N° 169, décembre 2019

L’église Cantor de Qazvin


Saeid Khânâbâdi


Depuis quelque temps, une tendance touristique intéressante a fait son apparition dans les classes bourgeoises et occidentalisées de la société iranienne. Modernistes et désireuses de se désolidariser des vieilles traditions et d’innover en la matière, ces classes sociales se passionnent pour les visites sur mesure des monuments historico-religieux appartenant notamment à l’héritage culturel du christianisme iranien. Pour combler cette demande croissante, à Téhéran et dans les grandes villes, des agences de voyages se sont spécialisées dans la programmation de voyages organisés et de visites guidées des églises d’Iran. Ces agences organisent aussi des visites d’une journée des cimetières chrétiens, notamment au nord et à l’est de Téhéran. Dans la plupart des cas, un associé chrétien collabore avec ces agences et joue le rôle d’intermédiaire entre les directeurs musulmans de ces établissements touristiques et les différentes institutions religieuses des chrétiens d’Iran.

Les monuments les plus visités sont les célèbres monastères arméniens des provinces d’Azerbaïdjan, au nord-ouest de l’Iran ; c’est-à-dire les ensembles monastiques arméniens d’Iran : les monastères arméniens de Saint-Thaddée (VIIème siècle), de Saint-Stepanos de Jolfa et la chapelle Sainte-Marie de Dzordzor. Inscrits depuis 2008 sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, ces trois monuments comptent parmi les plus anciens édifices chrétiens existants.

Photos : l’église Cantor de Qazvin

Les ensembles monastiques des provinces d’Azerbaïdjan iranien sont les plus connus, mais sont loin d’être les uniques monuments chrétiens d’importance en Iran. Citons par exemple la cathédrale arménienne de Vank, connue sous le nom de Cathédrale du Saint-Sauveur, dans le quartier arménien de Jolfa, à Ispahan. Cette cathédrale, qui est la plus visitée d’Iran, a été bâtie au XVIIe siècle.

Mais ces édifices célèbres mis de côté, l’Iran possède de nombreux sites de culte chrétiens peu connus et qui passent inaperçus dans les itinéraires touristiques ou même les voyages religieux. Ces lieux de culte chrétiens sont à découvrir dans toutes les régions iraniennes. Citons par exemple les vestiges des églises historiques nestoriennes sur les îles iraniennes du golfe Persique, les petites églises villageoises du nord de l’Iran, sur le littoral sud de la Caspienne, la belle église arménienne de Mashhad, au cœur de la ville sainte chiite, ou les chapelles à l’architecture montagneuse et rustique, vieilles parfois de quelques siècles, que l’on retrouve dans les montagnes du Zâgros, notamment dans la province du Kurdistân. Le sujet a même attiré l’attention des chercheurs en études iraniennes en Europe et au Canada, mais ce domaine est encore quasiment inconnu et demeure à découvrir pour les passionnés de la civilisation iranienne et du patrimoine culturel des chrétiens d’Orient.

La majorité des églises actives en Iran, aujourd’hui, appartiennent au culte arménien. Celles de Téhéran et d’Ispahan sont bien fréquentées, plusieurs messes y sont dites par semaine et l’agenda de ces lieux de culte est bien chargé.

ہ Oroumieh (Ourmia), ville du nord-ouest iranien, il existe également quelques églises assyriennes. La cathédrale Mart Maryam (Mère Marie) en est un très vieil exemple. De récentes études au carbone 14 ont montré que des éléments de l’édifice datent du VIe siècle. Cette église est loin d’être la seule dans la région. Dans les villages avoisinants Ourmia, dont le nom même provient de l’assyrien, l’on peut retrouver 80 églises, la plupart désaffectées aujourd’hui. Dans certains villages, même l’architecture des cafés rappelle celle des églises de la région !

Mises à part les grandes villes iraniennes reconnues pour leurs minorités chrétiennes comme Téhéran, Ispahan et Oroumieh, il existe aussi des villes abritant des églises petites et grandes qui sont toujours inconnues du grand public. Notamment la ville de Qazvin, ancienne capitale safavide située à proximité de Téhéran, que l’on connaît bien plus pour ses mosquées, ses emâmzâdeh, ses bazars et surtout, ses palais safavides. Qazvin abrite pourtant une église arménienne, une église assyrienne et une chapelle orthodoxe russe. Néanmoins, rares sont les touristes iraniens ou étrangers qui se donnent la peine d’aller à Qazvin pour découvrir la très belle et authentique église orthodoxe russe de Cantor.

L’église Cantor est l’une des plus petites églises du monde. Sa petite taille est déjà une caractéristique singulière qui met en relief son identité et son histoire. En effet, cette église est en réalité une chapelle construite au XIXème siècle, sous le règne de Nâssereddin Shâh (1831-1896). ہ l’époque, une société russe de construction, transport et assurance était en charge d’un projet de construction de route entre Qazvin et Bandar Anzali. Cette entreprise, qui menait aussi d’autres projets à Qazvin, s’était établie dans le quartier Panbeh Risseh de la ville et y avait notamment construit quelques bâtiments, dont cette chapelle, ainsi qu’une école, un hôpital, un réservoir d’eau, un théâtre (la mairie actuelle) et un centre administratif, abritant aujourd’hui les Archives de la ville, ainsi que la Bibliothèque centrale de la province. En fait, on peut dire que cette société russe a construit une petite cité nommée Cantor. Cette cité a été notamment visitée par le Français Pierre Loti lors de son voyage en Perse. Les ingénieurs et les techniciens de cette entreprise étaient de confession orthodoxe. Ils ont donc aussi édifié un lieu pour y célébrer leurs rites religieux. Le mot « Cantor », qui signifie « bureau » en russe, pourrait aussi faire allusion aux chants liturgiques.

L’église Cantor reflète fidèlement le goût architectural et l’esthétique orthodoxe de ses bâtisseurs russes. Le plan est en forme de croix. Les éléments grecs sont nombreux dans le bâtiment. Les colonnes de styles ionique et dorique sont clairement visibles sur la façade. Les briques rouges et une tour d’horloge de 11 mètres de haut sur trois étages renvoient à l’architecture des églises russes avec son dôme rond et ses tours. ہ la différence des églises catholiques, l’autel de l’ةglise orthodoxe Cantor est orienté vers l’est et l’entrée est à l’ouest. Il n’y avait pas originellement de bancs dans la partie centrale de l’église et les gens restaient debout durant la messe. Les murs sont recouverts d’images pieuses chrétiennes. Dans un coin, un espace a été aménagé pour les cierges et les offrandes. La partie sud de l’édifice comprend un petit appartement où résidait autrefois le prêtre. Aujourd’hui, cet appartement est devenu un magasin de souvenirs, de croix et d’objets chrétiens. On peut également y acheter des maquettes de la petite église.

Dans la cour de l’église se trouvent deux pierres tombales aux épigraphes cyrilliques. L’une d’elles contient la dépouille d’un jeune ingénieur russe décédé à Qazvin avant la fin des travaux de la voirie. L’autre pierre tombale appartient à un pilote de l’armée tzariste dont l’avion s’est écrasé près de Qazvin lors de la Première Guerre mondiale.

Dès l’entrée, le regard du visiteur est happé par les croix orthodoxes qui rappellent l’identité du lieu. On peut retrouver cette croix orthodoxe différente de la croix catholique à Téhéran aussi, au cimetière russe du quartier Doulab. La chapelle orthodoxe située au cœur du complexe orthodoxe de Doulâb accueille aujourd’hui encore les chrétiens orthodoxes vivant en Iran, notamment les personnels des ambassades des pays chrétiens orthodoxes, dont le personnel diplomatique russe. ہ noter que Téhéran abrite également l’église Saint-Nicolas qui est le centre principal de l’Orthodoxie russe en Iran.

L’église Cantor a été désaffectée à la fin des travaux de l’entreprise de voirie russe et le départ des travailleurs orthodoxes russes suite à la Révolution de 1917. Lorsque les Alliés anglo-soviétiques occupèrent l’Iran en 1941, une partie des troupes russes stationna à Qazvin et l’église Cantor fut de nouveau fréquentée. L’administration de l’église à cette époque a été confiée à un médecin polonais résidant à Qazvin. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale et suite au départ définitif des Russes, cette église a été de nouveau désaffectée. Elle abrita pendant quelques décennies la bibliothèque du lycée Shâhdokht sous le règne de Mohamad Reza Pahlavi. Après la Révolution Islamique de 1979, cette église a été enregistrée en tant que Patrimoine national d’Iran. Elle est aujourd’hui une attraction touristique de la ville de Qazvin. Cette église, par son architecture singulière, son importance dans l’histoire contemporaine de l’Iran et le symbole des relations russo-iraniennes qu’elle représente, est incontestablement l’un des trésors de la ville de Qazvin.

Sources :

- Hazratihâ Mohammad Ali, Ghazvin Ayineh-ye Târikh va Tabiat-e Irân (Qazvin, miroir de l’histoire et de la nature de l’Iran), Organisation du Tourisme de la Province de Qazvin, 1993.

- Malkamiân Lina, Kelisâhâ-ye Irân, (Les ةglises d’Iran), Téhéran, éd. du Bureau des Recherches culturelles, coll. « Tcheh midânam ? », 2001

- Hoyân Anderânik, Armanian-e Irân (Les Arméniens d’Iran), Téhéran, Centre iranien du Dialogue des Civilisations, ةditions Hermès, 2001

- Shafiee Farzâneh, "Anjâ ke tashayyo va Ortodoxi shabih-e ham mishavand" (Là où chiisme et orthodoxie se rencontrent), Site d’information Sputnik, ةdition Persanophone, https://ir.sputniknews.com/opinion/201605241524220/

- Arefzâdeh Elyâs, "Motâleât-e Orthodox dar Iran" (Les ةtudes Orthodoxes en Iran), revue Haft Assemân (Sept Cieux), Université des Religions et des Dénominations, http://haftasman.urd.ac.ir/article_85785.html


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