N° 3, février 2006

Journal de Téhéran

Art sassanide


Au Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale




6 Février 1936,
16 Bahman 1314

Les fêtes si brillantes du grand poète persan Ferdowsi nous ont familiarisés avec l’art et l’histoire de la Perse du Xe siècle. Mais étudier Ferdowsi, c’est étudier aussi les Sassanides qui, par leurs annales, donnèrent la matière du poème du Chah-Nameh. Voici pourquoi nous voulons contribuer à la connaissance de l’art des Sassanides que nous pouvons admirer à Paris même.

Il y a dans l’histoire de l’art des périodes où l’art ne concerne que son sol originel, et d’autres périodes qui favorisent l’épanouissement d’un art à dimension mondiale ; un art qui, pas sa beauté, son originalité, a su conquérir le monde entier et, voyageant vers des pays lointains, a su profondement s’enraciner. C’est de ce type d’art que nous allons parler : l’art de la Perse sassanides.

La dynastie des Sassanides, qui régna en Perse de 226 a 630 de notre ère est la rivale de Rome et de Byzance, mais aussi de 1’Inde. C’est sa situation géographique, d’Etat intermédiaire entre la Rome impériale et l’Extrême Orient, qui lui valut un commerce florissant et un art complexe. Ce furent les Sassanides qui, soit par mer, soit par terre, firent venir la soie de Chine ; ils produisirent des tissus célèbres dans le monde entier. On vient d’ailleurs de découvrir, il y a quelques années seulement, un tissu sassanide dans un tombeau japonais. Les Sassanides tissaient d’admirables tapis sur lesquels étaient représentés les quatre saisons ; les Arabes, chantaient les louanges du tapis du trône de Chosroês, qui représentaient le printemps, ce furent aussi les Sassanides qui fabriquèrent ces coupes et aiguières en argent et en or qui furent imitées pendant des siècles par le monde musulman.

Mais les provinces d’art sassanide ne s’arrêtaient pas aux limites géographiques de La Perse. Loin de la Perse, dans l’Asie Centrale, dans les grottes des villes mortes du Gobi, nous avons trouvé des restes cavaliers sassanides qui, par leurs coiffures, par leurs tuniques collantes avec de grands revers, s’affichaient comme des Sassanides purs, malgré leur foi bouddhique.

Ces revers, ces vêtements collants au petit col bas, garnis souvent d’un galon bordé, nous les connaissons très bien ; nos grands couturiers, inspirés par cet art, l’ont fait dernièrement revivre à travers l’élégance française. Car la mode sassanide, mode d’une des cours les plus riches et les plus somptueuses du monde, fut, il va sans dire, élégante et raffinée. Les tissus tramés d’or et d’argent comportent des dessins caractéristiques : de grands cercles perlés avec dedans des parties d’animaux fantastiques (tête de griffon, queue de paon, griffes de lion) mais aussi des coqs (car il faut le dire, c’est le coq qui, par son chant, chasse les démons nocturnes) des perroquets ou simplement de grandes rosaces.

Pourquoi ces animaux si vrais sont-ils tous enrubannés ? Ils ont des rubans aux pattes, d’autres au cou. Ces rubans flottent, s’élargissent et attirent le regard. En fait, ces animaux n’étaient pas libres ; ils appartenaient au paradis du roi (c’est ainsi qu’on appelait les grandes chasses royales), et le ruban était leur insigne. Ce ruban, nous le retrouvons sur le roi lui-même. Celui qui porte le titre de Roi des Rois, compagnon des étoiles, frère du soleil et de la lune, s’habille de façon splendide, car il doit éblouir par sa pompe et sa majesté. Son habit collant et étroit, garni de perles et de pierres précieuses, porte souvent, tissé dans l’étoffe, le symbole royal (correspondant a notre lis de France) ; mais c’est surtout son diadème et sa couronne qui le caractérisent.

Car, aussi étrange que cela puisse nous paraître, chaque roi sassanide a une couronne individuelle. Ce sera tantôt un aigle magnifique aux ailes déployées, ou la tête d’un bélier en or garnie de pierres précieuses ; tantôt un mur crénelé qui fait penser aux fortifications d’une ville imprenable ; mais le plus souvent, un globe et un croissant.

Ce globe se présente comme une boule immense, au-dessus de Shapour ler en train de s’emparer de l’empereur Romain Valérien. Cet événement historique, qui constitue l’une des pages les plus glorieuses de l’histoire des Sassanides, nous l’avons devant nos yeux au Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale. Shapour ler a une taille herculéenne, il est à cheval et il saisit par le poignet l’empereur Valérien également sur son cheval. Le roi porte la ceinture sacrée, le Kosti, dont les bouts flottent dans l’air. C’est de là que viennent les rubans des animaux des chasses royales. Ce sont ces rubans de la ceinture sacrée que l’on attachait à ces animaux qui tous appartenaient à celui qui fut l’emblème même de la vertu : le roi.

Ces rubans, le roi les portera à la cheville et à la coiffure, et même la queue du cheval aura la forme d’un de ces rubans. Les rubans flottants, quelque peu lourds et compacts, c’est une caractéristique de l’art sassanide.

Mais revenons à la couronne si étrange du roi. Cette grosse boule sur la tête du roi, frère du soleil et de la lune, représente le soleil lui-même, ou peut-être, le globe terrestre. Ainsi, on comprend pourquoi d’autres rois sassanides introduisirent un croissant, c’est-à-dire la lune, dans leur coiffure, ou une étoile dans ce ciel ambulant. Le globe du soleil dans le croissant de lune, c’est la coiffure la plus répandue chez les rois sassanides. Nous la retrouvons sur une coupe de cristal de roche enchâssée dans des médaillons en cristal et en verres de couleurs. Le roi Chosroês II, qui vécut au VIIe siècle de notre ère, y est représenté de face sur un trône orné de deux chevaux ailés, son sceptre à la main et sa couronne posée sur une riche chevelure frisée. Les rubans sacrés s’étalent en forme de gros serpents, à sa droite et à sa gauche.

Cette coupe si précieuse, qui passait, au temps où elle appartenait encore au trésor de Saint-Denis, pour la tasse du roi Salomon, cette coupe nous informe sur l’attitude qu’adoptait Chosroês II, monarque tout-puissant, quand il donnait audience dans son palais de Ctésiphon (qui existe encore aujourd’hui). Le palais dresse sa silhouette imposante à l’orée du désert. La salle d’audience est voûtée d’un arc de 26 mètres de diamètre et la ruine béante de cette construction merveilleuse du règne glorieux des Sassanides nous suggère des idées mélancoliques sur le faste passager des œuvres de l’homme.

Le trône du roi, garni de ces fameux tapis des quatre saisons ; les marches ornées de lapis-lazuli et de turquoises ; chaque chose avait un sens précis. Car si ce tout-puissant de la terre portait le soleil, la lune et les étoiles sur sa tête, pour augmenter, par leurs symboles, sa puissance, les lapis-lazuli et les turquoises devaient de leur côté lui porter bonheur. La couleur bleue, couleur du ciel, et la matière de ces pierres, en faisaient des talismans très répandus.

Mais ce sont les faïences, les peintures murales, l’horloge merveilleuse qui restèrent célèbres dans les chroniques des Arabes.

Nous voyons grâce à cette architecture que l’art sassanide n’est pas seulement un art de pompe et de faste, mais un art de bâtisseurs. Certes, ce n’étaient pas toujours les Perses qui construisaient les édifices. Les grandes colonies de prisonniers, au nombre desquels nous devons compter l’empereur Valérien, cultivaient le sol de la Perse, mais édifiaient aussi les grands bâtiments.

La voûte et la coupole sassanides, qui ont une forme originale, nous pouvons les connaître non seulement dans la Perse lointaine, mais sur notre sol même. Saint-Hilaire à Poitiers, est voûté tout entier sur le modèle des coupoles sassanides. Tout près de Paris, l’église de Sens possède dans son fameux trésor des tissus sassanides que nous avons pu admirer à Paris lors de l’Exposition byzantine. Maintes églises romanes ont des chapiteaux où ces tissus sont reproduits avec une fidélité étonnante. Les tissus, qui, de tout temps, étaient un cadeau facile à transporter, ont voyagé sans difficultés de la Perse vers le Japon et la France. Ce sont eux qui inspirèrent la construction de tant de chapiteaux au moyen âge.

Mais revenons au Cabinet des médailles. En dehors de ces coupes et ces camées qui symbolisent le roi tout-puissant, on peut admirer des représentations encore plus attrayantes : des chasses roya1es, des animaux, et des plats ornés de personnages étranges.

La chasse ! Nous savons que le proche Orient a de tout temps admirablement représenté l’animal : l’animal blessé, l’animal au galop, l’animal qui poursuit ou bien l’animal poursuivi. Nous nous rappelons les paradis des rois Sassanides ; nous revoyons ces grands parcs enclos où l’on entretenait pour les chasses royales des lions, des tigres, des sangliers, des ours, des autruches, des gazelles, des onagres, des paons, des faisans et d’autres animaux de grandeur extraordinaire.

Des parois entières sont sculptées dans le rocher à Tagh-i-Bostan et nous montrent la chasse au sanglier et la chasse au cerf. Tout le terrain de chasse est entouré de filets. Le roi et ses compagnons parcourent en bateau les eaux des étangs et tuent les sangliers à coups de flèches. Des femmes qui jouent de la harpe les accompagnent, elles aussi en bateau. Nous nous rappelons alors que les Sassanides étaient de grands musiciens, qu’ils employaient le luth, le hautbois, la flûte, la mandoline et la harpe, et que cette musique passa en Asie centrale pour finalement se propager à la cour de Chine. Ainsi, une fois de plus, l’impact de la culture Sassanide nous apparaît clairement.

La chasse de Chosroês II au Cabinet des médailles est un chef-d’œuvre. Sur un plateau en argent de 30 centimètres de haut, nous avons un tableau parfait du cavalier, admirable, svelte et élégant. Le cheval est en pleine course et le vent fait voler tous les rubans du roi. La couronne ailée est légère ; le croissant de lune au-dessus du diadème perlé encadre admirablement ce visage finement découpé. Les sangliers et les cerfs fuient devant le chasseur royal qui les cible. Enthousiasmés, nous suivons cette course depuis les rubans flottant au vent jusqu’aux pattes presque horizontales des cerfs et des sangliers éperdus. La violence et l’élan du mouvement sont rythmés par l’ordre, la clarté, la disposition des animaux devant et au-dessous du chasseur royal. Voici l’essence même de l’art sassanide : une force vitale, pleine de mouvement, retenue par une discipline et un rythme fort et sévère. Car n’oublions pas que les Sassanides n’étaient pas seulement de grands conquérants, des rois puissants qui inspiraient la terreur à Rome et aux Indes. Ils étaient aussi les adorateurs d’une religion nationale perse qui comportait une haute et sévère morale.

La religion considérait comme bonne action le fait de tuer des animaux, mais il ne fallait pas en abattre plus de dix mille, Nous voyons donc que ces chasseurs acharnés étaient doublés de grands psychologues, car non seulement leur passion était excusée, mais encore on lui attribuait un grand mérite.

L’art des Sassanides ne s’éteignit pas avec la dynastie historique. En Asie centrale, en Chine, en Egypte et dans tout l’Occident, ces animaux pleins de vigueur, ces chasseurs si hardis, ces rois aux diadèmes et rubans si caractéristiques, furent copiés pendant des siècles. Par la beauté et l’originalité de leur culture, par la majesté de leur architecture, les Sassanides régnèrent dans le monde entier longtemps après que les Arabes eurent détruit leur Empire.

Laure MORGENSTERN


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2 Messages

  • Art sassanide 10 avril 2010 19:14, par eliane de latour

    merci pour votre article. je me pose de questions sur cette chasse en barque. quelle logique y a t il à tuer des sangliers d’une barque ? c’est beaucoup plus difficile qu’à terre.
    comment et pourquoi pratiquaient ils cela ainsi ?
    pratiquaient ils la pêche ?
    merci de me répondre
    edl

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  • Art sassanide 30 octobre 2011 12:27, par Bonanza

    Quelle difference entre l,art et la splendeur sassanide et l,actual Iran ! Helas...

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