N° 3, février 2006

Mawlânâ et le feu partit une nuit à la roselière...


Maaike Bleeker, Shâhin Ashkân


Mohammad Djalâl ed dîn, surnommé Mawlânâ, Mawlâvi et Roumi, est né en 604 de l’hégire, dans la ville de Balkh. Ses ancêtres étaient issus du Khorassan et, malgré qu’il ait passé la plupart de son existence à Konya, en Anatolie, il resta toujours attaché à sa terre d’origine.

Son père, Bahâ ed dîn Valad ebn Valad (543-628 de l’hégire), s’appelait également Mohammad et portait le titre honorifique de Soltan ol Olama (sultan des savants). Ce théologien éminent menait une vie paisible à Balkh et exerçait, par ses discours éclairés, une influence considérable sur la population, qui lui manifestait un grand dévouement. Mohammad Khârazmshah en pris ombrage et l’Imam Fakhr Râzi, grand orateur de ce 6ème siècle de l’hégire, lui-même hostile à Bahâ ed dîn Valad, tira profit de cette inquiétude pour alimenter un climat de défiance à son égard. D’autre part, le spectre d’une attaque imminente des Mongols, poussait un grand nombre de savants et d’hommes de lettre à fuir vers l’ouest de l’Iran. Bahâ ed dîn Valad se décida à quitter Balkh avec sa famille.

Entre les années 616-618 de l’hégire, il prit la direction de la Mecque. En chemin, il s’arrêta à Neïchabour où, en compagnie de son fils, Djalâl ed dîn Mohammad, qui avait alors 13 ou 14 ans, il se rendit auprès du grand poète soufi, le cheikh Farid ed dîn Attâr. Cette rencontre, confirmée par les biographes, rend ainsi vraisemblable ce calendrier des événements.

Il fit route ensuite vers Bagdad où il demeura quelques jours, puis se rendit à la Mecque. Après avoir accompli le Hadj, il prit le chemin de Châm (la Syrie) et se dirigea ensuite vers l’Asie Mineure. Les fumées s’élevant des terres brûlées par les Mongoles tardaient à se dissiper, et sa ville natale était située dans une des régions les plus vulnérables du territoire islamique de l’époque ; il ne pouvait donc faire demi tour et se résigna à poursuivre sa route. De fait, un an après son départ, la ville de Balkh fut totalement détruite par les envahisseurs. Il passa par l’Arzandjân (Arménie turque) où il fut bien accueilli par Fakhr ed dîn Bahrâmshah et son fils. Peu de temps après, il fut invité par Keïghobâd, le roi Seldjoukide de Roum (Asie Mineure) à venir s’installer à Konya.

Djalâl ed dîn Mohammad se maria à l’âge de dix-huit ans, sur l’ordre de son père, à Gôhar Khâtoun, fille de Khâdje Lâlâï Samarghandi, un notable de la ville de Laranda. De leur hymen naquirent deux fils : Ala ed dîn Tchelebi et Sultan Valad.

Djalâl ed dîn avait vingt-quatre ans lorsque son père mourut, en l’an 628 de l’hégire. Suite aux supplications des disciples de son père (ou peut-être conformément aux dernières volontés de ce dernier) il poursuivit l’œuvre du défunt. Seyyed Borhan ed dîn Mohagegh Termezi, qui se trouvait lui aussi à Roum, lui fit profiter de ses connaissances. On ne sait si c’est, encouragé par celui-ci ou alors mû par des motivations intérieures, qu’il partit pour Halab (Alep) afin d’y compléter ses études. Il se rendit ensuite à Damas où il séjourna environ quatre ans. Il réintégra ensuite Konya et, sur les conseils de Seyyed Borhan ed dîn, s’astreint à l’ascèse. Après la mort de ce dernier, aux environs de 638-642 de l’hégire, il enseigna, dans le collège de son père, la jurisprudence, la Loi (le droit canon) et dispensa également un enseignement spirituel ; il est écrit que plus de quatre cents élèves l’entouraient pendant ses cours. Il était considéré comme chef spirituel, comme référence en matière de connaissance juridique religieuse (Charia Ahmadi.)

Rencontre avec Chams

Chams ed dîn Mohammad ebn Ali ebn Malek Dâd (disparu en 645 de l’hégire) était un soufi errant, issu de la ville de Tabriz. Cet homme qui bouleversa à tout jamais la vie de Mawlânâ, restera à jamais une énigme.

Mohamad Rezâ Chafih’ï Kadkani, auteur de plusieurs ouvrages sur Mawlânâ, est irrité par la teneur des nombreuses histoires et légendes relatées autour du personnage de Chams. Selon lui, ses rumeurs, quelles qu’elles soient et d’où qu’elles viennent, n’apportent rien de plus, tant le rayonnement de ce soleil que fut Chams est manifeste dans la poésie de Mawlânâ, qui disait de lui "Chams Tabriz, c’est l’amour qui te connaît, pas la raison."

Ce qui est certain, c’est que Chams entra en l’an 642 de l’hégire à Konya. Sa rencontre avec Mawlânâ fut-elle le fruit du hasard ? Abdol Karim Sorouch, auteur lui aussi de multiples recherches sur Mawlânâ, raconte : "Chams passait d’une ville à l’autre, enseignant aux enfants, et profitait de chaque occasion pour rencontrer des soufis. Il possédait une connaissance mystique qu’il ne parvenait pas à partager avec ses pairs et se heurtait à leur incompréhension. Il était comme une eau qui, tourbillonnant sans trouver d’issue, croupissait. Grâce à Mâlawna, cette eau, libérée de ses entraves, parvint à se déverser dans la mer dans un jaillissement cristallin."

Quant à Mawlânâ, "Il naîtra à l’âge de 38 ans" et suite à cette rencontre, le temps lui-même perdit tout son sens à ses yeux ; "J’étais neige, tu me fondis. Le sol me bu. Brume d’esprit, je remonte vers le soleil." Toujours selon le même auteur, la réunion de ces deux êtres exceptionnels permit l’accès, pour les générations futures, à un trésor offert sans contrepartie.

Pour Chams, le chemin de la Lumière était fait de renoncement. Pour le suivre, Mawlânâ aurait du tout abandonner ; l’enseignement, les amis, la famille et même la lecture, pour ne plus se consacrer qu’à la seule quête véritable, celle de l’Amour suprême.

Le mausolée de Mawlânâ

Cependant, cette symbiose ne pouvait laisser l’entourage de Mawlânâ indifférent. Chafih’ï Kadkani relate : ...Jaloux, les disciples de Mawlânâ ne supportaient pas l’ascendant de Chams sur leur maître. Tenu par certains pour un sorcier et un envoûteur, la situation de Chams devint délicate. Il quitta Konya brutalement, sans même annoncer son départ à Mawlânâ. Ce ne fut qu’un mois après son départ que Mawlânâ appris la présence de Chams à Damas et lui fit adresser alors force lettres et messages, le suppliant de revenir. Ces instants de séparation ainsi que l’émotion des retrouvailles sont omniprésents dans sa poésie.

Ses disciples et amis, touchés par l’affliction dans laquelle était plongé Mawlânâ, regrettèrent et s’excusèrent de leur comportement. Mawlânâ envoya alors son fils, Sultan Valad, qui partit en compagnie d’une vingtaine de fidèles à la recherche de Chams. Ce ne fut qu’après quinze mois passés à Damas que celui-ci accepta de les rencontrer et, en 644 de l’hégire, ils s’en retournèrent ensemble à Konya. Mais, une fois encore, il se heurta à l’obscurantisme et au fanatisme d’une partie de la population. C’est ainsi qu’il disparut en l’an 645 de l’hégire ; personne ne retrouva jamais sa trace. C’est en vain que Mawlânâ effectua maintes et maintes recherches. Peu de temps après, il tomba dans une sorte de transe mystique (Cheïdaï). Nombre de ses poèmes ont été écrits alors qu’il se trouvait dans cet état d’esprit ; " Ma vie tient en ces quelques mots : j’étais cru, je fus cuit, je suis brûlé. "

Dr. Mohamad Rezâ Chafih’ï Kadkani, certifie la date de la mort de Mawlânâ : Les médecins ne purent guérir Mawlânâ, atteint d’une maladie soudaine. Au coucher du soleil du dimanche 5 du mois Djamâdi Ol Akhar de l’an 672 de l’hégire, Djalâl ed dîn Mohammad Balkhi, exhala son dernier souffle. A son enterrement, petits et grands, pauvres et riches, vinrent lui rendre un dernier hommage. Sa vision de " l’unité de l’existence " avait même conquis les coeurs des chrétiens et des juifs, qui pleurèrent sa disparition.

Les œuvres de Molânâ

Djamchid Mortazavi et Eva de Vitray-Meyerovitch ont publié ensemble La parole secrète- L’enseignement du maître soufi Roumi (édition Le Rocher) qui est la première traduction du livre de Sultan Valad, le fils de Mâlawna. Ils relèvent : " Mawlânâ Djalal ed dîn Roumi est considéré comme le plus grand poète mystique de l’Iran et sans doute de l’Islam. Son oeuvre immense, lue et méditée presque autant que le Coran lui-même, est d’une richesse et d’une profondeur inégalées."

Mawlânâ fut un poète prolifique, peut-être le plus prolifique des poètes. Ses œuvres : le Mathnavi, vaste théodicée qui comprend 45 000 vers, le Dîwan de 30 000, les Ghazaliate Chams Tabrizi (odes mystiques), ses Robâi’yât (quatrains), Fiyé Mâ fiyé (le Livre du Dedans), Ketâb ol Mâ’aref (le Livre des Connaissances mystiques), Makâtip et Madjâles sab’é.

Mathnavi Ma’navi est le mathnavi le plus connu de la langue persane. On range ce grand chef-d’œuvre aux cotés des livres saints.

Mâwlânâ pose d’un côté l’existence de l’esprit du monde, et de l’autre, le monde. C’est dans cette distance entre le monde et l’esprit du monde que l’homme expérimente sa présence dans l’univers (Kâyénât.) L’esprit du monde palpite en son intérieur et non pas à l’extérieur. Ils ne font qu’un. Cette philosophie de l’unité de l’existence a fortement influencé les soufis dès le 7ème siècle de l’hégire.

Selon Chafih’ï Kadkani : " On ne trouve nulle part, ni dans la littérature persane, ni dans la culture islamique, ni même dans notre civilisation, un ensemble poétique dans lequel un tel bouillonnement de mouvements, de vie et d’amour soient aussi bien exprimés que dans le Dîwan Chams."


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5 Messages

  • Mawlânâ 17 décembre 2010 22:54, par masoud

    pourriez vous me dire ou je pourrais trouver la traduction complete du mathnavi en francais

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  • Mawlânâ 14 janvier 2011 14:03, par Emile

    Bonjour
    De dire que Mawlana est d Iran est complètement faux. Il s’appelle Mawlana Said Djalal u dine Balkhi. Balkh (Mazar e Shareef) est au nord d’Afghanistan d’aujourd’hui (Khorassan) ou les parents de Mawlana est d’origine.
    Aujourd’hui Iran et les Iraniens ont à pouvoir économique et sociale et ils se sont installe au coure des pays occidentaux pour s’exposer entant que les perses, pendants les Afghans prises par des problèmes pas seulement politique mais aussi économique et le seuil d’illettrisme les a mis complètement appart et n’ont pas peu défendre leur intérêt et tous les avantages part vers Iran, qui est aussi un pays énorme. Par contre Shaams est d’Iran, il vient de Tabraz qui se trouve à Iran aujourd’hui.
    Merci de votre compréhension.

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    • Mawlânâ 18 janvier 2011 21:10

      Bonjour
      Pour vous répondre cher lecteur il faut savoir que ce que l’on appelle Iran est l4iran de la perse et non du 21 ieme siècle. Du temps de notre splendeur, les français étaient dans des grottes et les USA n’existait pas ni les afghans ni les tadjiks (qui parlent perse aussi). Le monde civilisé était iranien. Iran veut dire (selon le dictionnaire Larousse) PAYS des ARYENS. Aryens ne signifie pas blonds aux yeux bleus mais race supérieure de part sa capacité a vaincre la nature (microbe, virus, ultra violet etc..) les iraniens sont les seuls et uniques Aryens, c’est le dictionnaire gaulois qui le dit et pas moi. Donc il se peut bien que mowlana et bien d’autres soient iraniens. Les afghans le sont les tadjiks le sont aussi, ainsi que la Bahréniens qui ont été libérés par le shah pahlavi traître et assassin au milieu du 20 ieme siècle. Ceci dit personne ne place son orgueil là et je veux bien que mowlana soit même américain du moment que nous prenons plaisir à le lire. En conclusion , il ne faut pas croire que de part nos malheurs dus a quelques souverain idiot et voleur (comme la maudite et sale famille pahlavi) nous sommes un peuple anodin, nous avions des bibliothèques quand la France ni la gaule ni Rome n’existaient encore.
      Merci et bonne lecture
      je dirais vive le monde et vive l’humanité, le probléme n’est plus là.!

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      • Mawlânâ 15 août 2011 16:31

        Bonjour, je suis persane et je me désole pour ce genre de discours !
        Chaque peuple a un moment donné une histoir une civilisation, pour autant "la comparaison n’est pas raison" dit Saint Ex , mépriser les autres pour se valoriser est une grave sympthome de problème psychologique, Mawalan propose des remèdes !

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  • Mawlânâ et le feu partit une nuit à la roselière... 8 mai 2014 14:45, par maryam irandoust

    merci, c’est jolly

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