’assistance des habitants. Une quarantaine de bâtiments du village fut étudiée et des plans de restauration préparés pour plus de 20 bâtiments. Au cours de cette période, la société des ingénieurs-conseils Emârat Khorshid, dirigée par M. Parsi, se chargea de la direction du projet. La société conçut un plan technique pour renforcer les structures architecturales. Farâmarz Pârsi et ses collaborateurs ont jusqu’à présent formé plus de dix habitants d’Esfahak en les faisant participer à chaque étape des travaux de restauration. C’est ainsi que les habitants ont activement participé au processus de reconstruction et se sont familiarisés à l’utilisation de matériaux modernes pour la restauration de tissus ruraux en tant que résidences d’écotourisme. Début 2016, la mosquée et le hammam de l’ancien village avaient déjà été restaurés. Les équipes de restaurateurs ont aussi reconstruit plusieurs maisons du village historique qui sont actuellement utilisées comme résidence d’écotourisme. Les travaux de restauration sont toujours en cours à Esfahak.

Le restaurant traditionnel de la résidence d’écotourisme d’Esfahak

L’expérience d’Esfahak est un exemple couronné de succès de l’importance de la participation locale aux projets de restauration et de revalorisation du patrimoine historique et culturel.

Les touristes sont de plus en plus nombreux à visiter Esfahak

Farâmarz Pârsi est né en 1963 à Téhéran. Il a fait ses études en master d’architecture et urbanisme à l’Université Elm-o-San’at (Science et technologie) à Téhéran. Pârsi et plusieurs de ses collaborateurs ont fondé la Société des ingénieurs-conseils Emârat Khorshid en 1994. Cette société a réalisé jusqu’à présent plus de 300 projets. Parallèlement à ses activités professionnelles, Farâmarz Pârsi a mené une longue carrière universitaire et a enseigné pendant plus de 22 ans dans les universités de Téhéran et de Tabriz. Il est l’auteur de plus d’une centaine d’articles scientifiques consacrés essentiellement à l’architecture historique de l’Iran. Farâmarz Pârsi est spécialisé dans le domaine de l’architecture historique et de la restauration.

Les habitants organisent des visites guidées pour les touristes étrangers

Les jeunes du village nés après le tremblement de terre de 1978 dans les quartiers du nouveau Esfahak jouaient, enfants, dans le vieux village abandonné. Il y a quelques années, ils ont eu l’idée de faire revivre le vieux Esfahak. Après les premiers efforts pour nettoyer les voies et préparer le plan de zonage du village, ils réussirent à faire enregistrer le vieux Esfahak sur la liste des Œuvres nationales en 2015.

Illumination nocturne du secteur restauré du village d’Esfahak

Quand Farâmarz Pârsi s’est chargé de la restauration du village, les autorités locales de l’Organisation du Patrimoine culturel, de l’Artisanat et du Tourisme ont conclu un accord avec sa société d’ingénieurs-conseils Emârat Khorshid pour lancer le projet de restauration. M. Pârsi et ses collaborateurs ont découvert un bon potentiel chez les jeunes habitants du village. La participation active de ces derniers au projet a permis à la société Emârat Khorshid d’aller au-delà de ses engagements dans le cadre de l’accord conclu avec l’Organisation du Patrimoine culturel. Grâce à sa carrière universitaire, M. Pârsi a réussi à établir des liens fructueux entre le projet d’Esfahak et des centres de recherches universitaires à Téhéran, à Ispahan et à Yazd. Des groupes d’étudiants ont ainsi participé aux travaux. Au fur et à mesure, Esfahak est même devenu un foyer de coopération et d’échange d’expérience au niveau international. En 2016, le projet d’Esfahak a été apprécié par le jury des compétitions nationales d’architecture dans le domaine de la restauration et de la participation locale. Le projet ne s’est pas limité à un seul aspect architectural, car les experts et les habitants ont aussi entamé un projet pour sauvegarder le patrimoine immatériel de la région : le folklore, les us et coutumes, les cérémonies rituelles, les fêtes… tout en essayant de faire correspondre ces efforts aux besoins des jeunes de la communauté locale (organisation des réunions, des fêtes, etc.) dans le secteur restauré du vieux village. Pour que les activités deviennent durables, les jeunes du village ont fondé une association qui a réussi à obtenir auprès de l’Organisation du Patrimoine culturel, de l’Artisanat et du Tourisme l’autorisation de créer dans le secteur restauré une résidence d’écotourisme et un restaurant. Le village abandonné d’Esfahak est ainsi devenu un projet pilote de tourisme de la province du Khorâssân du Sud où sont également organisés des événements universitaires réunissant des experts et des étudiants en architecture et art. La société des ingénieurs-conseils Emârat Khorshid et ses partenaires universitaires ont organisé à plusieurs reprises des réunions scientifiques et des ateliers spécialisés en architecture ou artistiques à Esfahak, avec la collaboration de l’École nationale Supérieure d’architecture de Paris La Villette (France).

Les étudiants construisent un observatoire traditionnel à Esfahak

Hamid-Rezâ Rostami, un jeune habitant d’Esfahak, qui a contribué aux projets de la restauration du vieux Esfahak, dit que les habitants du village sont fiers de pouvoir faire revivre le village historique : « Nous avons commencé les travaux avec la restauration de l’ancien hammâm. Nous y avons ajouté des éléments modernes comme un jacuzzi afin de le rendre plus intéressant pour les touristes. »

L’architecte Farâmarz Pârsi est le directeur du projet de la restauration du village d’Esfahak

Il explique que cinq maisons de l’ancien village ont été restaurées, puis aménagées en auberge pour accueillir une trentaine de touristes. Il ajoute : « Le développement des activités touristiques a encouragé une grande partie de la population, surtout les jeunes, à revenir au village. Des dizaines d’emplois ont été créées dans ce petit secteur et donnent aux jeunes plus d’espoir si nous réussissons à développer nos activités de restaurant et d’accueil de manière stable. Nous souhaitons pouvoir faire de notre village historique un modèle de restauration et de revalorisation au niveau national et encourager les autres villages du pays à profiter de nos expériences. »

Plan de l’observatoire traditionnel construit par des étudiants à Esfahak

Notes

[1Golestâni, Zeinab, Golestâni, Zohreh : Tabas, exemple brillant de la cité-jardin à l’époque zand, in : La Revue de Téhéran, n° 121, décembre 2015, pp. 22-29. Accessible à : http://www.teheran.ir/spip.php?article2174#gsc.tab=0

[2Haghighatmanesh, Hamideh : Les attractions touristiques de la province du Khorâssân du Sud, in : La Revue de Téhéran, n° 132, novembre 2016, pp. 36-46. Accessible à : http://www.teheran.ir/spip.php?article2310#gsc.tab=0


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