N° 167, octobre 2019

Les tapis de la province d’Ardebil et leurs motifs


Marzieh Khazâï


Tapis d’Ardebil, Iran

Le tapis se définit comme « une couverture d’étoffe (…) qu’on étend sur une table, sur une estrade, (…) » ou sur le sol [1]. Il est issu du nouage de fibres textiles de laine, de coton ou de soie à la main [2]. Depuis toujours, sa valeur décorative et fonctionnelle lui a donné une place de choix dans l’ameublement et la décoration des demeures persanes. En réalité, « le tapis est aux intérieurs iraniens ce que sont les meubles aux intérieurs européens »
 [3]. En dépit de l’évolution du style de l’habitat iranien en raison d’une urbanisation croissante depuis les années 1980, qui a marqué l’entrée d’un nombre croissant de meubles au sein de la décoration intérieure des maisons individuelles urbaines iraniennes, cet artisanat garde encore une place centrale au sein du pays [4].

Les Iraniens sont réputés être les meilleurs créateurs et tapissiers du monde. Et le tapis d’Iran reste contre vents et marées le plus précieux et le plus célèbre tapis du monde. C’est la raison pour laquelle de nombreux livres ont été rédigés à propos des tapis d’Iran et de leurs particularités, notamment Tapis d’Iran de Jean et Danielle Burkel (2007), ou encore Tisser le paradis, Tapis-jardins persans (2004). Parmi les tapis iraniens les plus célèbres, le tapis d’Ardebil est à la fois l’un des tapis les plus connus dans le monde ainsi que l’un des plus fins et précieux. De ce fait, ce travail vise à présenter ce tapis et ses caractéristiques particulières.

Ardebil, ville de soie et de tapis

Ardebil ou Ardabil est la capitale de la province du même nom. Cette ville historique se trouve au nord-ouest de l’Iran, et plus précisément à 400 km au nord-ouest de Téhéran et à 50 km à l’ouest de la mer Caspienne. La majorité de ses habitants sont Azéris. Cette ville revêt une grande importance sur le plan économique et historique. Elle est historiquement réputée de fait de la présence en son sein du tombeau de Sheikh Safieddin Ardebili. Ajoutons que ce dernier, fondateur de la confrérie safavide, a non seulement donné son nom à la dynastie Safavide, mais aussi à l’un des motifs les plus connus au monde et utilisé dans la confection du tapis d’Ardebil. Aussi, cette ville est-elle économiquement importante en raison de sa tradition de fabrication de la soie et sa tradition de tissage du tapis.

Le tapis d’Ardebil

Le tapis d’Ardebil est reconnu être l’un des plus anciens tapis du monde. Van Gennep écrit ainsi dans Notes ethnographiques : « Jusqu’ici le spécimen le plus ancien, admirable à tous égards, est le tapis d’Ardebil, conservé au Victoria & Albert Museum de Londres et qui est daté de 1539 ». Bien que le plus ancien tapis du monde serait celui d’Ispahan, qui daterait du VIe siècle avant J.-C. [5], le tapis d’Ardebil est l’un des meilleurs tapis au monde, et c’est la raison pour laquelle « 80% des tapis tissés à Ardebil sont exportés, surtout en Allemagne, en Italie, en France, et au Japon [6] ».

Le tissage du tapis à Ardebil est un art vieux de plusieurs siècles, mais son apogée se situe à l’époque safavide [7]. L’un de ses exemples éminents est exposé au musée Victoria et Albert à Londres, au sein de la Galerie Jameel d’art islamique : le tapis du mausolée de Sheikh Safi.

Le tapis d’Ardebil se caractérise par l’utilisation du nœud turc et de certains motifs spécifiques comme les motifs herati ou encore mashayekhi.

Tapis d’Ardebil, 222x150,5 cm, vers 1930-1940, Iran

Le nœud turc

Il existe généralement deux types de nœuds : le nœud turc et le nœud persan [8]. C’est le premier qui est utilisé pour tisser les tapis d’Ardebil. Le nœud turc est un nœud symétrique [9]. Il s’effectue simultanément avec les deux mains : « la droite tient le crochet-couteau en fer forgé, dont la lame en forme d’ellipse se termine par un crochet ; la gauche tient le fil de laine relié à la pelote » [10]. Le nœud turc est un nœud fermé, tandis que le nœud persan est un nœud ouvert « à brins libres » et asymétrique [11]. Ainsi, contrairement au premier, ce dernier est constitué par « un entrelacs, avec une seule boucle autour du fil de chaîne avant » [12]. Le nœud turc demande une certaine habilité, et l’emploi de mains assez fines [13]. Voilà les raisons pour lesquelles ce sont plutôt les femmes qui l’utilisent dans leurs ouvrages [14]. De surcroît, l’emploi d’un crochet-couteau afin de sélectionner des fils de chaîne et d’exécuter manuellement le nœud facilite le travail, et permet de le faire plus rapidement [15]. Ce type de nœud, utilisé pour confectionner des tapis épais ainsi que pour leur donner « une consistance légèrement plus solide [16] », confère non seulement une apparence spécifique au tapis d’Ardebil qui le distingue des autres tapis du monde, mais garantit aussi la longévité et la bonne qualité de ce produit.

Le tissage permet de former des motifs selon plusieurs techniques. Chacun de ces motifs permet de classer les tapis dans un type particulier
 [17]. Parmi les nombreux motifs existants, l’artisan utilise spécialement les motifs herati, mashayekhi, goldani, zellol soltan et toranjdar-e-Sheik Safi pour tisser un tapis d’Ardebil [18].

Le tapis Ardebil, le motif toranjdar-e-Sheikh Safi, tissé par Ostâd Maghsoud Kâshâni, Victoria & Albert Museum de Londres

Le motif herati

Ce motif, qui emprunte son nom à la ville d’Hérat en Afghanistan, est formé en tissant une composition entre des rosettes et des palmettes [19]. Il « entoure un dessin central et forme un losange » [20].

Le motif zellol soltan

Ce motif est constitué grâce à « la stylisation d’une rangée de vases de fleurs auxquels s’ajoutent parfois des oiseaux »
 [21].

Le motif goldani

Il est formé d’un vase dans lequel se trouve un grand bouquet de fleurs aux couleurs variées. La grandeur du vase varie selon l’image que l’artisan décide de créer. De ce fait, tantôt un grand vase est tissé au centre du tapis de manière à ce qu’il couvre toute la surface du tapis, tantôt quelques petits vases sont tissés symétriquement les uns à côté des autres, de sorte qu’ils couvrent la bordure du tapis ou toute sa surface [22].

Par ailleurs, certains motifs tels que le motif toranjdar-e-Sheikh Safi et le motif mashayekhi ont été nommés d’après le nom de leur créateur ou du lieu dans lequel ils sont tissés ou selon l’emplacement où le tapis devait être étendu [23].

Tapis d’Ardebil, Iran

Le motif toranjdar-e-Sheikh Safi

Il emprunte son nom à un tapis tissé par Ostâd Maghsoud Kâshâni [24]. Ce dernier était l’un des plus grands artistes créateurs et tapissiers iraniens à l’époque safavide. Il tissa deux tapis tout à fait identiques pendant seize mois [25]. Le tissage de ces deux tapis par Kâshâni se fit sur ordre du roi Shâh Tahmâsb. Ce dernier voulait en effet les offrir au tombeau de ses ancêtres enterrés à Ardebil. De ce fait, ces deux tapis ont longtemps orné le mausolée de Sheikh Safi. Pour dessiner ces tapis, Kâshâni s’est servi du motif Shâh ’Abbâsi, notamment de la tige et des feuilles de ce dernier. À l’époque safavide, le motif ou bien la fleur Shâh ’Abbâsi consistait en une palmette à trois feuilles de grenade [26]. Voilà la raison pour laquelle on la nomme également « fleur de grenadier » (gol anâri) [27]. La couleur de fond de ces tapis est le bleu foncé [28]. Le toranj (médaillon), ou décor central, possède seize pétales de forme ovale qui évoquent l’image du soleil. Les nœuds utilisés pour le tissage sont asymétriques, ou « nœuds persans » [29]. Les fils de chaîne et la trame sont en soie, et ses velours en laine. Finalement, ces tapis mesurant 1152 x 534 cm sont parmi les plus grands tapis d’Orient [30]. Toutes ces caractéristiques, tout en les rendant uniques, rassemblent des motifs qui se déclinent en de nombreux autres modèles similaires. Voilà les raisons pour lesquelles beaucoup de créateurs et de tapissiers s’en sont inspirés, notamment en utilisant le motif du toranj-e-Sheikh Safi, c’est-à-dire le torang tisséau centre de ces deux tapis ornant le mausolée deSheikh Safi. Les tapis ornés de ce motif sont donc appelés toranjdar-e-Sheikh Safi.

Tapis d’Ardebil, Iran, le motif mashayekhi

Le motif mashayekhi

Ce motif a été créé et rendu célèbre par un homme nommé Mashâyekhi, qui lui a donc également donné son nom [31]. Ce motif est constitué par une figure qui ressemble à celle du poisson [32]. Il est souvent accompagné du latchak, motif en forme de triangle tissé aux quatre coins du tapis [33]. Le toranj (médaillon) est « le décor central [du tapis] de forme quadrilatérale, losangique, ovale ou circulaire comme le soleil (…) » [34].

Le tapis d’Ardebil est généralement réputé pour son décor géométrique, ses motifs, ses teintes vives en raison de l’emploi du rouge et du vert pois, sa laine de velours ainsi que ses fonds aux bordures élaborées. Tout cela lui donne une apparence bien spécifique qui attire l’attention de chaque observateur, notamment sur la finesse de son tissage, qui participe également à sa beauté.

Bibliographie

- Jean et Danielle Burkel, (2007), Tapis d’Iran Tissage et techniques d’aujourd’hui, Paris, Amateur.

- Édith et François-Bernard Huyghe, (2004), Les routes du tapis, Paris, Gallimard.

- Tisser le paradis, Tapis-jardins persans, (2004)Téhéran – Clermont-Ferrand, Senobar.

- Hamideh Haghighatmanesh, (janvier-2017 ), « Les tapis des différentes villes d’Iran », in : Revue de Téhéran, n o. 134, [en ligne], (http://www.teheran.ir/spip.php?article2339#gsc.tab=0, page consultée le 15 août 2019).

- Monir-o-Sâdat Mirdjalâli & Ahmad Godarzi, (2017-printemps), « Histoire du tapis et le tissage du tapis à la province centrale », in : Diyar, n o. 3, (http://www.mohsenifoundation.org/article/tarikhche-farsh/, page consultée le 15 août 2019).

منیرالسادات میرجلالی، احمد گودرزی، (1396-بهار)، « تاریخ فرش و فرش بافی در استان مرکزی »، مجلۀ دیار، شمارۀ 3.

(http://www.mohsenifoundation.org/article/tarikhche-farsh/, page consultée le 15 août 2019).

- Fazl-Allah Heshmati Razavi, « Les motifs des tapis iraniens selon une catégorie générale », (http://www.persiancarpetassociation.com/dastebandifarsh_120417.html, page consultée le 14 août 2019).

فضل الله حشمتی رضوی، « طرحهای قالی ایران براساس یک طبقه بندی کلی »،

(http://www.persiancarpetassociation.com/dastebandifarsh_120417.html, page consultée le 14 août 2019).

- http://french.irib.ir/radioculture/arts/travaux-artisanaux/item/282464-lartisanat-dArdebil-export%C3%A9-partout-dans-le-monde, page consultée le 14 août 2019.

- https://www.rugvista.fr/blog/44/Ardebil-une-oeuvre-d-art-de-londres-a-los-angeles, page consultée le 14 août 2019.

- https://zirug.com, page consultée le 14 août 2019.

- http://www.wikicarpet.com, page consultée le 15 août 2019.

- https://irantrawell.com, page consultée le 15 août 2019.

- https://www.toutsurlestapis.fr/fabrication/nouage/noeud-symetrique, page consultée le 16 août 2019.

Notes

[1Édith et François-Bernard Huyghe, (2004), Les routes du tapis, Paris, Gallimard, p. 14.

[2Ibid., p. 15.

[3Jean et Danielle Burkel, (2007), Tapis d’Iran Tissage et techniques d’aujourd’hui, Paris, Amateur, p. 181.

[4Ibid., p. 182.

[5Ibid., p. 11-12.

[7https://zirug.com, page consultée le 14 août 2019.

[8Édith et François-Bernard Huyghe, (2004), Les routes du tapis, Paris, Gallimard, p. 39.

[9Ibid., p. 39.

[10Jean et Danielle Burkel, (2007), Tapis d’Iran Tissage et techniques d’aujourd’hui, Paris, Amateur, p. 141.

[11Ibid., p. 143.

[12Ibid.

[13Ibid.

[14Ibid., p. 145.

[15Ibid.

[17Édith et François-Bernard Huyghe, op.cit., p. 40.

[19Édith et François-Bernard Huyghe, op.cit., p. 40.

[20Ibid., p. 40.

[21Ibid., p. 45.

[22Fazl-Allah Heshmati Razavi, « Les motifs des tapis iraniens selon une catégorie générale », http://www.persiancarpetassociation.com/dastebandifarsh_120417.html, page consultée le 14 août 2019.

[23http://www.wikicarpet.com, page consultée le 15 août 2019.

[24https://irantrawell.com, page consultée le 15 août 2019.

[25Ibid.

[26Clermont-Ferrand, (2004), Tisser le paradis, Tapis-jardins persans, Téhéran, Senobar, p. 116.

[27Ibid., p. 117.

[28https://irantrawell.com, page consultée le 15 août 2019.

[29Ibid.

[30Ibid.

[31http://www.wikicarpet.com, page consultée le 15 août 2019.

[32Monir-o-Sâdat Mirdjalâli & Ahmad Goudarzi, (2017-printemps), « Histoire du tapis et le tissage du tapis à la province centrale », in : Diyar, n ’b0 3, p. 111, (http://www.mohsenifoundation.org/article/tarikhche-farsh/, page consultée le 15 août 2019 ).

[33Clermont-Ferrand, op. cit., p. 116.

[34Ibid.


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