N° 175, printemps 2021

Une introduction à l’architecture de la période timouride


Babak Ershadi


Palais Ak Saray construit à Shahrisabz

Introduction

Si tu doutes de notre pouvoir, regarde nos bâtiments. »

Cette inscription figure sur le portail du palais Ak Saray construit à Shahrisabz, entre 1380 et 1396, puis en 1404, sous le règne de Tamerlan (1370-1405).

Shahrisabz (qui signifie « ville verte » en persan), anciennement appelée Kesh, est une ville de l’Ouzbékistan située au sud de la ville de Samarcande. Tamerlan naquit le 9 avril 1336 dans cette ville. Elle connut son apogée historique sous le règne de Tamerlan et des Timourides, du XVe au XVIe siècle.

L’inscription de Tamerlan sur le portail du palais Ak Saray qu’il fit construire dans sa ville natale était destinée à impressionner les visiteurs étrangers. Sur le plan architectural, ce sont les dimensions du palais qui avaient pour but de représenter la mentalité politique et artistique des Timourides au plus haut degré de leur pouvoir. Le palais est aujourd’hui en ruines, mais il reste un immense portail qui avait initialement une hauteur de 71 mètres. Le portail est entouré de deux tours cylindriques qui mesurent aujourd’hui 44 mètres de haut. La voûte – aujourd’hui effondrée - du portail est large de 22,5 mètres, ce qui en fait la voûte la plus grande de l’Asie centrale. Le palais, qui a été détruit au XVIe siècle par l’émir de Boukhara, est un témoin historique du goût de Tamerlan pour la grandeur. Pour lui, la splendeur et la magnificence des structures architecturales des édifices construits sous son ordre symbolisaient l’éminence de l’empire qu’il avait fondé. La beauté architecturale était accentuée par la grandeur du plan, mais aussi par la finesse et la richesse des ornements.

Tamerlan et ses successeurs étaient de grands bâtisseurs. Les meilleurs exemples du style architectural qui s’est développé sous la dynastie de 1370 à 1507 se trouvent en Transoxiane (surtout l’Ouzbékistan moderne) et dans le grand Khorâssân (nord-est de l’Iran et le nord de l’Afghanistan). Les principaux monuments de cette architecture étaient situés à Samarcande, la capitale de l’émir Timour.

Shâh-e Zendeh (qui signifie “le roi vivant”), un complexe de mausolées des Timurides situé à Samarcande, XIVème siècle

L’architecture actuelle de l’Asie centrale s’inspire de styles architecturaux des nombreuses civilisations qui ont occupé cette région à travers l’histoire. Ils comprennent l’architecture perse d’influence islamique (Ouzbékistan et Turkménistan), l’architecture timouride (Ouzbékistan et Kazakhstan) et le modernisme soviétique du XXe siècle.

L’architecture timouride s’inspira de nombreuses traditions des Seldjoukides et les développa. Des carreaux turquoise et bleu formant des motifs linéaires et géométriques complexes décoraient les façades des bâtiments. Parfois, l’intérieur des édifices était décoré de la même manière, avec des peintures et des reliefs en stuc enrichissant encore davantage les effets produits par les artistes. En Asie centrale, l’architecture timouride représente le sommet de l’art islamique.

Des édifices spectaculaires et majestueux construits sous le règne de Tamerlan et ses successeurs à Samarcande (Ouzbékistan), Hérat (Afghanistan) ou Mashhad (Iran) ont contribué à l’influence de l’école artistique moghole en Inde.

Des carreaux turquoises et bleus formant des motifs linéaires et géométriques complexes décorant les façades des bâtiments, Shâh-e Zendeh, Samarcande

Le Mausolée de Khoja Ahmed Yasavi

Parmi les premières constructions des Timourides, il faut surtout citer le mausolée de Khoja Ahmed Yasavi à Hazrat-e Turkestan (anciennement Yasi), ville située dans le sud du Kazakhstan. Khojâ Ahmed Yasavi (1093-1166) fut un célèbre poète soufi turcophone et le fondateur de l’ordre soufi Yasavi. Il exerça une grande influence sur le développement des ordres mystiques dans tous les pays de langues turques. En 1389, Tamerlan fit remplacer le petit monument du XIIe siècle du mausolée par un nouveau bâtiment somptueux. Il fit travailler des maîtres constructeurs perses sur ce projet. L’architecte principal du moment fut Hossein Shirâzi, originaire de Shirâz comme l’indique son nom. Cela explique l’influence manifeste du style persan dans l’édifice du mausolée et de la mosquée de Khojâ Ahmed Yasavi. Le bâtiment rectangulaire est haut de 39 mètres. L’édifice fut construit en « gantch », c’est-à-dire en briques cuites mêlées de mortier et d’argile, similaire aux techniques utilisées en Perse.

Le dôme du mausolée fut le plus grand jamais construit en Asie centrale. Ce double dôme, décoré de tuiles vertes et dorées, mesure 18,2 mètres de diamètre et 28 mètres de haut. Le mausolée, qui fut l’un des plus grands de l’Asie centrale à son époque, fut laissé inachevé à la mort de Tamerlan en 1405. Non modifié ou restauré ultérieurement, le mausolée Khojâ Ahmed Yasavi est le mieux préservé de toutes les constructions timourides.

La naissance de l’architecture timouride

Les experts considèrent souvent le mausolée de Khojâ Ahmed Yasavi comme l’acte de naissance de l’architecture timouride. La construction de ce mausolée indiquait à l’époque des avancées importantes dans la technologie du bâtiment, affichant des records inégalés de toutes sortes en termes de constructions voûtées et d’innovations artistiques.

Les réalisations dérivées de ce mausolée donnèrent naissance à un nouveau style artistique de la période islamique, connu sous le nom de l’école timouride.

Le Mausolée de Khoja Ahmed Yasavi, Kazakhstan

La structure spacieuse employait un plan radialement symétrique pour l’agencement spatial. L’équilibre visuel créé par la précision de la construction est devenu une caractéristique esthétique caractéristique des bâtiments timourides, et qui sera adopté par l’architecture moghole de l’Inde, en particulier dans les jardins et les structures de la tombe de Humayun et du Taj Mahal, tous deux commandés par des descendants de Tamerlan.

Le mausolée de Tamerlan

L’architecture timouride commença avec le sanctuaire d’Ahmed Yasavi et aboutit à la construction du mausolée de Tamerlan appelé « Gour-e Amir » (« Tombe du roi », en persan) à Samarcande. Le mausolée fut construit de 1403 à 1404 sur ordre de Tamerlan lui-même, deux ans avant sa mort en 1405.

Ce monument occupe une place importante dans l’histoire de l’architecture persane en Asie centrale en tant que précurseur et modèle des tombes mogholes ultérieures, y compris les jardins de Babur à Kaboul, la tombe de Humâyoun à Delhi et le Taj Mahal à Agra, construits par les descendants de Tamerlan. Tamerlan, deux de ses fils et ses petits-fils y furent enterrés. L’édifice est l’un des meilleurs exemples d’un style architectural perse, c’est-à-dire le « style azéri ».

Le portail d’entrée est richement décoré de briques sculptées et de mosaïques. Tous les travaux de l’époque d’Ulugh Beg, le sultan timouride qui était aussi astronome et mathématicien, sont attribués à l’architecte Abdolzarif Mohammad originaire d’Ispahan.

Le mausolée de Tamerlan, Samarcande

Le mausolée a une coupole, célèbre pour sa simplicité de construction et pour sa monumentalité solennelle. La décoration extérieure des murs est constituée de carreaux bleus, bleu clair et blancs organisés en ornements géométriques et épigraphiques sur fond de briques en terre cuite. Le dôme, de couleur bleu foncé, a un diamètre de 15 m et une hauteur de 12,5 m.

À l’intérieur, le mausolée apparaît comme une grande pièce haute avec des niches profondes sur les côtés et des motifs décoratifs variés. De grandes surfaces de murs sont décorées de plâtre peint.

Les pierres tombales sculptées ornées dans la salle intérieure du mausolée indiquent simplement l’emplacement des tombes. Celles-ci se trouvent directement sous la pièce principale, dans une salle souterraine.

La Renaissance de l’architecture timouride

La Renaissance timouride a été parfois comparée avec le Quattrocento italien (le XIVe siècle, siècle de la Première Renaissance). Cette Renaissance timouride commença au XIVe siècle et atteignit son apogée au XVe siècle. Les deux villes de Samarcande (Ouzbékistan) et Hérat (Afghanistan) furent les capitales d’une période fructueuse d’un développement artistique, architectural, culturel et scientifique sous les Timourides.

Shâhrokh Mirzâ (1377-1447), le plus jeune des quatre fils de Tamerlan, régna sur l’Empire fondé par son père pendant 42 ans, de 1405 à 1447. Cependant, Shâhrokh ne régna que sur la partie orientale de l’Empire (la majeure partie de la Perse et de la Transoxiane), les territoires occidentaux ayant été perdus à la suite de la mort de Tamerlan (1405).

Une vue du mausolée de Tamerlan, Samarcande

Conseillé par son épouse, Ghoharshâd, issue de la noblesse perse du Khorâssân, Shâhrokh Mirzâ choisit d’avoir sa capitale non pas à Samarcande comme l’avait fait son père, mais à Hérat. Shâhrokh fut un grand mécène des arts et des sciences. Sous son règne commença une période du renouveau des arts, de l’architecture, de la littérature et des sciences.

L’observatoire d’Ulugh Beg

Ulugh Beg (1394-1449) est un prince timouride ainsi qu’un astronome et mathématicien célèbre de son époque. C’est le fils de Shâhrokh et petit-fils de Tamerlan. Le prince timouride est particulièrement connu pour son travail remarquable en mathématiques et en astronomie, ainsi que pour son intérêt pour les arts et les activités intellectuelles. Érudit hautement cultivé, Ulugh Beg parlait cinq langues (turc, persan, arabe, mongol et chinois). Il fit construire le grand observatoire de Samarcande entre 1424 et 1429. Il est aussi à l’origine de l’édification de la madrasa d’Ulugh Beg (de 1417 à 1420) sur la place du Régistan au cœur de l’ancienne ville de Samarcande, capitale de l’empire timouride. Le nom du Régistan signifie « endroit sablonneux » en persan.

Le mausolée de Ghoharshâd, épouse de Shâhrokh Mirzâ, Hérat

Parmi ses grands astronomes perses du XVe siècle, citons le Perse Ghiâseddine Jamshid (1380-1429), alias Al-Kâshi, originaire de la ville de Kâshân, Ali Quchtchi (1403-1474), originaire de Samarcande, et Ulugh Beg lui-même. L’observatoire fut détruit en 1449 et redécouvert en 1908.

L’architecture de l’observatoire d’Ulugh Beg était différente de celle d’autres bâtiments construits sous les Timourides. Ulugh Beg avait besoin d’un architecte qualifié pour l’aider. Par conséquent, il contacta Qâdi-Zâdeh Roumi (1364-1437), mathématicien et astronome ottoman, et lui demanda de trouver un architecte expérimenté et qualifié. Qâdi-Zâdeh recommanda le Perse Ghiâseddine Jamshid al-Kâshi.

L’observatoire fut calqué sur l’observatoire de Marâgheh (Azerbaïdjan) construit sous le règne des Ilkhanides mongols sous la direction de Nassireddine Toussi (1201-1274) philosophe, mathématicien et astronome perse du XIIIe siècle. L’observatoire d’Ulugh Beg fut construit sur une colline de 21 mètres. L’observatoire comportait un bâtiment de forme cylindrique d’un diamètre de 46 mètres et d’une hauteur de 30 à 33 mètres. L’astrolabe fut installé au milieu de ce grand bâtiment cylindrique, qui fut lui-même construit en briques.

Vue extérieure de l’observatoire d’Ulugh Beg

L’observatoire comportait trois étages, le premier étant réservé au personnel. Toutes les observations étaient faites à partir des deuxième et troisième étages, qui avaient de nombreuses arcades. Le toit de l’observatoire était plat, permettant aux astronomes d’y installer leurs instruments.

Vue intérieure de l’observatoire d’Ulugh Beg

La mosquée de Goharshâd

La mosquée de Goharshâd est une grande mosquée construite pendant la période timouride à Mashhad, chef-lieu de la province iranienne du Khorâssân Razavi, dans le grand complexe du sanctuaire de l’Imâm Ali ibn Moussâ al-Rezâ, huitième Imâm des chiites, le lieu religieux le plus sacré de l’Iran.

La mosquée, chef-d’œuvre de l’architecture de la période timouride, fut construite sur ordre de l’impératrice Goharshâd (1378-1457), l’épouse de Shâhrokh Mirzâ. La construction fut complétée en 1418.

L’architecte de l’édifice, qui est aujourd’hui la mosquée la plus visitée en Iran, fut Ghavâmeddin (mort en 1140), originaire de Shirâz. Nous ne disposons pas d’information détaillée sur la vie de ce célèbre architecte de la période timouride, connu pour la construction de la mosquée de Goharshâd à Mashhad et de la madrasa de Hérat ; toutes deux construites sur ordre de l’impératrice timouride enterrée dans une célèbre mosquée construite par l’architecte Ghavameddin à Hérat.

Vue en coupe de l’observatoire d’Ulugh Beg à Samarcande

La mosquée a subi quelques rénovations sous les Safavides et les Qâdjârs, du XVIe au XIXe siècle. La mosquée actuelle conserve toutefois le plan initial de l’époque des Timourides. Elle compte quatre iwans et une cour carrée de 50 x 55 mètres, ainsi que plusieurs shabestans (salles de prières).

Diverses inscriptions sur des carreaux de mosaïque à l’intérieur de la mosquée et de sa cour mentionnent les noms de rois safavides (tels que Shâh Abbâs, Shah Soltan Hossein, et Shâh Soleiman), et décrivent leur dévotion au sanctuaire et les contributions qu’ils ont apportées à la mosquée. Les dernières réparations majeures datent des années 1960, notamment pour le dôme à double couche de la mosquée, gravement endommagé en 1911 lors des bombardements des troupes de l’Empire russe.

La mosquée de Goharshâd, Mashhad, Iran

La mosquée de Goharshâd est considérée comme le plus beau monument de la période timouride en Iran. Son portail évoque le style de Samarcande, enrichi par une succession de lignes courbes qui lui confèrent profondeur et puissance. Les minarets épais en forme de tour, fusionnant avec les côtés extérieurs du portail, s’étendant jusqu’au sol et donnant à l’ensemble de l’édifice une impression de solidité et de puissance. Toute la façade de la cour est revêtue de briques émaillées et de mosaïque de la plus belle qualité.

La gamme complète des couleurs est dominée par un bleu cobalt, mais aussi des couleurs turquoise, blanche, verte, jaune, safran, aubergine et noire. Les motifs sont astucieusement adaptés à leur rôle décoratif.

La mosquée de Goharshâd, Mashhad, Iran

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