N° 3, février 2006

Akhavân
Le souffle épique de la poésie moderne


Rouhollah Hosseini


Sur le mont est venu se poser un aigle

Sans gémissement ni plainte aucune,

Pendant que le triste soleil se couchait

Il mit la tête sur une pierre et rendit l’âme

Cet aigle symbolise le poète Akhavân Sales, le plus classique parmi les Nimaiens. Il naquit en 1928, à Tous (Meched) la ville natale de Ferdowsi, autre grand dont l’influence et le souffle épique marquera fortement la poésie d’Akhavân. Sa vocation de poète se révèle très tôt, et il publie son premier ouvrage, Arghanoun, en 1951, à l’âge de 21 ans. Mais c’est dans le recueil, L’hiver, qu’il fait étalage de son talent de poète ; de fidèle successeur de Nimâ, en même temps bon connaisseur de la poésie classique persane. Il faut chercher la grande invention d’Akhavân dans son effort de combiner classicisme et modernisme dans la poésie contemporaine. L’hiver, La fin de Shâh-nâme (1956) et A propos de cet Avestâ (1965), constituent les principaux recueils du poète.

L’hiver évoque chez l’artiste le pesant désespoir des années qui suivirent le coup d’Etat du 28 Mordad 1332 (le19 août 1962). Le froid de l’hiver symbolise la solitude et la désillusion du poète, face à l’échec du gouvernement Mossadegh, par le biais duquel le peuple espérait accéder à plus de liberté, après des siècles de tyrannie royale. Ainsi, durant cette période où l’on assiste, aux dires du poète, à " l’écoulement absurde et maudit du temps ", il ne reste plus aux artistes d’autre solution, à part se réfugier dans le romantisme ou dans le symbolisme social. Des poètes, tel que Naderpour, optent pour le romantisme, tandis

que d’autres, Akhavân inclus, expriment leur souffrance symboliquement (en

évoquant par exemple, les thèmes du froid et de l’obscurité). D’ailleurs, ce sombre tableau de l’époque rend compte de la nostalgie qu’éprouve le poète pour l’Ancien temps, celui de Zarathoustra et de la Perse antique. Témoin attentif de la dégradation de la situation politiques de son temps, il chante son amour pour la patrie, ce qui constitue un des principaux caractères de sa poésie. Son recours à un langage archaïque s’inscrirait dans une même optique.

Autre trait marquant de l’œuvre : son pessimisme profond, échos de la vision du monde du poète, idéalement exprimé dans le poème L’Epigraphe. Cette vision semble informer toute la philosophie d’Akhavân. La trace de la pensée de Khayyâm y est évidente : le sort d’une humanité condamnée à vivre à jamais la même condition, et dont les efforts ne mènent à aucune issue. C’est cette absence de perspective qui définit l’avenir de l’homme. La société se montre inapte à aller au devant de cet avenir meilleur. L’artiste en conclut que toute action se voulant constructive est d’avance vouée à l’échec. Dans ces conditions, l’amour représente une véritable planche de salut pour Akhavân qui cherche, en désespoir de cause et à l’instar de Khayyâm, à goûter pleinement chaque instant de la vie qui passe :

Je sais bien que l’absurdité du monde et les instants qui meurent,

Et qu’on nomme la vie et l’univers,

Seront éternels et beaux, si tu restes avec moi .

 

L’hiver

Ils ne veulent pas répondre à ton salut

Leurs têtes sont enfoncées dans le cou

Personne ne lèvera la sienne

Pour répondre à la question posée

ou regarder ses amis.

Leurs yeux ne fixent que le devant des pieds

Car le chemin est noir et glissant.

Vers quiconque tu tends une main d’amitié

Hésitant, il retire sa main sous son bras

Car le froid est mordant.

 

En sortant de la poitrine, ce foyer de chaleur,

Le souffle se transforme aussitôt fait en nuage noir,

Qui se tient comme un mur devant tes yeux.

C’est le sort de ton souffle, qu’espères-tu alors

De la part des proches ou des lointains amis ?

 

Il fait un froid déloyal...

O toi ! Béni soit ton souffle et sois joyeux !

Réponds à mon salut ! Ouvre-moi la porte !

C’est moi, ton invité de chaque nuit, le gitan malheureux,

C’est moi, l’insulte médiocre à la face de la création,

le chant mal à propos.

 

Ni blanc, ni noir, je suis le même décoloré,

Viens ouvrir ta porte, je suis endolori.

O mon cher ami ! Mon hôte ! Ton invité des nuits tremble dehors.

N’aie pas peur, il n’y a pas de grêle, ni de mort,

C’est la voix des dents qui dans le froid claquent des paroles.

 

Cette nuit, je suis venu payer ma dette,

Je suis venu régler mon compte.

 

Que dis-tu ? Qu’il est tard, que l’aube est proche ?

Détrompe-toi ! Ce rouge au ciel n’est point celui qui annoncerait le matin.

Mon ami ! C’est l’oreille gelée, c’est le souvenir de la gifle froide de l’hiver.

Et le lustre de ce firmament étriqué, vivant ou mort,

Il se cache dans le cercueil trapu de l’obscurité massive,

Celui que couvre la mort.

Mon ami ! Va préparer le boire

Car les jours ne diffèrent pas des nuits.

 

Ils ne veulent pas répondre à ton salut,

Le temps est triste, les portes sont closes, les têtes enfoncées dans le cou,

Les mains sont cachées, les souffles nuageux, les cœurs brisés, douloureux,

Les arbres sont des squelettes cristallisés,

La terre est triste, le ciel bas,

Brumeux sont le soleil et la lune,

C’est l’hiver.

 

 

EPIGRAPHE

Etalée au devant, la roche nous semblait un mont.

Assis de l’autre côté, nous étions tous las :

Femmes, hommes, jeunes et vieillards.

Nous nous sentions liés mais par les pieds,

Et par des chaînes.

Si le cœur vous disait d’aller vers une chose aimable,

Vous l’approcheriez certes mais sans la toucher.

 

Et cet appel ?

Nous n’avons jamais su

S’il venait de nos songes effrayants et de nos solitudes,

Ou bien d’ailleurs, mais alors "d’où ?", nous ne l’avons jamais demandé.

Ainsi parlait la voix :

" Par là, se trouve une roche sur laquelle,

Un ancêtre, un vieillard, a écrit un mystère,

Chaque couple ou chaque solitaire… "

Elle répétait maintes fois.

Puis comme une vague se fuyant,

La voix sombrait dans le silence.

 

Et nous gardions le silence,

Et nous gardions longtemps le silence.

Les questions, s’il y en avait,

N’étaient posées que par les yeux.

Il n’y avait que lassitude, que l’oubli.

Et même dans nos regards, il n’y avait que le silence.

Et la roche était là.

 

La nuit quand la Pleine lune lançait ses malédictions,

Nous éprouvions des picotements dans nos pieds qui enflaient.

Parmi nous, celui dont la chaîne était la plus lourde,

Maudissant ses oreilles, lança d’un ton plaintif :

" Il faut y aller. "

Et nous dîmes, quoique fatigués :

" Malheur à nos oreilles et à nos yeux ! Il faut y aller "

Nous montâmes vers la roche.

Parmi nous, celui dont la chaîne était la plus longue,

Grimpa sur la roche, et lit :

" Celui qui me renversera, connaîtra mon mystère."

Saisi d’une étrange joie, nous chuchotions comme une prière,

Ce vague mystère.

Et la nuit nous semblait alors une rivière somptueuse, pleine d’étoiles.

 

Du nerf ! Un…deux…trois…

Du nerf ! Un, deux, trois, encore !

Nous avons sué, insulté, et même pleuré.

Du nerf ! Un, deux, trois…

Nous avons essayé plusieurs fois.

Quelle était dure, mais toutefois, délicieuse la victoire !

Rempli du plaisir le plus familier,

Las nous étions, mais pleins de joie.

 

Entre nous, celui dont la chaîne était la plus légère,

Reconnaissant notre effort, grimpa sur la roche ;

En ôta la poussière, puis chuchota.

(Et nous, en attente)

Il humecta ses lèvres du bout de la langue (nous aussi),

Et garda le silence.

Vers nous il tourna son regard, et garda le silence.

Il relit, ébahi ; on aurait dit que sa langue était morte,

Son regard emporté vers un lointain invisible.

Nous criâmes :

-" Lis donc ! " il gardait le silence.

-" Lis pour nous ! " il nous fixait sans rien dire.

Enfin, il descendit, faisant tinter sa chaîne.

Il faillit tomber, nous le rattrapâmes.

Nous le fîmes asseoir.

Il maudit nos mains et les siennes.

“- Que viens-tu de lire ? Dis-nous donc !”

Avalant sa salive, il dit lentement :

“- La même chose : celui qui me renversera, connaîtra mon mystère.”

 

Nous nous assîmes par terre

Et nous regardâmes la pleine lune, la nuit qui était claire.

Et la nuit nous semblait une rivière infirme.


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