N° 167, octobre 2019

Les Shâhsavan, tribu nomade des plaines dorées de Moghân


Zeinab Golestâni


Les plaines de Moghân constituent l’habitat du peuple Shâhsavan

Marqué par des rites et traditions en voie de disparition, le nomadisme en Iran constitue l’un des modes de vie les plus anciens de ce pays. Parmi les régions iraniennes, la province d’Ardabil accueille un grand nombre de nomades, dont les plus importants sont les tribus d’Arasbârân et de Shâhsavan. En tant que tribu principale des provinces d’Ardabil et d’Azerbaïdjan de l’Est, cette dernière se distingue par des particularités sociales et culturelles. Le peuple Shâhsavan, qui est par ailleurs de confession chiite, gagne essentiellement sa vie grâce à l’élevage. Les troupeaux de cette communauté nomade paissent généralement dans les plaines vertes et fertiles des montagnes d’Ardabil. Cependant, certains nomades Shâhsavan se sont en partie sédentarisés et pratiquent l’agriculture.

Origines des Shâhsavan

Bien qu’il existe aujourd’hui de nombreux documents historiques datant du XVIIIe siècle et des siècles suivants faisant tous état de l’établissement du clan des Shâhsavan, l’origine de cette ethnie reste toujours une énigme. Il semble que l’ethnie Shâhsavan comprenne des groupes ethniques qui se sont rassemblés au cours des XVIe-XVIIIe siècles pour former une communauté. De nos jours, trois théories différentes expliquent ce fait historique.

Selon John Malcolm (1769-1833), historien écossais, les Shâhsavan apparurent au moment où, subissant la dissidence des commandants Qezelbâsh, Abbas Ier le Grand décida de les affronter. Pour ce faire, il ordonna l’exécution de certains maîtres Qezelbâsh rebelles et fonda une communauté royaliste qu’il nomma les Shâh-Savan, c’est-à-dire « ceux qui aiment le roi ». Demandant une participation unanime des clans de la province dans l’établissement de cette nouvelle tribu, le roi réussit à rassembler suffisamment de membres pour sa nouvelle communauté de soutien. Il offrit aux membres de ce nouveau clan, choisis pour être ses fidèles serviteurs, des avantages et des privilèges particuliers. L’importance des Qezelbâsh dans l’établissement et le maintien du règne safavide expliquerait un tel coup de la part du pouvoir.

Photos : tribus Shâhsavan

C’est en 1501 qu’Esmâïl Mirzâ le Safavide (1487-1524) réussit à vaincre les Aq Qoyunlu et fonda la dynastie safavide. A l’époque, l’Iran connaissait une période de chaos provoqué par les guerres civiles entre les commandants timourides et les Aq Qoyunlu, grands prétendants au trône iranien délaissé. Esmâïl Mirzâ vainquit et se couronna premier roi de la dynastie safavide sous le titre de Shâh Esmâïl Ier. Tout au long de ses batailles pour le pouvoir, ce dernier bénéficia du soutien de 32 groupes de combattants, disciples de l’école soufie établie par son grand-père Sheikh Safi Ardabili. Ces groupes de soutien sont connus dans l’histoire iranienne sous le titre des Qezelbâsh. Après la défaite des Aq Qoyulu, les Qezelbâsh furent anoblis par le jeune roi safavide. Il leur attribua un turban à douze godets parmi lesquels figurait une pièce en rouge dont la forme rappelle le fez. D’où le nom des Qezelbâsh, qui signifie « Têtes rouges ».

Cependant, le pouvoir et les privilèges excessifs des Qezelbâsh qui interféraient désormais directement dans les affaires étatiques poussèrent Abbâs Ier, cinquième roi safavide, à éliminer le risque de leur révolte potentielle. C’est ainsi que l’idée d’un clan de nomades guerriers royalistes germa et qu’apparurent les Shâhsavan, force destinée, en cas de besoin, à affaiblir le pouvoir des Qezelbâsh.

Ainsi, selon cette théorie, les Shâhsavan seraient une ethnie fondée afin de remplacer les tribus turcophones participant à la conception de la dynastie safavide.

Dans son livre intitulé Les Shâhsavan de Fârs (Shâhsavan-hâ-ye Fârs), Mohammad Karim Zâdeh détermine ainsi l’origine historique de cette ethnie :

« L’histoire des Shâhsavan remonte à l’époque safavide. Sous la plume des auteurs des anecdotes et des récits de voyage, Abbâs Ier le Grand forma une puissante armée équipée qui se divisait en deux troupes armées d’infanterie et de cavalerie, afin d’affaiblir le pouvoir des gouverneurs des 32 clans Qezelbâsh. Ces derniers, bénéficiant de privilèges particuliers leur permettant d’interférer dans toutes les affaires du pays, se considéraient comme un contrepoids au pouvoir royal. »

Dans son livre intitulé Le jardin des voyages (Boustân as-Siyâhah), Zeinolâbedin Shirvâni (1780-1838) présente ainsi les Shâhsavan :

« Osant l’audace, certains ingrats Qezelbâsh s’opposèrent au roi. "Châhi sevan galsin", ordonna le roi. C’est-à-dire "Qu’il vienne, celui qui aime le roi". Ainsi vinrent les membres de tous les clans pour vaincre les révoltés. Ce groupe fut baptisé par le roi les Châh-Sevan. »

Cependant, dans un article publié dans l’Encyclopédie de l’Islam, Vladimir Minoresky (1877-1966) affirme que les documents historiques rejettent en quelque sorte les avis de Malcolm sur les Shâhsavan. Selon lui, ces documents ne témoignent guère de la création d’une communauté par Abbâs Ier. V. Minoresky s’appuie dans sa thèse sur l’histoire orale du peuple Shâhsavan. Selon l’histoire orale de ce peuple, les Shâhsavan auraient émigré d’Anatolie vers l’Iran. De même, selon Minoresky, étant donné que les Shâhsavan étaient une confédération de plusieurs clans, ils n’auraient jamais pu atteindre un consensus pour se mettre unanimement au service du pouvoir safavide. Bien que la thèse de Minoresky mérite qu’on s’y arrête, la majorité des chercheurs penchent plutôt pour la théorie de Malcolm. Des livres éducationnels récents ont diffusé cette thèse, y compris parmi les Shâhsavan eux-mêmes. Edward Brown (1862-1926), Lord George Curzon (1859-1925), et Sir Percy Sykes (1867-1945) sont parmi les orientalistes qui prirent clairement position pour soutenir la théorie de Malcolm après la publication de l’article de Minoresky. Seule une minorité de chercheurs spécialistes de la période safavide, notamment Alessandro Bausani (1921-1988) et Ilya Petreushevsky (1898-1977), ont remis en cause l’hypothèse d’un clan formé par et pour le roi safavide.

La plupart des historiens s’appuient également sur la signification littérale du nom de Shâhsavan pour apprécier l’hypothèse de Malcolm. Le nom « Shâhsavan » semble clairement indiquer la fidélité et un profond respect envers le roi et le pouvoir royal. Les Safavides devaient leur popularité en partie à leur ancêtre, Sheikh Safieddin Ardabili (1252-1334), le fondateur de la voie initiatique de Safaviyah. Ce dernier est aujourd’hui considéré comme un descendant des Imâms chiites. Que cela soit vrai ou inventé par les Safavides pour assoir leur pouvoir, cette généalogie appuie la théorie d’un clan par et pour les rois safavides.

Identité culturelle et évolution historique des tribus Shâhsavan

Les Shâhsavan se divisent en diverses tribus ; Hâdji Khudjalu, Adjirlu, Djurughlu, Gada Beiglu, Mosta’li Beiglu, Sarkhân Beiglu, Môradlu, Djâni Yârlu, Damirtchilu, Tâlish, Mikâ’illu, Houmanlu, Qurdlu, Issâlu, Kur Abbâslu, Qojâ Beiglu, Moghânlu, Pir Ayutlu, Qara Qâsimlu, Sâri Djafarlu, ’Arablu, Khalifalu, Odulu, Zargarlu, Beigdlu, Sarvânlâr, Hossein Khan Beiglu, Ali Bâbâlu, Seyyedlu et Djafarlu.

Dans les années 1960, ces nomades constituaient 32 tribus (tâyefeh) se subdivisant chacune en plusieurs curies (tireh). L’autorité supérieure de chaque tribu était appelée Beig, et les meneurs des curies portaient le titre d’Âq Sâqâl (homme à la barbe blanche). Chaque curie comptait quelques camps tribaux qui s’appelaient Oubâ. Outre la hiérarchie sociale, chacun de ses regroupements ethniques avait une signification différente. Comprenant un grand nombre de nomades, l’ethnie (Il) représentait une association politique composée de plusieurs tribus. Une tribu était marquée par son obéissance à un maître. La curie était un secteur d’une unité politique plus grande. Comprenant d’habitude les membres d’une seule famille (Gobek dans la langue locale), elle portait le nom de l’ancêtre de cette famille. Il arrivait même qu’une curie se compose de diverses familles distinctes. Alors que l’officialisation de l’ethnie Shâhsavan par l’État safavide témoigne de ses fonctions politiques, les nomades eux-mêmes semblent avoir toujours considéré leur clan et leur ethnie comme une unité culturelle indépendante.

La hiérarchie ethnique poussait de temps en temps les tribus les moins puissantes à former des alliances avec d’autres petites tribus qui obéissaient à l’un des suzerains les plus influents. Mais quels éléments assuraient la continuité culturelle des tribus vassaliques ? En installant des autorités suprêmes de chaque tribu, l’administration centrale reconnaissait la tribu comme une unité politique. Mais ce fait ne pouvait pas garantir à lui seul la survivance des petites tribus. C’étaient en particulier les mariages d’alliance qui permettaient la durabilité culturelle des tribus plus faibles (démographiquement et politiquement). Le pouvoir politique de la tribu n’influençait pas la cohérence et l’harmonie du groupe. C’est par d’autres moyens que les chefs contrôlaient l’unité du clan. Notamment au travers du contrôle des mariages dans les tribus vassales, qui devaient tenter de plaire au Beig. Ce dernier autorisait ou facilitait les mariages, de même qu’il contrôlait les fêtes et autres festivités de manière à renforcer l’unité dans l’ensemble des clans.

Au XXe siècle, dans les années 60, les chefs des tribus tentèrent d’attirer l’attention des autorités de la région en organisant de grandes festivités traditionnelles. Ces cérémonies ont joué un rôle décisif dans la sauvegarde et la revivification des rites et de l’identité des tribus Shâhsavan.

Ces fêtes traditionnelles ont toujours rythmé la vie des Shâhsavan. Cependant, les clans vassaux n’avaient pas les moyens de célébrer de telles fêtes. Traditionnellement, les proches parents des Beig s’abstenaient d’épouser des membres des tribus vassales. La plupart des mariages se faisaient soit parmi les membres d’une même famille souveraine, soit entre les membres de la famille d’un Beig et des proches parents d’un autre suzerain, soit entre les parents d’un chef tribal et des proches parents des familles nobles qui ne faisaient pas partie de l’ethnie Shâhsavan. Mais hormis cette classe tribale, les autres chefs de rang inférieur ou des clans moins puissants concluaient des mariages moins respectueux du rang à tenir. L’alliance, la fraternité, l’amitié, les valeurs humaines, les rites et les traditions chaleureux ont ainsi eu une plus grande influence sur la culture tribale et l’unité des curies que les alliances politiques.

En tant que groupe culturel homogène, la tribu avait recours aux grandes fêtes comme un moyen de fanfaronnade. Certaines curies devaient leur renommée aux cérémonies rituelles qu’elles organisaient. Chaque tribu et curie s’enorgueillissait des hautes qualités humaines et professionnelles de ses membres, notamment dans l’élevage et l’agriculture, mais aussi dans la célébration des rites et traditions, et la connaissance de la langue.

La population et la richesse déterminaient fortement la situation politique d’une tribu, car elle impactait le degré d’indépendance à laquelle la tribu voulait prétendre. Chaque tribu était également connue au travers de comportements particuliers. Telle tribu était connue pour la foi de ses membres. Une autre pour les remarquables talents de cambrioleurs de ses membres, etc.

L’influence intertribale des chefs n’était pas entièrement alignée sur la hiérarchie tribale positionnant les Beig au-dessus de tous. Il arrivait couramment qu’un chef de tribu plus petite soit bien plus influent que le Beig.

La survie de l’identité tribale des tribus vassales dépendait des soutiens de l’État, de l’étendue de leur territoire, de leur unité culturelle et même du nombre des unions intratribales célébrées.

Rites et traditions des Shâhsavan au fil des temps

Les noces Shâhsavan

Respectant des rituels tribaux, les Shâhsavan célèbrent tant les fêtes nationales que religieuses. Dans les jours des fêtes d’Aïd el-Fetr et d’Aïd al-Adha, après avoir fait la prière, on se rend visite.

Cette ethnie accorde une importance particulière aux cérémonies de mariage. Une fois qu’un jeune homme tombe amoureux d’une jeune fille, deux hommes âgés de sa famille se rendent chez la jeune fille pour lui demander sa main. Si le père de la jeune fille y consent, un serment est tenu. Après cet entretien préliminaire, la famille du jeune homme envoie des cadeaux à la jeune fille. Ces cadeaux comprennent entre autres un foulard, un collier, un miroir, du tissu et de la pâtisserie.

Quelques jours avant la cérémonie de mariage, une petite cérémonie est organisée pour le futur marié. Les invités arrivent des cadeaux à la main et sont chaleureusement accueillis par le marié et les garçons d’honneur. L’accueil des invités se fait généralement au sein d’un groupe musical local. Le dîner se tient sous la tente de la famille du marié et il est de bon ton pour les invités de donner des étrennes au cuisinier et au serveur du thé. Cette cérémonie dure quelques jours. Le dernier jour de l’enterrement de la vie de garçon, les invités escortent le marié jusqu’à la tente de la fiancée. Au moment où elle veut sortir de la tente paternelle, l’un des invités lui fait porter une ceinture en or. La jeune fille la porte puis se dirige vers la tente de son futur époux avec sa dot. Quand elle est proche, le marié lui offre soit une pomme rouge, soit un bouquet de fleurs. C’est le signal pour les cavaliers Shâhsavan de lancer leurs spectacles équestres.

Le Yaldâ Shâhsavan

Autre tradition célébrée solennellement par les Shâhsavan : la nuit de Yaldâ, première nuit d’hiver. La cérémonie de la nuit de Yaldâ, qui est aussi la plus longue nuit de l’année est un réveillon qui rassemble tous les membres d’une famille ou des amis. Durant cette soirée, les nomades mangent, comme tous les Iraniens, la fameuse pastèque de Yaldâ, qu’ils appellent tchilla qârpuzi (pastèque de Yaldâ), croyant que ce fruit les protègera du froid. On sert aussi des pâtisseries et des fruits secs, qui semblent rappeler la chaleur de l’été. Le riz blanc, quant à lui, est considéré dans sa blancheur comme une magie blanche annonciatrice de bonheur et d’un destin béni.

Bon nombre de cérémonies hivernales ont lieu entre les derniers jours de janvier et la mi-mars. On les appelle communément Tchelleh-ye Kutchak (le petit tchelleh). Elles sont également célébrées dans les régions rurales et urbaines des provinces d’Ardabil et d’Azerbaïdjan de l’Est. Ici, on allume un feu sur les toits, là on organise des démonstrations de tirs, ou encore on chante, danse et fait du bruit. Selon une tradition ancienne, le feu et le bruit font peur à « Grand-Mère Froid » ou Qâri-Nana, et la font fuir.

L’économie des Shâhsavan

L’économie de l’ethnie Shâhsavan repose essentiellement sur l’élevage, ainsi que les produits d’origine animale. L’agriculture vient en deuxième position. Le bétail est considéré comme le bien le plus important de chaque famille et tout le monde s’efforce d’augmenter son capital. L’artisanat, également en lien étroit avec l’élevage et le nomadisme, est maintenu par les femmes.

Les productions liées à l’élevage remplissent deux rôles dans la société nomade Shâhsavan. Elles fournissent les produits alimentaires nécessaires à la tribu et permettent aux nomades d’échanger le reste des produits avec d’autres produits essentiels de consommation qu’ils ne peuvent fabriquer eux-mêmes. Les produits Shâhsavan sont vendus partout en Iran, mais aussi exportés dans certains pays comme la Russie. Les pays du Caucase sont également de plus en plus investis dans des échanges avec les Shâhsavan, puisque l’élevage de moutons et autre petit bétail s’est considérablement affaibli dans cette région au profit de l’élevage bovin.

L’habillement des Shâhsavan

Les hommes Shâhsavan portent d’habitude un costume et un chapeau à godets qui ressemble au chapeau des hommes de la province du Guilân, au nord de l’Iran. En sus de leurs fameuses chaussettes multicolores, ils enroulent aussi autour de leurs mains une bande tricotée qui s’appelle Petâvâ et qui les protège contre le froid et les morsures de serpents.

La tenue des femmes Shâhsavan se veut une mosaïque du peuple iranien. Leur foulard est un tissu carré multicolore et noué par un ruban. Le chateh, un autre foulard caractéristique de ce peuple, est une pièce de tissu qui se porte sur un autre foulard ou une écharpe, et s’enroule sur la tête. Le chateh est appelé par certaines curies yâyliq. La longue robe de ces femmes est toujours gaiement colorée. Le tonbân est une jupe courte et large à plis qui ressemble également aux jupes portées par les femmes guilanaises, les femmes bakhtiâri et les femmes qashqaï. Une autre pièce de l’habillement féminin shâhsavan est les chaussures en cuir nommées tchâruq. Les femmes Shâhsavan, comme les Kurdes, portent des gilets ornés de médaillons d’or ou d’argent. Le nombre des médaillons donne une indication claire de la fortune personnelle de ces femmes.

Langues et dialectes Shâhsavan

Les Shâhsavan parlent des langues et des dialectes d’origine iranienne ou étrangère. Le turc est l’une des langues non-iraniennes parlées par les nomades de la province de l’Azerbaïdjan de l’Est. Précisons que le turc parlé dans la plupart des régions iraniennes est un dialecte de la famille des langues oghouzes. Malgré la parenté qui existe entre le turc des Shâhsavan et le turc d’Azerbaïdjan, les locuteurs de ces langues ne comprennent pas la langue de leurs voisins.

La musique Shâhsavan

Constituant une partie indissociable de la vie des nomades Shâhsavan, la musique, la danse et la poésie de ce peuple représentent un riche héritage culturel et folklorique témoignant d’une fabuleuse histoire. Intitulée Muqâm, la musique traditionnelle d’Azerbaïdjan comprend des tasnif [1] et des chansons. Les musiciens et les poètes de cet art musical sont appelés Âchiq. Bien qu’il y ait des parentés entre la musique nomade et la musique turque et azéri, celle jouée par les nomades respecte ses propres rythmes, mélodies, mesures métriques, et systèmes modaux (dastgâh). Ils jouent notammentdu ney [2], du târ [3], le sâz [4], le garmon [5] et le dilli kaval (Tütek) [6].

Créée par les Âchiqlâr, la musique traditionnelle azérie est indissociablement liée au lyrisme, à l’amour et aux nobles sentiments. Le terme Âchiq signifie « amoureux ». C’est pourquoi la musique des Âchiqlâr ne se sépare jamais de la poésie et des récits d’amour. Citons entre autres les ballades d’Asli et Karam, Kur Oghlu, Qâtchâq nabi, Râmiq et Ozrâ, et Sârây.

Artisanat

L’artisanat shâhsavan est produit à partir des dérivés de l’élevage. L’artisanat le plus pratiqué par les Shâhsavan comprend le tissage du kilim, du jâjim, des sacoches et des selles. Artisanat le plus important et le plus connu de ce peuple, le kilim Shâhsavan est un produit finement tissé à la main et orné par des broderies intitulées sûzandûzi. Connu plutôt sous le nom de sumâk, ce kilim est appelé dans la langue locale verni. Couvrant une surface de trois mètres, le verni est fabriqué indifféremment sur des métiers à tisser verticaux ou horizontaux. Le décor le plus courant du verni s’intitule l’Arche de Noé. Les motifs de l’Arche de Noé représentent un navire avec un arbre entouré d’animaux en son centre.

Une autre tapisserie des Shâhsavan est le mefrech ou fermesh, ouvrage tissé à la main et orné de motifs généralement purement géométriques. Ce type de tapis, considéré comme modeste, sert dans les régions rurales de couvre-lit. Les nomades eux-mêmes l’utilisent comme malle pour déplacer leurs affaires durant les transhumances. Moyen efficace pour porter des charges, le mefrech est fabriqué en diverses tailles sous forme d’un pavé droit.

Caractérisée par ses beaux motifs animaliers et ses couleurs vives, la selle de cheval des Shâhsavan est l’une des meilleures d’Iran. Certains ouvrages tissés à la main comme la selle de chameau et la bande des tentes sont produits de la même manière que la sacoche shâhsavan, c’est-à-dire tissées avec de nombreux ornements. Influencé par les tribus voisines, le tapis des Shâhsavan, au tissage rude et à deux trames, rappelle les tapis des kurdes Kouliyâyi. Les motifs courants dans ces tapis sont les lâki nimah, chabiri nâri et doquz buruni.

L’habitat des Shâhsavan

La région montagneuse d’Arasbârân et les plaines de Moghân constituent l’habitat du peuple Shâhsavan qui, selon certaines traditions, doit son nom à cet environnement naturel. Les pâturages estivaux ou yaylak des Shâhsavan sont les montagnes et les vallées d’Arasbârân et de Sabalân. Leurs pâturages hivernaux ou kichlak se trouvent dans le sud de la plaine de Moghân, notamment aux abords des fleuves Qarasû et Arax. Des groupes shâhsavan vivent également ailleurs en Iran, notamment à Tabriz, Téhéran, Hachtroud, Miâneh, Bidjâr, Qazvin, Sâveh, Varâmin, Hamedân, Qom et Zandjân. Un autre groupe des Shâhsavan de la curie Inâllu ou Inânlu s’est installé dans la région de Neyriz dans la province de Fârs, à proximité du lac Bakhtegân. Une tribu shâhsavan, connue sous le nom des Shâysevan, séjourne durant la période estivale dans les montagnes du comté de Shâhindej, en Azerbaïdjan de l’Ouest.

Les tentes shâhsavan sont soit semi-circulaires, soit allongées et dotées de corridors.

Pavillons et cabanes

Les tentes et huttes shâhsavan attirent l’attention par leurs formes et architectures. Les tentes shâhsavan sont soit semi-circulaires, soit allongées et dotées de corridors. Les tentes semi-circulaires sont nommées âlâtchiq (kiosque) ; et celles plus étroites et plus petites en forme de corridor, Koumeh (hutte). La hutte est plus rustre alors que le kiosque est monté avec finesse et subtilité. Le kiosque est plus résistant que la hutte. Le diamètre des huttes ne dépasse pas généralement les 5 mètres. Les tentes « kiosques » sont faites d’une feutrine blanche très douce, ornée de motifs sur les deux revers. En outre, la partie supérieure de l’entrée de la tente est décorée de pompons et de tresses décoratives qui indiquent l’identité de l’habitant et personnalisent les kiosques. Étant donné que la feutrine blanche des kiosques est vulnérable face au climat et aux intempéries, les changements de teinte sont également une indication pour l’âge du kiosque.

Les Shâhsavan préfèrent plutôt monter des kiosques que des huttes. Les moins nantis qui ne peuvent que s’offrir des huttes économisent pour pouvoir changer de tente le plus tôt possible. Cependant, l’habitation n’exerce aucune influence sur le statut social de son propriétaire, et le kiosque est préféré en raison du confort plus grand qu’il offre.

Il existe enfin un autre type de tente shâhsavan, hémisphérique et utilisée uniquement durant les escales lors des transhumances, qui se nomme Tchâtmâ.

*Adaptation et abrègement de Esmâïl, Eynollâh Zâdeh, "Mardom shenâsi-ye târikhi-ye il-e Shâhsevan-e Azarbaïdjan" (Etude ethnographique historique de l’ethnie Shâhsevan de l’Azerbaïdjan iranien), in Târikh Nâmeh Iran-e ba’ad az Eslâm (Historique de l’Iran après l’Islam), Printemps-Eté 2012, N°4, pp. 111-136.

Notes

[1L’une des formes de musique persane qui peut être considérée comme l’équivalent de la ballade. (Wikipédia)

[2Fabriqué en général en roseau, ou en métal et en bois, le ney est un type de flûte ancien, notamment joué par les bergers.

[3Un type de luth présent en Iran, Turquie et quelques autres pays. Il est très utilisé dans la musique nomade.

[4Instrument persan populaire chez les nomades Shâhsavan, le sâz accompagne d’autres instruments comme le sornâ, le nagara, le daf, et la doyre. Les joueurs de sâz sont appelés les « Ashiq », autant dans le monde persanophone que dans le monde turcophone.

[5Garmon ou Gârmân : Originaire de Baku, cet instrument de musique est peu utilisé dans la musique persane. C’est dans la musique folklorique azérie et nomade que le garmon trouve sa place. Similaire à l’accordéon, on s’en sert également pour jouer de la musique européenne.

[6Type de flûte labium, le dilli kaval ou Tüt•’3fk est généralement fabriqué avec du bois de prunier, d’ébène ou d’abricotier.


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