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En 2019, les archéologues ont identifié les restes d’un mur de pierre en Iran de la même longueur que le célèbre mur d’Hadrien qui fut construit à travers l’Angleterre par les Romains. En Iran, le mur Gawri, qui s’étend sur environ 115 kilomètres, a été découvert dans le département de Sar Pol-e Zahab (province de Kermânshâh), dans l’ouest du pays. Le site d’informations scientifiques « Live Science » a placé le mur sur sa liste des 10 découvertes archéologiques marquantes en 2019.
L’Empire sassanide qui régna sur le monde iranien de 224 de notre ère jusqu’à la conquête arabe en 651, utilisait des lignes de défense pour protéger son territoire face aux ennemis extérieurs. Les structures défensives faisaient partie de leurs stratégies et de leurs tactiques militaires. Il s’agissait de réseaux de fortifications, de murs et de fossés construits en face du territoire ennemi.
Les murs défensifs pouvaient également avoir une dimension symbolique, idéologique et psychologique, reliant la pratique consistant à enfermer les terres iraniennes contre les peuples non iraniens à des éléments culturels et idées présentes parmi les Iraniens depuis les temps anciens, comme l’idée de jardins paradisiaques clos.
En Mésopotamie :
Au début de l’Empire sassanide, un certain nombre d’États tampons existaient entre la Perse et l’Empire romain. Ils jouaient un rôle majeur dans les relations romano-perses. Les deux empires absorbèrent progressivement ces États et les remplacèrent par un système de défense organisé qui fut géré par le pouvoir central et basé sur des lignes de fortifications et des villes frontalières fortifiées.
L’expansion du système défensif persan par Shâpour II (309-379) fut sans doute une réaction à la construction par les Romains des « limes » à la frontière syrienne entre les deux empires. Les limes étaient des systèmes de fortifications établis au long de certaines des frontières de l’Empire romain. La ligne de défense développée par Shâpour II se situait en bordure des terres cultivées à l’est du désert syrien. Le long de l’Euphrate, les Sassanides comptaient sur une série de villes fortement fortifiées comme lignes de défense face à l’Empire romain.
Au cours des premières années du règne de Shâpour II, des tribus arabes nomades effectuèrent des incursions en Perse depuis le sud. Après sa campagne réussie en Arabie en 325 et après avoir sécurisé les côtes du golfe Persique, Shâpour II établit un système défensif dans le sud de la Mésopotamie pour empêcher les raids par voie terrestre.
La ligne défensive, appelée le Mur des Arabes, se composait d’un grand fossé et probablement d’un mur réel du côté perse, avec des tours de guet et un réseau de fortifications au bord du désert d’Arabie. La ligne de défense s’étendait de Hit (ouest de l’Irak actuel) à Bassora (sud de l’Irak), en bordure de terres fertiles à l’ouest de l’Euphrate. Il comprenait de petits forts à des endroits clés.
Au Caucase
La construction des fortifications massives au Caucase commença sous le règne de Kavadh Ier qui régna de 488 à 496 puis de 498 à 531, en réponse à la pression exercée par les tribus du nord du Caucase comme les Alains. En effet, pendant les périodes où les Sassanides étaient distraits par la guerre contre les Byzantins ou les conflits avec les Hephtalites à l’est, les tribus du nord réussirent à avancer dans le Caucase.
Les éléments clés de ce système défensif étaient les passes stratégiques Darial dans le Caucase central et la muraille Derbent tout près du littoral ouest de la mer Caspienne. Ces endroits étaient les deux seules routes praticables à travers lesquelles le trafic terrestre était possible entre la steppe eurasienne au nord et le Moyen-Orient au sud.
Le mur de Derbent était la structure défensive sassanide la plus importante du Caucase.
En Asie centrale :
Pour défendre le front d’Asie centrale, une stratégie différente devait être utilisée. La ligne de défense était basée sur un système à trois niveaux qui permettait à l’ennemi de pénétrer profondément dans les territoires sassanides et d’être canalisé dans des zones de mise à mort désignées. La cavalerie mobile effectuait alors des contre-attaques à partir de bases stratégiquement positionnées. Certains historiens comparent cette stratégie sassanide à la tactique des Parthes : une fausse retraite suivie d’une contre-attaque.
La grande muraille de Gorgan avait été construite au nord de la rivière Gorgan en Hyrcanie (Gorgan moderne) au sud-est de la mer Caspienne, entre le littoral et les montagnes du nord-est de la Perse. Ce grand mur est largement attribué aux Sassanides, bien qu’il puisse remonter à la période parthe. Cette muraille protégeait l’Empire sassanide des peuples de l’Asie centrale, en particulier les Hephtalites.
Le mur Gawri
Historiquement, les contreforts occidentaux des monts Zagros ont toujours joué un rôle vital en tant que barrière défensive naturelle. Des preuves archéologiques, notamment des inscriptions rocheuses, des stèles, ainsi que des inscriptions cunéiformes, identifient ces montagnes comme une frontière entre la Mésopotamie et le plateau iranien à la fin du troisième millénaire avant notre ère.
Alors que cette frontière naturelle et topographique joua un rôle important dans la formation des paysages géopolitiques anciens et modernes, les murs défensifs ont été manifestement utilisés tout au long de l’histoire de l’Iran, en particulier pendant les huit siècles des périodes partho-sassanides du IVe siècle avant J.-C. au VIe siècle de notre ère.
Des preuves archéologiques suggèrent que ces murs pourraient en réalité faire partie d’un long mur défensif de la mer Jaune dans l’est de la Chine à la mer Noire à l’ouest.
En 2016, une prospection archéologique a été entreprise dans le département de Sar Pol-e Zahab, dans la province iranienne de Kermânshâh (ouest), dans les basses terres des contreforts occidentaux des monts Zagros. L’enquête a ciblé trois plaines : Beshive-Pa-Taq, Qaleh Shahin et Zahab, dans le but d’identifier des sites anciens.
Située sur la route entre la Mésopotamie à l’ouest et le Khorâssân à l’est, la région est riche en archéologie, avec des bas-reliefs et des inscriptions rupestres. Les études archéologiques dans la région ont été conduites par une équipe archéologique du département de Sar Pol-e Zahab dirigée par l’archéologue Sajjâd Alibaigi, professeur à l’université Râzi de Kermânshâh. M. Sajjâd Alibaigi et son équipe ont identifié 193 sites datant du Paléolithique moyen à la fin de la période islamique. Le Paléolithique moyen est une période de la Préhistoire qui débute vers 350 000 ans avant le présent et s’achève vers 45 000 ans avant le présent.
L’équipe a également fait la découverte d’un long mur défensif jusqu’alors inconnu sur le plan archéologique, appelé localement le mur de Gawri par les habitants qui connaissent naturellement le mur depuis toujours. (Figure 1).
Mur de Gawri
Le professeur Alibaigi et ses collaborateurs ont découvert les vestiges d’un mur de pierres sèches, connu des habitants sous le nom de « mur Gawri » ou « mur Gawri Chen », dans le département de Sar Pol-e Zahab, dans l’ouest de l’Iran, près de la frontière irano-irakienne actuelle (figures 2-4).
Le mur comprend des matériaux locaux naturels tels que des galets et des rochers, avec du mortier de gypse survivant par endroits. Le mur s’étend du nord au sud sur les montagnes occidentales de Sar Pol-e Zahab. Il est long de près de 115 kilomètres et s’étend des montagnes Bamu dans la région de Salas-e Bâbâjâni au nord du département de Sar Pol-e Zahab, jusqu’au village de Jaw Marg près de Guwaver, du département de Gilan-e-Gharb au sud de Sar Pol-e Zahab.
La mauvaise conservation du mur a empêché la mesure exacte de sa largeur et de sa hauteur, mais les archéologues estiment qu’il mesurait quatre mètres de large et environ trois mètres de haut.
Des vestiges de structures, aujourd’hui détruites, sont visibles par endroits le long du mur. Il s’agit probablement de tourelles ou de bâtiments associés (Figure 5). Pour les constructeurs de ce mur, son tracé semble avoir été déterminé par la topographie de la région, et il traverse fréquemment des crêtes montagneuses, atteignant des hauteurs importantes (Figure 6). L’équipe archéologique du professeur Alibaigi a étudié de manière intensive environ 250 kilomètres carrés de la région de Sar Pol-e Zahab, en traçant la ligne du mur jusqu’à l’endroit où il s’étendait au-delà des limites nord et sud de leur zone d’étude.
Établir une date exacte pour la construction du mur est difficile, mais avec un volume estimé à environ un million de mètres cubes de pierre, cela aurait nécessité des ressources importantes en termes de main-d’œuvre, de matériaux et de temps.
D’autres projets monumentaux dans la région à l’est du mur incluent Qaleh Yazdgard, une grande forteresse partho-sasanide qui est le site défensif le plus important de la région. Il y a aussi Nahr Balâsh, un système d’irrigation ancien attribué à la période du roi parthe arsacide Vologases Ier (Balâsh, en persan) qui régna de 51 à 78 de notre ère et les vestiges de l’ancienne ville de Hulwan. Ces sites démontrent que des ressources nécessaires à la construction d’un immense mur défensif étaient disponibles durant les périodes parthe et sassanide. Des constructions tout aussi impressionnantes subsistent à l’ouest du mur dans la région de Diyala (est de l’Irak), comme les vestiges de la ville sassanide Gawr Tepe.
La découverte de tessons de poterie partho-sassanide à plusieurs endroits le long du mur pourrait suggérer que le mur fut construit pour la première fois pendant la période parthe, et fut restauré et complété ensuite sous les Sassanides. Cependant, les archéologues estiment que cette datation devrait rester spéculative jusqu’à ce que d’autres investigations soient entreprises de manière scientifique.
La nature politique du mur reste inconnue. M. Sajjâd Alibaigi pense qu’il demeure difficile de déterminer si le mur était défensif ou symbolique. Les archéologues ne peuvent pas pour le moment déterminer non plus par qui il fut construit.
Les textes historiques peuvent probablement soutenir la nécessité de l’existence d’un mur à une date ultérieure. Par exemple, le Traité de Qasr-e Chirin (également appelé Traité de Zahab) mentionne que Sar Pol-e Zahab était considéré comme la frontière entre l’Empire safavide et l’Empire ottoman. Ce traité fut signé le 17 mai 1639 entre la Perse safavide de Shâh Safi Ier et l’Empire ottoman de Murad IV pour fixer les frontières et mettre fin à une longue période de guerre.
Plus tard, les Traités d’Erzurum de 1823 et de 1847 fixèrent la frontière entre l’Empire ottoman et la Perse de la dynastie des Qâdjârs au même endroit.
Cependant, ni le mur ni sa construction ne sont mentionnés dans les textes des Ottomans, des Safavides ou des Qâdjârs. De plus, la nomenclature locale traditionnelle du mur (mur Gawri) suggère une origine préislamique.
Les archives archéologiques de la région de Sar Pol-e Zahab montrent que la construction d’un mur aussi monumental n’aurait été possible qu’à partir de la période parthe, au IIIe siècle avant J.-C. En effet, des céramiques trouvées le long du mur attestent d’une date de construction à l’époque parthe ou sassanide.
Les schémas de peuplement régional et les résultats des fouilles révèlent qu’à cette époque, la construction du mur aurait pu être réalisée sur ordre d’un roi parthe ou sassanide, puis mise en œuvre par un souverain local ou un membre de la noblesse basé à la forteresse Yazdgard. La région fut une frontière entre la Mésopotamie et le monde iranien du troisième millénaire avant J.-C. aux périodes parthe et sassanide. Plus tard, elle fut la frontière entre l’Empire ottoman et la Perse. Aujourd’hui, c’est la région frontalière entre l’Iran et l’Irak. Cela renforce l’idée du fonctionnement défensif du mur pendant la période préislamique. L’équipe d’enquête archéologique de M. Sajjâd Alibaigi vise à poursuivre les recherches dans la région pour mieux comprendre le paysage archéologique de cette région et la nature du mur de Gawri.