N° 177, automne 2021

Paris Photo 2021
Provisoirement … au Grand Palais Éphémère.
11 au 14 novembre 2021


Jean-Pierre Brigaudiot


Un parti pris d’approche de cette session de Paris Photo

 

À travers cet article concernant Paris Photo, il s’agira moins d’inventorier les orientations et les contenus en termes de photos et de photographes que de réfléchir à ce que ce salon d’art engage comme postures socio-économiques en accueillant selon certaines modalités de nombreux artistes ayant des options esthétiques singulièrement différentes, et en accueillant également un public de collectionneurs et d’amateurs d’art venu en nombre.

Maisie Cousins

 

Un espace spécifique et provisoire

 

Le Grand Palais Éphémère est une construction due à l’architecte Jean-Michel Wilmotte, installée entre la Tour Eiffel et l’École Militaire, sur le Champ de Mars. Sa raison d’être revient aux lourds travaux urgents entrepris pour rénover, notamment, la verrière du Grand Palais, qui repose sur des structures métalliques arquées. Ici, les arcs conçus par Wilmotte sont faits de différents bois associés au métal et à des bâches transparentes ou translucides traversées par la lumière du jour ou bien éclairées électriquement. L’ensemble est agréable à percevoir et donne une impression de postmodernité bienvenue, qui fait heureusement écho au Grand Palais originel, construit pour l’exposition Universelle de 1900. Le Grand Palais Éphémère trouve une place judicieuse dans la perspective qui va de la Tour Eiffel à l’École Militaire. Le Grand Palais éphémère a pour fonction d’accueillir au mieux un certain nombre d’expositions, foires et manifestations qui se tenaient au Grand Palais ; parmi celles-ci, citons la FIAC et Art Paris, foires d’art à dimensions internationales, parmi les plus notoires et animées. La solution retenue pour l’emplacement du Grand Palais Éphémère est certes quelque peu merveilleuse, chargée d’histoire et implantée sur cette perspective entre le palais de Chaillot et l’École militaire. Néanmoins, nous y reviendrons, le Grand Palais Éphémère est une sorte de maquette du Grand Palais, c’est-à-dire une copie à échelle réduite, et il s’ensuit une considérable diminution des espaces initiaux, ceux du Grand Palais ; cette réduction n’est pas sans poser de vrais problèmes lorsqu’il s’agit de loger certaines manifestations disposant habituellement de beaucoup plus d’espace.

Anastasia Samoylova

Paris-Photo, un certain flou

Certes l’espace de ce Grand Palais Éphémère peut sembler vaste lorsque le public n’est pas arrivé en nombre ; mais très vite, après l’ouverture, la foule se fait plus dense, ceci d’autant plus que cette foire d’art ne dura que quatre jours. Dès lors, la perception des œuvres, nécessairement plus petites que ce n’est le cas d’habitude, puisque les stands sont vraiment réduits en leurs dimensions, souffre d’une sorte de “brouhaha visuel”, lequel ne permet pas de découvrir les œuvres exposées en toute sérénité, moins encore de les contempler, et pas davantage que l’émotion qui peut surgir de la confrontation avec une œuvre ne peut se faire jour. Cela est certes dommageable pour les artistes et les œuvres. Ainsi, par exemple, en est-il de l’œuvre de l’artiste coréenne, Juhn Ahn, qui, durant Paris Photo, ne disposait que d’un minuscule espace ne permettant pas au visiteur de prendre la mesure des œuvres qu’elle produit habituellement. Et, paradoxalement - en même temps que pour beaucoup de photographes -, le jeu auquel elle devait se plier supposait un passage par l’écran du téléphone mobile. Jeu étrange où l’exposition se fait intime au point où l’œuvre originale, elle-même, cède la place à son image, une minuscule reproduction. Salon dédié à la photo, celle-ci étant une image, c’est ici l’image de l’image qui fait œuvre. Monde contemporain où le réel cède la place à ce qui le figure, comme il en va des visiteurs des musées qui photographient les œuvres sans jamais les regarder telles qu’en elles-mêmes : perte dans la relation œuvre/spectateur. Ces considérations touchent des points qui sont essentiels lorsqu’il est question de réception de l’art.

Carlos Endara

La photo, image consommable et éphémère

Appréhender cette foire d’art fondée sur le principe d’œuvres originales et cependant duplicables, y trouver ce que l’on cherche, l’objet d’art encore inconnu, celui que l’on aimerait découvrir, autant que retrouver celui que l’on pourrait connaître, n’est pas si aisé en ce “brouhaha visuel” où tout se mêle et se chevauche, le connu et l’inconnu en cet espace de Paris Photo partagé, quasiment dépourvu de logique de classification, en une multitude de stands et d’exposants. Ainsi les œuvres deviennent les échantillons de l’œuvre et de la pensée de chacun des artistes. Ce phénomène évoque immanquablement une exposition qui s’est tenue au Jeu de Paume en 2020, Le supermarché des images. Il y était question de ce qui, dans le champ de l’art, fait image, d’une manière ou d’une autre, et cela depuis le début du vingtième siècle. Question posée de mille manières à ce qui se donne comme image et par conséquent à la disqualification du principe même de l’image unique et donc icône “sacrée”. À Paris Photo, le principe est celui de la duplication, le plus souvent limitée et donc principe d’un art sans original, principe amplifié par les facilités offertes par la numérisation. Cette numérisation omniprésente s’est ainsi profondément établie, comme allant d’elle-même, dans le champ de l’art et plus encore de l’image photographique.

Une modification déjà installée du marché de l’art ?

Mona Schulzek

Le développement encore récent d’un certain type de commerces, des supermarchés ou plutôt des supérettes de l’objet d’art, au cœur des villes, n’est pas indifférent à cette question de la perte de l’original, mais d’une autre manière. Il s’agit de ces commerces installés aux alentours des musées et dans les quartiers à la fois animés et culturels, commerces d’une certaine forme d’œuvre d’art qui n’est ni vraiment originale, ni vraiment reproduction. S’y vendent principalement et à des prix standardisés en même temps que bas, des toiles peintes à la main et des œuvres sur papier, des tirages multiples, peintures ou photos et quelques objets en 3D. Ces œuvres ont pour caractéristiques de témoigner d’un réel savoir-faire et en même temps manquent de dimensions créatives et inventives propres à ce que nous appelons œuvres d’art. Le produit est en fait plus une image qu’une œuvre originale et reflète fréquemment des formes d’art devenues extrêmement populaires, les principales formes d’art impliquées étant le Pop Art et le Street Art. Ce commerce rejoint d’une certaine manière celui, antérieur, consacré à la copie, lorsque les moyens de reproduction hautement sophistiqués et numériques n’existaient pas encore, lorsque la copie était, ne serait-ce la gravure, faite manuellement. En 2019, une foire d’art s’est déroulée à Strasbourg, sous le nom de Str’art. Ce qui était inattendu avec cette foire, déjà ancienne et assez traditionnelle, était cette présence forte, annoncée par le titre, d’œuvres inscrites dans la continuité du Pop Art et du Street Art. Œuvres visuellement d’une forte présence et même d’une présence renforcée par rapport aux œuvres auxquelles elles font référence. Œuvres donc, dotées de peu de singularité et dénuées de profondeur, comme les affiches et annonces publicitaires, comme les photos exposées dans le métro ou dans les rues : œuvres consommables, de faible épaisseur lorsqu’il est question de leur capacité évocatrice et émotionnelle.

Sean McFarland

Un dispositif tellement efficace

Dès lors, revenant à Paris Photo, une foire d’art qui s’est vite affirmée au niveau international, en témoignent les stands des plus grandes galeries de New-York, Londres, Berlin et même Téhéran, avec la fidèle Silk Road gallery, se pose la question d’une foire d’art et d’argent, fondée sur le principe de la photo en tant qu’objet unique, ou presque, en un statut qu’elle a dû acquérir, car la photo, longtemps, historiquement, resta identifiée comme étant une technique davantage qu’un art. Et dans le cadre de ce rapport de l’art et de l’argent, il y a lieu de prendre le prix de vente en considération, prix de l’œuvre, ici des photos, qui peuvent atteindre des montants faramineux sans pour autant qu’il s’agisse jamais d’œuvres uniques. La réponse se situerait sans doute dans la puissante et très professionnelle capacité médiatique sous-jacente à la machine qu’est Paris Photo, devenue média elle-même, ne serait-ce que durant quatre jours. La rumeur d’une association de Paris Photo et de la FIAC, la très grande foire d’art, par excellence, tendrait à confirmer la dimension commerciale et l’efficacité de ces deux foires quant à la transmutation de l’objet prétendu d’art en pur argent, donc en art.

L’année 2021, Paris Photo a accueilli 150 galeries et 200 artistes, ceci malgré le prix de location des stands, auquel il faut ajouter les déplacements des œuvres et des personnes, les emplois annexes et les frais de médiatisation hors France.

L’emphase du décor

Sans doute que cette terrible efficacité de la machine Paris-Photo est épaulée par la monumentalité emphatique du lieu, monumentalité digne des temples et monuments impériaux ou religieux qui jalonnent l’histoire de l’humanité depuis la lointaine antiquité. Ici nous sommes bien loin, et tant mieux, des non-lieux, de la nonarchitecture, qui ont pu accueillir les foires d’art, palais des expositions de tout et n’importe quoi. Ici, il est très perceptible que la construction du Grand Palais Éphémère a eu un coût lui-même monumental, comme ce fut le cas de la rénovation du Louvre et de la construction de la pyramide de verre, comme ce fut le cas lors de la construction du Centre Georges Pompidou, Musée National d’Art Moderne. Ces monuments ambitieux et leur gestion actualisée/modernisée en termes de commerces, en même temps que l’augmentation de leur autonomie de gestion s’inscrivent à l’encontre de la politique artistique et muséale initiée par Jack Lang, le ministre de la Culture de François Mitterrand, celle du musée pour tous, les enfants des écoles, les étudiants, les artistes. Aujourd’hui, le prix d’entrée des principales foires d’art, comme des musées, a rétabli autrement plus radicalement une sélection des publics : les grandes expositions des musées, les foires d’art savent comment accueillir les publics qui leur conviennent.

Stephane Couturier

Et pour en revenir à Paris Photo comme machine redoutable et termes de chiffre d’affaires, donc d’efficacité commerciale, il faut prendre en considération tous les événements et dispositifs annexes au principal, ce dernier étant la foire d’art en elle-même avec ses stands et ses expositions, lieu de flânerie et de rencontre de l’art, des galeristes et des artistes. Un nombre considérable d’événements et salons secondaires se déroulent dans l’enceinte de Paris Photo et accueillent divers publics, curieux, attentifs ou simplement concernés, ces publics témoignant, semble-t-il, d’un intérêt affirmé, suscité par l’offre qui leur est faite en tant que complément et supplément à ce qui se voit sur les stands. Ainsi, existent des cycles de rencontres et débats avec des professionnels de l’art, avec des artistes : The artists talks, des conversations autour d’acquisitions récentes animées par le CNAP (Centre National des Arts Plastiques). Des stands de presse papier regroupent des acteurs notoires en ce domaine, tels ArtPress, Flash Art, Beaux-Arts Magazine. Certains stands représentent de prestigieux établissements d’enseignement de la photo, en France ou aux États-Unis, où le coût des études tient pour partie d’outils de sélection. Les stands des éditeurs de livres-photos, avec de véritables créations en ce domaine, où fréquemment photo et poésie œuvrent de pair retiennent un public particulièrement attentif. “Elles x Paris Photo” privilégie une approche dédiée à la femme, comme il se doit actuellement. Donc rien ne semble manquer quant à ces dispositifs annexes à la foire en principal. C’est sans nul doute en ces espaces périphériques que le public intéressé peut mieux accéder au sens et à l’économie de l’art de la photo d’aujourd’hui, comme de celle d’hier

Le mécénat

Le mécénat affirme sa présence à travers ses logos et davantage avec encore la banque J.P. Morgan dont les propositions en termes d’œuvres complètent l’offre annexe avec des vidéos et des photos digitales récemment acquises par son département New Medias in the JPMorgan Chase Art Collection. Ainsi la banque, temple de l’argent, se fait commissaire et du même coup, désigne elle-même les photographes les plus remarquables. BMW, le constructeur automobile allemand décerne un prix. Bref, Paris Photo, à l’instar des grandes foires d’art internationales, est bien un temple où agissent concomitamment l’art et l’argent. Une manière de voir ces interactions au sein du système financier et spéculatif d’aujourd’hui, manière qui n’est certes plus celle du mécénat vénitien, et pourtant l’évoque, ne serait-ce que les titres de noblesse qui ne sont pas au rendez-vous.

Grand Palais Éphémère, vue depuis la Tour Eiffel

Une foire qui s’est hissée au niveau mondial

En bien peu de temps Paris Photo a incontestablement accédé au niveau d’une foire d’art internationale de grand renom. Outre l’efficacité de la machine Paris Photo en termes de chiffre d’affaires, elle correspond sans doute à un besoin auquel la place de Paris, avec un monde de l’art très aguerri, peut répondre, tout comme sait le faire la FIAC. Les bénéfices commerciaux prennent incontestablement appui sur une tradition pluriséculaire de gestion de l’art.

Et la photo, ses genres, ses modalités de présentation, ses évolutions, ses rapports avec les autres arts, ses moyens techniques ? Ce serait ou ce sera un autre article !


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