N° 6, mai 2006

Manoutchehr Âtashi
Le chevalier de la poésie persane moderne


Rouhollah Hosseini


Je viens du sud de la source de soif

Je viens du sud du sable de serpents

Je viens du sud du jardin silencieux du golfe

Je viens du sud de la grande forêt de soleil.

Dans l’histoire de la poésie persane contemporaine, Manoutchehr آtachi, est de ceux, véritables créateurs d’images, que la postérité aura négligé à tort. Continuateur de la voie tracée par Nimâ, il a en effet contribué à enrichir le répertoire de notre poésie nationale. Son élection en 1384, quelques jours avant son décès, comme " figure immortelle " de la poésie persane a représenté à ce titre un acte symbolique de reconnaissance certes tardif, mais néanmoins nécessaire.

Manoutchehr Âtachi

آtachi est né en 1932 à Dachtestân, dans la région de Bouchehr, au sud de l’Iran ; coin dont la géographie rude et austère a fortement marqué l’oeuvre du poète. Cette dernière est à ce titre truffée d’images étranges, voire originales, lesquelles vont parfois jusqu’à rendre hermétique un grand nombre de ses textes. La compréhension parfaite de son oeuvre nécessite bien souvent de se familiariser avec la culture de cette région méridionale qui a vu grandir le poète. La nostalgie qu’éprouve آtachi pour son pays natal est effectivement un trait marquant de son œuvre. Il n’a de cesse d’exprimer son affection envers la nature sauvage qui l’a vu naître, et ne cache point le dédain qu’il éprouve à l’égard de la grande ville. Il est en effet le poète des objets primitifs et des paysages inédits. De ce fait, on retrouve chez lui une certaine violence, celle du " chevalier des temps modernes ". Sa poésie est à ce titre marquée d’un souffle épique. Elle recourt au symbolisme en vue d’exprimer de manière à peine couverte, la souffrance que cause en lui l’irrémédiable dégradation de l’héroïsme d’antan, celui surtout de son propre peuple.

Poète moderne, il n’hésite pas à recourir à un langage coloré et effervescent pour rendre compte de la singularité de son époque. D’un tempérament triste et plutôt mélancolique, il est profondément pessimiste, mais compense son pessimisme en réservant dans son œuvre une place de choix à l’expression universelle du sentiment amoureux, cette éternelle planche de salut. Son lyrisme délicat contribue à coup sûr à valoriser le précieux trésor de notre tradition poétique.

Sur le tronc de tous les arbres de la forêt

De mes ongles je gravai ton nom

Et maintenant

Tous les arbres te connaissent par ton nom.

Avec des griffes de guépards je gravai

Ton nom sur le dos du zèbre et du cerf

Et maintenant

Tous les guépards des montagnes

Tous les cerfs jaunes

Te connaissent par ton nom.

 

Le chant de la rencontre

C’est bon d’être avec toi

Tes paroles

Sont comme le parfum d’une fleur au cœur des ténèbres

Comme le parfum d’une fleur, tentantes au cœur des ténèbres.

 

L’odeur de ta robe

Est humide

Comme le parfum de la mer

Comme le vent frais de l’été

Elle apporte le sommeil

Comme l’obscurité.

 

Parler avec toi

Emporte l’œil de mes rêves

Comme la chaleur de la cheminée et le souffle culminant du feu

Vers le désert des plus lointains souvenirs

- Là où les moineaux se balancent à l’extrémité des épis de blés

Où les fleurs partagent un secret avec les astres.

 

Ton sourire délicat

Emporte le loup de mon regard

Vers la prairie des plus promptes gazelles

Il emporte l’espérance de mes mains

Vers les plus secrets recoins de ton corps

- cet innocent et bel étendu.

 

Tu es comme la mer

- attristante et fière

Comme la vaste mer de Bouchehr,

Pleine de libres bateaux errants.

 

Tu es comme un bateau plein d’hommes

Comme la plage pleine de chants

Comme Dachtestân

Vaste et ouvert.

 

Tu es fragile

Comme la broderie d’une fille amoureuse

-qui coud les plus jolies fleurs

Sur le coussin de son amant.

 

C’est bon d’être avec toi

Tu es le phare, moi la nuit,

Lisant paisiblement à ta lumière, le livre de ton cœur

Et celui de mon cœur composé des lignes de ton corps.

Je chante joyeusement à tes côtés, la chanson des printemps

Je pleure et je chante.

 

C’est bon d’être avec toi

Tu es belle comme toi,

Comme toi-même

Comme quand tu parles

Comme quand tu rentres à la maison

Comme le reflet d’un arbre sur l’eau

Sur la maison

Tu pousses alors dans mes yeux en attente.

 

 

Jusqu’à la dernière alouette

Pâle

Pâle et usé est le temps

Pâle et usé est l’espace

Pâle et usée est la Terre

Et les maisons et le vent

Et les choses et la poussière

 

Toute mon enfance est usée et pâle

Ces petites eaux qui manquent d’onde

Ces eaux manquant de poissons

- manquant de lune-

 

Elles ont des sources dans le vent

Des sources dans l’illusion

- dans leur soif-

Ces champs pliés dans le passage du vent et du temps

Ces hommes pliés sur la courbe du champ

Ces serpes affamées

- avec leur dents crasseuses-

Qui fauchent le vent

Qui fauchent les vertes et sèches brassées de vie…

…….

Ces chevaux maigres et malades

Qui fixent à l’horizon

Les lointains de l’oubli

- à l’ombre de leurs tristes paupières

et de leurs cils secs et poussiéreux-

…….

(Le jeune homme tint la bride haute à son cheval

Rendit le pied ferme à l’étrier

Et par-dessus ce mur détruit

Fouilla toute cette cour vide

Du regard poussiéreux) :

" Qu’elle est vide et muette !

- quel accueil chaleurex !

On dirait un rêve de monstre de Dachtestân

Ce sanglot muet de toujours, dans le volume creux du vent

Cette plaie massive sur le cadavre pourri de l’espace ! :

 

Cette hutte fut longtemps

Le chanteur vif de cette région.

Cette hutte fut longtemps

La source des contes et des étonnements.

…….

- le jour où nous posâmes pied à terre

Tout près d’arrivistes chevaliers

- des villes de loi en papier

Des hommes habillés d’automne

(Crucifiés par leurs étoiles de terre)

Des jardins de sang en papier

Des chevaliers chaussés de cuir

Des champs de la vanité certaine…

………

Depuis que nous posâmes pied à terre

Le guépard du Zagros a cessé de rugir

Le vieux rempart édenté s’est brisé

- accablé de honte-

Dans la fente de la plaie sur son cou

Et les lions des tapis de Farâshband

Se transformèrent en de bons chats de compagnie

Le jour où nous posâmes pied à terre. .. "

…………

Usés et pâles

Sont l’eau et l’arbre dans le village de mon enfance

Etrangers sont restés la porte et le seuil

A la sèche haleine des pas

- les pauvres pas de la fierté-

Etrangère est restée la maison

A la chaleur des bras et de la bouche

Et les coins historiques

Ont conclu de nouveau un accord

Avec les rats historiques

" Quel retour délicieux ! "

…..

- (l’homme glisse de la vieille gaine du paysage

Dans les temps et la mémoire ;)

" À l’anniversaire de l’Evénement

Les hommes assistent aux funérailles des fusils,

- ces hommes retournés des vallées du feu et de la foi-

Les fantômes du mutisme et des désillusions

Emergeant du monde enfumé de rêves

Font passer les cercueils de la fureur mythique

Sur leur épaules éreintées

Vers les villes en papier de la loi.

Voilà !

- les hommes, habillés d’automne

Sans fureur ni reproche

- dans leurs tours de vanité-

Pliés sur le devant des selles

Dessinent leur brillante victoire

Depuis des épaules d’or

Dans les yeux du soleil et de Dieu :

[Nous Voilà ! Nous qui aplanissons

Les routes mortes de l’Histoire.]

- quel accueil coloré ! - "

….. ..

Dans le village légal

Par-dessus le mur

L’homme fixe son regard sur le lointain

Pour garder en mémoire

La dernière alouette de Dachtestân

Chantant dans le vent au moment de sa halte

Avant l’attrait vertical du " Puits de serpent".


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