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Ghadamali Sarâmi ou "Le langage de la rotation, du trouble et du tremblement de terre"*
"S’il y a une vérité, c’est l’amour
Tout autre chose n’est que métaphore"
Ghadamali Sarâmi est l’un des grands poètes et écrivains contemporains iraniens. Docteur ès lettres persanes, il est né en 1322 (1943) à Râmhormoz, l’une des villes de la province du Khouzestân. Son premier recueil de poèmes intitulé Le Sourire des vœux a été publié alors qu’il n’avait que vingt ans. Depuis, il a publié de nombreux recueils de poèmes dont Avec ce silence rouge (1967), Plus doux que le vol (1988), De deux points jusqu’à tout (1995), Le tapis de Salomon (2000), Pur et simple comme l’eau (2001), Il faut chanter jusqu’à la naissance de l’aube (2002), Le bain des couleurs (2003), Les Quatre saisons de "je t’aime" (2008).
Le désir du retour au passé et la recherche des origines comptent parmi les grands thèmes abordés dans ses poèmes ; d’où son intérêt pour la littérature enfantine, le théâtre et la psychologie des enfants. Il a également écrit de nombreuses histoires et poèmes pour les enfants dont le recueil Plus doux que le vol (1988), qui a obtenu le prix du meilleur livre de l’année.
Dans sa poésie, l’emploi de nouvelles figures poétiques est récurrent. "Les gitans blancs" pour "la neige" par exemple, est une métaphore qu’il utilisa pour la première fois dans la littérature persane.
Ses poèmes abordent également une thématique "amoureuse, mystique et sociale". Pour Sarâmi, "l’être humain est la clé de la serrure de l’univers". Ses poèmes sont composés dans toutes les formes poétiques nouvelles et classiques, ou d’après l’auteur lui-même, "dans la forme où la poésie vient à mon esprit".
De la couleur de la fleur jusqu’à la peine de l’épine (1989), une étude sur la structure du Shâhnâmeh de Ferdowsi et De la terre jusqu’au ciel (1991) consacré à Mowlânâ comptent parmi les autres ouvrages remarquables de cet écrivain-poète.
Son poème "Le roseau" est inspiré et imité du célèbre poème de Mowlânâ qui commence ainsi :
Ecoute comment le roseau raconte son histoire,
Comment il se plaint de la séparation. [1]
Dans ce poème, Mowlânâ se compare à un roseau qui s’est éloigné de la jonchaie (l’au-delà, son origine) dans cette vie ici-bas. Souffrant dès lors de cette séparation, il entonne de douloureux chants. Dans le poème de Mowlânâ, c’est le poète qui parle tandis que dans celui de Sarâmi, la parole est donnée au roseau lui-même.
Mon corps est maigre et de couleur jaune
Mon cœur est plein de douleur.
Un jour, un berger,
M’a cueilli de la jonchaie,
Puis, cet insolent berger,
M’a troué le corps.
Vous voyez comme je suis généreux
De chanter tout de même pour lui !
Ma maison est là dans la terre.
Loin de ma maison, je suis toujours triste.
Que quelqu’un me plante
De nouveau dans la terre !
O berger, tu es un homme toi !
Toi aussi tu as un cœur déchiré de douleurs.
Tant que je suis en vie,
Permets-moi de m’y planter !
Si tu ne le fais pas,
Mon cœur sera triste à vie.
Et je me plaindrai à jamais
De la séparation.
Le refuge [2] en sang
Bien qu’elle [3] soit sur le point de mourir,
Ma patrie est encore en vie.
Bien qu’elle soit mortelle, ma patrie
Son souvenir reste en moi et ne meurt jamais.
Ces ébats en secret, cette agitation,
Ce tourbillon d’eau, heureux leurs souvenirs !
Ce prolongement, ce tremblement,
Cette recherche infinie, ce sommeil, ce calme,
Cette nuit froide, noire et longue.
Heureux leurs souvenirs !
Vint au monde cet enfant en sang renversé avec la tête.
Te rappelles-tu de ce qu’on a fait ?
Comment on m’a sorti enfin de toi ?
Honte à cette première immigration !
Honte à cette séparation sans retour !
Je m’étais attaché à toi par le cordon ombilical.
Je ne désirais point renoncer à ma patrie.
Furieux, on m’a séparé de toi par une lame
Mon cœur demeure attaché à ma patrie
Mon nombril en est le témoin.
Ô ma mère, ma première patrie !
Je me sens si seul loin de toi.
Les gitans blancs ont immigré
La tribu de l’arc-en ciel arrive.
De nouveau, l’air est devenu chargé de cris
De nouveau, la lumière s’est libérée de ses chaînes.
Les herbes poussent du sol lestement
Elles offrent leur couleur verte au ciel
Le parfum des fleurs qui ouvrent leurs ailes
S’envole vers le nid du vent
Moi, enivré, je suis assis près de la fenêtre
Tenant la chevelure du soleil à la main
Ce beau paysage, et les ailes de l’imagination
Me font peu à peu m’envoler.
Grâce à cette échelle merveilleuse de rayons
Je m’envole jusqu’au ciel
La vitre transparente et claire du ciel
Paraît multicolore
Le soleil et moi, nous nous envolons
Et nous nous sommes mis à parler
Le soleil, passionnant, parlait
Et moi, silencieux, j’écoutais
Il est tout en parole ; moi toute ouïe.
Son grand cœur était déchiré
Ses souffrances étaient sans limites
Il a lancé : "Il y a des milliers d’années
Ta mère, la terre, tomba amoureuse de moi.
Elle était amoureuse de tout son être et je lui restai indifférent
C’est pourquoi l’histoire de notre amour
Se prolongea durant des années
Elle tourna autour de moi pendant des années
Jusqu’à ce qu’elle réussisse à me voler le cœur
Elle me traita tendrement
Elle me séduisit, se fit aimer de moi.
Enfin, je lui ai donné mon cœur.
L’amour envahit mon cœur aussi
Et m’a poussé à laisser de côté tous les interdits.
Avant le lever du premier jour de l’été
Elle et moi, sous l’asile des ténèbres, nous nous marièrent.
Un embryon se forma d’emblée dès notre union
Cette histoire était courte, mais son procédé long.
Après neuf mois de patience et de peine
Ta mère, la terre, a mis un enfant au monde
Un enfant sain, aimable, ravissant
La terre et le ciel en étaient contents
Il avait de vives couleurs
Nous l’avons appelé "le printemps".
Sa mère l’a nourri avec amour
Elle ne le sépara d’elle, même un instant
Mais hélas ! Cet enfant ravissant
Vécu seulement trois mois, puis mourut.
Les beaux et joyeux jours disparurent
Honte à son destructeur, la mort !
Les nuits devinrent noires et les jours mornes
Une année passa en deuil.
L’un de ces jours noirs et douloureux,
La terre me dit : pourquoi être en deuil ?
Tant qu’il y a la jeunesse et les beaux jours
Nous pouvons nous marier de nouveau
Nous pouvons oublier nos souffrances
A un nouveau printemps, nous pouvons donner naissance.
Ainsi, chaque année, dans cette vaine espérance
La terre se donne la peine d’enfanter un nouveau printemps
Mais à chaque fois, le printemps meurt
Après avoir vécu trois mois.
Et sa mort met fin à nos beaux jours.
Le printemps de cette année est notre dernier enfant
J’ai peur de cette dernière disparition
J’ai peur que lui aussi ne meure comme les autres
Avant qu’il ne commence à marcher.
Le soleil s’arrêta alors et se mit à répandre ses larmes.
Je dis à cette lumière du ciel : "Ne t’inquiète pas,
L’être humain est intelligent
Il trouve une issue à tout problème
La mort même a peur de lui.
L’être humain est révolutionnaire.
Il a fait échoué la mort tant de fois.
La mort s’en ira à son tombeau
Et ton printemps sera éternel".
A ce mot le soleil devient gai,
M’embrassa et me dit au revoir.
Je fermai les yeux vigoureusement
Et m’agrippai à ses rayons.
Ils me dirigèrent vers la terre en un clin d’œil.
Arrivé sur la terre, je hurlai :
"Ôvous qui habitez sur la terre,
C’est vous qui pouvez résoudre ce problème.
C’est vous qui pouvez faire le printemps.
Venez ouvrir les lèvres au sourire.
Pour refermer la porte à la mort.
Si nous rions et faisons rire
Nous ne perdrons jamais le printemps.
Ne laissons pas ainsi mourir
Ce printemps qui nous est revenu".
* Selon l’expression du poète lui-même pour s’exprimer.
[1] بشنو از نی چون حکایت می کند / از جدایی ها شکایت می کند
[2] L’intitulé de ce poème en persan,c’est "basteh khoun, بست خون". Le terme "bast" en persan se dit d’un lieu où on peut trouver un refuge à un moment de peur ou de solitude, d’un lieu sacré où on est en sécurité tel qu’une mosquée, une église, un mausolée…
[3] "Elle" fait référence à la mère.