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Au carrefour où l’avenue Kârgar croise l’avenue Dr. Fâtemi, un vaste terrain s’étend dans l’angle sud, fermé par de minces barrières. On peut voir derrière elles quelques saules pleureurs ombrageant la pelouse. Un peu plus loin se dresse un grand bâtiment blanc dont la forme paraît étrange. Il ressemble en fait à un métier à tisser gigantesque. Impossible de résister à la curiosité qu’il provoque. Je décide d’emblée d’y entrer. Je suis maintenant à l’intérieur du Musée du Tapis d’Iran. Tout en m’approchant de l’édifice principal, celui qui a provoqué ma curiosité, je vois les visiteurs sortant du musée. Brochures à la main, certains parlent de couleurs, de motifs, de nœuds et de tout ce qui caractérise un tapis. Devant la porte d’entrée, par terre, quelques petits tapis anciens sont exposés aux rayons du soleil, qui les empêche de pourrir. Je me dirige vers l’intérieur. Face à moi, il n’y a que des tapis, d’une beauté exceptionnelle.
Quelqu’un parle, mais je ne le vois pas tout de suite. Je marche donc vers un groupe de visiteurs et les trouve tous à l’écoute d’un guide du musée. Je les rejoins. Son exposé est très intéressant : "Ce bâtiment a été destiné dès le début à être un véritable musée. Il comporte deux étages distincts, le premier comprend la salle principale d’exposition permanente, le second est réservé aux expositions ponctuelles. Les objets exposés dans ce deuxième étage changent selon les sujets choisis par des experts ou en fonction de cérémonies officielles, deux ou trois fois par an. Le musée a été inauguré en février 1976. Le style architectural de l’édifice est moderne et l’œuvre commune d’une entreprise belge et de l’ingénieur Farmânfarmâyân, qui l’a dessiné de manière à ce qu’il représente son propre contenu, c’est pour cela qu’il ressemble à un métier à tisser. Le premier décorateur du musée était un ingénieur allemand, qui acheva le projet de décoration en collaboration avec des dessinateurs iraniens et étrangers. Le musée a été bâti sur une superficie de 3400 m2 et comporte en plus des deux salles d’exposition, une bibliothèque, une librairie, une salle de spectacle et une maison de thé. Le catalogue de la bibliothèque est riche d’environ 7000 livres en persan, arabe, français, anglais et allemand, véritable source d’information pour les chercheurs, les spécialistes et les amateurs de l’art de la tapisserie. Le catalogue comprend également un grand nombre de revues et de journaux concernant le tapis iranien, l’industrie de la tapisserie en Orient, la religion, l’art et la littérature." Le guide informe ensuite les visiteurs des disponibilités de la salle de spectacle, précisant que les visiteurs peuvent y visionner des films et des diapositives concernant la fabrication des tapis et des kilims, ainsi que d’autres genres de tapisseries artisanales iraniennes.
Le tapis est l’un des éléments les plus originaux et les plus riches du patrimoine iranien. Il est difficile de dater avec exactitude les débuts de l’art de la tapisserie en Iran. Mais d’après les études menées et grâce à la découverte du tapis de Pazyryk, datant du Ve siècle av.J.C, les chercheurs estiment que cet artisanat est vieux de plus de trois millénaires. C’est en 1949 qu’à la suite des excavations archéologiques du professeur Rodchenko dans la vallée de Pazyryk en Sibérie méridionale, ce plus ancien tapis du monde fut découvert dans le tombeau d’un prince. Il aurait été tissé entre le Vème et le Ier siècle av. J.-C, c’est-à-dire à l’époque achéménide. "On connaît l’existence de tapis de laine sous le règne de Cyrus le Grand, bien qu’on soupçonne ces œuvres richement décorées d’être des étoffes tissées et non des tissages à points noués" [1]. Le tapis Pazyryk est actuellement exposé au Musée de l’Hermitage de Saint-Pétersbourg. Il a survécu jusqu’à nos jours et la raison en est intéressante : les pillards de temples abîmant les entrées, le gel et le froid sibérien pénétrèrent à l’intérieur du temple et empêchèrent la pourriture du tapis. Une copie du Pazyryk a été tissée à Téhéran il y a cent ans.
En parcourant la brochure du musée, je me rends compte que le musée s’occupe d’activités culturelles assez variées et suit des objectifs particuliers. Faire des recherches sur le passé, l’évolution et la démarche historique de l’art et de l’industrie de la tapisserie, en particulier en Iran, l’achat et la collection de différentes sortes de tapis iraniens fabriqués à la main et l’organisation d’expositions temporaires en sont quelques exemples. Il est également à mentionner que l’année dernière, en 2007, le musée a patronné une exposition de tapis persans au Mexique. Selon les spécialistes, les tapis, les kilims, les djâdjims [2] , les zilous [3] et les gabbehs sont classés en fonction de critères tels que les couleurs, les motifs, la méthode de tissage et surtout la région où ils ont été fabriqués. Ainsi les tapis appartenant à Ispahan sont exposés séparément de ceux de Kâchân ou de Kermân. Près de cent quarante tapis sont exposés dans les salles du musée. Tous ont été tissés dans les principaux centres de tissage dont Kâchân, Kermân, Ispahan, Tabriz, le Khorâssân et le Kurdistan. Les plus anciens d’entre eux sont des tapis polonais, des tapis sangeshko et des tapis safavides. Les tapis sangeshkos proviennent d’une collection complète ayant appartenu à un prince polonais qui en avait commandé trois cents, brochés d’or et d’argent, aux ateliers d’Ispahan. Sept de ces tapis ont été rachetés par le musée à l’occasion d’une foire et sont aujourd’hui exposés.
Un visiteur veut savoir comment les tapis étaient autrefois teints. Le guide répond avec précision et exhaustivité : on utilisait alors trois sortes de teintes naturelles : animale, végétale et minérale. Cela ne fait qu’un siècle que des produits chimiques sont utilisés pour la teinture des tapis. La teinte animale était fournie par la cochenille, dont on tirait du rouge écarlate. La garance et l’écorce de noix servaient à produire la teinte végétale et finalement le vitriol et l’indigo donnaient les teintes minérales. De surcroît, la méthode de teinture traditionnelle exigeait des techniques particulières et un plus long traitement en comparaison de la teinture moderne. En revanche, la couleur des tapis fabriqués de cette manière résistait plus longtemps et s’éclaircissait au fil du temps. Une autre différence entre ces deux techniques se rapporte à la vitesse de la préparation des fibres. Les techniques modernes permettent la teinture de grandes quantités de fibres textiles en un temps relativement court d’environ deux heures, alors que la teinture traditionnelle était entièrement artisanale. L’obtention des teintes exactes nécessitait de longues heures de "cuisson" des fibres dans des cuves de couleurs, mais avait pour résultat une meilleure qualité de l’œuvre tissée.
Il est déjà midi passé et ma visite se termine. Avant de sortir du bâtiment, j’entre dans la librairie du musée. Là, toute une variété de cartes postales, de revues, de posters et de manuels. Choisissant parmi les cartes postales, j’entends une mère parler tapis avec sa fille. Elle lui explique que l’épaisseur des tapis varie d’une région à l’autre et que certains tapis coûtent plus cher. "Savais-tu que les tapis fins, tissés avec des fibres plus délicates que la laine, comme par exemple de la soie, sont plus minces et coûtent beaucoup plus cher ? Sache aussi que les habitants des régions froides et montagneuses ont privilégié le tissage des tapis épais pour mieux se protéger contre le froid. Au contraire, les piémonts et les régions urbaines ont préféré des tapis plus décoratifs, plus fins, aux nœuds plus abondants et aux motifs plus délicats. La laine, le coton et la soie sont….". En sortant, je vois un groupe de touristes duquel s’échappent des exclamations admiratives devant les tapis anciens toujours exposés au soleil par terre.
[1] C’est du moins ce qu’estime le professeur Behzâd Hâchémi, de l’Université Azâd d’Arâk.
[2] Tapis tissé de laine grossière.
[3] Espèce de tapis tissé en coton.